"Apprendre/désapprendre. Sur la ligne de crête des apprentissages numériques" (EducaVox)

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25 Déc 2013 21:40 - 25 Déc 2013 23:18 #8955 par Loys
A lire sur "EducaVox" du 25/12/13 : "Apprendre/désapprendre. Sur la ligne de crête des apprentissages numériques" par Dominique Cardon, sociologue et un des animateurs du projet "Digital Society Forum" (Orange).
Article initialement publié sur "Digital Society Forum".

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Dernière édition: 25 Déc 2013 23:18 par Loys.

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25 Déc 2013 23:08 - 27 Déc 2013 01:30 #8956 par Loys
La première partie de l'article est assez équilibrée et résume bien les enjeux, à l'image du titre, très très stieglerien (Bernard Stiegler est d'ailleurs cité).

Dans ce domaine comme dans tant d’autres, il suffit de chercher à mesurer l’effet des technologies sur les performances scolaires pour ne rien trouver.

En elles-mêmes, les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE) ne sont causes de rien, ne rendent pas les enseignants plus pédagogues, les enseignés plus performants ou la société plus savante. [...] Guidées par un déterminisme technologique naïf, poussées aussi par des intérêts mercantiles, les politiques d’équipement volontaristes sont sans doute beaucoup moins efficaces que celles qui invitent à mettre au premier plan la révolution des apprentissages, assurées qu’elles sont que, si elles donnent naissance à de nouvelles pratiques, l’équipement et le marché suivront.

Cette dernière conclusion pourrait elle aussi paraître naïve.

Regarder ailleurs, c’est ensuite interroger la façon dont la conversion numérique de nos sociétés questionne directement la manière dont nous apprenons et la place du savoir dans un ensemble de plus en plus varié de situations sociales. Comment apprendre lorsque les institutions éducatives ne sont plus le principal espace d’accès à la connaissance ?

Les institutions éducatives ne l'ont jamais été. S'est-on jamais rendu dans une école pour accéder à une connaissance ? :shock:
Réduire les "institutions éducatives" à une telle fonction permet ensuite de disqualifier l'école à l'ère numérique à bon compte.

Comment éduquer lorsque la dispersion, la distraction et la recherche d’efficacité immédiate caractérisent beaucoup des usages des nouveaux réseaux ?

Il manque le renoncement à la pensée personnelle par le copier-coller .

L’enjeu n’est pas mince et demande un examen nuancé si l’on veut éviter les pièges du débat paralysant entre conservateurs nostalgiques et révolutionnaires zélés. Car, à bien y regarder, les technologies peuvent aussi bien favoriser l’apprentissage que le désapprentissage et sans doute est-ce parce que cette ligne de partage est instable, fragile et incroyablement sensible aux équilibres humains qui composent toute situation éducative, qu’il est si important pour les pédagogues de savoir comment guider leurs élèves du bon côté.

Voilà qui est très honnête.

Les technologies numériques radicalisent un mouvement historique, dont l’écriture a été le premier moment, d’externalisation de la connaissance vers l’environnement.

Voilà un point qui nécessite réflexion. L'écriture n'est pas nécessairement "externalisation" de la mémoire, mais également et surtout transmission d'une pensée (sous une forme transformée). On ne peut absolument pas mettre sur un même plan un dialogue platonicien et une compilation historique.

Comme le souligne Bernard Stiegler en reprenant un terme légué par le travail de Michel Foucault sur les philosophies antiques, les technologies numériques constituent une nouvelle forme d’hypomnemata, ces objets engendrés par l’artificialisation et l’extériorisation de la mémoire humaine. En contrepoint de l’exercice d’anamnèse de la mémoire individuelle, se sont développées des techniques mnémotechniques d’hypomnèse destinées à confier notre mémoire aux outils qui nous accompagnent.

C'est réduire les livres à une plate dimension informationnelle, que certains pédagogues voudraient voir devenir la culture du futur.

Du silex taillé à Wikipédia...

:scratch:

...du livre au mp3...

:scratch:

... de la liste de courses à Google Scholar, le processus de technicisation de nos sociétés déporte constamment les savoirs de nos cerveaux vers les hypomnemata numériques afin de libérer notre esprit pour qu’il conduise des activités cognitives d’un niveau supérieur.

