"Pédagogie : le numérique peut-il casser des briques ?" (Luc Cédelle)

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10 Nov 2012 19:26 #1835 par Loys
A lire sur le blog hébergé du "Monde" de Luc Cédelle cette réflexion : "Pédagogie : le numérique peut-il casser des briques ? (1)" (10/11/12)


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13 Nov 2012 00:13 #1868 par Loys
Et la suite ce jour : "Pédagogie : le numérique peut-il casser des briques ? (2)" .


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19 Nov 2012 09:21 #1921 par Loys

Pédagogie : le numérique peut-il casser des briques ?

Un titre étonnant et qui suscite la curiosité.

Qu'en est-il du numérique « pédagogique »? Les NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), les TIC (idem, mais sans l'adjectif « nouvelles ») ou TICE (idem, mais avec le E de Enseignement) sont des acronymes plutôt casse-pieds – car découlant plus du vice des acronymes que d'une réelle nécessité.

Sans oublier les NOE, les Nouveaux Outils Éducatifs...

C'est pourquoi je m'en tiendrai au « numérique », d'autant que les acronymes en question n'ont pratiquement pas été employés lors de l'événement récent qui m'inspire ce billet.

Sauf que le numérique ne se résume pas à sa dimension éducative... :spider:

Il s'agit de la célébration par les Cahiers pédagogiques (et par l'association éditrice, qui persiste, encore un problème d'acronyme, à s'appeler très déraisonnablement CRAP) du 500ème numéro de cette revue, parue pour la première fois en 1945.

Mais non, c'est un très bon acronyme. :twisted:

Signe important en matière de politique éducative, Vincent Peillon est venu prononcer un discours amical en ouverture de cette manifestation, qui s'est tenue le mardi 30 octobre à Paris dans les locaux de la MGEN à Montparnasse. Un compte rendu en a été fait sur le site des Cahiers.

Tâtonnement expérimental

Lors de cette journée, deux « tables rondes » (façon de parler) ont été consacrées à une réflexion sur l'information en matière d'éducation. J'ai participé à la seconde, sur le thème : les réseaux sociaux sont-ils un moyen efficace de diffuser, propager, étendre les réflexions et pratiques pédagogiques?

Laissez-moi deviner...

J'y étais en compagnie de Serge Pouts-Lajus, Stéphanie de Vanssay, Patrice Bride et le débat était animé par Christine Vallin. On me pardonnera (peut-être) de ne pas en donner ici une relation d'ensemble. J'arrive bien trop tard pour cela et d'autres comme Michel Guillou sur son blog se sont livrés à cet exercice très rapidement après l'événement.

Nous connaissons bien Michel Guillou et Stéphanie de Vanssay .

Etant facilement sujet au complexe d'imposture, je me suis évidemment demandé, avant cette réunion, ce que je pouvais bien avoir à dire, n'ayant pas lu les quinze livres indispensables en préalable à un tel débat et me trouvant encore, dans la pratique des outils numériques, au stade de ce que les enseignants Freinet appellent le tâtonnement expérimental. Comme la plupart de mes interlocuteurs ou collègues, j'aurais même le besoin, impossible à combler, d'être suivi pas à pas par un « conseiller numérique » personnel.

Mais non, le numérique, c'est facile et intuitif. Il suffit de savoir tweeter.

En fait, je crois nécessaire, justement, d'affirmer et d'assumer cet état d'insuffisance ontologique où, hormis quelques ultra-performants, nous laissent les technologies numériques.

Aveu intéressant. Il faut former les élèves au numérique, mais personne n'en est capable "hormis quelques ultra-performants".

Assumer est le premier pas pour ne pas se laisser terroriser par le sentiment de ne pas être à la hauteur.

L'évolution technologique effrénée fait qu'on n'est jamais à la hauteur au mieux qu'à un instant donné.

Un coach numérique pour tous?

Rien de plus simple à mettre en place.

Sentiment infiniment plus répandu qu'on ne le croit. Ayant toujours été plutôt en pointe, dans mon travail journalistique, sur l'engagement vers cette « nouvelle frontière » du multimédia, j'ai maintes fois vécu cette anecdote : ne sachant comment effectuer une opération précise (exemple au hasard : placer un « son » dans un billet de blog), je pose la question à un collègue, puis à des collègues que je croyais plus calés... pour m'apercevoir qu'ils ne sont pas plus avancés et finissent par m'avouer avec réticence qu'ils dépendent de l'intervention d'un spécialiste.

Eh oui, le numérique, à part dans ses formes dégradées de consommation, demande des connaissances exigeantes.

L'idée du coach ou du « conseiller numérique » ne relève donc pas de la pure boutade. Et l'univers numérique me semble souffrir depuis quasiment son origine d'un gigantesque défaut : celui de sa propre pédagogie. Défaut très paradoxal, puisqu'il atteint, dans un contexte hyper commercial, un stade où les producteurs eux-mêmes, par leur attitude, entravent le plein développement de leur propre marché en suscitant chez une grande partie des utilisateurs des réflexes de renoncement et de conservation.

C'est bien vrai, pour le coup. Les groupes technologiques n'ont pas intérêt à former des esprits indépendants et critiques, mais à créer l'accoutumance et la dépendance à leurs produits.

