"Internet dans toutes les classes" (Xavier de la Porte)

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20 Fév 2014 09:55 - 20 Fév 2014 09:55 #9668 par Loys
A écouter sur "France Culture" du 20/02/14 : "Internet dans toutes les classes" par Xavier de la Porte.

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Dernière édition: 20 Fév 2014 09:55 par Loys.

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20 Fév 2014 11:22 - 21 Fév 2014 15:31 #9669 par Loys
Une chronique assez désolante, sans doute inspirée par la venue du Ministre de l'éducation sur France Culture. :|

Internet dans toutes les classes

Un titre elliptique puisque c'est déjà le cas à peu près partout. La confusion a lieu entre Internet à disposition du professeur pour utiliser avec les élèves et Internet à disposition des élèves.

Je voudrais me livrer ce matin à exercice difficile...

Bah pas si difficile : c'est endosser le beau rôle de la modernité, quitte à se mettre à dos les professeurs conservateurs et rétrogrades qui - eux - doivent faire face à la réalité quotidienne de leurs classes.

...défendre la présence d’ordinateurs connectés à Internet dans les salles de classe.

Bon, on ne va pas se répéter : ils sont déjà présents.

Défendre le fait que les élèves et étudiants puissent venir en cours avec leur ordinateur et naviguer sur Internet pendant que l’enseignant parle.

On suppose ici qu'élèves et étudiants, c'est la même chose. Que les élèves ont tous un ordinateur portable. Que les étudiants ne peuvent actuellement pas venir en cours avec leur ordinateur portable. Que les élèves qui possèdent déjà un smartphone ne l'utilisent déjà pas en classe . Bref...

Avant, deux précisions :
- je passe volontairement sur les questions pratiques (à partir de quel niveau ? avec quel matériel ? avec quelle marge de manœuvre laissée aux enseignants ?) parce que cela mettrait sans doute à bas la puissance théorique de mon argumentaire

Cette "précision" laisse pantois. C'est plutôt elle qui met à bas la "puissance théorique" de l'argumentaire.
A noter qu'on préfèrera l'argumentation à l'argumentaire (aux consonances commerciales ou sophistiques).

- je sais que beaucoup de gens réfléchissent très savamment à ces questions, du point de vue philosophique, pédagogique ou cognitif : sans doute seront-t-elles mises au programme de la toute récente Direction du numérique pour l’Education chargée de réfléchir et de mettre en œuvre une vraie politique numérique pour l’éducation nationale.

Je n'ai pas encore été contacté mais ça ne saurait tarder. :rirej
En tout cas la création de cette direction montre que Xavier de la Porte ne se livre pas à un exercice si "difficile" qu'il le prétend puisqu'il reçoit l'onction ministérielle (dans le cadre de la "grande stratégie pour le numérique")

Et j’avoue avoir été un peu troublé par un papier tout récemment posté sur son blog par le toujours excellent Olivier Ertzscheid qui se disait au bout de tant d’années et de réflexions sur le numérique « perplexe et n’avoir plus aucune position dogmatique sur l’opportunité d’autoriser ou d’interdire les ordinateurs connectés en cours ».

L'exemple pris est très pertinent, en effet : il s'agit d'un cours avec des étudiants en licence pro Community manager et sur le numérique ... :roll:

Comme ma défense se fonde sur une expérience de l’enseignement existante mais limitée, je devrais être découragé par ce qu’on appelle aujourd’hui un « conflit de légitimité », mais pas du tout (vous le disiez vous-même à l’antenne hier, Marc Voinchet, être journaliste c’est parler de ce qu’on ne connaît pas). Donc j’y vais.

Rien ne n'empêche un journaliste de s'informer en revanche. Curieuse profession de foi, tout de même.

- Le principal argument avancé contre l’autorisation d’ordinateurs connectés en classe est l’occasion de distraction. Les élèves peuvent faire autre chose qu’écouter le cours, ils peuvent chater, naviguer, regarder des vidéos. Oui, bien sûr. Mais les élèves ont-ils attendu les ordinateurs pour trouver des occasions de se distraire ?

