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Dans "Le Monde" (abonnés) du 17/11/24 : "L’épreuve anticipée de mathématiques, un nouveau casse-tête dans l’interminable réforme du bac"
Journée de mobilisation pour le droit à l’avortement
30 septembre 2024
Et si, à l’heure de l’Intelligence Artificielle, il s’agissait plus que jamais d’enseigner aux élèves l’art du tâtonnement, avec ses difficultés et ses plaisirs, plutôt que la quête de la réponse toute faite, avec ses facilités et ses erreurs ? Cette posture de recherche, progressive, créative, réactive, réflexive, c’est celle qu’ont transmise à leurs 4èmes, au collège Henri Matisse de Grand-Couronne, Claire Ridel, professeure de français, et Emilie Barbe, professeure-documentaliste. Les élèves ont été invités à mettre en images leurs représentations mentales de la patrimoniale nouvelle fantastique de Maupassant Le Horla. Leur travail d’illustration et d’interprétation montre combien l’Intelligence Artificielle peut favoriser l’intelligence sensible d’une œuvre littéraire. Il éclaire aussi combien l’art du prompt est un art de la lenteur, qu’il convient d’acquérir et donc de travailler.
Dans quel contexte ce projet autour de l’IA a-t-il été mené ?
Claire Ridel et Emilie Barbe – Lors de l’année scolaire 2023-2024, tout le collège Henri Matisse de Grand-Couronne a été mobilisé pour travailler sur la thématique du « Fleuve », grâce à un jumelage avec les musées littéraires de la Réunion des Musées de la Métropole de Rouen. C’est dans ce cadre que nos élèves de 4ème A se sont aventurés sur les eaux menaçantes de la Seine en lisant Le Horla de Maupassant. L’occasion pour toute la classe de découvrir comment l’Intelligence Artificielle peut mettre en images leur représentation mentale de l’œuvre, et de motiver un travail collaboratif qui prend place dans une exposition au mois de juin.
Le travail avec l’IA prolonge la lecture en classe de la nouvelle de Maupassant Le Horla : comment avez-vous aidé les élèves à comprendre la nature et le fonctionnement de l’IA ?
Claire Ridel – Ce travail se situe dans une démarche transdisciplinaire lettres / EMI. Nous sommes parties des représentations des élèves sur l’Intelligence Artificielle pour affiner leur point de vue, chasser des représentations erronées et apporter des connaissances nouvelles. Par exemple, l’idée de la « conscience » de l’IA et son anthropomorphisme sous forme de robot ont émergé dès le début de la séance, et ont donné lieu à un débat entre les élèves.
Emilie Barbe – Puis nous avons expliqué ce qu’était l’Intelligence artificielle, et nous avons surtout insisté sur ce qu’était un prompt. J’ai rédigé une synthèse, que nous avons mise à disposition des élèves dans l’ENT pour qu’ils puissent le consulter lors de la création des images.
Quels conseils de rédaction du prompt avez-vous donnés aux élèves ?
1er conseil : « Soyez précis. Plus votre description est précise, plus l’image générée sera proche de ce que vous imaginez. Par exemple, au lieu de dire « un chien », dites « un chiot golden retriever jouant dans un champ de fleurs. »
2ème conseil : « Utilisez des adjectifs. Les adjectifs aident à donner plus de détails à votre description. Par exemple, au lieu de dire « une maison », dites « une grande maison victorienne avec un jardin fleuri ».
3ème conseil : « Soyez créatif. L’IA est capable de générer des images à partir de descriptions très imaginatives. »
4ème conseil, le plus important : « reformulez plusieurs fois votre prompt afin d’obtenir le résultat souhaité et le plus proche de ce que vous avez en tête. »
Il n’est pas facile pour une enseignante de choisir l’outil IA approprié pour la classe : comment avez-vous abordé et résolu ce problème ?
Claire Ridel – Ce qui nous a semblé le plus important, c’est de choisir une IA qui respecte la vie privée de nos élèves, qui ne récolte pas leurs données.
J’ai fait quelques tests de mon côté, tandis qu’Emilie utilisait une autre IA. Bien que Stable Diffusion soit efficace, nous ne l’avons pas gardée car elle nécessitait un matériel performant et était en anglais, et le but de l’exercice était de travailler les compétences d’écriture et réécriture des élèves en français : nous l’avons donc écartée. Ensuite, j’ai laissé de côté l’IA Copilopt de Microsoft, qui était très performante, mais qui nécessitait une connexion avec un compte et proposait un nombre d’essais limité. Or, dans la perspective du tâtonnement qui était la mienne, il fallait laisser la place à l’erreur et à la correction sans avoir à se soucier d’un quelconque quota. Finalement, nous avons opté pour l’Intelligence Artificielle intégrée à l’application Canva : le nombre d’essais est important, la qualité très satisfaisante, et surtout nous disposons de comptes pour les élèves créés par Emilie, ce qui permet de ne pas demander d’inscriptions individuelles aux élèves.
Les élèves ont ainsi été invités à générer des images avec Canva pour donner à voir leur lecture de Maupassant : quelles ont été les consignes et modalités de ce travail ?
Claire Ridel – Mon idée était de dédier un temps de lecture silencieuse et personnelle, suivie par une prise de note qui l’était tout autant. Dans leur carnet de lecture, les élèves étaient invités à relever des indices dans le texte, et des citations éclairantes. Mais à cette moment-là du projet, je ne leur avais pas encore dit que nous utiliserions l’IA ! Ce qui s’est passé, c’est que les journaux de lecture étaient assez incomplets, mais nous les avons laissés en l’état. Nous avons alors fait une séance de présentation du projet, avec ce moment de métacognition dont je viens de parler, puis nous avons donné les consignes suivantes.
