Ou le meilleur des réseaux sociaux
Twitter nous a donné à la veille de Noël encore un bon exemple de ce que le numérique peut offrir de meilleur.
Après le hashtag (le mot-clef) antisémite #UnBonJuif, le hashtag raciste #AntiNoir, la twittosphère s’est emballée pour le hashtag homophobe #SiMonFilsEstGay, arrivé même en tête des tendances sans susciter la moindre réaction de Twitter, si ce n’est qu’il n’apparaît plus dans les trending topics, remplacé par #SiMaFilleRamèneUnNoir. Avec évidemment un déluge de tweets obscènes pour reprendre ce hashtag, voire de sympathiques appels au meurtre, le tout dans un français très approximatif.
Twitter, ce réseau très tendance, utilisé il y a peu par les technophiles et les journalistes comme un réseau professionnel plutôt confidentiel, s’est largement démocratisé ces deux dernières années. Les jeunes utilisent de plus en plus Twitter qui, à la différence de Facebook, autorise l’anonymat et n’impose pas la notion d’appartenance à une communauté réelle : les trois-quarts des utilisateurs ont entre 15 et 25 ans[1] et même un collégien sur cinq ou presque déclare avoir un compte Twitter[2]. L’anonymat conjugué à l’effet de groupe, qui met en quelque sorte à l’abri du nombre, aboutit nécessairement à ces graves dérives dans l’espace public : la parole est sans contrainte mais surtout ouverte à tous puisque l’immense majorité des comptes sont publics. Les tweets les plus homophobes sont d’ailleurs repris dans les médias nationaux, dans la presse ou à la télévision, pour la plus grande gloire de leurs auteurs, qui s’en félicitent ensuite sur Twitter, prolongeant encore ce joyeux effet d’émulation !
L’absence de modération sur Twitter et le caractère public de ce vaste réseau (près de 5 millions d’utilisateurs en France à ce jour) ne peuvent que conduire à ces graves dérives, amenées à se répéter régulièrement à l'avenir.
Dans ces conditions (l’absence de modération d’une entreprise commerciale dont les serveurs sont à l’étranger et s'abritent derrière le 1er amendement de la constitution américaine), doit-on se féliciter que l’Éducation Nationale fasse entrer les élèves, dès le primaire, dans l’arène de fous de ce réseau commersocial, où, entre deux tweets sponsorisés, la surenchère la plus décomplexée le dispute au racisme le plus nauséeux, où l’exposition narcissique illusoire le dispute à la vacuité du contenu ? Est-ce vraiment ce que l'innovation pédagogique par le numérique peut offrir de meilleur aux élèves ?
Doit-on fermer les yeux en invoquant les usages pédagogiques supposés sérieux de Twitter, ou encore l’éducation aux médias ou à l’Internet responsable, sous prétexte que le philosophe Michel Serres, dans Petite Poucette (2012) voit dans les réseaux dits « sociaux » la promesse d’un monde meilleur ?
Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi nouveau du mot « ami », avez-vous jamais réussi à rassembler des groupes si considérables que leur nombre approche celui des humains ? N’y a-t-il pas de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins les blesser d’abord ? Vous redoutez sans doute qu’à partir de ces tentatives apparaissent de nouvelles formes politiques qui balaient les précédentes, obsolètes. […] Nous ne voulons plus coaguler nos assemblées avec du sang. Le virtuel, au moins, évite ce charnel-là. Ne plus construire un collectif sur le massacre d’un autre et le sien propre, voilà notre avenir de vie face à votre histoire et vos politiques de mort. Ainsi parlait Petite Poucette, vive.
Passons sur cet angélisme et posons-nous la question : que peut bien apporter Twitter à l’école ? Quels sont ses intérêts pédagogiques concrets qu'on ne pourrait trouver ailleurs ? Nous n'en voyons aucun.
Et tôt ou tard, Twitter sera remplacé par autre chose.
La meilleure chose que l’école, qui doit veiller à rester au dessus du flux des choses, puisse faire de Twitter, c’est encore de l’ignorer.
Notes
[1] « An Exhaustive Study of Twitter Users Across the World », Beevolve, 10 octobre 2012.
[2] « Facebook et ses pratiques en collège et lycée », Enquête dans les collèges et lycées de l’académie de Dijon, avril 2012.