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"La grande... et la petite Histoire - L'impartialité de Claude Lelièvre"
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Voir ce post : www.laviemoderne.net/veille/les-nouveaux...-l-ecole/21501#21501
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Remettre en cause le paradigme sur lequel s’est construite l’école républicaine (« plus pour des raisons politiques que pédagogiques », rappelle l’historien de l’éducation Claude Lelièvre) heurte la culture scolaire. « Sous Jules Ferry, un enseignant face à une même classe d’élèves qui font tous la même chose en même temps, c’est la garantie que l’appartenance au groupe l’emporte sur l’individu », souligne l’historien. Ce modèle dit « simultané », héritier des écoles chrétiennes de Jean-Baptiste de La Salle, n’a pas pour finalité d’émanciper la jeunesse.
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Il faut aussi rappeler qu’en 1910 déjà, un enseignant français gagnait deux fois moins qu’en Alsace-Lorraine, alors partie intégrante de l’empire allemand. Mais, en fin de carrière, un agrégé gagnait quatre fois plus qu’un instituteur. Aujourd’hui, il gagne une fois et demie plus. C’est moins, mais ces différences ne sont pas anodines. Il y a, dans le monde enseignant, une noblesse et un tiers état ».
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L’École républicaine ou l’histoire manipulée
Une dérive réactionnaire
14.00€
Le présent ouvrage a recours à l’histoire, mais à une histoire précise et documentée – qui prend souvent le contre-pied des nombreuses représentations fantasmées du passé qui ont envahi l’espace public, portées d’ailleurs par des responsables de premier plan et des essayistes renommés. À les croire et à les suivre, nous allons au-delà des fakes news, pour entrer dans le temps triste et nauséabond de l’histoire manipulée.
Le débat sur l’École sert une stratégie dont les réactionnaires choisissent l’agenda et les thèmes, repris en chœur, sans distance critique ni attention aux faits, par la plupart des médias.
Les termes de « République » et de « républicain » se trouvent aujourd’hui invoqués souvent hors de propos pour défendre des réformes ou des attitudes qui sont en réalité des héritages monarchiques et impériaux. On assiste à la multiplication des glissements de sens incontrôlés, voire à des nombreuses inversions de sens. Ainsi pour le Baccalauréat, l’agrégation, le concours général, la liberté pédagogique… La liste est longue. Opposer « Républicains » et « pédagogues » est même devenu le mantra à la mode alors qu’il s’agit, là encore, d’une grossière erreur historique.
Lorsqu’au nom des lumières, ce sont l’anathème et l’ignorance qui sont enseignés, la démocratie est en danger.
Dans cet ouvrage incisif, souvent surprenant, toujours érudit et toujours accessible, Claude Lelièvre, l’un de nos plus grands historiens de l’éducation, fait œuvre de savant et dérange allègrement bien des certitudes et des fausses évidences. Il démasque ainsi une des manipulations les plus puissantes de notre époque et restitue à l’école républicaine son vrai visage, travail nécessaire et préalable si l’on veut construire une école enfin conforme aux enjeux démocratiques d’aujourd’hui et de demain.
Claude Lelièvre est historien de l’éducation, professeur honoraire à l’université de Paris V, auteur d’une vingtaine d’ouvrages. Il tient le blog « Histoire et politique scolaire » sur le site Médiapart.
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- 27 mars 2015 : "Les langues anciennes peuvent avoir un avenir »
27 mars 2015 | Par claude lelièvre
C'est du moins ce qui apparaît à partir de la deuxième grille horaire qui vient d'être proposée par le ministère dans le cadre de la réforme du collège. A vrai dire, à chaque importante réforme de l'enseignement secondaire, ce que l'on appelait jadis les'' langues mortes'' se sont senties menacées voire en ''sursis''.
Cela tient à leur longue histoire, où les lettres classiques ont d'abord été hégémoniques dans le secondaire au XIXème siècle, puis ensuite simplement dominantes depuis la réforme de 1902 permettant une voie ''moderne'' jusqu'aux années 1960 (à partir desquelles la domination des mathématiques et des sciences a commencé à l'emporter sur elles).