« Utiliser l’IA pour illustrer la nouvelle de Maupassant.
Les images produites devront : être dans le style « image conceptuelle » ; « respecter l’époque (19ème siècle) et le design du personnage défini en classe ; recopier dans la marge, en note, le prompt utilisé ; indiquer la date du journal dans le Horla ; être au format carte postale.
A chaque essai, vous collerez votre image dans le document et recopierez le prompt. Le but est de voir votre pensée devenir de plus en plus précise, et de voir l’amélioration de vos images. Créez autant de pages que de tentatives de création de l’image parfaite ! »
Nous avons montré les résultats de nos propres essais avec l’IA, les commandes que nous avions utilisées, et nous nous sommes donnés rendez-vous en salle informatique pour travailler sur la génération d’images pour illustrer la nouvelle de Maupassant. Chaque élève devait illustrer au moins deux dates du journal du Horla, que j’ai réparties au sein de la classe.
En quoi le travail sur le prompt vous semble-t-il particulièrement formateur ?
Claire Ridel – Lors des deux heures en salle informatique, les élèves se sont aperçus que le manque de précision de leurs notes de lecture les empêchait de générer des prompts suffisamment détaillés : il s’en est spontanément suivi un moment de retour au texte de Maupassant, de lecture plus fine à la recherches d’indices pour alimenter la rédaction du prompt. Les 4èmes se sont aussi rendus compte que recopier uniquement la citation prise dans le texte ne permettait pas d’obtenir une image correcte, qu’il fallait donner des précisions spatiales, temporelles, décrire le personnage pour obtenir sur l’écran l’image mentale qu’ils se faisaient du passage lu.
Pouvez-vous donner un exemple ?
On peut prendre l’exemple du travail de Marwa, particulièrement révélateur d’un travail de réécriture réussi. Elle devait illustrer le jour du 19 août, qui est le moment où le narrateur comprend que le Horla est originaire du Brésil, et qu’il prend la décision de le tuer. Le premier prompt qu’elle utilise est « un homme qui lit une revue et apprend quelque chose » : trop vague, pas de notation temporelle ni spatiale, elle décide de changer de prompt. Pour cela, elle opère des choix de plus en plus précis dans le vocabulaire et apporte davantage d’informations. « homme de 50 ans qui vient d’apprendre pourquoi il pensait être fou car un être invisible le suit en 1850 », va être réécrit plusieurs fois pour devenir finalement : « homme de 50 ans qui est dans sa chambre, en face de lui son vieux lit de chêne à colonnes, à droite sa cheminée, à gauche sa porte fermée et un miroir, au 19e siècle ». En affinant peu à peu sa pensée, en l’exprimant clairement et de façon précise, Marwa a vu se concrétiser sous ses yeux ses descriptions grâce à l’IA.
Comment récupérez-vous et partagez-vous les productions des élèves ?
Emilie Barbe – L’avantage de Canva est qu’il permet l’envoi des productions aux professeurs. Il suffisait aux élèves de cliquer et nous pouvions recevoir toutes les productions. Le partage se fera sous forme d’impression en couleur et fera partie de notre cabinet de curiosités.
Au final, quels vous semblent les plaisirs et intérêts d’un tel travail via l’IA de la littérature ?
Emilie Barbe – La majorité des élèves s’est investie dans l’activité et a pris du plaisir à questionner le rapport entre le texte de Maupassant et sa mise en image. L’un des intérêts est d’abord de se représenter mentalement l’œuvre puis de trouver les mots justes pour s’approprier le texte de Maupassant et le mettre en image, sans avoir besoin de technique en dessin ou en peinture. De plus, éduquer à l’IA et avec l’IA offre aux élèves la possibilité de s’éloigner des paniques morales liées à cette avancée technique ou d’écarter tout anthropomorphisme afin de voir l’IA comme un outil qui demande une certaine gymnastique intellectuelle.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
30 septembre 2024
Le Conseil Scientifique de l’Education Nationale (CSEN) publie une synthèse de la recherche dont l’enjeu, important, est de « rationaliser l’orthographe du français pour mieux l’enseigner ». Les « spécificités lexicales et grammaticales » de notre langue « rendent l’apprentissage de l’écriture bien plus difficile que celui de la lecture » : faut-il pour autant se contenter de lamentations sur la « baisse du niveau » ?
L’étude s’appuie sur l’évolution de l’orthographe française : s’il s’agit d’être fidèle à cette histoire, tumultueuse, il convient d’être fidèle à son esprit, celui d’« une longue réforme ». Les études quantitatives actuelles s’avèrent édifiantes : par exemple, « à l’école élémentaire, comme au collège, ou même postbac, les francophones sont peu sensibles, à l’oral comme à l’écrit, à l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir » ; cet accord qui « va à l’encontre de la règle générale : accord sujet-verbe » est « tombé en désuétude chez les adultes » ; « le non-accord n’est pas perçu comme une erreur ; en fait on ne le remarque pas du tout ».