:shock:
Une telle réfutation, relativiste, est bien faible : le divertissement (au sens pascalien) auquel invite l'écran est une séduction permanente et totale, proche de la sidération, qui n'a rien de comparable avec une distraction occasionnelle. A tel point d'ailleurs que les écrans constituent des sortes de babysitters technologiques à la fois pratiques et économiques pour les parents.
Symboliquement, dans la classe, l'écran détourne le regard de l'élève et fait écran avec le cours : or c'est par le regard tourné vers l'enseignant et l'attention portée sur le propos du cours que naît l'intelligence du cours et qu'opère l'interaction nécessaire avec l’enseignant : un cours, pour être réussi, est fondamentalement dialectique.
La classe est le lieu où l'on recherche la concentration collective. Internet est le lieu de la dispersion individuelle.

Et nous, qui avons été à l’école avant Internet, combien d’heures avons-nous passé en classe à retirer le pénalty qu’on venait de rater dans la cours, à dessiner dans notre cahier, à rêver sur la mèche de cheveux qui tombe sur la nuque de la voisine de devant ?

La distraction ponctuelle ou la rêverie occasionnelle à partir d'éléments de la classe a peu à voir avec une ou plusieurs fenêtres ouvrant sur d'autres mondes que celui de la classe, offrant sollicitation sur sollicitation (messages, notifications, hyperliens, images animées, vidéos etc.). Ajoutons que la rêverie vient de l'esprit, colmatant en quelque sorte discrètement les moments creux du cours : le surf est un isolement qui suit le courant de la machine et obéit à son rythme propre.

La question devrait être : la glandouillerie sur Internet est-elle pire que la rêverie à l’ancienne ?

Comment peut-on mettre ces deux choses sur un même plan ? :shock:
Retenons surtout que "l'argumentaire" de Xavier de la Porte consiste non pas à minorer - comme on aurait pu l'attendre - ce divertissement, mais tout simplement à l'accepter. :shock:

Mais qui pourrait répondre à cette question ? La dialectique entre attention et distraction est au cœur de la problématique de l’enseignant, il n’est pas certain que la présence d’un ordinateur la reformule complètement.

J'invite Xavier de la Porte a tenter de capter l'attention d'une classe d'élèves d'un public difficile pour les faire se concentrer sur un point précis, et ce - dans un premier temps - en l'absence de toute distraction extérieure. :mrgreen:

- Ce qui est troublant pour l’enseignant avec les écrans, c’est le sentiment qu’il n’est plus regardé.

Ce n'est pas troublant : c'est tout simplement la fin d'une interaction nécessaire au cours. Le professeur observe ses élèves, regarde celui qui est perdu, reformule, pose des questions, répète.
Le cours traditionnel, celui que l'on désigne à dessein comme "magistral" au sens où il s'apparenterait - dans une conception technicienne justement - à une sorte de projection vidéo sans aucune interaction possible est, au contraire, tout ce qu'il y a de plus vivant, et ce - curieusement - d'autant plus qu'il est collectif. Il se crée dans une classe une dynamique qu'il est le plus souvent difficile d'obtenir avec un petit groupe d'élèves ou un élève seul. Dans un cours traditionnel, les élèves sont tout sauf passifs : ils participent, lèvent la main, prennent la parole ou simplement suivent des yeux.
Au lycée la prise de note est un exercice parmi les plus aboutis de l'intelligence : suivre le fil d'un cours ou d'un raisonnement, sélectionner/synthétiser, retranscrire/reformuler, organiser, hiérarchiser, mémoriser, bref s'approprier le cours.
Le professeur - en acteur qu'il est - est à l'écoute des paroles mais aussi des regards. Il rebondit sur les interventions de ses élèves, corrige, les guide vers la pensée droite. Pour ce faire il se déplace dans l'espace, adopte une gestuelle, module sa voix ou l'expression de son visage, s'exprime par les ses yeux autant que par la bouche : son expressivité est pour les élèves comme les gestes d'un chef d'orchestre. Cet art de la parole est a contrario sensible quand un élève par exemple fait un exposé laborieux devant la classe et qu'il échoue à capter son attention parce que cet art fait toute le métier de l'enseignant (qui peut bien sûr échouer régulièrement). Quand il se sent perdre la concentration de la classe, le professeur propose lui-même une pause, un changement d'activités ou un divertissement (lecture, digression, anecdote, jeu de mot, plaisanterie etc.).
Cette dynamique de classe, si essentielle et si positive, disparaît avec l'écran, et l'isolement de chacun : l'interaction illusoire qu'offre l'écran est en réalité beaucoup plus passive que la participation au cours.