Il faut aussi mesurer leur ''originalité'' dans le ''monde du secondaire'' actuel. La ''doxa'' majoritaire est d'affirmer que les professeurs du secondaire doivent être ''monovalents'' (enseigner une seule discipline), voire de brocarder les projets de ''bivalence'' (enseigner deux disciplines). Mais les professeurs de lettres classiques sont ''trivalents'' ( français, latin, grec ) et y tiennent.
Ainsi, en juillet 2011 (sous le ministère de Luc Chatel) , vingt membres du jury du CAPES de Lettres classiques ont démissionné en déplorant « le passage de 3 à 2 épreuves d'admissibilité qui représente pour ce CAPES pluridisciplinaire un préjudice considérable dans l'évaluation équitable de la triple compétence, en français, en latin et en grec, des futurs professeurs de langues anciennes ».
Ils ont dit « compétence » dans un monde du secondaire où il arrive fréquemment d'opposer « connaissances » et « compétences » , voire de s'en prendre à la légitimité même de la notion de « compétence ». Mais c'est là encore l'effet de la longue histoire des « lettres classiques » » et de leur originalité . Sur ce point, elle commence nettement dès les débuts de la troisième République.
On peut citer en particulier à ce sujet l'un des grands idéologues de l'Ecole républicaine, Michel Bréal : «le profit inestimable qui réside dans l’étude d’une langue morte, c’est qu’elle dépayse l’esprit et l’oblige à entrer dans une autre manière de penser et de parler. Chaque construction, chaque règle grammaticale qui s’éloigne de l’usage de notre langue, doit être pour l’élève une occasion de réfléchir. La tâche du maître n’est donc pas d’écarter les difficultés de la route, mais seulement de les disposer de façon méthodique et graduée. Il ne s’agit pas d’abréger le chemin, car c’est le chemin qui est en quelque sorte la fin qu’on se propose ».
La vraie question n’est pas dès lors de savoir si les bacheliers sont forts en latin, mais s’ils ont exercé leur intelligence et profité du maniement d’une méthode. Ce qui compte, ce n’est pas le résultat en termes de ‘’connaissances’’ (savoir le latin, du latin), mais le parcours ( le bon chemin, « methodos » en grec ). Et cette conception débouchera finalement sur une formule promise à un grand succès, celle attribuée à Edouard Herriot dans l’entre-deux–guerres : « la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et à l'affirmation concomitante qu' « il n'y a nul besoin de connaître le latin : il suffit de l'avoir appris ».
Dans la nouvelle grille horaire que vient de proposer le ministère dans le cadre de la réforme du collège figure un « enseignement de complément » de langues anciennes à raison d'une heure en 5ème et 2 heures en 4ème et 3ème. « C'est certes moins en soi que les horaires actuels » admet le ministère, mais les langues anciennes seront prises en compte aussi dans le programme de français comme constitutives de notre langue. Dans le socle, une phrase marquera que les élèves sont « sensibilisés aux origines latines » de la langue. Au total, pour le ministère, cela permettra de répondre aux attentes des enseignants tout en luttant contre l'utilisation des langues anciennes dans les stratégies d'établissement en les offrant à tous.
Et cela d'autant plus que les élèves pourront compléter avec l'un des EPI ( enseignements pratiques interdisciplinaires), celui des « Langues et cultures de l'Antiquité ». Or, comme le remarque François Jarreau dans l'Expresso du 26 mars du site « Le Café pédagogique », « en passant du latin aux ''langues et cultures de l'Antiquité'', les professeurs de langues anciennes ont changé leur façon d'enseigner », et sont souvent, de fait, parmi ceux qui sont dans la ligne « des nouvelles façons d'enseigner demandées par la ministre » : c'est souvent là que « se manifestent le plus d'initiatives et de génie pédagogiques »
- 27 mars 2015 : De la culture intensive à la culture extensive du latin
Au XIX° siècle, le latin occupe le quart des horaires d’enseignement de la sixième à la terminale, mais ne concerne qu’environ 1% d’une classe d’âge. Au XXI° siècle, les horaires dévolus au latin sont nettement moins importants, et les cursus moins longs. Mais cela concerne près d’un quart d’une classe d’âge au niveau de la deuxième moitié du premier cycle du second degré. La réforme du collège devrait poursuivre cette évolution, voire l’amplifier.