D’où Liliane Sprenger-Charolles, Anne Abeillé et Bernard Cerquiglini, au nom du CSEN, recommandent en particulier de changer cette règle obsolète. « Il est en effet inutile de s’acharner à enseigner des orthographes maitrisées par une minorité de francophones. C’est entre autres le cas de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir et le complément antéposé. (…) Nous proposons une mesure simple qui reprend, en les généralisant, les arrêtés ministériels de 1901 et 1976 (toujours en vigueur) à propos de l’accord du participe passé : avec l’auxiliaire avoir, invariabilité du participe passé ; avec l’auxiliaire être, accord systématique avec le sujet. Ces deux choix libéreraient énormément de temps en classe, qui pourrait être consacré à des enseignements portant plus généralement sur la production écrite. » Rappelons que de nombreuses associations comme le Conseil international de la langue française, la Fédération internationale des professeurs de français ou encore l’AFEF demandent elles aussi que la règle soit modifiée en ces termes : « tout participe passé conjugué avec l’auxiliaire être (pronominal ou non) peut s’accorder avec le sujet et tout participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir peut rester invariable. »
Le rapport émet d’autres recommandations : utiliser surtout des mots réguliers au début de l’apprentissage de la langue ; focaliser l’enseignement de la morphologie du français sur les différences entre l’oral et l’écrit ; intégrer dans la formation enseignante une meilleure connaissance des statistiques pour saisir « ce que la majorité des enfants s’avèrent capables de maitriser au moins au milieu et à la fin du CP, puis à la fin des autres niveaux du primaire » ; mettre à disposition des manuels et livres « qui suivent au mieux l’orthographe rectifiée de 1990 aussi bien au niveau élémentaire qu’au collège ou au lycée » ; inciter « les éditeurs à éditer leurs publications en orthographe rectifiée ; créer une nouvelle commission susceptible de se lancer avec « une sage fermeté dans la poursuite des régularisations de l’orthographe française » Car, souligne le rapport, « l’orthographe du français comprend toujours de nombreuses incohérences qui n’ont pas été corrigées par l’Académie, notamment les doubles consonnes et les pluriels en x. Comme l’a rappelé Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie en présentant les Rectifications de 1990 au premier Ministre d’alors, Michel Rocard, la langue évolue et, disait-il, « il faudra recommencer le travail, dans trente ans, sinon même avant. »
S’il y a le feu, n’est-il pas urgent d’agir ?
Jean-Michel Le Baut
cafepedagogique.net/wp-content/uploads/2...Cafe-pedagogique.pdf
16 septembre 2024
Et si le travail de groupes se faisait jeu de rôles ? C’est la démarche originale tentée par Laurence Sladkowski au lycée Sévigné à Paris dans le cadre de l’étude en 2nde de la pièce « Médée ». Chaque groupe en étudie un acte, puis écrit et interprète une scène dans laquelle Corneille, entouré de ses comédiens, vient défendre sa pièce et son esthétique devant l’Académie française. Le bilan pédagogique de cette « dispute » littéraire s’avère fort positif : investissement des élèves, découverte de l’autre, mise en action des savoirs, travail de l’oral et de l’autonomie, prise de conscience que la littérature est aussi « une foire d’empoigne, qu’il faut se parfois se battre pour imposer ses idées, se quereller, qu’elle porte des coups « à l’estomac ». Inspirant ?
Vous avez lancé un défi original à vos 2ndes pour aborder la pièce Médée : en quoi a consisté exactement ce défi ?
Après lecture collective et étude de Médée de Corneille, en classe, il s’agissait de proposer aux élèves un jeu de rôle, plutôt que l’interprétation théâtrale d’un extrait. Leur défi consistait donc à se lancer dans l’écriture puis le jeu. De mon côté, le défi consistait à mobiliser la classe entière – une trentaine d’élèves – sur un seul texte, sans perdre de temps sur les apprentissages, en poursuivant les objectifs d’étude d’un texte théâtral. Il fallait trouver une formule efficace.
Pourquoi le choix d’un tel dispositif qui sort des sentiers battus du français au lycée ?
Réalisé en novembre, il s’agissait d’encourager le travail en groupe. Ces groupes ont été constitués par l’enseignant afin de favoriser les échanges entre élèves de Seconde, encore timides les uns vis-à-vis des autres. Mais surtout, il s’agissait de les rendre actifs, actifs dans la compréhension d’un texte assez ardu et pour cela, il fallait donc qu’ils se l’approprient. Enfin, ce jeu de rôle les oblige à écrire, autre compétence visée.
Ce jeu de rôle n’a rien à voir avec l’exercice de l’interprétation théâtrale lors de laquelle des élèves s’emparent d’un texte et le présentent à leurs camarades : je n’ai pas les talents d’un metteur en scène pour les guider au mieux, je n’ai pas le temps pour me consacrer à chaque groupe – que deviennent les autres ? – et de toute façon, ce n’était pas les compétences visées.
Quelles ont été les étapes, consignes, et modalités du travail préparatoire ?
D’abord lecture de la pièce en classe entière et attribution des 5 actes à étudier aux 5 groupes d’élèves constitués par l’enseignant.
Puis, par groupes de 5 ou 6, réponses par écrit des élèves aux questions posées par l’enseignant portant sur l’acte attribué et une scène en particulier, présentant un aspect spécifique. Par exemple, le groupe 1- acte 1 devait analyser les scènes d’exposition, tandis que le groupe 2 – acte 2 étudiait une scène de dialogue conflictuel, le groupe 3 – acte 3 une hypotypose (le surgissement de la grotte de Médée et ses sortilèges), etc.
Une fois l’étude faite par écrit, à l’aide de questions posées par l’enseignant et corrigées, approfondie par l’enseignant, le groupe devait en proposer une restitution non pas sous forme d’exposé, mais de scène jouée, réunissant des Académiciens se plaignant du non-respect des règles qui émergent à l’époque de Corneille, des comédiens défendant la théâtralité de leur jeu, et de Corneille exposant son point de vue, divergeant de celui des Académiciens. Un élève a pris aussi le rôle de machiniste pour défendre le caractère « spectaculaire » de la pièce puisqu’il s’agit d’une pièce à machine : Médée s’envole ainsi sur un dragon !
Comment se sont déroulées les prestations des élèves ?
Avec aisance : ils ont pris très au sérieux leur rôle, même quand celui-ci était minime. Peut-être ce sérieux est-il dû au fait qu’ils constituaient de petits groupes – cinq élèves en moyenne, je le rappelle – ce qui leur permettait à chacun d’« exister », même les plus timides, et donc d’être responsables de la saynète qu’ils allaient soumettre à leurs camarades.