Ce qui est assez vrai puisqu’on peut faire cours à une classe aux yeux baissés. Mais une classe qui ne regarde pas est-elle une classe qui n’écoute pas ? Rien n’est moins sûr.

:shock:

D’abord parce que s’est manifestement opéré une mutation anthropologique qui fait que ces gens – les jeunes - arrivent à faire plusieurs choses à la fois, on le note en cours par une remarque qui surgit d’un élève qu’on croyait perdu pour le cours et qui, en fait, écoutait.

Encore une fois l'esprit humain est conçu sur un mode technique (comme le cours magistral assimilé à une projection vidéo) : les digital natives seraient des mutants capables de multitasking, comme des systèmes d'exploitation.
Que les élèves fassent plusieurs choses à la fois, c'est très possible, mais on se demande bien d'où vient la certitude de Xavier de la Porte qu'ils y arrivent. Un enseignant constate facilement déjà combien la transmission peut être difficile en l'absence de sources de distraction.

- Ensuite, il est possible que cet élève interagissait avec le cours, via son écran.

Emploi du subjonctif, Xavier de la Porte, emploi du subjonctif. :doc:
Bon évidemment, tout est dans le "il est possible". Bien sûr : c'est le propre du numérique. Avec lui tout est possible : le meilleur comme le pire. En ce cas il faut constater la réalité des usages et non leur potentialité vertueuse seulement, ce qui procède du travers habituel du numérisme.
"Comment j'ai pourri le web" est un bon exemple de l'utilisation réelle des écrans et c'est pour cette raison que ce billet a suscité tant de réactions chez les apôtres du numérique : en montrant la réalité telle qu'elle est.

Car les élèves peuvent aussi y vérifier ce que dit l’enseignant, ce qui est très désagréable mais utile dans l’idée que la formation scolaire est aussi une formation à l’esprit critique.

Xavier de la Porte récite Petite Poucette.
a) Le professeur n'est pas la Bible délivrant la vérité révélée ou un journal télévisé transmettant les informations. Les connaissances qu'il apporte sont éprouvées aussi bien que fondamentales et par ailleurs Il fait bien d'autres choses que d'apporter des connaissances. Plus encore que des connaissances, qu'il est d'ailleurs capable de mettre lui-même en perspective, le professeur apporte surtout avec elles des outils, méthodes, des formes de raisonnement, des réflexes d'analyse, des moyens d'expression, d'organisation, de mémorisation, de reformulation et de structuration de la pensée, de problématisation, d'interprétation etc.
b) Le professeur n'est certes pas infaillible, il peut bien sûr se tromper ponctuellement comme tout un chacun mais il a une spécialisation dans sa discipline, validée par un concours de fin d'études : penser qu'un élève du secondaire puisse systématiquement concurrencer son professeur est d'une douce ingénuité. C'est le concevoir à son image quand on est journaliste à France Culture par exemple. Xavier de la Porte devrait prendre connaissance du vrai niveau des élèves en fin de scolarité obligatoire par exemple avant d'en faire des savants pouvant prétendre à l'esprit critique, aussi cultivés (cum interrete bien sûr) et avec un aussi bon raisonnement que le professeur. Cela suppose d'ailleurs que pour apprécier ce qu'ils trouvent sur Internet, ils ont déjà la culture personnelle et l'esprit critique nécessaire. Pétition de principe en somme. :santa:
On observe d'ailleurs avec effarement que les élèves actuels n'hésitent pas à remettre en cause la parole professorale et ce d'autant plus qu'ils sont ignorants ("M'sieur, "vous dites" ça se dit pas !") en vertu d'une sorte d'égalité professeur-élève dont les nouvelles pédagogies sont responsables.
c) L'esprit critique est un aboutissement de la formation scolaire. Comme dit Rousseau

De toutes les facultés de l’homme, la raison, qui n’est, pour ainsi dire, qu’un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard ; et c’est de celle-là qu’on veut se servir pour développer les premières ! Le chef-d’œuvre d’une bonne éducation est de faire un homme raisonnable : et l’on prétend élever un enfant par la raison ! C’est commencer par la fin, c’est vouloir faire l’instrument de l’ouvrage. (Émile ou De l’éducation, livre II)

L'esprit critique est une démarche salutaire dans la recherche scientifique ou la vie civique par exemple. Deux domaines qui sont totalement (et temporairement) étrangers aux enfants. Considérer que les enfants doivent exercer un esprit critique dès l'enfance, c'est d'ores et déjà les considérer comme des adultes. Et c'est mettre sur un même plan un monde d'informations dans lequel ils ne doivent pas avoir confiance et un professeur dans lequel ils peuvent au contraire avoir confiance. La culture ne se construit pas avec du doute chez des enfants, mais avec des connaissances fiables que l'on pourra ensuite, si on le souhaite, remettre en question.

