Les pratiques de lecture de la jeunesse

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18 Avr 2022 10:33 - 18 Avr 2022 10:38 #23871 par Loys
La lecture, cette survivance : dans le "Café pédagogique" du 15/04/22 : "Bruno Devauchelle : Le livre, encore au cœur de l'établissement scolaire ?"

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22 Mai 2022 21:17 - 29 Sep 2022 22:37 #23901 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet HP : hauts potentiels intellectuels
Le 29/05/22 dans "Le Monde" (abonnés), cette enquête (enthousiaste) de Charles Laubier : "Les jeunes réinventent les usages de la lecture" .


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Quelques commentaires s'imposent donc.

Première observation : "Les jeunes passent de plus en plus de temps sur les écrans... mais ne lisent pas moins pour autant", avec deux chiffres mis à côté l'un de l'autre : 3h50 par jour devant un écran et 3h14 par semaine à lire pour les 7-25 ans, soit (en gras dans l'enquête) "13 minutes de plus par semaine qu'il y a six ans", avec cette curieuse infographie :


- On commencera donc par dire que la comparaison sur les usages de la lecture "réinventés" pourrait se faire sur un temps plus long, ce qui ne serait pas à l'avantage de la lecture (cf supra sur ce fil)
- Les chiffres ne comparent donc les pratiques sur la même durée : 3h50 d'écran par jour contre... 28 minutes de lecture par jour, ou bien 3h14 de lecture par semaine contre presque 27h d'écran par semaine.
- Ces +13 minutes de lecture depuis 2016 (+7%) servent donc d'argument massue en faveur de la lecture. Or l'enquête ne met pas en gras l'augmentation du temps passé par les 13-19 ans sur Internet : +3h38 par semaine depuis 2016 (+25%) (+44% depuis 2011).
- Précisions qu'une partie de ce maigre temps de lecture se fait "pour l'école, le travail". Pas d'indication sur les écarts saisissants entre les différents âges, pas d'indication sur le type de lecture pour l'instant. Aucune mention n'est faite du "Pass culture" (jusqu'à 300€) désormais donné aux jeunes de 15 à 18 ans.

Peu importe : "Les jeunes lisent de plus en plus" selon cette association... présidée par un éditeur ! Plus loin dans l'article : " les jeunes lisent toujours autant !". On a vu ce qu'il en était de ce "de plus en plus"...

ceux qui lisent dans le cadre de leurs loisirs sont passés à 83 %, contre 78 % six ans auparavant.

Mais ceux qui lisent pour l’école ou le travail, de 89% à 86%, oublie d'indiquer l'enquête du "Monde".

Mais il est vrai qu'en moyenne les "jeunes" déclarent avoir lu 5,9 livres pour leurs loisirs dans les trois derniers mois, contre 5 livres en 2016, soit un livre de plus : en seulement 13 minutes ? Mais de quel livre peut-il donc s'agir ? L'infographie suivante donne la réponse :


Le boom est celui des BD (+37%) et des mangas (+147% de livres vendus entre 2019 et 2021). Si le nombre de romans (tous confondus) vendus a augmenté (+10%), les lecteurs de roman sont passés, eux, de 55% des jeunes à 46%. Voilà donc déjà un bon indicateur de la nature de la "réinvention" des usages de la lecture...

L'enquête de Charles de Laubier ne développe pas la baisse conséquente (9%) en cinq ans de la proportion de lecteurs de roman, détaillant au contraire longuement les fictions qui attirent les jeunes, donnant en exemple Violette qui a dévoré "les 2500 pages de l’édition intégrale reprenant les cinq tomes de l’édition française" de After ou "460 pages de la saga amoureuse" My Wattpad Love. Pas de doute que certains jeunes dévorent encore des romans aussi conséquents, mais combien sont-ils en réalité ? Le nombre de pages impressionnant semble ici masquer la baisse du nombre de lecteurs de romans : "les jeunes lisent de plus en plus".

Au sujet de ces romans, l'enquête de Charles de Laubier insiste beaucoup sur les déclencheurs de lecture que sont les réseaux sociaux ou les plates-formes vidéo ("Les médias numériques ne s’inscrivent pas uniquement en opposition à la lecture"). Si cet aspect peut évidemment exister, on peut néanmoins douter de sa prépondérance : la consommation passive de séries dispense le plus souvent de lire. Exemple avec le chiffre suivant : "31 % des jeunes choisissent un livre après avoir visionné le support audiovisuel de la même histoire" mais c'est prendre la question à l'envers : quel pourcentage de jeunes ayant visionné Arsène Lupin ont acheté et lu les romans de Maurice Leblanc ? quel pourcentage se contenteront de l'avoir vu à la télé ? De fait, les chiffres de ventes des livres sont modestes en comparaison des chiffres de visionnages de séries : plus de 70M de vues pour la série Arsène Lupin de Netflix d'un côté, quelques dizaines de milliers de réimpression de l'autre, soit un rapport d'un pour mille. Mais on peut toujours s'extasier de la magie de Netflix pour relancer la lecture...

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L'enquête du "Monde" insiste ensuite longuement sur les bénéfices en hausse de l'édition et les records de vente, de façon indistincte. Avec cette petite mention, pourtant inquiétante également s'agissant d'une lecture plus exigeante : "A part le scolaire (- 41 %), tous les rayons ont été en progression l’an dernier, la jeunesse affichant + 15 % et la bande dessinée + 35 %".

L'enquête s'attarde également sur le "roman graphique, mêlant le texte et l'image", sur "la nouvelle génération de BD numériques créées pour être défilées sur les écrans de smartphones des adolécrans", sur les magazines "présents sur les réseaux sociaux TikTok, YouTube, Twitch, Instagram, où ils totalisent des millions de vues" (il n'est plus question de lecture). Bref, tous ces usages de la lecture "réinventés", avec toujours moins d'écrit et plus d'images et surtout... sur écran !