On demandait « autrefois » (à l'ère numérique: synonyme d'avant-hier) : qui connaît et utilise toutes les potentialités de son ordinateur personnel ? On peut sans risque de se tromper dupliquer la question aujourd'hui à propos du smartphone, des tablettes et tout autre outil susceptible d'apparaître du jour au lendemain. Juxtaposer, avec une part aléatoire, les habiletés partielles n'est pas maîtriser l'outil.

:topla:

Le clivage convenu et quelque peu trompeur entre digital natives et « vieux » contribue à dissimuler ce défaut de pédagogie. Les natives sont souvent bluffants, par leurs capacités à jongler intuitivement, mais restent majoritairement incapables d'expliquer pourquoi une chose a ou n'a pas marché.

Sujet souvent discuté ici même. Combien de ces natifs du numérique savent coder en simple programmation web ?

En cela, ils sont ultra dépendants d'une technologie qu'ils ne dominent pas.

Mais qui les domine et les rend dépendants.

Les « vieux » sont évidemment conscients que le numérique n'est pas une donnée naturelle comme l'air qu'on respire, mais se sentent facilement largués à chaque franchissement d'un nouveau cran technologique.

Les "digital natives" aussi. Tout dépend de la volonté de suivre ou pas.

Et les crans technologiques se franchissent désormais à un rythme accéléré.

Que l'école, qui est lente par nature, ne peut en aucun cas suivre. On ne peut former qu'à ce qu'on a assimilé. Heureusement, la bonne nouvelle, c'est qu'une bonne culture générale permet d'entrer dans le numérique avec confiance.

Un désert explicatif

Pourtant, et c'est une autre critique du clivage générationnel dont beaucoup de commentateurs abusent, seules les « personnes âgées », voire très âgées, ont grandi dans un univers non numérique. Tous les autres ont été progressivement informatisés, d'abord dans leur vie strictement professionnelle, à partir des années 1980, puis dans leur vie sociale et privée.

Il y a aussi beaucoup de personnes âgées qui s'y sont mises. Les professeurs les plus anciens saisissent leurs notes sur ordinateur et n'utilisent plus le stencil. :roll:

Leur perte de maîtrise est liée à l'emballement de ces technologies et au désert explicatif que leurs fournisseurs, à chaque étape, ont cru bon de laisser s'installer (message implicite : « maintenant que tu n'as plus le choix, tu achètes et tu nous fiches la paix ») sous couvert de manuels ou modes d'emploi oulipiens en 15 langues et de hot lines au coût prohibitif.

Maîtriser un outil ne se limite pas à mes yeux à en maîtriser l'usage, mais à en comprendre la mécanique.

Ce désert explicatif, probablement involontaire, place l'école face à une responsabilité nouvelle qui ne lui serait peut-être pas échue autrement : elle devient la seule force susceptible d'éclairer la masse des élèves sur les ressorts internes comme sur les enjeux de société des technologies numériques.

Elle doit remplacer tous les modes d'emplois de tous les smartphones et autres tablettes ? :o

Et pour les éclairer, faut-il en promouvoir l'usage à l'école ? Le glissement me semble hasardeux.

Aucun automobiliste, fût-il le moins « mécano » dans l'âme, n'a jamais ignoré le principe du moteur à explosion.

J'en doute personnellement. :D

Peut-on en dire autant aujourd'hui du principe du codage numérique ?

Le parallélisme n'est pas recevable quand les enjeux sont ceux d'une culture. L'histoire est plus importante que la mécanique pour éclairer le futur citoyen.

Ou, sur un autre plan, du principe de la responsabilité éditoriale ? A ma connaissance, c'est exclusivement chez les pédagogues expérimentateurs que ce type de sujets est jusqu'à présent abordé.

Non il y a aussi les véhéments réactionnaires comme moi. :mrgreen:

Aujourd'hui, particulièrement avec l'instauration récente du smartphone comme talisman et bâton magique multifonctions, le changement a pris une autre envergure. Le numérique ne concerne plus un secteur de notre vie sociale, ni même la juxtaposition d'une série de secteurs séparés (l'informatique professionnelle, l'informatique personnelle, celles de la Sécurité sociale, de la banque, du fisc, des voyagistes, etc). Il est devenu un état de fait sur toutes les facettes, désormais interconnectées, de la vie tout court.

Et auquel l'école insupportablement résiste.

Banalités décomplexées

Lieu commun absolu, certes. Mais comment faire autrement ? Se confronter à cette réalité, vouloir y réfléchir, tenter d'avoir (ou d'imaginer) un peu de recul, c'est aussi accepter d'en passer par certains lieux communs. Il arrive même que des propos de prime abord éblouissants sur ce sujet se transforment vite en banalités, comme les fameux « Poucet » et « Poucette » de Michel Serres, dans son brillant discours sur les jeunes générations. Une façon talentueuse, et dans ce cas précis optimiste, d'illustrer l'idée d'une « rupture anthropologique », autrement dit d'un changement dont « on » - ce pronom incluant les grands penseurs - est bien en peine de mesurer les effets et les implications.