Pour intéresser ceux qui ne jouaient pas au centre sur la « scène », un questionnaire leur avait été distribué qui leur demandait de bien saisir les enjeux de chaque prestation d’élèves : « Quels éléments impossibles à représenter sur scène Médée fait-elle surgir par ses paroles ? », « Par quel mot vos camarades ont-ils nommé ce procédé ? » …. Ils étaient assis aussi autour du groupe qui polémiquait au sujet de Médée.
Qu’ont pensé les élèves de cette expérience ?
Le film réalisé par l’équipe de l’académie de Paris témoigne du fait que les élèves ont beaucoup aimé. D’abord parce que cela changeait de leur quotidien scolaire, ensuite parce qu’ils étaient actifs en classe et enfin parce qu’il y avait la perspective d’une petite performance finale. Keren-Ann ajoute que, ce projet se situant en début d’année, lui a permis de découvrir de nouveaux camarades – comme je l’ai dit plus haut, j’avais imposé les équipes de travail -, ce qui a permis à la classe de mieux se connaitre, d’avoir une identité collective plus affirmée.
Quel bilan dresse de ce projet la professeure de lettres ?
Outre le réinvestissement de contenus pratiques, je retiens l’investissement et le dynamisme des élèves dans ce projet. A cette occasion, j’ai découvert aussi une classe plutôt autonome, ils étaient ravis de gérer leur travail entre eux, et ne recouraient à moi que lorsqu’ils rencontraient une difficulté. Je crois qu’ils ont apprécié cette confiance que je leur faisais, de travailler entre eux, sans moi, sauf si nécessaire.
Les groupes étaient aussi équilibrés de telle sorte que certains élèves étaient plus aptes que d’autres à insuffler une dynamique, à diriger leurs camarades, tandis que d’autres élèves apportaient un contenu théorique que les premiers ne possédaient pas forcément. D’autres élèves encore apportaient leur sensibilité sur les rôles qu’ils s’étaient choisis, surtout celui de Médée. J’ai été surprise, parfois non, par les rôles qu’ils s’attribuaient : des élèves muets, taciturnes, ne l’étaient finalement pas tant que ça.
Je souhaite aussi que les élèves aient saisi que la littérature n’est pas une affaire de reclus, retranchés dans une passivité éloignée de la société, mais qu’ils aient senti qu’elle est une foire d’empoigne, qu’il faut parfois se battre pour imposer ses idées, se quereller – et l’auteur du Cid en est un bel exemple – qu’elle porte des coups « à l’estomac ».
Et bien sûr, j’espère qu’ils ont mieux appréhendé les contenus théâtraux à acquérir.
Pourquoi le dispositif vous parait-il particulièrement adapté à la pièce Médée ?
Médée est une pièce pertinente pour une mise en scène polémique car elle se situe à un moment de tension dans l’histoire culturelle de la République des Lettres : une identité culturelle est justement en train de se construire de manière très consciente avec l’Académie, créée en 1636 alors que Médée est créée un an avant et relève encore et en partie d’une esthétique marquée par la cruauté : c’est l’histoire et l’explosion d’une sorcière bafouée qui s’exprime à travers le non-respect des règles sociales, à la manière de Médée qui refuse les règles de Créon, ou de Créon lui-même qui ne respecte pas les règles de l’hospitalité. Cette tension entre deux esthétiques va s’exprimer dans le dialogue rédigé par les élèves qui y trouvent plus de facilité à exprimer le conflit. A l’inverse, choisir un sujet sans tension rend compliquée l’écriture, qui risque d’être creuse et vaine.
Poser le regard des élèves sur cette période permet aussi de les rendre conscients qu’une langue, une littérature se construit aussi sur une volonté politique, et pas seulement sur une volonté individuelle, idée du génie humain et individuelle qu’ils attribuent souvent aux auteurs. Que la littérature participe à la politique culturelle d’une nation élargit la conception, souvent intimiste, que l’on se fait d’une œuvre.
Le dispositif vous parait-il cependant transférable ou adaptable ?
Du point de l’écriture, il se prête particulièrement au théâtre puisque ce dispositif encourage l’écriture de dialogues, base à la représentation. L’exercice est donc l’occasion de travailler les formes de l’interaction, la typographie, la répartition et l’avancée de la parole… Surtout, et concernant les œuvres les plus propices à ce type de travail, je pense qu’il faut trouver des œuvres comportant des sujets de tension : on pourrait à la fois mobiliser des pièces classiques où par exemple la tension entre le vraisemblable chez Phèdre est mis à mal par le surgissement fantastique du monstre, ou dans le drame romantique où les tenants du classicisme affronteraient les gilets rouges, ou encore la tension qui existe dans une pièce comme La Cantatrice Chauve où les tenants d’une écriture rationnelle et logique tiendraient tête aux défenseurs de l’absurde, que représente Ionesco.
Pourquoi pas aussi, mais en Spécialité Humanités Littérature et Philosophie (Terminale) et dans la perspective du chapitre « Arts, Ruptures et Continuités », se saisir de la querelle des Anciens et des Modernes ? On peut imaginer travailler sur le poème de Perrault, Le Siècle de Louis le Grand, osant affirmer que les poètes du règne de Louis XIV sont supérieurs aux Anciens. Fou furieux, Boileau claque la porte et réunit les grands auteurs : Racine, La Fontaine, La Bruyère (surtout que certains élèves l’ont étudié en Première), Bossuet, des « doctes » comme Madame Dacier. Mais Perrault est lui aussi bien entouré par Fontenelle, ainsi que par les femmes précieuses toutes lectrices du Mercure Galant….