Conclusion

On le voit : un iconoclasme facile, un tropisme moderniste niais, une fascination pour les bénéfices du marché de l'édition plus que pour la qualité de la lecture et - plus grave - un refus d'observer le réel (la disproportion entre usage des écrans et lecture, la baisse du nombre de lecteurs de lecture pure). De fait, toute l'ambiguïté de l'enquête repose évidemment sur les termes "lire", "pas moins" qu'avant (c'est-à-dire... 2016), ou encore "jeunes" (de 7 à 25 ans...). "Le Monde", à partir du même sondage Ipsos pour le CNL, concluait très différemment deux mois auparavant : (cf supra) : "La lecture s’effondre chez les adolescents" ...
Dernière édition: 29 Sep 2022 22:37 par Loys.

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26 Aoû 2022 10:43 #24047 par Loys
Annonce présidentielle le 25/08/22 : le Pass culture accessible dès la 6e.

www.lemonde.fr/politique/article/2022/08..._6139054_823448.html

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28 Sep 2022 15:12 - 02 Oct 2022 11:14 #24110 par Loys
Nouvelle vidéo du youtubeur Romain Filstroff (alias "Monté de Linguisticae") le 31/07/22 : "«Les jeunes ne lisent plus» : Debunkage du Figaro (encore)" . La vidéo a pour point de départ une tribune dans le "Figaro" s'inquiétant que les élèves de la voie professionnelle ignorent le sens du mot "ludique" présent dans un sujet de dissertation au bac 2022.


La vidéo est longue mais il faut d'abord passer deux minutes de publicité ("Profitez de 15 jours d'essai gratuits sur MyHeritage", une entreprise dont les pratiques sont interdites en France ) et cinq minutes de "bingo" raillant "Le Figaro". A noter quand même que Romain Filstroff approuve la tribune du "Figaro" seulement lorsqu'il s'agit de mettre en cause les professeurs, qui l'ont, lui aussi, "dégoûté" de la lecture.

Sur le point de départ de la tribune du "Figaro" incriminée, Romain Filstroff ne rappelle pas, ou ignore tout simplement, que le programme limitatif de français 2021-2023 était ... "Le jeu : nécessité, futilité". Un collègue l'indique d'ailleurs en commentaire de la vidéo : "Prof de lettres-histoire en lycée professionnel, je voudrais apporter des précisions sur cette "polémique". Depuis la dernière réforme de la voie professionnelle ,le programme de lettres est centré sur le thème du jeu (et ce pour deux ans, sur le modèle du BTS). Bien évidemment dans ce contexte le terme "ludique" a bien entendu été largement abordé, expliqué, sollicité régulièrement...."

A partir de 7'30, Romain Filstroff reproche à la tribune son absence de source justifiant l'affirmation "Les jeunes ne lisent plus". Et de réfuter : "Les gens n'ont jamais autant lu, et "les gens", ça inclut les jeunes. Alors ça peut sembler paradoxal..." : mais pourquoi donc, paradoxal ? Et Romain Filstroff d'évoquer la lecture devenue généralisée sur tous les supports numériques, amalgamant la lecture de messages SMS et réseaux sociaux et d'articles de presse.

A partir de 9'45, sentant bien la faiblesse de l'argumentation (on lit sur un écran, donc on lit plus qu'avant), Romain Filstroff traite spécifiquement la question du roman avec le même constat ("Les jeunes n'ont pas abandonné la lecture") et renvoie à une enquête du "Monde" publiée en mai ( que nous avons étudiée plus haut ) pour affirmer que "le temps dédié aux écrans et à la lecture par semaine est équivalent". "Équivalent" ? Romain Filstroff aura lu trop vite une infographie certes trompeuse...


Première erreur grossière de lecture, donc. En réalité, comme nous l'avons montré, le temps de lecture (3h14) est ridicule en regard du temps d'écran hebdomadaire (presque 27h par semaine), l'augmentation récente du temps de lecture (+13 minutes par semaine depuis 2016) est ridicule par rapport à l'augmentation du temps d'écran sur la même période (+3h38 par semaine), et surtout cette augmentation n'est pas liée aux romans, mais au boom des BD (+37%) et des mangas (+147% de livres vendus entre 2019 et 2021).

S'agissant des romans spécifiquement, Romain Filstroff n'aura pas prêté attention à cet indicateur : la part des jeunes lecteurs de roman est passée de 55% à 46% en cinq ans. De fait, Romain Filstroff n'a pas fait référence à cet article du "Monde" en mars 2022 recensé plus haut : "La lecture s’effondre chez les adolescents" ...

Lecteur peu attentif de l'enquête du "Monde", Romain Filstroff, pour citer une nouvelle source, indique que "le CNL a également rendu public une étude..." : il s'agit d'un sondage Ifop, et c'est précisément... le sondage sur lequel s'appuie l'enquête du "Monde".

En réalité, le décrochage de la pratique de la lecture - parce qu'il existe malgré tout, c'est vrai - eh bien il intervient plus tard.

Comprendre après 25 ans. Et tant pis si le sondage pour le CNL dit le contraire : la lecture "loisirs" (pour le plaisir, ni pour les études ni pour le travail) décline fortement après l’entrée au collège, après 12 ans...

Par la suite (à 11'), Romain Filstroff indique que "les jeunes fréquentent beaucoup plus les bibliothèques municipales que les adultes puisque 60% s'y rendent régulièrement. Le sondage du CNL n'indique nulle part ce chiffre : en revanche, il indique de 69% des jeunes ne fréquentent jamais ou moins d'une fois par mois les bibliothèques autres que scolaires (81% des 20-25 ans). Quant à ceux qui fréquentent les bibliothèques municipales, c'est de moins en moins pour lire des livres et de plus en plus pour lire des bandes-dessinées et des mangas, voire pour utiliser les tablettes et ordinateurs mis à disposition...

