Quand les notes prises par les étudiants valent de l'or
L'idée originale de jeunes gens avisés pour faire fortune rapidement sur le dos de l'école.
Eh, les gars, j’ai eu une idée grandiose pour faire du sans rien glander !
— Sans blague ?
— Vous vous souvenez du paquet de cash qu’on s’était fait en revendant les cours de première année de médecine aux bizuts ?
— Ouaip, trop facile. Eht alors ?
— Pourquoi on ferait pas ça... mais à échelle industrielle ? Ça rapporterait plus qu’un cabinet d'orthodontie à Champigny.
— Tu veux fonder une maison d’édition pour publier nos notes de cours ?
— Mais non, mon vieux. On a changé de paradigme. Aujourd'hui il faut fonder un site communautaire du type web 2.0 ou 3.0 pour tous les cours dans toutes les disciplines et à tous les niveaux.
— Mais ça va nous coûter une fortune !
— Mais non : à l’ère du numérique, publier, ça coûte plus grand chose. Tout ce qu’il faut parvenir à à faire, c’est générer du pognon avec.
— Oui mais, en ligne, les gens cherchent ce qui est gratuit...
— C’est là qu’est l’astuce : on ne fera rien payer. Enfin, du moins dans un premier temps.
— Mais on ne va pas mettre des cours en ligne gratuitement quand même ! Ce serait quoi, l’intérêt ?
— Réfléchis, idiot. Au lieu de vendre les prises de notes de cours d’un prof médiocre dans une fac quelconque, on va créer une gigantesque banque en ligne gratuite pour toute la France, voire pour tout le monde francophone. Et dans le lot, il y aura les meilleures prises de notes des meilleurs cours, forcément ! Bref, on devient incontournable, on installe progressivement des bannières de publicités discrètes, on exploite les données personnelles qui nous sont confiées, on propose des services annexes etc. In fine, on pourra même rendre payants les meilleurs cours pris en note : dans tous les cas on n’aura pas grand chose à faire.
— Mais comment on déterminera les meilleures prises de notes ?
— J’y viens. On ne va quand même pas se prendre la tête à tout relire pour jauger la qualité des trucs qui nous seront envoyés. Alors, on publie le tout en vrac et on laisse les étudiants se démerder pour déterminer eux-mêmes quels sont les cours les plus potables avec un système de ratings (qu'on pourra d'ailleurs trafiquer nous-mêmes). Ils n'ont que ça à faire, après tout.
— ... et on présente ça comme le nec plus ultra du travail coopératif en ligne à l’ère des réseaux en ligne blablabla.
— C’est pas diabolique, ça ? Et on n’aura qu’à se présenter comme « une plate-forme leader des moocs », puisque c’est à la mode. Nous aussi ça sera libre, massif en ligne et gratuit… sauf qu'on n’aura rien à payer à une quelconque université ! Et si ça se trouve, le ministère voudra bien nous héberger gratuitement sur sa plateforme FUN !
— Trop fort !
— Mais quand tu dis libre et gratuit, c'est genre association loi 1901 ?
— Ah non ! ça c’est mauvais pour le business. Non non, il faudra s’inscrire au registre du commerce. J’ai déjà acheté le nom de domaine coorgratwi.com pour quelques euros.
— Et il faudra pondre des conditions d’utilisation générales béton pour éviter que certains profs pas contents viennent nous asticoter avec le droit d’auteur.
— Pas de problème : on n’aura qu’à se dégager de toute responsabilité sur les preneurs de notes. Après tout, les notes prises par les étudiants sont à eux, non ?
— Et à nous, du coup ! (rires)
— Et pendant qu'on y est, les étudiants, appelle-les des « auteurs », c’est carrément plus drôle comme ça. Pour nous, on dira qu’on n’a qu’une responsabilité d’hébergeur. Les étudiants devront nous céder les droits sur leurs prises de notes. Attends. Voilà. Je propose la formule : « gracieusement et sans aucune contrepartie financière ou autre ». On dira que c’est dans un « esprit de partage ».
— Il faudra aussi veiller à ce que les étudiant, pardon les auteurs ne publient pas sur un site concurrent.
— Bah, on leur interdira par une clause d’exclusivité.
— Dans un « esprit de partage » ? Non, je déconne ! (rires)
— Et pour se mettre les enseignants dans la poche, on n’aura qu’à proposer à ces galeux de mettre leurs propres cours en ligne, après tout, s'ils veulent arrondir leurs fins de mois. On n’aura qu’à prélever un petit pourcentage. Ils pourront même nous servir de caution, finalement.
— Mais j'y pense : et si un étudiant publie des notes qu’il n’a pas prises ou avec des contenus juridiquement borderline ?
— Bah on laisse pisser. Si quelqu’un n’est pas content, il nous le signalera et on n’aura qu’à le retirer. On n’aura rien à faire, je vous dis !
— C’est bien joli, ton idée. Mais pour l’instant, dans ta banque de prises de notes, il n’y a rien. Nada. Que pouic.
— Je l'attendais celle-là. Eh bien j’ai eu une autre idée géniale. Vous allez me dire ce que vous en pensez, les poteaux. Voilà. Pour faire affluer les prises de notes et faire le buzz dans les médias, j’ai un plan marketing d’en-fer. On va proposer ce qu'on connaît le mieux : du pognon à gagner. Mais attention, beaucoup de pognon, genre une récompense de 5 000€ pour les meilleurs cours.
— Mmm. Non, faut être plus malin. Proposer un truc qui foute les maxi-bubbles au ministère de l’Éducation. Tiens, j’y pense : ils ont supprimé les bourses au mérite à partir de 2014 : on n’a qu’à dire que nous, on les rétablit, genre dans un esprit de solidarité en-ces-temps-de-crise-que-nous-traversons. Du coup, non seulement on va avoir un max de pub gratuite dans la presse mais on va passer pour des gars modernes et sympas. J’ai déjà le slogan en tête, avec trois points d’exclamation : « Le site qui va te redonner du pouvoir d'achat et financer tes études ! ! ! »
— Ouais, enfin financer les études de dix étudiants maximum, parce que des étudiants il y en a plus de deux millions. On va quand même pas faire une œuvre de charité non plus. Et il faudra les obliger tous, dans le règlement du concours, à bien utiliser tous les services du site pour concourir. De toute façon, même si les étudiants votent, c’est nous qui déciderons qui gagne ou pas. Le mérite, on s’en fout un peu. Tout ce qu’on veut, c’est un max de trafic.
— Les losers vont râler quand même, non ? Ils auront mis leurs prises de notes gratos et n’auront rien pécho.
— Bah, on leur proposera des lots de consolation à pas cher, du genre tickets pour des matchs de foot ou places de cinéma, le tout fourni gratos par des partenaires commerciaux en échange de publicités ou de listings par exemple. Les vraies aides au logement ou les bourses aux livres, ça coûte trop cher de toute façon.
— Par contre les gars, je pense à un truc gênant. Si un étudiant propose les notes du cours mis en ligne par son prof ?
— Bah c’est parfait au contraire. Les pigeons auront le choix : la version gratuite et dégradée avec publicités, ou bien la version originale et payante. Dans tous les cas on gagne : on va devenir les Bill Gates de l'Hexagone : Fleur Pellerin va nous recevoir dans ses cabinets et on va remplacer Gilles Babinet comme digital champions..
— Excellent. Je propose que nous allions trinquer à notre premier million facile et à la santé du ministère de l’Éducation nationale !