Que veut dire "déporter" : que l'esprit peut oublier ? qu'il peut réfléchir sans plus connaître ? Que les connaissances sont des servitudes qui aliènent ?
Mais justement le savoir naît de l'appropriation des connaissances, et des interactions entre ces connaissances naît l'intelligence, la capacité de juger.
On ne parle pas une langue parce qu'on s'est "libéré" des connaissances nécessaires pour la parler. On n'accède à aucun "niveau supérieur" sans ces connaissances immédiatement présentes à l'esprit.
Ce mythe du "niveau supérieur" renvoie à une conception technique de l'intelligence, le cerveau étant assimilé à un logiciel et les connaissances à des données que l'on peut stocker et traiter à tout instant.

Jamais autant de connaissances de toutes sortes, expertes, triviales ou fausses n’ont été si facilement accessibles, à portée de clic de quiconque dispose des compétences à manipuler le réseau des réseaux. Jamais aussi la connaissance n’a-t-elle été au cœur d’autant d’activités professionnelles, quotidiennes, ludiques traduisant un phénomène massif d’« intellectualisation de la vie sociale ».

Ce n'est pas ce que les univers numériques évoquent en premier. :rirej

Qu’apprendre ?

Alors, si le savoir est dans le réseau, toujours à portée de main, que faut-il apprendre ? Il faut « apprendre à apprendre » répondent en chœur tous les pédagogues qui ne se laissent pas intimider par le fait qu’il arrive, parfois, que leurs élèves consultant Wikipédia leur signalent une erreur factuelle pendant leur cours.

L'inverse est fréquent. :P

L’extériorisation du savoir...

Par définition le savoir ne peut en aucun cas s'extérioriser. :fur

... ne condamne pas la transmission et l’appropriation des savoirs, mais, sans doute rend-t-elle quelque peu désuète une éducation polarisée par la maîtrise des connaissances, le « par cœur »...

La "maîtrise des connaissances" est précisément assez éloignée du "par cœur". Mais la caricaturer ainsi permet ensuite de rendre pertinente l'externalisation des connaissances.
Apprendre ses tables de multiplication n'est pas intelligent en soi. Mais les connaître permet ensuite d'effectuer des opérations plus complexes ou de repérer des erreurs de calcul grossières. S'en dispenser, c'est s'exposer à une ignorance plus grande.

... et une évaluation des parcours scolaires qui s’obsède à vérifier la transmission des informations du cerveau de l’enseignant vers celui de l’élève ?

L'enseignement n'est pas une transmission d'informations. Le professeur n'est pas un présentateur de journal télévisé. Est-ce qu'apprendre à lire à un enfant de CP est une "transmission d'informations" ? :fur

Il y a désormais lieu d’apprendre à trouver, à s’approprier, à critiquer, à historiciser les connaissances pour savoir les mobiliser à bon escient dans divers contextes.

Comment trouver si l'on ne sait pas discerner ? Comment "historiciser" si l'on n'a pas une connaissance claire de l'histoire ? Et pourquoi apprendre à "s'approprier" puisqu'il n'y en a plus besoin ?" :scratch:

Développer ces compétences transverses nécessaires pour se repérer et activer les connaissances déposées dans les hypomnemata ne relève pas d’une simple agilité technique visant, ponctuellement, à résoudre des questions pratiques en faisant des recherches sur Google.

Pourquoi "déposer les connaissances dans les hypomnemata" puisqu'elles sont déposées dans Google ? :scratch:

Apprendre à interpréter plutôt qu’à emmagasiner suppose une familiarisation profonde avec la structure des connaissances et requiert une mise en intelligibilité d’informations multiples, disparates, certes disponibles et accessibles à tous, mais qui ne peuvent être réagencées et réarticulées sans mettre en œuvre une compréhension globale, curieuse et aiguisée.

Appliquée à l'apprentissage d'une langue cette phrase montre bien sa vacuité. savoir parler une langue, c'est en avoir emmagasiné le vocabulaire et l'avoir réactivé des dizaines, des centaines, des milliers de fois. La "compréhension globale" est impossible autrement. :twisted:

Aussi le geste accompagnant de l’éducateur, ce « maître ignorant » qui ne transmet pas le savoir comme un contenu, mais s’attache constamment à ce que l’élève oriente son intelligence de façon exigeante...

En étant "ignorant", c'est gagné ! :mrgreen:

... requiert-il de l’attention, de l’exercice, une inquiétude critique et un soin de tous les instants de la part du pédagogue. En cela, la pédagogie de la « guidance » qui oriente patiemment l’intelligence des apprenants dans la forêt des savoirs numériques n’a rien à céder aux rigueurs doloristes des tenants de la transmission des contenus.

Sous des dehors équilibrés, le propos est moins mesuré qu'il n'y paraît. Entre "conservateurs nostalgiques et révolutionnaires zélés", Dominique Cardon a discrètement fait son choix. Transmettre, c'est mal et guider, c'est bien. On peut aussi dire que transmettre, c'est affranchir tandis que guider, c'est asservir.