Nous avons dit quelques mots de ce talent : www.laviemoderne.net/veille/viewtopic.php?f=3&t=268

Réfléchir sur le couple pédagogie / numérique, c'est donc aussi prendre pour point de départ les lieux communs généralistes, au risque de l'erreur, du flou, du préjugé, peut-être même du ridicule en cas d'erreur manifeste. Mais il faut bien partir de quelque chose. Alors, allons-y : déclinons sans complexes notre collection de banalités de premier rang et d'arrière-plan.

Le bon sens serait donc "lieu commun", "erreur", "flou" et "préjugé". La critique ne risque guère d'être virulente dans ces conditions et ce discours commence à tourner à l'apologie déguisée. :twisted:

Dépendance et dévoration

Banalité number one : « le » numérique – comprendre toutes les possibilités qui nous sont offertes par la généralisation de ces technologies - est donc d'abord, dans l'enseignement comme dans les autres pans de l'activité humaine, une formidable ressource.

Si on suppose qu'une ressource, c'est ce qui est utile, pas seulement et loin de là.

Mais en même temps qu'une multitude d'effets positifs, il déclenche trois phénomènes conjoints et préoccupants :

1) Un phénomène de dépendance qui s'accentue. Le stress lié aujourd'hui à la perte d'un téléphone portable ou à l'absence soudaine de connexion internet est sans commune mesure avec ce qu'il était il y a dix ans.

Des cas de violence scolaire apparaissent désormais, liés à des confiscation de téléphone portable. mais c'est sans doute un préjugé. N'importe quel parent responsable devrait consulter attentivement les heures auxquels les enfants envoient des SMS ou se connectent à Internet avec leur smartphones à partir des factures détaillées, et les comparer avec les horaires des cours...

2) Un phénomène de « dévoration » (quantitative) et de déstructuration (qualitative) du temps par sollicitation permanente. Quel tweeteur impénitent ose seulement mesurer le temps qu'il passe entre les gazouillis qu'il scrute sur sa Time Line et ceux auxquels il réagit ?

Exact. En moyenne 2500 SMS par mois et plus de 80 SMS par jour et par enfant d'après cette étude : www.laviemoderne.net/veille/viewtopic.php?f=3&t=219

3) Un phénomène de prise de contrôle des individus par des forces extérieures. Pas de théorie du complot dans cette remarque : ce type d'emprise existait de longue date, son expression caricaturale étant la ménagère et le feuilleton télé. Mais le feuilleton est désormais infini, la « télé » tient dans une main et les « cerveaux disponibles » appartiennent à toutes les classes sociales et les milieux professionnels.

Les réseaux ne sont pas sociaux mais commersociaux.

Entre « infobésité » et décantation

Il en résulte, au niveau de chaque individu, une tension, ou une série de tensions constantes entre des pôles opposés.

Surtout que quand M. Cédelle pense "individu" (en référence à lui-même sans doute), je pense "enfant". :|

Entre l'investissement personnel que la jouissance de cette ressource réclame et la capacité à se protéger de l'emprise. Entre l'enthousiasme à s'emparer d'un formidable outil et la résistance à en devenir le jouet.

Même chose.

Entre la saturation d'informations qui en découle (que certains désignent sous le néologisme « infobésité ») et l'exigence intellectuelle d'un espace-temps de décantation, de recul et de méditation. Entre le temps de connexion et le temps de déconnexion.

Temps de déconnexion qui est à l'origine de la nouvelle fracture du numérique entre les parents qui veillent à une utilisation raisonnable du Net par leurs enfants et les autres.

Ces tensions se retrouvent dans mon métier, le journalisme...

C'est bien ce que je pensais. :twisted:

...sous la forme d'une confrontation (le plus souvent muette, intérieure) entre les perspectives ainsi apportées par les outils nouveaux et le cauchemar du travail sans fin ni pause que leur existence fait se profiler.

Vive le numérique partout et tout le temps ! Et surtout bientôt à l'école.

Un autre exemple de tension est celle qui s'installe entre de passionnantes approches nouvelles dans l'élaboration de l'information (par exemple le « crayon numérique », dont parlait Luc Bentz sur son blog) et l'accentuation de la dictature du live, du temps réel, de l'extrême immédiat au détriment de l'analyse et de la profondeur.

N'est-ce pas la fonction de l'école de mettre à distance et de donner ce recul critique et cette sérénité de réflexion ?

On voit bien qu'à chaque pas, de formidables gains peuvent être réduits à néant par une mauvaise balance ou par un réglage contraint (par les impératifs de productivité), exigeant du professionnel un type de rendement irrespectueux de son autonomie professionnelle.

Une problématique qui n'est pas celle des élèves.

On voit aussi que, chaque fois que l'on croit avoir trouvé, par le truchement d'une application ou d'un matériel nouveau, un raccourci dans la production d'information, on se trompe : le raccourci n'est qu'apparent. Il réside seulement dans l'alliage d'un procédé de diffusion et d'un certain type d'information, par exemple un tweet composé d'une phrase brève et d'une photo. Mais un « beau travail » numérique (par exemple un docuweb) prend finalement au moins autant de temps qu'un travail classique « anténumérique », et même l'hyper rapidité suppose une soigneuse préparation préalable.

C'est très vrai. Le numérique peut offrir l'illusion d'un travail soigné et personnalisé, qui est en réalité totalement standardisé.