Au milieu du XIX° siècle, dans l’enseignement secondaire classique (le seul secondaire qui existe alors, réservé de fait à moins de 1% des garçons), un lycéen, en suivant un cursus complet de la sixième à la terminale, passe 40% de son temps en latin et grec (deux fois plus en latin qu’en grec) , 13% en français, 11% en histoire-géographie, 11% en mathématiques et en sciences, 8% en langue vivante. Le professeur de lettres classiques (latin-grec-français) se taille la part du lion (d’autant qu’il assure le plus souvent aussi des enseignements d’histoire et de philosophie). C’est la « star » entourée des starlettes maigrelettes des autres disciplines.
Des moments cruciaux jalonnent le recul progressif et plus que séculaire du latin dans les cursus du secondaire.
En 1880, Jules Ferry reporte le début de l’apprentissage du latin à la classe de sixième, alors qu’auparavant son enseignement commençait deux ans plus tôt, dès les classes élémentaires des lycées et collèges.
La réforme de 1902 (sous un gouvernement de »gauche républicaine ») institue « la diversification de la culture secondaire normale » . Après un premier cycle classique (où le grec est introduit à titre facultatif en quatrième et troisième), trois sections se distinguent en seconde : une section latin-grec (A), une section latin-langues (, une section latin-sciences (C) ; mais il existe désormais en outre une section moderne dite langue-sciences (D) qui succède, elle, à un premier cycle sans latin. Léon Bérard (ministre de l’Instruction publique dans un gouvernement issu de la Chambre de droite « bleu horizon »), supprime cette section moderne par le décret du 3 mai 1923. Mais elle est immédiatement rétablie à la suite de la victoire du « bloc des gauches » aux élections législatives de 1924.
Mais le coup final – le coup de grâce pour beaucoup des tenants des humanités classiques – c’est la décision du ministre de l’Education nationale Edgar Faure de reporter en quatrième le début de l’apprentissage du latin à partir de la rentrée 1968.
En juin 1969, Georges Pompidou (un agrégé de lettres classiques) est élu Président de la République. Il écarte Edgar Faure, qu’il n’apprécie guère ; et il nomme Olivier Guichard à la tête du ministère de l’Education nationale. Beaucoup croient que les mesures décidées par Edgar Faure vont être rapportées. Mais quelques jours seulement après sa nomination, Olivier Guichard crée la surprise : « J’ai repris en le modifiant et en le complétant un arrêté qui avait été signé par M. Edgar Faure. Une augmentation de l’horaire de français de la classe de cinquième permettra de donner à tous les élèves une initiation au latin, notamment par le biais de l’étymologie. Je suis assuré que cette mesure est plus favorable aux options de latin en quatrième que l’étude du latin sous forme pure et simple d’option en classe de cinquième ».
A la rentrée 1971, la proportion d’élèves de quatrième générale qui étudient le latin est de 20%. Le taux de latinistes va croître, lentement mais sûrement, pendant une vingtaine d’années, et atteindre 29% à la rentrée 1990. Cent quarante mille élèves étudient le latin en quatrième générale en 1971, cent quatre-vingt-dix mille en 1990 . La dernière décennie du XX° siècle est celle d’un léger déclin : le taux passe de 29% en 1990 à 22% en 2000. Et l’on est encore autour de ce taux en 2015.