Apprendre à apprendre...

Vieux slogan des néo-pédagogue. Un exemple : www.cafepedagogique.net/lemensuel/lesyst...ierreFrackowiak.aspx

... n’est pas une tâche triviale et fonctionnelle qui dévaluerait la noble posture du professeur omniscient.

Bien sûr que non... A noter le "omniscient" incongru, invective ironique sans doute.

Elle ne se contente pas de laisser libre cours aux apprenants en les laissant se débrouiller tout seuls, sans règle ni méthode, dans le flux chaotique des informations numériques et les si nombreux attraits de la dispersion.

Ce serait en effet moins "apprendre à apprendre" que laisser apprendre tout seul, ce qui est effectivement très reposant. :transpi:

Insister sur ce point, c’est souligner que c’est ici que réside le risque de voir les nouveaux apprentissages numériques épouser, sans s’opposer, certaines tendances de nos sociétés qui peuvent être causes de nouvelles inégalités. Trois traits distinguent en effet les nouvelles demandes éducatives.

Trois directions des nouvelles pédagogies.

Le premier est une demande d’individualisation et de personnalisation de l’enseignement qui encourage la singularisation des potentialités créatives de chacun et la recherche d’une formation tout au long de la vie.

Voilà une belle phrase bien démagogique (le talent de tout un chacun) et bien creuse (quelle différence entre "individualisation" et "personnalisation"), où la "créativité" et "la formation tout au long de la vie" font une apparition aussi soudaine qu’incompréhensible.

Le second est la place grandissante des activités coopératives et du travail en équipe. Les pédagogies nouvelles s’attachent toutes à amplifier les interactions et les contacts personnalisés entre les apprenants eux-mêmes et entre les apprenants et l’enseignant. Si le rôle des technologies dans l’apprentissage se limitait à réduire les contacts avec les enseignés en les installant dans un gigantesque amphithéâtre virtuel à distance du maître, elles manqueraient complètement ce qui apparaît de plus en plus comme le cœur des processus d’apprentissage : l’existence d’un lieu vivant d’incarnation...

Il fallait oser ce dernier mot. :doc:

...de partages et de mises en exercice des savoirs. Beaucoup des usages innovants des pédagogies numériques tiennent à l’infini richesse des formes de vie...

:scratch:

...heureuses, curieuses et bavardes, qui transpirent de la mise en réseau des apprenants, cet art particulier de multiplier dans toutes les directions possibles les communications, les évaluations croisées, les échanges entre disciplines et les productions communes.

Encore une belle phrase creuse, nourrie de philanthropie facile, ressortissant davantage de la pétition de principe que de la démonstration scientifique. En quoi penser à plusieurs est-il supérieur à penser seul ?

Même s’il pose souvent aux enseignants un problème d’évaluation, habitués qu’ils sont à l’individualisation de la notation, le développement de ces cadres collectifs oriente l’attention du groupe vers une prise en charge commune de la responsabilité de leurs apprentissages.

Il faut donc "individualiser et personnaliser" l'enseignement tout en l'inscrivant dans des "cadres collectifs". Voilà qui est limpide.... :rirej

Un dernier trait, enfin, est l’importance des aspects informels de l’apprentissage, ces savoir-faire pratique, ces délicates manières d’encourager, d’impulser, de guider et de valoriser, bref tous ces gestes anodins qui donnent au processus d’apprentissage une vraie profondeur, et aux élèves de l’estime de soi et de la reconnaissance.

Une bonne vieille tarte à la crème des nouvelles pédagogies : indiquer un mauvais raisonnement ou une mauvaise formulation à un élève, c'est "ne pas donner au processus d'apprentissage une vraie profondeur". :roll:

Les natifs du numériques arrivent à l’école déjà profondément imprégnés par un usage régulier, voire intensif des écrans et des technologies numériques. Petite Poucette, l’inspirante fable de Michel Serres, peut cependant se révéler trompeuse. Car si, avec l’accessibilité numérique des savoirs, il n’est jamais apparu aussi clairement que chaque individu est à lui-même son propre éducateur..

.
Chaque individu formé par l'école. Car les enfants ne sont pas devenus leurs propres éducateurs, que je sache, ou bien il faudra en faire la démonstration. :twisted:

...il serait naïf de considérer que tous, libres et émancipés, bénéficieraient des mêmes opportunités et des mêmes ressources pour faire le meilleur usage possible de cette liberté. Les premiers retours d’usage sur les participants aux MOOC des universités américaines montrent que ceux-ci, loin de réduire la fracture sociale, culturelle et géographique, séduisent surtout des personnes disposant déjà d’un niveau de diplôme élevé et d’un fort capital social.