Et puis, une fois que l’enseignant a pris acte du fait que sa parole peut être confrontée en temps réel à une bonne partie du savoir mondial...

Internet n'est pas une bibliothèque qui dirait le vrai, malheureusement, mais un gigantesque capharnaüm en grande partie commercial où l'on trouve parfois du faux, souvent du confus et toujours du contradictoire.

...cela peut devenir un argument pédagogique, cela peut provoquer des jeux d’interactivité (faire chercher une image, demander la vérification d’un fait etc.)

L'élève, en faisant confiance au professeur, doit progressivement se constituer une culture et une capacité de jugement qui lui permettront, pour autant qu'elle soit aboutie, d'apprécier par lui-même ce qu'il trouve sur Internet

- Contrairement à ce qui est souvent avancé, et à ce que croit l’élève planqué derrière son écran, l’enseignant sait très bien ce qu’élève est en train de fabriquer derrière cet écran. Un sourcil qui se fronce, un sourire qui apparaît au coin des lèvres, des yeux qui s’arrondissent d’étonnement, l’écran fait dire au visage de l’élève beaucoup plus que la fausse attention du regard qui donne l’impression de traverser l’enseignant.

En somme il faudrait laisser à l'élève l'outil qui lui permet de se divertir et ensuite contrôler en permanence qu'il ne se divertit pas. :santa:

Une classe derrière son écran est aussi une classe vivante si on y prête attention.

:shock:
De toute façon, même si c'était le cas, on n'attend pas d'une classe qu'elles soit "vivante", mais qu'elle progresse.

Et j’avoue préférer cette vie à la passivité de l’élève qui s’ennuie.

L'ennui sur un écran existe et il est beaucoup plus subtil : il est presque insensible et, contrairement à l'ennui en classe, improductif parce qu'encore plus passif, précisément.

Il y aurait mille autres points à examiner mais il me semble que le principal obstacle à la présence de l’ordinateur en classe n’est pas d’ordre cognitif, mais le fait qu’il est un concurrent terrible pour l’enseignant. Un concurrent terrible parce que l’écran est terriblement séduisant, mais qu’il est protéiforme, parce que d’une seconde à l’autre, il peut faire battre le cœur de l’élève, le faire rire, lui apprendre quelque chose, qu’il oblige donc l’enseignant à une excellence de tous les instants, ce qui est impossible.

C'est aussi absurde que de demander à un enfant de choisir entre aller au cinéma ou aller en cours, entre manger une glace et manger une salade. :roll:
Le cours par essence repose sur une certaine contrainte, mais une contrainte qui fait grandir, qui cultive, qui élève. Éduquer, c'est conduire hors de ce que l'élève connaît déjà, le monde des écrans par exemple. A l'ère d'Internet et de l'enfant-roi, cette contrainte paraît insupportable et c'est bien ce qui est le plus inquiétant, surtout quand ce discours de l'anti-culture s'entend sur "France Culture".
Notons que les usages de l'ordinateur renvoient tous ici à un monde merveilleux ("faire battre le cœur de l’élève, le faire rire, lui apprendre quelque chose") : rien sur l'ennui, le vide, la bêtise crasse des activités auxquelles on peut se livrer, la pornographie, le cyberharcèlement etc. Un petit tour sur Twitter suffit pourtant pour en avoir une petite idée .

Un concurrent terrible parce que, si on n’en fait pas un partenaire, il matérialisera impitoyablement les défaillances inévitables d’un cours.

Un appel à la démission en somme : l'écran est invincible et l'enseignant doit se soumettre.
Évidemment Xavier de la Porte n'envisage pas que cette question ne se pose que si l'on accepte les écrans dans la classe.
Bref c'est le serpent qui se mord la queue dans cette chronique : parce que le professeur ne peut rivaliser avec l’écran, il faut l’introduire en classe. :P
Dernière édition: 21 Fév 2014 15:31 par Loys.

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