Ou encore, pour ceux qui préparent Gargantua dans le cadre de la littérature d’idées (parcours : rire et savoir) de l’épreuve anticipée de français, pourquoi ne pas se saisir de La Défense et illustration de la langue française : là encore, en 1549, le jeune Du Bellay lâche un pamphlet dans la mare en condamnant tous les rimeurs qui l’ont précédé, ni plus ni moins que Marot et Villon, leur reprochant d’être restés prisonniers des formes héritées du Moyen-Âge : la riposte des vieux poètes français ne va pas tarder, qui reproche à Du Bellay « d’étranger la poésie » (Aneau, Le quintil horacien) en la réservant à une élite grécisée, latinisée, italianisée. Du Bellay lui répond en raillant « les écrits d’un petit magister, d’un conard, d’un badault ».
Les querelles abondent…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
« Je crois aux forces de l’écrit », proclamait le ministre de l’Education nationale en septembre 2023 : les jeunes ne l’ont pas attendu pour faire de l’écrit une pratique, intense, variée, authentique, plutôt qu’une profession de foi. C’est ce que démontre le rapport, passionnant et essentiel, de Christine Mongenot et Anne Cordier sur « Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIème siècle ». Est-il possible d’enfin prendre en considération les activités d’écriture de la jeune génération ? Est-il pensable que la vitalité de l’écriture réelle gagne l’Ecole elle-même ?
L’étude, rare, s’appuie sur une enquête quantitative conduite par Lecture Jeunesse auprès de 1 500 jeunes français âgés de 14 à 18 ans et un volet qualitatif constituée de 50 entretiens individuels. Elle établit que « loin d’éliminer les pratiques d’écriture, la possession très répandue de téléphones portables, la forte activité sur internet, la constitution d’une « technoculture » favorisant l’autoproduction de contenus et facilitant leur diffusion, le développement d’apprentissages scripturaux dits informels car réalisés hors du cadre scolaire, pourraient plutôt reconfigurer la culture graphique des adolescents ». Que fait l’Ecole de cette « culture graphique » des ados ?
« Nulla dies sine linea » (Pline l’Ancien)
Les ados n’écriraient plus ? Et passeraient leur temps à consommer passivement des vidéos sur internet ? En réalité, sur les 1 500 adolescent·es interrogé·es dans le cadre de l’étude quantitative, 59 % déclarent écrire tous les jours ou presque, 33 % disent écrire occasionnellement, seul·es 8 % considèrent n’avoir aucune pratique de l’écriture. « Au total, 92 % des jeunes ont une activité de scripteur déclarée. » La pratique de l’écriture s’avère massive et variée, encore plus si on élargit le champ à des modalités que la norme scolaire rend invisibles voire illégitimes : messages privés en ligne, mots d’amour et d’amitié, mails, SMS, publications sur les réseaux sociaux, liste de courses ou de choses à faire, mémos, articles de blog, transcriptions d’émotions, lettres, collectes d’informations, textes imaginaires (récit, nouvelle, poème, fanfiction), sketchs, brouillons pour publications en ligne, chansons, raps, poèmes, bd, mangas, scénarios de vidéos, articles de presse, reportages… Les jeunes du 21ème siècle exaucent majoritairement le souhait de Pline l’Ancien : « Nulla dies sine linea » (pas un jour sans une ligne).
Dans cet écosystème, la pratique des réseaux sociaux doit être par les adultes reconsidérée et revalorisée : « Les jeunes écrivant sur les réseaux sociaux écrivent plus que la moyenne sur tous les postes d’écriture : messages ou mots d’amour (+13 %), messages écrits à la main à des amis (+7 %), pensées sur tous supports (+7 %), émotions (+6 %), brouillons pour des publications sur les réseaux sociaux (+16 %), contenus sur un blog (+10 %) ou encore histoires et fanfictions (+6 %). »
Les chiffres ne manqueront pas d’étonner les adultes qui méconnaissent la créativité des ados : 39 % des jeunes écrivent occasionnellement ou régulièrement des paroles de chansons ou de rap, 43 % des histoires ou des fanfictions, près d’un jeune sur trois participe à l’écriture de traductions de mangas !
Les autrices notent d’ailleurs combien les jeunes tendent à occulter et déconsidérer leurs propres pratiques dès qu’elles sortent des normes scolaires : en matière d’écriture, l’Ecole fabrique aussi hélas de la mésestime de soi.
La guerre des claviers et des stylos n’aura pas lieu
Les ados n’écriraient plus que sur des supports numériques ? En réalité, l’écriture manuscrite est pratiquée et estimée : plus lente et plus complexe, elle est considérée comme l’écriture des « grandes occasions » ! La complémentarité des supports est clairement perçue : « Les jeunes enquêtés ne se revendiquent pas comme des adeptes radicaux d’une modernité technologique, mais usent alternativement des différents formats à leur disposition, en distinguant assez clairement leurs intérêts respectifs. »
Se construit alors la conscience des exigences propres à chaque pratique langagière en fonction du support, du destinataire ou de la forme : « Je me rends compte que quand j’écris des messages, j’ai tendance à faire des fautes. J’ai toujours eu un bon niveau en français, mais quand j’écris par SMS, je ne fais pas attention, j’essaie d’aller au plus vite, avec des abréviations, tout ce que je ne fais pas quand j’écris pour mes livres. » (Tia, 16 ans). La capacité à passer d’un français à l’autre ne seraut-elle pas une nouvelle compétence, à travailler ?