55% se disent lecteurs de livres numériques et le podcast audio comme le livre audio sont particulièrement répandus dans cette génération.

Une lecture qui n'est donc pas une lecture, mais une écoute. La question posée aux jeunes est d'ailleurs : "As-tu déjà écouté... un livre audio/un podcast ?"

Et une majorité désormais ? En réalité, nouvelle erreur de lecture grossière de Romain Filstroff : 55% des 40% de jeunes ayant déjà lu un livre numérique ("même si tu ne l'as pas fini") ont pu le lire sur smartphone : 22% des jeunes seulement ont donc déjà lu un livre (et non des livres numériques, comme l'affirme Romain Filstroff) sur smartphone, y compris BD ou mangas. Vérification ici :

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Vers 11'30 Romain Filstroff reconnaît - enfin - que la lecture concerne surtout BD et mangas :

ce sont des genres bien moins considérés que la littérature avec un grand L, celle des "grands auteurs"

Ce point n'a jamais été soulevé par l'étude du CNL qui se contente d'observer une baisse du nombre de lecteurs de romans quels qu'ils soient.

De fait, sans porter de jugement moral sur le plaisir d'une telle lecture, et pour formuler une évidence qui n'a plus l'air d'en être une, on peut considérer que lire un livre constitué avant tout d'images n'est pas la même chose que lire un livre dépourvu d'images...

Romain Filstroff reprend ensuite les bénéfices qui explosent du secteur jeunesse de l'édition "74M d'exemplaires", "654M€ de chiffre d'affaire"), lesquels ne disent pas grand chose des pratiques de lecture, pour les opposer au déclin des ventes de roman adultes (en comparant donc ce qui n'est pas comparable...).

La conclusion est d'un iconoclasme prévisible :

Vous l'avez compris : l'argumentaire selon lequel les jeunes liraient moins est faux : ils lisent visiblement plus que ceux qui sont nés sans internet ni smartphone.

Rien ne l'atteste à partir de l'étude du CNL, seule source (bien mal comprise) de Linguisticae, qui n'a guère approfondi ses recherches pour publier cette vidéo. En revanche, le ministère de la Culture a bien mesuré le déclin des pratiques de lecture chez les plus jeunes (et le contraire chez les adultes) :


A 12'48, Romain Filstroff, qui défend la thèse que les jeunes lisent plus que jamais, dénonce désormais - en toute logique - la fétichisation de la lecture.

Il faudrait arrêter, s'il vous plaît, de fétichiser la lecture et la littérature. Parce que oui, lire des kilotonnes de classiques français ne vous transforme pas en dictionnaire, et même si c'était le cas, ça ne dirait pas grand chose de votre intelligence ni de votre réflexion.

En l'occurrence, au baccalauréat, traiter une dissertation sur le caractère ludique du jeu sans savoir ce que signifie l'adjectif "ludique" est relativement problématique...

Encore une fois, il est notable que la lecture de textes longs est caricaturée en lecture d’œuvres classiques, et en quantité décourageante : les romans lus par les jeunes, quels qu'ils soient, ne semblent pas exister pour Romain Filstroff.

Il semblerait qu'en plus de l'enquête du "Monde", Romain Filstroff ait mal lu la tribune de Madeleine Bazin de Jessey dans le "Figaro" , qui précisément incrimine aussi la littérature : "nous [professeurs de lettres] les en éloignons trop souvent, pour un grand nombre d'entre nous, dans notre désir de leur faire lire précocement des classiques beaucoup trop abscons pour eux".

Au demeurant, s'agissant de la lecture de livres, de nombreux éléments suggèrent exactement le contraire de ce qu'affirme (de façon non sourcée) Romain Filstroff :
  • Cette étude de la DEPP en fin de collège (2015) : "45 % des élèves déclarant disposer de moins de 30 livres à leur domicile, obtiennent un score qui se situe dans le premier quartile. Pour les élèves qui disposent d’au moins 200 livres à leur domicile, cette proportion est de seulement 9 %. À l’inverse, le temps passé devant la télévision est lié négativement à la réussite, les performances des élèves déclinant à mesure que la fréquence d’écoute augmente."
  • A 15 ans, l'OCDE ( PISA 2009 ) a montré que "le plaisir de lire joue un rôle important dans la performance [à l'évaluation PISA], et explique en France 21 % de la variation dans les performances" (et les différences de milieu familial entre les élèves 28%) : "les élèves qui prennent plaisir à lire et qui connaissent des stratégies efficaces pour aborder, comprendre, mémoriser et synthétiser des informations complexes sont ceux qui s’en sont sortis haut la main aux épreuves PISA de compréhension de l’écrit."
  • L'étude du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français (2020) montre également une très nette corrélation entre la pratique de la lecture (hors bande dessinée) et la diplomation : "en 2018, les diplômés de l'enseignement supérieur étaient 3 fois plus nombreux que les diplômés du CEP ou moins à avoir lu au moins 20 livres dans l’année".

Certes les performances scolaires ou les diplômes ne peuvent à eux seuls définir l'intelligence, mais du moins constituent-ils des éléments censés tendre vers elle. Romain Filstroff, lui, ne donne aucune piste ou source permettant de mesurer l'intelligence autrement, se contentant de nier que "le lexique ou la maîtrise du code écrit définissent l'intelligence ou la bonne compréhension de ses intérêts" !

Pour asseoir cette thèse quelque peu obscurantiste, Romain Filstroff recourt à la caricature - nouvel exemple de la trahison des clercs - en raillant les "lettrés" capables de "belles phrases" dépourvues d'intelligence. Les humanistes de la Renaissance moquaient les Holopherne ou les Janotus sans railler la lecture pour autant, bien au contraire !