Motifs de prudence

Ces tensions, ou des déclinaisons spécifiques de ces tensions se retrouvent évidemment dans le domaine de la pédagogie. Faut-il, selon un principe présenté partout comme l'évidence « faire entrer l'éducation dans l'ère numérique » ? Presque tout le monde, l'auteur de ces lignes compris, répond positivement.

Tout le monde, ou presque, parce que le numérique s'impose par la force d'un certain terrorisme intellectuel.

Certains en appellent malgré tout à une réflexion nécessaire et critique dans le bon sens du terme.

Il existe, cependant, différentes façons de répondre positivement. Et il peut être avisé de prendre en considération des motifs légitimes de prudence, de vigilance et de réserve.

Effectivement, ce peut être avisé...

Mais commençons par le positif.

Oui, l'école doit entrer de plain-pied dans l'ère numérique car elle ne gagnerait rien à se positionner aux yeux des élèves comme une instance définitivement ringarde et coupée de la vie.

Quelle injonction consternante : l'école doit entrer dans le numérique pour éviter la "ringardise" ! :fur

Quant à "être coupée de la vie", elle ne l'est jamais. L'école, c'est la vie continuée, mais autrement. Et heureusement que par bien des aspects elle ne ressemble pas au quotidien des élèves.

Oui, car le numérique, sa possession, sa mise à disposition sont aussi une question de prestige et que l'école, au sein du système social, a un rang à tenir : son inscription dans le dernier niveau technologique en date y contribue.

On est dans l'image et la représentation, rien de plus. :fur

Aussi sûr qu'un établissement scolaire sans téléphone ou sans matériel de projection cinématographique était inimaginable il y a quelques dizaines d'années, on ne pourrait concevoir aujourd'hui une école a-numérique.

Les établissements scolaires sans téléphone, c'était il y a très longtemps, je pense... :transpi:

Comment un élève pourrait-il admettre que l'univers scolaire soit, par rapport au reste de la société celui du sous-équipement ?

Il le sera ontologiquement toujours, pour des raisons de moyens et de retard technologique. On peut aussi concevoir cet univers comme celui du non-équipement : c'est un choix. Pour enseigner dans ma matière, je n'ai besoin que de ma voix, d'une craie et d'un tableau.

Qui plus est, dans les domaines qui le fascinent et changent aujourd'hui tous les aspects de la vie ?

Mais l'apprentissage, est-il changé positivement par le numérique ? C'est la seule question qui importe puisque nous parlons de l'école.

Oui, car le numérique – avec mes excuses pour la répétition du lieu commun numéro un - est une ressource.

Un jeu vidéo en ligne, un site de vidéos porno, un site de corrigé tout faits, des vidéos débiles, des réseaux sociaux pour échanger des devoirs ou publier des images de professeurs filmés , ce sont des ressources ? :evil:

Il est même en passe de devenir, chaque jour de manière de plus en plus marquée, la « ressource des ressources », celle qui donne accès à toutes les autres.

Je considère pour ma part que c'est l'inverse. Ce sont les ressources scolaires qui donnent accès à Internet.

Au nom de quoi l'école devrait-elle s'en priver ?

Au nom de sa mission : donner une culture aux élèves.

Ça fait peu pour du positif. D'autant que M. Cédelle semble avoir oublié quelques points négatifs majeurs, en plus d'oublier de considérer les élèves comme différents des adultes.

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19 Nov 2012 14:35 #1923 par Loys
Suite :

Pas plus que toute entreprise humaine, l'école ne peut s'en priver.

Aucune entreprise humaine ne peut échapper au numérique ? :shock:

Et l'expression "se priver" n'est pas neutre : elle suppose une dimension uniquement positive du numérique.

Entendons-nous bien : de même qu'un musicien pourra toujours se passer d'instruments électriques, de synthétiseurs et de logiciels de traitement du son pour jouer de la musique, un enseignement pourra toujours se faire sans le moindre recours aux technologies numériques. Sans ordinateur, sans wi-fi, sans écran, sans rien de tout cela… Sous réserve que la matière enseignée le permette, un enseignement peut (et selon toute probabilité pourra toujours) être dispensé avec des cahiers, des crayons, des livres, un simple tableau.

Nous voilà tout de même rassurés...

D'une certaine façon, enseigner sans numérique à l'heure de la généralisation du numérique peut même être le vecteur d'un savoir particulier : la conscience des limites et du statut des technologies.

Je ne saurais dire mieux.

On ne déconnectera pas les enfants

Le plus simple, pour ne pas avoir à les déconnecter, c'est peut-être de ne pas les connecter...

Allons encore plus loin : un enseignement, s'il est de qualité, peut se passer de tableau. Une convention, le tableau, pour ne pas dire une facilité !

C'est vrai que c'est du même ordre qu'une vidéo ou un jeu sur une tablette...

Un enseignement peut aussi, si l'on y réfléchit, s'effectuer sans prises de notes, ce qui aurait pour effet d'exercer la concentration et la mémoire.

Bof... à quoi bon puisque je google donc je sais .

Sans livres, c'est un peu plus difficile, mais il existait bien des enseignements avant l'invention de l'imprimerie, non ?

Il existait même des livres. :mrgreen:

Bon… Là où je veux en venir, c'est que l'on peut enseigner même sans école.

Exactement. On se demande ce qu'ils attendent dans les pays sous-développés.