La technologie est perçue comme une aide par celles et ceux qui éprouvent des difficultés de lisibilité ou d’orthographe : « Le dispositif numérique apparait comme une véritable prothèse cognitive qui vient soutenir l’activité scripturale, particulièrement chez les élèves scolarisés en section professionnelle de l’échantillon qui, tous, affirment leur préférence pour l’écriture numérique. Les adolescents atteints de troubles dyslexiques et/ou dysorthographiques rejoignent cette conception de l’écriture numérique comme facilitatrice du geste et de la pratique d’écriture. »
L’écriture informelle de travail
Les ados écriraient sans réfléchir ? En réalité, la pratique du brouillon est fort répandue : selon l’enquête quantitative, le brouillon, notamment celui préparant une publication sur les réseaux sociaux, est pratiqué par 1 ado sur 2. Les jeunes « recourent très fréquemment à l’application « Notes » de leurs smartphones » et l’utilisent « comme une véritable antichambre organisationnelle » pour des brouillons mobiles : « « J’ai mis dans les notes tous les livres que j’ai lus en 2022, une liste de livres à continuer, et puis aussi des idées d’histoires… J’ai aussi les comptes d’argent parce que j’ai de l’argent de poche de mon anniversaire qu’on m’a donné…Il y aussi une liste de trucs à emporter pour les vacances, bon en fait, il y a plein de trucs quoi ! » (Magdalena, 16 ans,)
Il apparait d’ailleurs que l’écriture créative génère exigence et travail peut-être encore plus que la rédaction scolaire traditionnelle : « Pour l’écriture des poèmes, ça se passe en trois temps. Le premier, j’écris vraiment que des petits mots, des idées qui me passent par la tête. Ensuite, au brouillon toujours, j’essaie de les assembler, mais sans y mettre la forme, à ce moment, je ne fais pas vraiment attention à la syntaxe ou à la grammaire. Et par contre, quand je repasse sur mon téléphone, là je fais attention à mes fautes, à comment je vais écrire quoi, à quel endroit. Enfin, je m’applique à stabiliser le texte, qu’il me plaise, qu’il soit comme je le souhaite bien. » (Faustine, 16 ans).
La publication elle-même n’est pas spontanée et impulsive comme on le croit. L’application Notes « fonctionne comme un espace privilégié du pré-écrit, du texte que l’on laisse en quelque sorte « reposer », avant de le publiciser, que l’on pense et refaçonne parce qu’il revêt une grande importance et doit être « réussi » ou encore, que l’on « mijote » avec soin dans l’attente d’un effet surprise à créer chez le destinataire. » Sur les réseaux eux-mêmes, la publication est le fruit d’un patient travail de conception et d’intention : « Le récit par Lili, 15 ans, de la publication de ses stories illustre l’engagement réflexif qui est le sien, le temps consacré aussi à l’élaboration de la publication, laquelle passe par une phase de brouillon avant d’être mise à disposition des autres. C’est que Lili conçoit avec beaucoup de sérieux cette activité scripturale, consciente de s’inscrire dans un rite interactionnel amical ».
Des inégalités structurelles
Les ados seraient tous et toutes à mettre dans le même sac ? En réalité, il y a des différences entre les filles et les garçons, moins par la fréquence des activités d’écriture que par leurs fonctions et formes : l’écart est « particulièrement saillant pour l’écriture émotionnelle, que les filles sont 70 % à dire pratiquer, contre 54 % pour les garçons », 70 % des adolescentes interrogées disent tenir ou avoir tenu un journal intime contre 52 % des garçons, les filles témoignent d’un intérêt plus fort pour la dimension esthétique de l’écriture tandis que les garçons disent mettre davantage l’écriture au service de la compétence technique. Les témoignages souffrent, on le voit, des biais que sont les stéréotypes de genre : ils éclairent aussi « l’influence des normes et modèles sociaux largement intégrés par les adolescents ». L’artistique et le relationnel pour les unes versus la technique et le fonctionnel pour les autres : à nous, pédagogues, de brouiller les cartes du jeu des genres ?
Les inégalités sont aussi sociales : par exemple, « les 8 % de jeunes qui se déclarent a priori non-scripteurs sont les adolescents qui déclarent ne pas voir écrire leurs parents, ceux-ci étant non diplômés ou inactifs ». La visibilisation des pratiques d’écriture parentales apparait essentielle. De même que la valorisation des écrits dans la sphère familiale : « Ils trouvent ça drôle aussi de garder les histoires qu’on avait écrites quand on était petites » (Lalie, 15 ans), « Avec mon frère, on montre à notre maman nos carnets de voyage, elle aime bien regarder ce qu’on fait, on discute de ce qu’on écrit. » (Blanche, 16 ans).
L’écriture est un partage
L’écriture serait une activité solitaire ? En réalité, à rebours de la culture scolaire, celle de la copie ou du cahier, dans le monde réel, le plus souvent on écrit à, pour, avec ou devant autrui. « Parmi les adolescents qui écrivent en dehors du cadre scolaire (soit 89 % des enquêtés), seuls 38 % n’ont jamais partagé aucun écrit. La circulation de l’écrit est donc répandue, qu’elle se manifeste par un partage avec les proches (37 %) ou une publication sur un réseau social (26 %), une plateforme d’écriture en ligne de type Wattpad ou Plume d’argent (9 %) ou encore un blog (8 %). » Le choix de partager en cercle restreint ou ouvert, en mode privé ou public, apparait murement réfléchi : s’exerce ici une grande vigilance tant il y a conscience des risques que peut présenter l’exposition de soi et « constant besoin de réassurance ». En matière de publication, les jeunes manifestent de la prudence, de l’intelligence proactive, comme le rappelle Dominique Cardon : « l’identité numérique est moins un dévoilement qu’une projection de soi. Les utilisateurs produisent leur visibilité à travers un jeu de masques, de filtres ou de sélection de facettes ». D’ailleurs, sur un réseau social, les ados ont souvent plusieurs comptes avec des paramétrages différents pour jouer sur le clavier de l’extimité entre public, privé et intime.