Après avoir raillé 'Bentilola" (sic) et sans qu'on voie où il veut en venir exactement, Romain Filstroff dénonce ensuite (16') en France "une obsession des racines [grecques et latines]" et "les adjectifs savants qui ne partagent parfois aucun lien étymologique ou morphologique avec le substitut [?] auquel ils sont rattachés" : "c'est le cas de ludique", qui n'a pas de rapport avec "jeu". Romain Filstroff se lance ensuite dans une comparaison entre les langues comportant plus ou moins de mots ou de racines, l'allemand semblant se distinguer (?) du français par la possibilité d'ajouter des préfixes ou des suffixes aux verbes.

Romain Filstroff ne tirant pas la conclusion de ce qui apparaît comme une bizarre digression, formulons-la : on ne peut connaître le sens d'un adjectif que s'il ressemble au nom et il est parfaitement naturel que les candidats du baccalauréat professionnel ne connaissent donc pas le sens du mot "ludique" (même si, nous l'avons dit, le jeu était à leur programme). Qui est le "lettré"méprisant ici les capacités des lycéens ? Au demeurant, Romain Filstroff indique les adjectifs italien "giocoso" ou espagnol "jocoso" qui, eux, dérivent rationnellement de "jocus"... en oubliant de préciser que "ludico" ou "lúdico" existent également dans les deux langues...

Romain Filstroff revient ensuite sur la fétichisation de la lecture avec cette mise en garde paradoxale (et un saut logique) :

plus vous allez lire de livres et moins vous allez être confronté à de nouvelles formes lexicales ou syntaxiques. Si en plus vous ne lisez que des auteurs de la même période, au hasard XVIIIe-XIXe, vous allez d'autant plus réduire vos chances de découverte.

Effectivement, plus des lecteurs connaissent de mots ou de tournures, moins ils en ont à connaître...

Caricature de l'école qui ne confronterait qu'à des textes des mêmes siècles, et tant pis si les programmes vont du Moyen Âge au XXIe siècle : ce sont autant de textes de siècles auxquels les élèves ne risquent pas de se confronter s'ils n'y sont pas conduits par l'école. Les ventes montrent que les jeunes lisent essentiellement des livres de leur époque, mais ce point ne semble pas inquiéter Romain Filstroff, qui craint surtout pour ceux - sans doute très nombreux - qui ne lisent exclusivement que des textes des XVIIIe-XIXe !

Au demeurant, en dehors de la lecture, Romain Filstroff n'indique aucun moyen autre d'augmenter les "chances de découverte"...

Romain Filstroff va ensuite plus loin dans son raisonnement (20'41) en faisant dériver la question de la lecture sur celle de l'apprentissage de la lecture : si la lecture permet de découvrir du lexique (dans certaines conditions : ne pas se limiter aux XVIII-XIXe siècle !), le lexique, nous dit-il, peut empêcher la lecture. Romain Filstroff cite alors une étude confirmant ce que des enseignants n'auraient bien sûr jamais imaginé : "En primaire, le lexique nouveau est un frein s'il n'est pas défini et explicité par l'enseignant". Mais on parle ici des premières étapes de construction du lexique (et de l'apprentissage de la lecture), pas de la classe de terminale...

Au reste, le frein du lexique nouveau est d'autant plus important que les pratiques de lecture familiale avec les tout-petits sont réduites.

Bizarrement, Romain Filstroff ne cite pas la première phrase de cet article de Moïse Déro et Fabien Fenouillet (2014) qui contredit quelque peu ses affirmations sur l'intelligence ("même si [la lecture vous transformait en dictionnaire] ça ne dirait pas grand chose de votre intelligence ni de votre réflexion") : "De nombreuses études ont mis en évidence que les connaissances en vocabulaire étaient l’un des meilleurs prédicteurs d’une aptitude verbale générale, et même des tests composites d’intelligence [...] Cette importance du vocabulaire s’observe également dans la corrélation avec les performances scolaires chez des élèves au collège". Encore une lecture trop rapide, il faut croire ! Les auteurs seraient sans doute très surpris de constater que leur synthèse est utilisée pour relativiser l'importance de la lecture...

Après avoir, toute honte bue, comparé des élèves de terminale professionnelle à des élèves de primaire, Romain Filstroff en arrive à sa conclusion : "En gros, il ne faut jamais se foutre de la gueule de quelqu'un qui ne connaîtrait pas tel ou tel mot dans un texte". Et tant pis si le mot "ludique" n'était pas dans un texte, mais dans un sujet de dissertation, et que le programme de terminale était consacré à la question du jeu...

Continuant dans ses digressions (22'15), Romain Filstroff élargit la question : "Mais est-ce que le niveau baisse vraiment ?" La question est évidemment disqualifiée comme un simple discours sempiternel, anecdote personnelle à l'appui ("ma grand-mère...").

Romain Filstroff écrit: Le niveau est stable depuis au moins 2003.

On comprend par la suite que la référence est celle de PISA en compréhension de l'écrit : il est vrai que la performance des élèves français n'a baissé que de treize points entre 2000 et 2018 (de 505 points à 492 points) mais rappelons que PISA évalue à 15 ans... des compétences de lecture de niveau primaire (voir notre billet de 2014 sur la question avec un exemple concret "L'avare et son lingot d'or" montrant au contraire les difficultés sidérantes des élèves entrés au lycée).

S'agissant précisément de la lecture, des éléments factuels montrent la dégradation des compétences de lecture depuis quelques décennies, comme des études de la DEPP en fin de primaire entre 1987 et 2007 (le pourcentage d'élèves au décile le plus faible a doublé) ou entre 1999 et 2013 (voir sur ce fil ).