Et que l'école n'est pas un enseignement, ni même une collection d'enseignements, mais une institution résultant du choix historique d'enseigner à travers un grand système public.

Où nous conduit ce discours relativiste ? :scratch:

L'objection selon laquelle puisqu'on peut parfaitement enseigner sans numérique (ce qui, dans l'ensemble, est vrai) il serait illégitime de prôner le numérique à l'école n'est donc absolument pas fondée.

Elle me semble tout à fait légitime, au contraire. :scratch:

La question ne porte pas sur la possibilité, ça et là, d'enseigner quelque chose sans recours au numérique. Elle porte sur la ligne de conduite que doit ou ne doit pas adopter cette institution de masse, l'école, aux prises avec toutes les disciplines, tous les pans du savoir, toutes les couches de la population et indirectement avec toutes les activités présentes dans la société.

Il s'agit donc bien de numériser massivement l'école. Je ne savais pas que l'école était aux prises avec "toutes les activités présentes dans la société". :scratch:

Le refus du numérique serait d'autant plus intenable rationnellement que l'idée d'un barrage protecteur est vaine.

C'est donc parce qu'on n'a pas le choix qu'il faut céder : en voilà un argument qui ne manque pas de convaincre. On pourrait l'appliquer à de nombreuses autres choses, avec des résultats intéressants.

On note au passage que contrôler le numérique est aussi vain que de vouloir le refuser, ce qui ne laisse pas d'inquiéter. Et on oublie au passage qu'il y en a qui refusent non pas le numérique mais les aspects problématiques du numérique.

Personne ne pourra « déconnecter l'école », comme le souhaite Alain Finkielkraut (mais le croit-il possible, ou est-ce une posture destinée à sacraliser un savoir transcendant les époques?).

Le numérique ne se résume pas à la connexion à Internet, loin de là. Quant à "déconnecter", c'est la même caricature qui accusent les anti-nucléaires de vouloir revenir à la bougie.

Et surtout personne (sauf un grand bug mondial) ne pourra déconnecter la société.

Il y a une grande partie de la société qui n'est pas connectée et s'en porte très bien.

Pas plus qu'on ne pourra, au sein de celle-ci, déconnecter les enfants, dont le premier et le plus vital réflexe est de se jeter sur ce qu'il y a de plus neuf.

Un instinct que l'école doit impérativement entretenir. :twisted:

L'âge moyen du premier portable en France est de onze ans. C'est la volonté des parents qui fixe cet âge : mais y a-t-il encore une quelconque autorité parentale qui s'exerce ? Là est la vraie question.

Respecter les réticences

Oui, s'il vous plaît ! :?

« Le » numérique ne se réduit pas aux réseaux sociaux, même si ce concept de réseau social tend à contaminer tous nos usages informatiques (bientôt : « salut Luc, c’est ton marché Franprix, elles étaient bonnes, hein, les madeleines bio ? »).

C'est l'un des degrés les plus dégradés de ce que l'on peut comprendre par "numérique"...

Mais l'attitude consistant, au nom des risques de toutes sortes inhérents aux réseaux sociaux, à vouloir empêcher les enfants (ou les enfants en tant qu'élèves) d'y accéder est absurde.

Ce ne sont pas les dangers extrêmes qui inquiètent, c'est le réseau par lui-même et ses effets sur l'individu.

Elle est, en fait, génératrice de risques supérieurs.

En quoi ? :scratch:

Métaphore urbaine : si traverser une rue est dangereux et si en interdire l'accès est impossible, alors la seule solution est d'apprendre les bonnes méthodes pour traverser. Paradoxalement, refuser de dispenser ce genre d'apprentissage équivaut à exposer les intéressés aux plus grands risques.

Cette comparaison inepte revient sans cesse dans les discours des numérolâtres...

En tant que parent je ne peux que m'inscrire en faux : mes jeunes enfants ont interdiction de traverses une rue seuls et je ne crois pas que cette interdiction les expose à de plus grands risques, bien au contraire. Ils traverseront quand ils auront la maturité pour traverser seuls.

Il convient donc d'apprendre la technique pour la dominer. Ou bien, ce qui ne revient pas exactement au même, apprendre à dominer la technique. Cela suppose, à rebours de toute « technolâtrie », que soit prise en compte la réalité des risques qu'elle charrie et l'existence de ses aspects négatifs.

Et de ne pas en oublier en route, M. Cédelle.

Il est possible de vouloir l'entrée de l'école dans l'ère numérique sans pour autant tomber dans une niaise béatitude vis-à-vis des offres technologiques et commerciales dont nous sommes bombardés.

Un propos qui ne peut susciter que l'approbation. Sauf que M. Cédelle considère quand même tout refus du numérique comme "irrationnel"...

Et contrairement à une attitude en vogue consistant à se payer la tête des has been plus moins arriérés qui ne sont pas encore au top de la connexion non-stop, il importe de se garder de l'arrogance avant-gardiste, de se méfier des injonctions modernistes, souvent trop pesantes pour être honnêtes, et de respecter les réticences.