Entre temps, François Bayrou, un ancien professeur de lettres classiques qui devient ministre de l’Education nationale en avril 1993, a décidé qu’à partir de la rentrée 1996, les élèves pourront choisir une option latin dès leur entrée en cinquième. Les Instructions officielles qui définissent les programmes de cette réforme Bayrou indiquent que « notre civilisation et notre langue héritent des cultures et des langues de l’Antiquité ; l’apprentissage des langues anciennes a donc pour but de retrouver, d’interroger et d’interpréter dans les textes les langues et les civilisations antiques pour mieux comprendre et mieux maîtriser les nôtres dans leurs différences et leurs continuités ».
Dans la nouvelle grille horaire que vient de proposer le ministère (dans le cadre de la réforme du collège en cours) figure un « enseignement de complément » de langues anciennes à raison d’une heure en 5ème et 2 heures en 4ème et 3ème. « C’est certes moins, en soi, que les horaires actuels » admet le ministère ; mais les langues anciennes seront prises en compte aussi dans le programme de français comme constitutives de notre langue. Dans le socle, une phrase marquera que les élèves sont « sensibilisés aux origines latines » de la langue. Par ailleurs, les élèves pourront compléter avec l’un des EPI ( enseignements pratiques interdisciplinaires), celui des « Langues et cultures de l’Antiquité ».
Au total, pour le ministère, cela permettra de répondre aux attentes des enseignants tout en luttant contre l’utilisation des langues anciennes dans les stratégies d’établissement en les offrant à tous.
- 3 avril 2015 : "Une mise en cause unilatérale de Bayrou"
Selon François Bayrou, ''le latin et le grec" seraient " abandonnés'', et ce serait un « déni de l'égalité des chances ». Retour sur un passé qui ne passe pas. Et qui n'a pas été dépassé.
En 1993, Jacqueline de Romilly fait paraître aux Editions Fallois un plaidoyer passionné dans une « Lettre aux parents sur les choix scolaires » : « Depuis quelques années, les lettres, en France, vont à leur perte à vive allure […]. La chute des lettres a correspondu à l’instauration de l’école unique et à l’unification du personnel enseignant […]. La France prépare obstinément, en plus de ses analphabètes, des êtres à la parole gauche et passe-partout dressés à mépriser la culture littéraire ». Le salut réside dans la réaffirmation des humanités, de « la formation littéraire, avec ces appuis naturels que sont le latin et le grec »
Cet appel est entendu par François Bayrou, un agrégé de lettres classiques, qui devient ministre de l’Éducation nationale en avril 1993. Il décide qu’à partir de la rentrée 1996, les élèves pourront choisir une option latin dès leur entrée en cinquième.
Les Instructions officielles qui définissent les programmes de la réforme Bayrou indiquent que « notre civilisation et notre langue héritent des cultures et des langues de l’Antiquité ; l’apprentissage des langues anciennes a donc pour but de retrouver, d’interroger et d’interpréter dans les textes les langues et les civilisations antiques pour mieux comprendre et mieux maîtriser les nôtres dans leurs différences et leurs continuités ».
André Legrand, un ancien directeur du ministère de l’Éducation nationale (sous Lionel Jospin puis François Bayrou), voit cette question selon un tout autre angle : « Depuis trente ans, lesystème éducatif multiplie les efforts pour retarder les échéances de l’orientation. Trois mois auront suffi à François Bayrou pour effacer ces trente ans. La création des options de latin (en cinquième) et de grec (en troisième) a suscité les interrogations ouvertes d’organisations de parents d’élèves les moins suspectes d’être de gauche. La sixième devient le cycle d’observation, et c’est donc la fin de la sixième et non plus de la cinquième ou de la troisième qui constitue désormais le palier d’orientation essentiel : c’est une régression en deçà de la réforme Fouchet de 1963, et un retour à la case du début des années soixante » ( « Le système E », Denoël, page 209).
À la rentrée 1996, plus du quart des élèves de cinquième choisissent l’option (supplémentaire) de deux heures de latin qui leur est offerte. Et l’on assiste à un léger redressement du taux de latinistes en quatrième et même en seconde. Mais cela ne dure pas. Et la tendance à la baisse reprend. En cinquième, la proportion d’élèves qui choisissent l’option latin n’est plus que de 22 % à la rentrée 2000. En seconde, on passe de 10 % en 1995 à 6 % en 2000...