Romain Filstroff enchaîne ensuite avec de nombreuses considérations hors-sujet sur les inégalités scolaires en France qui lui permettent de mettre en cause le système scolaire français ("L'école renforce les bons et accable les faibles"). Notre linguiste n'a évidemment pas le moindre début de réflexion sur ce qui peut expliquer cet écart, par exemple la ségrégation scolaire public/privé financée par l’État en France : il met en cause "la pédagogie 2000", pas suffisamment constructiviste, ou même la discipline.

Romain Filstroff écrit: On est aussi l'un des pays de l'OCDE, pour ne pas dire du monde, où l'on est le plus obsédé par la discipline en classe.

Encore une erreur de lecture ? Comme nous l'avons montré dans ce billet en 2014 , la France est surtout l'un des pays où le climat de discipline... est le plus dégradé !

Romain Filstroff ne se fonde, pour évaluer le niveau scolaire en France que sur PISA, qui n'évalue que des compétences de primaire à 15 ans, négligeant des indicateurs plus pertinents - et plus accablants - comme la DEPP ou TIMMS Advanced , avec, pour en revenir à la terminale, un effondrement de la France, autrefois première, en mathématiques et en physique entre 1995 et 2015, avec un score passant de 570 à 463 (-18% en vingt ans).

Après avoir montré que "le niveau" ne baisse pas, Romain Filstroff explique logiquement que la question du niveau n'a de toute façon pas de sens (26'40). Il enchaîne ensuite sur la nécessaire réforme de l'orthographe pour traiter les difficultés croissantes des élèves, difficultés qui par ailleurs n'existent pas.

Romain Filstroff écrit: Une prof de lettres qui s'affole du niveau de ses élèves... Mouais.

Comment un professeur de lettres pourrait-il mieux connaître le niveau des élèves qu'un étudiant en linguistique et youtubeur, capable, lui, "d'appréhender les réalités sociales" et d'une manière générale "la vérité" ?

Pour finir, mise en cause personnelle - avec même sa généalogie, établie par "MyHeritage ? - de l'auteur de la tribune du "Figaro" (effectivement très à droite). A ce compte, la vidéo de Romain Filstroff se termine par un appel à appel aux dons Tipeee et la promotion de sa boutique de goodies : avec cette vidéo démagogique destinée à complaire au plus grand nombre (déjà 250.000 vues à cette date), Romain Filstroff n'a en effet pas fait le plus mauvais choix pour sa petite entreprise en ligne : shoplinguisticae.com/

Pour conclure : un "débunkage" sur la lecture truffé d'erreurs de lecture et de contradictions, complètement à côté du sujet. Exactement comme en 2017 quand Romain Filstroff défendait, contre les "profs de français" ne comprenant décidément rien, l'enseignement du prédicat et les programmes... sans les avoir lus .

Pour mémoire, tous ces biais s'expliquent surtout par l'histoire personnelle de Romain Filstroff ("Moi, par exemple, j’étais irrécupérable aux yeux de l’Éducation nationale. Ma prof de français m’avait dit que je finirais balayeur" confessait-il en 2016 dans "Libération" ). On comprend mieux la rancœur contre les professeurs de lettres...

A voir également : son ressentiment contre l'école exprimé sur Twitter.

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Dernière édition: 02 Oct 2022 11:14 par Loys.

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29 Sep 2022 09:03 - 29 Sep 2022 23:43 #24113 par Loys
Selon CEDRE 2022 , 37% des élèves de 3e en 2021 :


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18 Nov 2022 22:01 - 28 Fév 2023 10:52 #24183 par Loys
Sur "FranceTVinfo" du 18/11/22 : ""Ça a vraiment changé mon rapport à la culture" : des jeunes nous racontent ce qu'ils ont fait avec leur pass culture"


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Sur "Télérama" du 29/11/22 : "Sur YouTube : “Les jeunes ne lisent plus”... vraiment ?"


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03 Déc 2022 14:54 - 07 Déc 2022 11:54 #24207 par Loys
Ce qui s'applique à la lecture d’œuvres littéraires s'applique aussi de plus en plus aux œuvres cinématographiques.

Une collègue raconte une sortie "Collège au cinéma" avec des collégiens :

... à une culture qu'ils ne connaîtront jamais pour certains (aujourd'hui c'était fenêtre sur cour de Hitchcock). Le collège leur a offert cette sortie. Ce qui leur importait ? Savoir s'ils allaient voir black panther au ciné hype du coin, s'ils pouvaient s'assoir à côté de leurs potes, s'ils pourraient manger du pop corn. De plus en plus souvent je me demande pourquoi se donner autant de mal pour un tel résultat. Pendant le film, on a du les recadrer X fois, certains ont laissé leur place pleine de détritus et se sont révoltés. Quand je leur ai demandé de ramasser. Certains se sont amusés à imiter des bruits de pets, d'autres à faire semblant de ronfler, le tout dans une ambiance de rire généralisé, visiblement c'était drôle. Pour nous c'était une injure à notre investissement. De plus en plus souvent je me dis à quoi bon ? Mais je n'arrive plus à relativiser, cette génération m'effraie par son manque de civisme, de respect, son incapacité à vivre en communauté. Difficile de tenir bon quand on ne voit pas le bout du Tunnel. J'aime mon métier et l'exerce avec conviction et passion mais cela ne suffit plus. Je suis exténuée.




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07 Déc 2022 11:12 - 07 Oct 2023 16:47 #24212 par Loys
Coming-out d'un youtubeur contre l'école et les lectures scolaires : www.laviemoderne.net/veille/etre-enseign...u-prof-bashing/24210
Dernière édition: 07 Oct 2023 16:47 par Loys.

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10 Jan 2023 07:58 - 07 Oct 2023 12:00 #24263 par Loys
www.laviemoderne.net/veille/reseautage/5...-sociaux/24262#24262

Nouveau relativisme de Françoise Cahen dans "Telerama" : la baisse de la lecture "est plutôt moins forte chez les jeunes que chez leurs aînés. Quand on regarde les enquêtes générales sur la lecture, on constate que la jeunesse lit plus que la moyenne des français".