M. Cédelle a dû fréquenter Twitter... :mrgreen:

Ce qui est amusant, c'est que ceux qui s'estiment au top ne le sont pas toujours, loin de là. Un exemple pour s'en convaincre : celui de Mme Kochert qui fait la promotion active de Twitter en classe mais ne sait pas s'en servir elle-même... :spider:

Répétons-le autant de fois que nécessaire : les expériences positives et même ultra positives des enseignants « connectés » ne disqualifient en rien ceux qui continuent de pratiquer des modes d'enseignement traditionnels.

Merci pour eux.

Seul les résultats comptent (les résultats au sens le plus large, pas au sens tableau de bord pour bureaucrate borné).

Et on les attend toujours, les résultats. M. Devauchelle a d'ailleurs annoncé la couleur : "D'un échec scolaire à une réussite éducative, il n'y a qu'un pas à faire, à condition de ne pas limiter la réussite scolaire à la réussite aux évaluations scolaires...."

Comme Freinet l'imprimerie scolaire

Dire que le numérique devient la « ressource des ressources », c'est bien sûr une projection. C'est se référer à une dynamique en cours, qui n'aboutira jamais à un monopole absolu. Aussi sûrement que le théâtre ou les commerces de proximité existent encore malgré la télévision et la grande distribution...

Des comparaisons assez éclairantes...

...il restera, pour ne prendre que l'exemple des accès documentaires, des démarches non-numériques pour se documenter.

Et pour lire ?

D'autre part, ce processus en est encore à ses débuts. Sur le plan strictement technique, l'école française est actuellement plutôt sous-connectée que sur-connectée.

C'est vrai que c'est la seule chose importante pour évaluer son efficacité.

Sur le plan des façons d'enseigner, le recours aux technologies numériques est encore largement minoritaire. Il est le fait soit d'enseignants « innovants » qui usent du numérique comme Célestin Freinet usait en son temps de l'imprimerie scolaire (la « rupture anthropologique » en moins, c'est la limite de cette image)...

Et si l'innovation et la modernité, c'était de mettre à distance la modernité qu'on nous impose comme modèle dominant ? Célestin Freinet aurait-il cautionné un tel renoncement à l'apprentissage ?

...soit de décisions hiérarchiques ou politiques, comme celles qui a consisté, dans le département des Landes, à équiper il y a quelques années chaque collégien d'un ordinateur portable. Décision tapageuse dont le bilan n'a jamais été tapageusement tiré et pour cause : l'opération n'a en rien influé sur les résultats scolaires de la population d'élèves concernée.

On ne cesse de le dire ici. Il faudrait peut-être qu'on l'entende davantage.

La réalité est donc que l'environnement de l'école devient de plus en plus « connecté », plus vite que l'école elle-même.

Par définition. :roll:

Comme l'ensemble de la population, mais peut-être un peu plus du fait de leur niveau culturel, les enseignants sont connectés (le terme devant ici être compris dans son sens maximal : internet + smart phone + réseaux sociaux), même s'ils n'en usent pas directement dans leur enseignement.

Curieux comme le numérique est réduit à la seule connexion.

Leurs élèves aussi le sont, même dans les quartiers populaires.

La « fracture » s'est déplacée

De fait.

A la table ronde des Cahiers pédagogiques je me suis fait reprendre (sur Twitter) pour une supposée erreur sociologique lorsque j'ai soutenu que la généralisation des smart phones remettait en cause les analyses des années passées sur la « fracture numérique ». Je maintiens : là encore, il faut considérer le processus. Tous, loin de là, n'ont pas, dans les « quartiers », un smart phone dernier cri. Mais pour savoir que, comme les coups de vent dans la météo marine, c'est « en cours ou imminent », une enquête sociologique n'est pas nécessaire. Le temps de la mener, et tout le monde sera équipé de son terminal universel.

La « fracture » se reconstitue sur une autre ligne : celle des usages. Twitter, par exemple peut aussi bien véhiculer les délicates notations poétiques d'un écrivain que des lol ou des MDRRRRR !!! à perte de vue sur la dernière émission de téléréalité.

Mais non voyons. Il n'y a aucun doute que les élèves seront responsables grâce à une formation adéquate à Twitter. Si Twitter, cet effet de mode, existe encore dans dix ans.

L'école française n'est donc pas super-connectée. Est-ce à dire qu'elle est « en retard » ? Cette notion de retard, si avantageuse pour les fournisseurs et qu'on nous sert depuis l'origine d'Internet, est sérieusement à questionner.

Alleluia !

Que signifie être « en retard » dans un domaine où la technologie change de six mois en six mois ?

Eh oui... En matière technologique, le retard est ontologique.

Le possesseur d'un Iphone 4 est-il « en retard » s'il ne s'est pas précipité sur le Iphone 5 dès que la quasi injonction lui en a été faite par des médias complaisants ? On pourrait tout aussi bien juger que le plus a priori « en retard », tel le berger peul (aujourd'hui équipé) par rapport au paysan breton, a la possibilité de se caler directement sur le dernier état de la technologie et d'être ainsi provisoirement « en avance ».

Les bergers vont nous damer le pion ! Enfin... quand l'Afrique centrale et occidentale sera dotée d'infrastructures numériques et entrera en voie de développement.

La notion de retard technologique est donc d'autant plus relative que le seul moyen de ne pas être retardataire serait de se livrer à corps perdu dans la course au dernier modèle, à la dernière version... Pour quoi faire ?