Tiens, tiens.

La conversion numérique de nos sociétés contribue aussi à de véritables processus de désapprentissage, un risque permanent de « prolétarisation des esprits » souligne Bernard Stiegler : crise de la lecture, disqualification des savoirs, dispersion de l’attention, matraquage du marketing commercial, tyrannie de l’immédiateté, manque de curiosité… Beaucoup des pratiques numériques des digital natives entrent en contradiction avec les exigeants apprentissages scolaires.

Ça va mieux en le disant.

Il ne suffit pas que le savoir soit à disposition pour qu’il soit vraiment intériorisé.

Il aurait fallu le dire plus tôt...

Banalisée, simplifiée, empaquetée, l’information disponible peut aussi apparaître comme un bien de consommation dont on use sans jamais vouloir ou pouvoir se l’approprier réellement. La « société de la connaissance » promeut des compétences comportementales, la navigation dans les flux informationnels, la course à l’innovation, le renouvellement incessant de la consommation et la flexibilité des salariés. Mais encouragerait-elle vraiment le développement de capacités critiques sans que, dans les institutions dédiées à cet effet, de patients pédagogues veillent à ce que tous et chacun puissent également bénéficier des opportunités d’émancipation de l’accès aux savoirs.

Poser la question, c'est y répondre.

Fabriquer le numérique

Enfin, s’il reste un enjeu qui semble encore bien absent des politiques éducatives, c’est celui d’une éducation au numérique qui ne se contente pas de mise en garde responsabilisante et de compétence manipulatoire (comme le b2i), mais d’une capacité à fabriquer le numérique. Le code informatique est aujourd’hui devenu le nouvel alphabet de nos sociétés, sa langue, son véhicule et son décor.

Un alphabet que bien peu parlent. Et d'ailleurs il faudrait parler d'alphabets multiples et évoluant sans cesse à grande vitesse.

Comment peut-on laisser cette boîte noire se refermer sur des utilisateurs certes agiles, mais incapables de décoder sa fabrication (sans parler de la modifier, l’améliorer, la réinventer) ?

Noble préoccupation mais comment peut-on espérer comprendre en l'espace d'une vie tous les codes mis en œuvre dans une simple consultation d'Internet ? :santa:

Apprendre à entrer dans la fabrique du numérique, se glisser derrière les interfaces lisses et l’expérience utilisateur contrôlé, constitue une indispensable compétence pour former des citoyens à la fois critiques et créatifs.

Même ceux qui connaissent les éléments du code informatique ne se risqueraient pas à dire qu'ils sont plus critiques. Faut-il étudier le code source de chaque page Internet que nous consultons ou de chaque logiciel que nous utilisons ? Comment est-ce humainement possible ?
Quant à être "créatif" (expression dont j'attends une définition), on voit mal en quoi la maîtrise du code pourrait y contribuer. Dans l'industrie numérique actuelle les codeurs ne sont absolument pas les créatifs.

Il n’est pas question ici de faire de tous des développeurs maîtrisant les langages « durs » de programmation, mais d’en connaître les principes et de pouvoir écrire et produire en numérique.

Un peu de lucidité quand même. Hélas, connaître des "principes" de la programmation ne permet pas "d'écrire et de produire en numérique" (s'il s'agit de programmation), de même que connaître le principe de l'alphabet ne permet pas d'écrire et encore moins de devenir écrivain.

Contre le savoir presse-bouton, il importe d’inventer une société dans laquelle tous et chacun soient capable et aient envie de fabriquer des boutons.

Le numérique, technique suprême unifiant entre elles toutes les autres techniques, a cet aspect fascinant qu'il est capable de se retirer toute dimension technique apparente : on peut utiliser un smartphone, un condensé extraordinaire de techniques éminemment complexes, sans rien y comprendre et en ne connaissant que quelques gestes simples des doigts. Plus fascinant encore : le numérique se simplifie lui-même. On peut créer des blogs sans savoir rien coder (ce blog en CMS en est un exemple).
Le numérique, par essence, dispense et vise à dispenser chacun "d'être capable et d'avoir envie de fabriquer". Il est, à travers une complexité toujours croissante, recherche permanente de simplification pour l'usager qui n'a plus rien d'un technicien. Le numérique est une technique si extraordinaire qu'elle s'abolit elle-même.
C'est n'avoir pas compris le numérique que n'avoir pas compris cet aspect essentiel.
Dernière édition: 27 Déc 2013 01:30 par Loys.

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