C'est d'abord confondre, avec l'expression "baisse de la lecture", une évolution au sein de chaque cohorte (moins lire avec l'âge) et une évolution entre les cohortes, la seule qui nous intéresse ici : les jeunes lisent-ils moins que les jeunes des périodes passées ?

Oui si on inclut bandes dessinées et mangas. Sinon, l'effondrement est saisissant : 58% seulement des 15-28 ans ont lu un livre (hors bande-dessinée) dans l'année écoulée (73% à 84% des 15-28 ans des générations antérieures).
Dernière édition: 07 Oct 2023 12:00 par Loys.

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07 Oct 2023 11:52 - 09 Oct 2023 18:43 #24743 par Loys
Tribune de Bruno Devauchelle dans le "Café pédagogique" (dont il est membre) du 6/10/23 : "Lire à l’ère numérique : que peut faire à l’école ?" (sic)

Attention : Spoiler !

Une tribune de haute volée... qui, tout en prétendant promouvoir la lecture sous une forme numérique et "augmentée", s'efforce de l'évincer de l'école. Commentons gaiement.

L'homme "à l'ère numérique"
et l'homme à l'ère préhistorique : même combat !

Bruno Devauchelle revient sur le « lire », sur le débat médiatique qui oppose le livre et l’écran. Selon le chercheur spécialiste de la question du numérique en éducation...

Félicitons le "chercheur" (sans recherches publiées) pour le "rédiger" de sa tribune et le "réfléchir" qu'il permet ainsi (la substantivation témoigne toujours de la qualité scientifique d'une réflexion). Rappelons, quand même, que M. Devauchelle n'est pas enseignant et n'a pas d'expertise particulière de l'enseignement du français en général, ni de l'enseignement de la lecture en particulier. Mais il est "spécialiste" (et surtout promoteur de longue date) du numérique à l'école : n'est-ce pas tout ce qui compte "à l'ère numérique" ?

...l’école « doit permettre d’aller à la rencontre de toutes les formes d’expression actuelles, compte-tenu de nos environnement techniques ».

Façon de dire que la lecture appartient aux "formes d'expression" inactuelles.

Le débat sur la place du “lire” est régulièrement reposé dans les médias. Outre l’opposition écran/livre, c’est aussi celle école/famille qui est posée. Ce qui nous intéresse particulièrement, au-delà des débats trop souvent médiocres, c’est ce qui concerne le fond les métiers d’éducateur, de parent, d’enseignant.

Comme on va le voir, pour M. Devauchelle, "nos environnements techniques" invitent bien à "la lecture" (et tant pis s'il ne s'agit absolument pas de la lecture dont il est ici question, la lecture profonde d'une œuvre littéraire ou d'un texte de réflexion). Le débat est ainsi bien posé et M. Devauchelle a bien raison de critiquer ceux qui le posent mal !

Le monde scolaire et le monde universitaire travaillent auprès de jeunes qui sont entrés dans un monde tel qu’il est et qu’ils n’ont pas choisi. C’est en particulier le cas des technologies disponibles qui ont transformé les manières de vivre ... et qui témoignent en même temps d’une lente autodestruction et une fuite en avant que la réalité sociale et climatique (entre autres) nous invite à penser, dès les premiers moments de l’éducation et de l’enseignement

Ou comment préparer à la nécessaire adaptation de l'école au monde qui l'entoure et aux nouvelles "manières de vivre". A ce compte, l'école devrait subir bien d'autres adaptations...

Une écriture multiple ?
Lire sur papier, sur écran, sur un mur, nous avons le choix !

Le relativisme s'appuie donc sur un sophisme : lire sur un mur, lire sur un écran ou lire sur papier, c'est la même chose. Glissement lexical grossier ("lire") qui élude évidemment la question de la lecture dans le cadre scolaire, laquelle porte non pas sur le support mais sur le contenu (bien qu'on puisse discuter de l'incidence de l'un sur l'autre). Mais M. Devauchelle va plus loin ensuite.

L’invention de l’écriture est le signe de l’émergence de la trace comme inscription dans le temps et dans l’espace de l’activité humaine, concrète ou abstraite. Lire a été précédé par dessiner comme on peut le voir dans les grottes comme celles de Lascaud, de Chauvet ou autres… Car l’image reproduite est le premier mode de représentation construit par l’homme probablement simultanément voire avant l’évolution des langages.

Une réflexion qui n'est pas sans rappeler les dissertations les plus poussives ("De tout temps, les Hommes..."). Elle est néanmoins instructive en ce qu'elle tente - de façon assez atterrante - de redéfinir l'acte de lecture ou d'écriture : écrire, c'est dessiner, et lire, c'est lire des dessins... Voilà qui prépare utilement à la légitimité à toutes les formes de lecture.  L'homme "à l'ère numérique" et l'homme à l'ère préhistorique, même combat !

Aujourd’hui, le débat se concentre sur l’activité de lecture (et d’écriture) car l’écrit s’est imposé comme structurant les rapports humains et la fabrication de la trace de ceux-ci.

Nouveau relativisme qui rejoint le précédent : l'écrit "s'est imposé" au détriment d'autres "formes d'expression". N'est-ce pas regrettable ?

Passons sur la fonction assignée à l'écriture, finalement pas si éloignée des grottes préhistoriques : fabriquer des traces des rapports humains...

On peut le comprendre en étudiant, par exemple, les Ostraka égyptiens et ce qu’ils nous font savoir de l’activité sociale de l’époque. Car depuis bien longtemps l’écrit s’est imposé comme mode d’organisation et de domination dans la société, supplantant l’image et les représentations multiples sous forme imagées.