La réponse m'intéresse. :mrgreen:

Pour quel usage ? Pour répondre à quel besoin ? C'est seulement dans les réponses à ces questions que l'on peut sérieusement considérer être éventuellement « en retard ». En ce qui concerne l'enseignement, ces questions renvoient au fond, c'est-à-dire au rôle du professeur, à la médiation pédagogique, à ce qu'il veut ou à ce qu'il doit « faire passer ».

Et le savoir scolaire a toujours besoin d'une mise à jour récente, comme on le sait. La langue, l'histoire, la littérature évoluent aussi vite qu'Android et iOS.

Des entourloupes proliférantes

A lui, à l'enseignant (ou à l'équipe dont il fait partie), et non au service marketing d'une multinationale d'en décider.

C'est pourtant ce marketing agressif qui dirige la réflexion sur le numérique à l'école : www.laviemoderne.net/veille/viewtopic.php?f=43&t=274

A lui d'être convaincu - ou non - par l'intelligence des exemples et des dispositifs popularisés par la mouvance des innovateurs férus de numérique. A lui d'apprécier si les avantages surpassent les inconvénients et si ces derniers peuvent être subvertis par un usage éclairé.

Et à l'école d'arrêter une position à ce sujet. Parce que seul est aujourd'hui valorisé l'enseignant innovant et son cortège d'usages numériques à la mode.

Les inconvénients ? J'en ai déjà cité trois dans le précédent billet : dépendance, dévoration du temps et emprise sur l'individu. Ils n'annulent pas la formidable ressource évoquée au début, mais sont quand même dignes d'être pris en considération, non ? On peut y ajouter une forte tendance à la manipulation qui imprègne les réseaux sociaux où les données personnelles sont stockées et exploitées sans vergogne. Selon l'aphorisme trouvé par un internaute anonyme à propos de Facebook et de son apparente gratuité : « si vous ne voyez pas où est le produit, c'est que vous êtes le produit » (voir ici à ce propos, et ici aussi)

L'école doit elle faire entrer Facebook dans ses murs ? Voilà la question que je pose. Des professeurs créent des comptes avec des élèves qui n'ont pas encore l'âge autorisé pour se joindre à ce réseau, d'autres deviennent "amis" avec leurs élèves...

Exemple type : « on » m'annonce que mon « activité musicale est suivie par Machinette ». Heureusement, celle-ci a toute ma sympathie. Mais je n'ai rien demandé ! Et si mon vice du moment consiste à chanter vingt fois de suite avec Michel Sardou « ne m'appelez plus jamais France » ou à m'enivrer des Chœurs de l'Armée rouge, je n'ai pas besoin que cela soit proclamé urbi et orbi.

Eh oui... Les réseaux ne servent pas à grand chose.

Et encore s'agit-il là d'une manipulation bénigne, dans un univers d'entourloupes proliférantes, qu'il faut être capable de repérer et de déjouer.

Et d'éviter...

Le mépris souverain de la langue

Autre point très négatif, particulièrement dans une problématique d'enseignement : le mépris souverain de la langue.

Cette vieille chose inutile ?

L'univers numérique, côté fournisseurs de matériels et d'applications, est littéralement hanté par des criminels linguistiques. Des spécialistes de l'injonction aussi pressante qu'incompréhensible, de la recommandation cryptée en martien, de la phrase au sens incertain et à la syntaxe malmenée. Cela peut parfois atteindre au sublime involontaire, la plupart du temps c'est juste bloquant et désespérant.

Un exemple de sublime involontaire, ce message récurrent de Firefox après chaque mise à jour: La Banque de mots de passe a détecté que Firefox a été désinstallé de cet ordinateur. Confirmez la demande de promotion suivante pour supprimer l'assistance de la Banque de mots de passe orpheline.

:scratch:

D'où cela vient-il ? Peut-être d'un mélange fatal entre la légendaire incapacité à communiquer des informaticiens, l'ignorance ou le désintérêt envers les enjeux linguistiques, venant des techniciens qui élaborent les offres, et une ordinaire vulgarité commerciale. Cette désinvolture et cette vulgarité rencontrent le déclin du statut de l'orthographe et celui du niveau en français des diplômés, pour aboutir à un je-m'en-foutisme intégral en matière d'interfaces de communication, assez choquant de la part d'entreprises de taille mondiale.

A chacun de savoir ce qu'il veut, nous pour nos élèves, eux pour leurs clients.

Dernier (mais il ne serait pas très difficile d'en trouver d'autres) inconvénient, qui n'est pas le moindre : l'effet de nivellement. On nous avait prédit l'horizontalité des réseaux d'échanges entre pairs, au détriment de la verticalité hiérarchique des bureaucraties. Cette promesse-là s'est réalisée.

Heu... sur Twitter ?

L'information circule, les affinités s'établissent, les propositions se cristallisent et les hiérarchies rigides sont régulièrement malmenées par ces phénomènes sur lesquels elles ne parviennent quasiment jamais à reprendre le contrôle.

Le démagogue, le fanatique et le faussaire

Mais la contrepartie est là : sur Internet et sur les réseaux sociaux, la parole du démagogue, du fanatique ou du faussaire (trois catégories qui se complètent assez bien) vaut celle du sage ou du savant.