- 17 mai 2015 dans « Le Courrier picard » : "L’enseignement du latin n’a rien à voir avec la maîtrise du français"
Historien de l’éducation, l’Amiénois Claude Lelièvre publiera lundi une tribune dans le Monde en forme de plaidoyer pour la réforme du collège.
Publié: 17 Mai 2015 à 12h13
Claude Lelièvre, vous suivez depuis des années les questions d’éducation. Vous êtes surpris par l’ampleur et la tournure que prend le débat sur la réforme du collège ?
Oui et non. Oui, parce qu’il y a quelque temps, ceux qui montent aujourd’hui au créneau parlaient de « réforme cosmétique » et de « communication ». Ce sont les mêmes qui disent aujourd’hui que la République est menacée, qu’on assassine notre civilisation. Non, parce que la réforme du collège est depuis toujours un sujet explosif pour la simple raison qu’on n’a jamais su, ou voulu répondre à cette question fondamentale : qu’attendons-nous du collège unique ? Qu’attendons-nous en termes d’acquis, de socle commun de connaissances en fin de scolarité obligatoire ?
Vous dites que c’est la question centrale, pourtant personne ne l’évoque dans ces termes…
Le sujet est tellement explosif que personne n’ose poser la question. Mais au-delà de la problématique des programmes, des horaires, des enseignements pluridisciplinaires, la vraie question est celle-ci. Par deux fois, notamment sous Giscard lors de la création du collège unique, on a renoncé à y répondre car il y a eu levée de boucliers. Et si elle a eu lieu, c’est parce qu’il y a derrière un enjeu idéologique majeur qui a trait à la manière dont nous devons concevoir l’éducation nationale. Cette réforme représente la dernière chance de sauver le collège unique et partant de là, l’Éducation nationale.
Il y aurait donc une sorte de « péché originel » qui pèserait aujourd’hui encore sur le collège. Mais qui l’a commis ?
En 1959, lorsque le général De Gaulle a étendu la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, il souhaitait avant tout favoriser un recrutement élargi des élites scientifiques, commerciales, financières. Le Marché commun venait d’être créé et le Général avait compris que la France, pour rester compétitive, aurait besoin d’élever le niveau des connaissances, de former davantage de cadres. Les filles et fils de la bourgeoisie qui étaient les seuls à avoir accès à l’enseignement secondaire et supérieur ne suffisaient plus. Il fallait puiser dans les réserves que représenteraient les bons élèves issus de tous les milieux. C’est ainsi qu’est né le collège avec ses trois filières. La filière longue qui donnait accès au lycée avec des enseignants certifiés et agrégés. La filière courte, dans laquelle l’enseignement était assuré par des PEGC, des instituteurs qui étaient « montés en grade ». Et la filière transition pratique qui ouvrait sur la vie active. Cette réforme a rempli ses objectifs en termes de recrutement élargi des élites. Sur le plan géographique aussi. C’était une véritable politique d’élitisme républicain.
Dans ce cas, d’où vient le blocage actuel ?
Très vite, la question s’est posée de savoir s’il fallait rester sur cet élitisme républicain, avec un collège qui sert de zone de tri au lycée, ou s’il fallait opter pour une vraie démocratisation, dans laquelle chacun doit tendre vers le plus haut niveau possible, indépendamment de son rôle dans la société. Un collège qui doit conforter les savoirs. Même si on n’a jamais réellement répondu à cette question, on reste aujourd’hui dans un collège qui entérine des hiérarchies sociales et scolaires.
Comment cela ?
Le collège actuel n’est ni « unique », ni juste. Avec ses options facultatives, ses classes bilangues, il consacre des classes socialement différenciées. C’est de cela qu’il s’agit quand on parle du latin ou de l’allemand, qui sont deux enseignements d’une certaine manière discriminants, qui font du collège « unique » une gare de triage. Ces enseignements facultatifs sont suivis par une minorité d’élèves. Dans l’histoire de l’éducation, il est intéressant c’est de voir à quel niveau on enseigne le latin. En 6e, en 5e, en 4e ? La position du curseur indique la manière dont on conçoit l’éducation ; élitisme ou ouverture au plus grand nombre…
Vous contestez donc l’idée selon laquelle pour bien maîtriser le français, il faut posséder le latin ?