C'est maintenant le procès de l'écriture, moyen de "domination". Après les grottes préhistoriques, les pyramides égyptiennes : une pensée de haut vol, décidément ! Reste que, pour montrer comment l'écrit supplante l'image, l'exemple égyptien et ses idéogrammes n'est peut-être pas le plus approprié...

On peut se rappeler ici la querelle qui a émergé lors de l’arrivée de la photographie qui a peu à peu modifié la place de la peinture et les manières de représenter le réel…

Assigner à la peinture de "représenter le réel", c'est précisément n'avoir rien compris à la peinture...

Mais il s'agit pour M. Devauchelle, dans un nouveau raccourci historique saisissant des pyramides égyptiennes au XIXe siècle, d'asséner l'inéluctable marche vers le progrès.

L’école, temple de l’écrit ?
À l’école, l’écrit est prédominant et s’accompagne du lire. Le duo lire écrire est la base de toute réussite scolaire. L’écrit qui a été longtemps la possession des dirigeants, des castes de pouvoir, est devenue progressivement le sésame de la socialisation. L’écrit et pas forcément le livre qui n’est qu’une des formes de l’écrit.

On voit ici combien le regret est immense d'une école où écrire est enseigné (mais toujours avec le relativisme, déplacé vers le livre cette fois-ci : "le livre n'est que..." et donc pas grand chose).

Dans les débats actuels, il est trop souvent fait l’économie de la distinction entre les multiples modes d’expression humains et l’école en est l’otage involontaire. L’arrivée d’Internet a rendu accessibles des quantités immenses de documents écrits, souvent inaccessibles auparavant.

On revient à ce relativisme implicite : l'écriture n'est - après tout - qu'un des "multiples modes d'expression humains".

Rapidement, l’écriture est devenue possible pour tous mais très vite rattrapée par l’image, fixe ou animée (vidéo). On est passé d’une consommation à un potentiel d’action expressive nouvelle. Et la population ne s’en est pas laissé compter, prompte qu’elle a été d’utiliser ces moyens : le smartphone et les réseaux variés et multimédias en sont la preuve. Réconciliation entre l’image et l’écrit, chacun est désormais confronté à ce vaste espace de sensations qu’il doit s’approprier d’une manière ou d’une autre.

Après avoir enjambé les millénaires de l'histoire de l'écriture, M. Devauchelle enjambe les décennies de l'existence du web, en retraçant son progrès, bien sûr. Progrès technique, mais aussi progrès démocratique puisque "la population" (sic) a pu s'extraire enfin de la sinistre domination de l'écriture grâce à l'écriture et grâce à l'image !

De façon intéressante, la lecture se trouve alignée sur l'image, appartenant comme elle à un "vaste espace de sensations" (sic).

Confrontation des pratiques et des moyens pour accéder au sens
Et c’est là que l’école est interrogée. Alors que d’aucuns d’entre nous parlent de la qualité de la lecture des livres, les éducateurs sont confrontés à d’autres pratiques sociales fondées sur les technologies. Il est médiatiquement facile d’opposer le livre et l’écran, tant cela est simplificateur.

La question n'est pas "médiatique", elle est effectivement simple et elle est particulièrement fondée dans le cadre scolaire : est-ce que la lecture de livres (et notamment de livres littéraires) est identique à "d'autres pratiques sociales fondées sur les technologies" (que, pudique sans doute, M. Devauchelle ne précise pas, la périphrase savante étant certainement plus convaincante).

Une partie de la réponse est dans les termes de M. Devauchelle : "les éducateurs". Il ne s'agit plus d'enseigner.

Surtout lorsqu’il s’agit de parler d’éduquer les jeunes, sujet sensible et affectivement marqué du fait de nouvelles formes de parentalités (cf. le débat sur l’éducation positive) et de la compétition sociale : quels sont les privilèges des uns et comment y accéder ? (cf. Le fameux ascenseur social)

Le lien logique du raisonnement nous échappe ici totalement.

Que ce soit face aux livres, aux journaux, aux écrits de toutes sortes, la question première est celle d’accéder, le plus librement possible, au sens et à ce que l’on peut en faire personnellement (la connaissance). Quels que soient les supports, l’éducation, scolaire en particulier, doit permettre d’accéder au processus d’appropriation du sens. Malheureusement, un certain cynisme caché de la part des classes dominantes encourage au contraire à la mise sous tutelle culturelle et sociale de la population, la plus fragile en particulier. Il suffit d’analyser les messages des publicitaires et autres communicants pour comprendre comment la volonté de manipulation des esprits se cache dans le quotidien.

La logique est toujours aussi confuse, mais au confusionnisme s'ajoute une forme de complotisme assez nébuleux. Ne sont-ce pas les mêmes "classes dominantes" qui - de façon désolante - promeuvent l'enseignement de la lecture ?

Une école de tous les écrits, multimodaux, multimédias
Oui l’école doit permettre d’accéder à la lecture, mais aussi à l’écriture. Mais elle doit aussi permettre d’aller à la rencontre de toutes les formes d’expression actuelles, compte tenu de nos environnements techniques. Cela doit se faire sans naïveté et avec discernement, c’est-à-dire en ayant soin de proposer aux jeunes, et aussi à leurs parents, les moyens de s’y retrouver.

Voilà qui est toujours plus évasif : allez comprendre ce que peut signifier cette dernière phrase !

Au reste, l'argumentation laisse perplexe : s'exprimer s'opposerait à lire.

On en revient néanmoins à l'essentiel : lire, ce n'est pas forcément lire des livres/lire des œuvres. En évoquant les supports "multimédias, multimodaux", la confusion du début de la tribune sur la lecture est perpétuée.

L’école, là aussi, ne doit pas jouer le jeu du “à part du monde”, mais plutôt de la “bonne distance”.

Oui, la bonne distance est sans nul doute meilleure que la mauvaise distance, chacun en sera convaincu. Mais, à bien lire M. Devauchelle, la "bonne distance", c'est quand il n'y a pas de distance.