Voilà qui rappelle notre réflexion sur Wikipédia .

Zéro hiérarchisation, c’est la rançon de l’horizontalité. Là encore, devant cet effet de nivellement, il est légitime d'éprouver des réticences. On peut même comprendre que, dans l'esprit de nombreux enseignants, l'univers numérique soit perçu comme un vaste magma hostile à l'école et au savoir, concurrent et contradictoire avec leur propre enseignement.

S'il était concurrent dans le bon sens du terme, nous n'aurions que des raisons de nous en réjouir. :|

On peut comprendre qu'ils soient tentés de faire la part du feu, c'est-à-dire de s'accommoder à reculons de certains usages inévitables mais de refuser de faire entrer « le loup dans la bergerie » ou, s'ils sont d'une certaine gauche, le « cheval de Troie du néolibéralisme » dans l'école.

Quelle idée, voyons.

Quitte à agacer, je reviens à Alain Finkielkraut, que j'avais interrogé sur ce thème en avril 2011 pour le supplément éducation du Monde et dont, sans adhérer à son propos, certains arguments m'avaient touché. Lorsqu'on demande un exposé à un élève, « il vous ressort ce qu'Internet lui a offert », disait-il.

Voilà qui me rappelle quelque chose, avec une certaine Anne de Beaunais . :mrgreen:

[question dans l'interview] Mais n'est-ce pas, en modèle réduit, la démarche que suit tout intellectuel ?

« Non, répondait-il. Il fut une époque où on allait en bibliothèque, on cherchait ainsi des choses qui ne vous étaient pas livrées à domicile toutes mâchées. On en arrive à réduire le monde de l'écrit à la documentation et l'information immédiatement disponibles. Et le problème qui se posera de plus en plus à notre école branchée est celui du plagiat. » (...)

Que dire de plus ?

« Il n'est plus, soulignait-il aussi, aucun milieu social où la transmission du goût de lire ne soit devenue très difficile car l'enfant ou l'adolescent est tenté de passer toutes ses heures de loisir à l'écran avec ses copains. Or c'est seulement dans la solitude que peut s'épanouir la lecture. Et c'est précisément cela que l'Internet fait perdre.

Merci M. Finkielkraut.

[question] Ne peut-on reconstituer une solitude de réflexion tout en restant connecté ?

Sans doute, mais si l'on s'en tient au cas de l'élève, il lui faut, à un moment donné, s'abstraire du monde environnant, de son agitation, de son brouhaha, de sa fébrilité, pour se confronter à l'objet de culture silencieux et transcendant qu'il lui est proposé de comprendre. Ceux qu'on appelle les digital natives me semblent en très mauvaise posture. Parce qu'ils lisent, certes, mais plus de la même façon. Ils surfent, ils naviguent et, dans leur grande impatience, ils ont tendance à remplacer le savoir par l'accès au savoir. »

Il faut que je note tout ça quelque part. :mrgreen:

Le sceau du doute

Voilà : « remplacer le savoir par l'accès au savoir » est évidemment une immense erreur à ne pas commettre.

J'en parle longuement dans "Je google donc je sais" .

Une ressource documentaire, et même un univers infini de ressources documentaires ne font pas un enseignement. Comme les profs « innovants », comme ces enseignants pionniers, exigeants, qui se lancent dans les usages pédagogiques d'internet, au-delà comme beaucoup de ceux qui voudraient voir l'école au sommet du prestige social, je tire de ces remarques justes des conclusions inverses à celle de Finkielkraut. Là où, comme d'autres, il entrevoit une école altérée, on peut imaginer au contraire une école «augmentée».

Moi aussi mais elle ne peut être augmentée que par un usage critique et raisonné (et donc raisonnable) des outils numériques.

Je crois que l'école doit être le lieu de la connexion maîtrisée et lucide (par opposition à la connexion compulsive et crédule).

Sauf qu'une connexion peut-elle être maîtrisée ? Voir plus haut cette phrase : "l'idée d'un barrage protecteur est vaine"...

Cette maîtrise et cette lucidité ne relèvent pas d'une génération spontanée, mais ne peuvent que découler d'un enseignement.

Avec ou sans numérique. On peut très bien parler régulièrement du numérique avec ses élèves sans l'utiliser.

Ce bon usage, cet usage éclairé passent aussi, sans doute, par un jeu d'alternance entre des temps de connexion et des temps de déconnexion (cette opposition entre deux modalités a donné lieu à un petit débat sur le blog de Michel Guillou).

Evidemment, tout ce qui précède est frappé du sceau du doute. Le « doute enthousiaste » avais-je dit lors de la table ronde des Cahiers pédagogiques. Avec la distance je doute aussi de cet oxymore. Comme tout le monde, j'essaie juste de réfléchir sur une nouveauté enveloppante et brumeuse, souvent déroutante.

Confier nos élèves à "une nouveauté enveloppante et brumeuse, souvent déroutante" est quand même problématique. Pourquoi cette urgence et ce refus du temps et de la réflexion pour éventuellement transformer l'école ?

Et quand même enthousiasmante. Si j’ai proféré des bêtises, n’hésitez pas à me reprendre, je reste méchamment connecté.

A suivre donc. Je ne sais pas si le numérique peut casser des briques, mais à coup sûr il peut casser l'école.

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