On notera l’importance prise par l’écriture collaborative. Par exemple, « Esther pratique intensément quotidiennement une écriture fictionnelle à plusieurs voix qui se déploie sur le smartphone de ses camarades et sur le sien, à travers des applications de messagerie instantanée» (Esther, 17 ans). Ou encore Nicolas auteur de rap pour un ami : « J’écris le texte, il me donne ses retours instantanément et on travaille à deux pour essayer de trouver un terrain d’entente. Être deux cerveaux, c’est bien, l’un pense à une chose, l’autre à une autre, surtout quand tu connais bien la personne, ça crée vraiment quelque chose de spécial. Là, vu que c’est mon frère, ça fait un beau mélange. » (Nicolas, 18 ans).
La guerre de l’Ecole et de l’écriture aura-t-elle lieu ?
Dans la société numérique, l’Ecole serait devenue impuissante et inutile ? En réalité, les attentes des jeunes sont particulièrement fortes à son égard. Les non-scripteurs ont « besoin de soutien dans le processus d’acculturation à l’écrit », en particulier celui des enseignant·es quand celui des parents est défaillant. Les ados, « loin de refuser le regard de ces adultes, réclament plutôt que celui-ci se déplace – notamment de l’évaluation formelle vers la prise en compte des contenus – et attendent des médiateurs aide et conseils ».
Et si l’Ecole cessait de faire écrire les élèves essentiellement selon des formats qu’elle a elle-même normés et qui n’ont guère d’existence IRL, in real life, dans cette vie réelle qui est désormais aussi une vie numérique ? Et si l’Ecole cessait de faire écrire les élèves essentiellement en situation d’évaluation pour enfin privilégier l’écriture de travail et exploiter tout le champ des possibles ? Quand l’écrit est partagé, quand le regard enseignant cesse de rejeter les pratiques informelles jugées illégitimes, quand il « ne se limite pas à sanctionner les savoirs de l’écrit non maîtrisés, les adolescents soulignent le plaisir d’écrire dans le cadre scolaire, se déclarent aussi demandeurs d’apprentissages pour progresser et reconnaissants lorsqu’ils en bénéficient. » Le rapport suggère par exemple d’intégrer davantage à l’Ecole « les écritures fictionnelles à caractère plus ou moins littéraire (récits, dialogues, scénarios…) » tant elles sont plébiscitées ou encore des pratiques d’écriture engageant la réflexion des élèves sur des sujets contemporains.
Et si l’Ecole cessait de donner aux élèves l’impression que l’écriture est uniquement l’affaire du français ? Le constat est désolant : « quand les élèves « parlent d’écriture en dehors de la discipline « français », ils ne mentionnent en général que des situations de réception (copie, cours pris en dictée) et pratiquement jamais des écrits relevant d’une production (résumé à construire en histoire, compte-rendu d’expérience en sciences, résolution de problème en mathématiques…). »
Et si l’Ecole reliait activités de lecture et d’écriture au lieu de les séparer et hiérarchiser ? En la matière pèsent des traditions qui ont longtemps fait de la lecture une priorité : il s’agissait d’enseigner massivement « le lire-réciter, l’écrire-compter restant, lui, réservé à une minorité qui devra prendre la plume » ; le français au lycée demeure encore prisonnier d’une culture de la glose ; le « littéraire » est jugé au-dessus de la « littératie », avec les conséquences que l’on sait sur les résultats de nos élèves dans les enquêtes internationales. Or, désormais, « en pratique, lecture et écriture se distinguent peu lorsque l’on est sur écran. » Et même, « c’est plutôt l’écriture, inscrite dans un contexte communicationnel très fort qui semble engager les pratiques de lecture : c’est parce qu’ils « écrivent à » leur(s) pair(s) pour maintenir un lien – souvent amical – que les adolescents se retrouvent engagés dans la lecture des messages en retour, des écrits produits par leurs interlocuteurs ou d’autres contenus que ceux-ci partagent avec eux ».
Déployer enfin à l’Ecole « les forces de l’écrit »
Ecriture codifiée, mécanique, impersonnelle, sous contrainte, avec des attendus insuffisamment explicites… : les jugements portés par les jeunes sur les écrits scolaires sont sévères et édifiants. Les pratiques informelles appellent bel et bien au déploiement de nouvelles pratiques scolaires, en particulier de lecture-écriture : le rapport évoque « l’annotation manuscrite spontanée de textes lus (…) comme un travail de retour sur soi du lecteur » ; la recherche invite à de multiples et fécondes articulations (journal de lecture, cahier d’écriture, écrits d’appropriation ou d’intervention, réécritures transmédiatiques, fanfictions littéraires …). L’étude invite à développer ces pratiques que tendent hélas à étouffer ou éliminer les programmes et les épreuves du français au lycée et auxquelles aspirent celles et ceux qui sortent du collège : « Depuis que je suis arrivé au lycée, il n’y a plus de poésie ou de rédaction, c’est plus des dissertations ou des explications de textes, ce n’est plus la même chose. » (Jérôme, 16 ans), « Au collège, ce qu’on faisait en écriture c’était vraiment cool je trouve, comparé au lycée où ça l’est moins […]. On avait énormément de rédactions personnelles au collège, […] au lycée, il n’y a plus rien de personnel. Je trouve qu’il y a moins de soi là-dedans » (Esther, 17 ans).