Donner “en-vie” est au coeur du processus qui doit guider l’enseignant.

Il ne faudrait en effet pas que l'enseignant conçoivent du "re-mort".

Ce rapport aux documents doit s’inscrire dans une dynamique de curiosité à mettre au coeur de tout apprentissage. “Aller à la rencontre de” doit se substituer à “acquérir des savoirs” comme ligne directrice, car c’est de cette rencontre que peut émerger la connaissance.

"Aller à la rencontre de" l'écrit (si c'est expression a un sens) plutôt que savoir lire. La formule laisse coi...

C'est vrai que la lecture ne permet d'"aller à la rencontre de" rien.

Le problème du livre, comme nombre d’écrits et de documents de flux, c’est sa très faible interactivité initiale. Seul le lecteur peut entrer en dialogue avec l’écrit, mais celui-ci ne répond pas au-delà de ce qu’il est.

On oublie trop souvent que le livre, cette vieille chose du passé, a un "problème", qui apparaît d'autant plus cruellement que les nouvelles "formes d'expression" offrent ce progrès indiscutable de l'interactivité. Le jeune peut entrer en dialogue avec une vidéo YouTube ou TikTok.

Alors que la population est désormais entrée dans l’ère post-médiatique qui est fondée sur la multiplication des interactions

Décidément, "la population" est en avance sur l'école.

... il est certes urgent de “ralentir”, pour faire écho au travail d’Hartmut Rosa, mais ce même auteur nous invite à aller vers la résonance comme principe pédagogique.

Après la mise à distance sans distance, le ralentissement tout en accélérant !

D’ailleurs certains enseignants et éducateurs s’en sont déjà emparé. L’école est appelée à reconsidérer l’ensemble de son mode d’action face à l’évolution des “écrits de toutes sortes” et des interactions multiples qui sont désormais possibles. Pourquoi l’omniprésence de la prise de photo via le smartphone est-elle devenue un mode de captation de la trace individuelle. Parce que cela permet une forme d’écriture qui rejoint celle de l’ère qui a précédé celle de l’écrit.

Pour la première fois, M. Devauchelle donne un exemple concret des nouvelles "formes d'expression". La photo sur smartphone fait donc partie des "écrits de toutes sortes", tout comme les représentations dans les grottes préhistoriques !

Chacun peut s’interroger sur son rapport à la manière de faire trace, de partager la trace, et plus largement de transmettre (au sens de “faire passer”).

Ne plus dire écrire, mais "faire trace". Tout un programme...

L’émergence de nouvelles formes de transmissions portées par des individus augmentés par la technologie ne peut laisser l’école de côté.

On retrouve ici la pétition de principe démontrant la supériorité du progrès technique : les individus "augmentés par la technologie". Les photos de smartphone deviennent "de nouvelles formes de transmissions", des formes augmentées bien sûr, même si leurs auteurs rejoignent curieusement les hommes préhistoriques.

Nombre d’enseignants ont compris cela qui développent l’usage de la prise de trace multimodale pour enrichir les formes des apprentissages. Outre que cela les enrichit, cela permet de donner accès à ce monde multimédiatique dans lequel les jeunes et les adultes se meuvent actuellement.

Alors que lire des livres empêcherait évidemment d'entrer dans ce monde. On le constate avec les générations qui ont précédé Internet : c'est un monde qui leur échappe totalement !

La péroraison de M. Devauchelle laisse plus perplexe encore, sauf dans son but, que l'injonction répétée sans fin à l'adaptation souligne bien clairement.

Médias-école, journalistes-éducateurs, il est temps d’avancer

Tout en ralentissant !

Le monde médiatique, au moment d’une réflexion sur l’information (États généraux de l’information), tente de se situer comme garant de la qualité des écrits et autres contenus multimédias. Qu’il le veuille ou non, seule la légitimité de leurs productions pourra leur permettre d’accompagner une amélioration de l’information.

Quel est le sens de cette phrase ?

La réflexion de M. Devauchelle, profonde, enjambe les millénaires mais déborde également du champ scolaire. Après les professeurs, il donne ici une leçon de sagesse numérique aux journalistes, même si ce qu'il convient de faire est toujours plus nébuleux.

Mais ce monde médiatique, peuplé entre autres de nombreux journalistes, est confronté au monde de l’interaction immédiate envahie par toutes sortes d’intérêts individuels, mercantiles ou politiques… Comme pour l’éducation, les médias sont appelés à se reconfigurer pour accompagner la population dans cet objectif de démocratisation véritable de l’information qui doit permettre à chacun de construire ses connaissances et non pas les subir sous l’autoritarisme des “sachants”.

N'oublions jamais que les "sachants" (dont les enseignants, donc) sont autoritaires, avec la confusion - récurrente depuis Michel Serres - entre savoir et information. Le "non-savoir", assurément, sera plus démocratique.

On pourrait ajouter que la lecture d’œuvres littéraires ne relève ni du savoir ni de l'information, mais cette réflexion-là semble bien hors de portée d'un expert du numérique.

Il ne suffit pas d’une semaine de la presse et de l’information, pas plus que de “cours d’EMI” pour prendre en charge ces questions. Il est temps que les communautés d’éducation se situent clairement par rapport à ces problématiques qui, bien que pas nouvelles, sont régulièrement sur le devant de la scène…

Et "clairement", on ne saura pas comment...

On ne peut - évidemment - que se désoler de ce nouvel obscurantisme, à rebours de toute la tradition humaniste, d'autant plus qu'elle s'étale dans une revue qui se veut pédagogique : une condamnation de la lecture qui ne dit pas son nom.

Au reste, phrases creuses, clichés historiques, absence de logique : l'intelligence artificielle fait mieux, de ce point de vue, que M. Devauchelle :

ChatGPT
Dernière édition: 09 Oct 2023 18:43 par Loys.

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