L’enseignement du latin n’a rien à voir avec la maîtrise du français. Si c’était le cas, cela condamnerait 95 % de l’élite nationale ! Je note du reste que le latin n’est pas enseigné en Italie dont la langue a pourtant une évidente filiation avec le latin, alors qu’il l’est au Danemark ou en Angleterre. Le latin est depuis toujours la langue des élites, celle qui, dans l’aristocratie et la haute bourgeoise, permettait d’avoir « des belles fréquentations ». Le Français c’était pour le « vulgum pecus ». Et quand le latin ne joue pas ce rôle, c’est l’allemand. Une autre langue réputée « difficile » du fait de sa grammaire, et élitiste, parce que l’Allemagne est le pays de la littérature et de la philosophie.
Quand même, l’enseignement de l’histoire est menacé. C’est bien vous qui évoquez un socle commun de connaissances minimum.
S’agissant de l’enseignement de l’histoire, la France est dans l’irrationnel. C’est le seul pays démocratique au monde dans lequel des chefs d’État se permettent d’intervenir dans la question des programmes. Mais il faut savoir ce qu’on met derrière ces mots. De quelle histoire de France s’agit-il ? Celle enseignée autrefois au collège-lycée, et donc aux élites, qui débutent avec le monde antique ? Ou celle enseignée dans les écoles élémentaires, destinée au peuple, à qui on a vendu le roman national et colonial, et qui démarre avec Vercingétorix ? J’ai vu que le FN souhaite qu’on en revienne à cette dernière (sourire)…
Vous êtes en train de dire qu’au bout du compte, l’affrontement idéologique est sous-jacent. Mais si on se place dans une logique de lutte des classes, on ne peut pas accuser les profs de faire le jeu des classes dominantes…
Le problème avec la réforme du collège, c’est qu’elle met en scène des gens qui sont dans des combats très différents mais qui, à un moment donné, peuvent converger sur une cible commune. Les enseignants mobilisés le sont souvent sur des questions d’identité, de légitimité. Mais au fond, ceux que cette réforme irrite, sont d’abord ceux qui sont parvenus par l’école. D’où, ces discours sur le « nivellement par le bas ». Et puis il y a les politiques qui font feu de tout bois.
Vous parlez de Bruno Le Maire ?
C’est lui qui lance le brûlot. Je crois que c’est pour lui une façon de continuer à exister après la primaire perdue à l’UMP. Sarkozy fait de la surenchère, mais dans les attaques personnelles. Et Marine Le Pen pour ne pas être en reste, en rajoute. Je ne sais pas où tout cela nous mènera, mais j’espère qu’à un moment, on retrouvera de la sérénité pour poser les vrais problèmes. Les enjeux sont importants. Où on détermine une fois pour toutes quel doit être le rôle du collège unique et donc celui de l’Éducation nationale, en l’actant par la loi, ou c’est l’éclatement du collège unique avec un retour aux filières et donc une institutionnalisation de la sélection sociale.
Pour vous, cette loi répond à cette problématique ?
Oui parce qu’elle se situe dans la logique de l’instruction obligatoire. Outre les 4 000 postes supplémentaires, peut-être insuffisants mais en tout cas ils existent, c’est la première fois qu’on parle de trois heures d’accompagnement personnalisé en 6e, même pour les bons élèves. Il s’agit bien de s’occuper de tous. On est dans une logique qui n’est pas celle de la spécialisation que certains souhaitent, et qui vise à séparer très tôt, le bon grain de l’ivraie.
Nouvelle tribune de Claude Lelièvre le 17/01/2023 pour relativiser la disparition des langues anciennes dans le "JDD" : "Éducation : les cours de latin au collège et au lycée disparaissent-ils vraiment ?"
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