Le rapport nous adresse ainsi de fortes invitations : cesser de mépriser les jeunes et d’ignorer leur culture de l’écrit, transformer nos imaginaires et nos programmes, diversifier nos activités, dispositifs, supports et formats, faire évoluer la didactique de l’écriture. Cela « implique que les enseignants soient formés pour se détacher de réflexes acquis, en partie issus de leur propre passé scolaire, pour adopter un nouveau regard quant aux productions écrites de leurs élèves, et pour fournir aux adolescents en même temps qu’une aide à la réécriture, la motivation pour s’y investir. Il y a donc là un très fort enjeu si l’on fait l’hypothèse légitime que les représentations que les adolescents se font de l’écriture déterminent le niveau et la qualité de leur engagement dans ses différentes pratiques, et donc leur construction comme sujet-scripteur destiné à prendre toute sa place dans la cité. »
« Ciel les ados écrivent ! » Puissent les adultes dépasser leur surprise pour s’efforcer de connaître et reconnaître leurs pratiques. Puisse l’Ecole dépasser ses ignorances et ses peurs pour oser avec les élèves de nouvelles expériences langagières et ainsi fortifier leur emprise sur les mots et le monde. Puisse le ministère, s’il souhaite redonner de la vigueur à l’écriture au sein même de l’Ecole, lire le rapport de Christine Mongenot et Anne Cordier, entendre leur appel et s’en inspirer.
Car « les forces de l’écrit », ce sont bien les ados. Les forces vives.
Jean-Michel Le Baut
« Les adolescents et leurs pratiques de l’écriture au XXIe siècle : nouveaux pouvoirs de l’écriture ? »
Rapport d’étude par Christine Mongenot, chargée de mission scientifique Lecture Jeunesse, et Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication, Observatoire de la jeunesse, du sport, de la vie associative et de l’éducation populaire, novembre 2023
Rapport en ligne sur le site de l’INJEP
Pour info : colloque autour de l’enquête organisé par Lecture Jeunesse le 12 décembre 2023 à la Maison de la Poésie à Paris.
www.cafepedagogique.net/2023/09/22/domin...ointe-m-le-ministre/
Sur "Madmoizelle" du 15/10/22 : "L’école est-elle oppressive ?"
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Dans le "Café pédagogique" du 23/01/23 : "Yuna Visentin : Vers une École de l’émancipation ?"
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Sur "Télérama" du 29/11/22 : "Sur YouTube : “Les jeunes ne lisent plus”... vraiment ?"
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Dans le "Café pédagogique" du 17/10/22 : "Audrey Lorre : Classe investigation sur une œuvre"
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Et, après une remarque du président de la République (souhaitant par ailleurs instaurer le recrutement local), cet article sur "France Inter" du 4/4/22 : "Dans l'Éducation nationale, les mutations quasiment au point mort"
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Un corpus nouveau est en train d’apparaître sur Internet, constitué de capsules vidéo, qui entrecroisent divers systèmes sémiotiques et médiatiques, pour donner naissance à de nouvelles formes d’expression littéraire. La page Facebook du groupe « Vidéo-écriture » le revendique avec fermeté : « La littérature s’écrit aussi en vidéo sur des chaînes YouTube ». Nommons LittéraTube un tel corpus qui constitue un écosystème littéraire évolutif et inédit. Y figurent des contenus nativement numériques et « YouTubéens », c’est-à-dire pensés et créés pour être mis à disposition d’un public d’internautes usagers du site, ou des contenus provenant d’autres médias (TV, radio, captations[4]) et désormais remédiatisés sur cette plateforme hégémonique. La LittéraTube revendique une littérarité non logocentrée qui la place au cœur des enjeux contemporains de redéfinition en acte du littéraire par la littérature numérique et l’inscrit dans le mouvement d’une littérature contextuelle ou exposée, qui « débord[e] le cadre du livre et le geste d’écriture »
Il y a même eu une journée d'étude "La #LitteraTube: une nouvelle écriture?", organisée par Florence Thérond (Rirra21, Montpellier 3) et Gilles Bonnet (Marge, @UJML) en 2019.
Et, cette nouvelle forme d'écriture étant à peine apparu, on peut d'ores et déjà l'appliquer dans les classes avec des "vidéopoèmes" :
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Et le 28/11/22 dans le "Café" : "Françoise Cahen : Une forme innovante : le vidéopoème"
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Et le 18/02/22 la courageuse tribune de chefs d'établissements pour soutenir une réforme voulue par le rectorat : "Sortons les lycées Henri-IV et Louis-le-Grand de l’entre-soi social et géographique !"
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Où l'on voit que la pandémie libère les comportements scolaires consuméristes, voire les velléités managériales des parents. Curieusement, ces parents, qui voudraient que les enseignants se dédoublent pour tous les élèves, semblent incapables eux-mêmes de télétravailler avec leur propre enfant..."Certains [enseignants] sont plus engagés que d’autres, comme c’était le cas pendant les confinements".
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Voir aussi : www.lefigaro.fr/actualite-france/a-paris...ees-d-elite-20210624
Les résultats d'Affelnet Paris, dont les règles ont été totalement changées en pleine pandémie, au dernier moment, sont en train de tomber et ils semblent sont délirants : d'excellents dossiers sans affectation ou affectés sur des vœux très secondaires, des différences de traitement dans le même collège (à meilleur dossier non obtention du même premier vœu) etc. Difficile de savoir dans quelle mesure l'ouverture au privé influe sur ce chaos.
Le but est très clairement qu'il n'y ait plus de bons lycées (dans le public). Évidemment, les bons lycées font apparaître les écarts de niveau scolaire entre les collèges : alors, au lieu de traiter ce problème, un algorithme permet de le rendre invisible. Résultats : les familles qui ont fait le choix du public sont désormais horrifiées d'avoir fait ce choix.
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Et : "Comment Parcoursup refaçonne la sélection à l’entrée des grandes écoles"
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Tribune à la fois d'une impitoyable justesse sur le mensonge de plus en plus généralisé du niveau scolaire... et d'une hypocrisie pitoyable sur l'injustice d'une orientation sélective. Sciences-Po pour tous ?