L'affectation informatique post-bac en question
Un code source qui n'est pas rendu public rendu public : comment ne pas s'interroger sur cette procédure d'affectation informatisée dans le Supérieur ?
À l’occasion de la conférence de presse sur la rentrée universitaire, la ministre de l’Éducation nationale vient de confirmer que le code source d’Admission Post-Bac (APB), le programme qui affecte les élèves dans le supérieur, ne sera pas rendu public.
De nombreuses questions se posent, en effet, sur la procédure automatisée, comme le flou sur le tirage au sort dans les filières sous tension, les critères pour les filières sélectives ou encore la possibilité pour les administrateurs d’intervenir à discrétion dans l’affectation.
Une transparence… vite évanouie
Un tel refus est d’autant plus étonnant qu’en 2015, face aux inquiétudes croissantes des élèves, le ministère se voulait rassurant : « On n’est pas en train de cacher un scandale panaméen ». Thierry Mandon, secrétaire d’Etat en charge de l’Enseignement supérieur, avait même promis, non sans ironie : « Nous allons donc dévoiler l’un des secrets défense les mieux gardés : l’algorithme d’APB ! »
Malheureusement l’annonce n’a pas été suivie d’effet. Une association de lycéens s’est donc constituée en 2016 pour demander la transparence sur l’algorithme qui détermine chaque année les destins scolaires de centaines de milliers de futurs étudiants. De nouveau, le ministère de l’Éducation nationale s’est engagé à « dégonfler les fantasmes ». Mais plus question désormais de publier le code source « qui ne sert à rien sans la base de données sur les élèves, confidentielle, qui va avec ». Et le ministère d’ajouter que « le langage algorithmique est incompréhensible pour les non initiés. »
De fait, ce n’est qu’après la clôture des vœux en 2016 que le ministère a enfin publié non pas le code source d’APB mais une brève infographie de deux pages résumant ses grands principes. Le ministère a expliqué ce choix « par des raisons de sécurité, afin d’éviter les attaques informatiques », mais aussi de nouveau « par souci de compréhension, le code source faisant 250 pages de lignes de codes incompréhensibles ». L’association « Droits des lycéens » a estimé − avec raison − que cette publication était insuffisante. Dans une tribune, l’économiste Thomas Piketty a dénoncé « l’opacité sur les critères d’affectation des bacheliers dans le supérieur » : Najat Vallaud-Belkacem a aussitôt annoncé un audit du dispositif APB par les inspections générales.
La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) vient, quant à elle, de donner raison à « Droits des lycéens » : mais la ministre a réaffirmé que le code source d’APB ne peut pas être publié, au motif qu’il contiendrait interface et données personnelles des étudiants. Une nouvelle explication technique qui ne laisse pas d’étonner : un peu comme si un architecte refusait de communiquer le plan d’un immeuble au motif qu’il serait habité.
Un exemple d'illusion techniciste
En réalité, l’algorithme d’APB est un bon exemple d’illusion techniciste.
D’abord parce qu’il convertit en questions techniques (avec toute l’opacité que cela suppose) des choix qui devraient avant tout être politiques : ici, de nouvelles modalités de sélection non-dites dans le supérieur, quand précisément les effectifs universitaires atteignent des records. La croissance démographique, la proportion record d’une génération obtenant le bac, la poursuite d’études supérieures de plus en plus fréquente après la voie professionnelle expliquent en grande partie une explosion subie, et qui ne fait que commencer.
Ensuite parce que cet algorithme nous promet un traitement informatique, c’est-à-dire complexe mais automatique, rapide, objectif. Parfait, en somme, et donc incontestable. Or l’obstination du ministère à ne pas dévoiler ce code source constitue bien l’aveu qu’un programme informatique reste une œuvre humaine : avec ses choix, ses failles et sa subjectivité.
Le traitement informatique ne peut évidemment pas apporter de solution à tous nos problèmes, il ne peut pas penser pour nous. Bien au contraire : dans de nombreux cas, c’est plutôt lui qui mérite d’être pensé, dans ses principes, dans son fonctionnement ou dans ses effets, voulus ou non voulus.
Le plus étonnant dans ce refus de publier le code source APB ? C'est que les mêmes responsables politiques qui promeuvent depuis plusieurs années l'émancipation des élèves par l'apprentissage du code informatique font ici la démonstration… qu'ils ne la souhaitent pas !