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"Et la gauche oublia l’école…" (Danièle Sallenave)
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Heureusement que l'historien veille !L’insoutenable légèreté historique de D. Sallenave
La vraie raison de la réaction immédiate de Claude Lelièvre, sapeur-pompier du PS ici comme sur d'autres sujets (les réformes, la crise de recrutement...).On peut être professeure, écrivaine, membre de l’Académie française et être décidément fâchée avec l’histoire que l’on invoque pour légitimer ses prises de position.
Dans un article au titre péremptoire et non justifié ( « Et la gauche oublia l’école ») paru dans « Le Monde »...
C'est-à-dire qu'elle ne l'évoque pas, à vrai dire....Danièle Sallenave s’en prend au « grand plan numérique » annoncé par le président de la République le 6 novembre dernier. Derrière ce plan, se cacherait « la misère de la pensée politique en matière de transmission », et la conclusion coulerait de source : « à l’heure d’Internet, il est temps de réaffirmer la place éminente du professeur ».
On passera sur la première confusion historique de Danièle Sallenave qui évoque de fait « le plan informatique pour tous » en le situant non pas en 1985 mais « dans les années 1990 » (quand on n’aime pas, on ne compte pas)...
Où veut donc en venir Claude Lelièvre avec son relativisme lui-même très discutable ? Au fait que la "transmission" est chose récente... et qu'elle peut donc disparaître à l'occasion de la révolution numérique, avec la place de l'enseignant ? Voilà une défense rassurante du plan numérique de François Hollande....pour en venir à ce qui fait de loin le plus question à savoir la durée « multiséculaire de la transmission » et corrélativement de « la place éminente de l’enseignant » ( comme elle dit, encore une fois, dans cet article).
C'est vrai que la "transmission" est une chose récente. D'ailleurs les mots "école" ou "pédagogie" datent du XXe siècle.De nombreux témoignages historiques montrent que ce qui est évoqué par Danièle Sallenave n’est nullement multiséculaire.
Curieuse démonstration, supposée démontrer l'inutilité du professeur.Dans le cadre limité de ce billet, on n’en prendra pour preuve qu’un seul exemple (mais très significatif), celui du linguiste Michel Bréal (alors professeur au Collège de France et inspecteur de l’enseignement supérieur) dans son ouvrage « Quelques mots sur l’instruction publique en France » paru chez Hachette en 1872, il y a environ un siècle et demi.
« Voyez ce professeur dans sa chaire . Tout en parcourant et en signant les cahiers de correspondance, il fait réciter les leçons. Puis un élève lit les leçons du lendemain . Le professeur distribue ensuite les copies corrigées des jours précédents. Arrive la correction des devoirs : c’est l’exercice principal,qui réclame le temps le plus long. Cette correction terminée, le professeur dicte un devoir à faire ; la dernière demi-heure (sur les deux heures de classe) est employée à traduire la page de latin ou de grec que les élèves ont dû préparer d’avance.
La classe, comme on le voit, contrôle le travail fait à l’étude et fournit pour l’étude de nouveaux matériaux à mette en œuvre. Assurément le professeur exige en classe une certaine somme d’attention et d’activité ; mais personne ne niera que le principal effort se fait à l’étude. C’est là que l’élève exerce son esprit et étend ses connaissances, en faisant les devoirs, en apprenant les leçons, en préparant les auteurs. Quand il vient s’asseoir sur les bancs de la classe, il sait déjà d’avance, il a déjà manié et remanié tous les objets dont on va l’entretenir. C’est tout au plus si les hasards de la correction ou de l’explication fourniront au professeur l’occasion de présenter à l’élève quelque chose de nouveau.
Tous les étrangers qui connaissent nos lycées ou collèges sont frappés de ce caractère singulier de la classe qui a l’air d’être la répétition et la préparation de l’étude. Pour en trouver la raison, l’un des observateurs a cru devoir remonter jusqu’au treizième siècle et jusqu’aux anciens collèges de la Sorbonne. […]. Notre enseignement pivote sur les leçons apprises par cœur et les devoirs écrits ; mais l’échange immédiat des idées entre le professeur et les élèves, le travail fait en commun dans la classe, l’accouchement des esprits par questions et réponses, cela ne se trouve point dans nos lycées, sinon par exception, chez les maîtres qui se dérobent à la règle ».
S'il s'agit de l'école républicaine, cette vieille chose obsolète, en effet.En réalité, le modèle du type de transmission (et de la place éminente corrélative de l’enseignant) évoqué par Danièle Sallenave ne s’est imposé (pour des raisons et par des voies quelque peu disparates mais sensiblement convergentes) que vers la fin du XIXième siècle et le début du XXème.
Pour céder la place à quoi ? Claude Lelièvre ne le dit pas...Et il a été assez sérieusement mis en cause dès la deuxième moité du XXième siècle.
En parlant de "transmission", Danièle Sallenave étend sa pensée bien plus loin que l'école républicaine. On recommandera par exemple L'Histoire de l'éducation dans l'Antiquité (1948) de H.-I. Marrou.Rappeler cela ne tranche pas ipso facto le débat (un débat complexe, difficile et important), loin s’en faut. Mais on devrait laisser de côté dans la discussion "l’aura" que peut avoir l’évocation d’une réalité historique "multiséculaire" qui n’a pas eu lieu…
Eh bien que M. Lelièvre se le tienne pour dit, effectivement.Le prétendre est une erreur (quand on ne sait pas) ou une faute (quand on sait, mais que l’on persiste à le faire accroire).
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