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"Internet responsable"
- Loys
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Encore une fois les vrais irresponsables sont les adultes. Quelques commentaires :
Visiblement le harcèlement, l'usurpation de compte ou les insultes en ligne, évoquées par la suite, ne sont pas "si insupportables" aux yeux de Michel Guillou. Et ne parlons pas des usages plus anodins qui portent atteinte au bon déroulement des cours ou à la concentration des élèves...Toute l’histoire a commencé il y a un bon moment déjà, six ans, je crois, à la création du portail « Internet responsable » sur Eduscol. Pour avoir fait partie des gens dont on a, sur ce projet, sollicité l’avis, je peux témoigner avoir voulu faire avancer, avec d’autres, cette notion de culture et de développement de la responsabilité, au détriment d’autres démarches moins éducatives. Je vous assure que, à cette époque, ils n’étaient pas rares ceux qui auraient souhaiter réprimer et sanctionner davantage ces pratiques numériques des jeunes si insupportables, les pratiques comme les jeunes, qu’il n’était décidément plus possible de laisser perturber déjà et tant le fonctionnement même de l’école.
On n'est jamais si bien servi que par soi-même.Des documents conçus tout exprès pour « parler » aux jeunes, aux élèves, comme l’excellent «Échanger, s’exprimer en ligne : trouver la bonne média-attitude », à la rédaction duquel j’ai participé...
Dans ces cas de figure, comment des enfants de 11 à 14 ans (ou plus) pourraient-ils savoir qu'ils n'étaient pas responsables, en effet ? C'est d'ailleurs tout à fait par hasard que le dernier, âgé de treize ans , a usurpé le compte de de sa mère pendant la nuit.La responsabilité : une vertu immanente ?
À en croire les référentiels de compétences disponibles, les élèves, les jeunes devraient savoir de manière quasi innée quand ils sont responsables ou quand ils ne le sont pas. [...]
Étaient-elles responsables, ces collégiennes définitivement exclues en 2003 pour avoir abusé de la liberté de s’exprimer en insultant quelque peu sur un blogue l’un de leurs professeurs ? Je vous ai déjà raconté cette triste histoire. Était-il responsable, Ludovic, ce jeune écolier de CM2 qui faisait chez lui, le mercredi après-midi, des vidéos pas trop sympathiques à l’égard de ses camarades et de son professeur ? Là encore, je vous ai déjà raconté tout cela dans un article titré « Internet responsable : l’irresponsabilité n’est décidément pas là où on la croit ». Exclu, lui aussi, définitivement aussi. Il s’est passé treize ans entre les deux événements. Que s’est-il passé entre temps ? Pas grand chose.
Est-il aujourd’hui responsable le jeune collégien qui a utilisé le terminal d’un de ses parents, en charge d’animer le fil Twitter du ministère de la Culture et a proféré des insanités pendant de longues heures ? Qui est le plus responsable dans l’histoire ? Ne s’agirait-il pas plutôt du parent incapable de sécuriser son terminal professionnel ou même de savoir précisément ce que fait son fils la nuit au lieu de dormir ?
Au passage, M. Guillou découvre les vertus de ces "outils" numériques nomades : ils échappent par définition à toute supervision. A ce sujet, on se demande bien comment M. Guillou se propose de remédier à ce problème (ne pas "savoir précisément ce que fait son fils la nuit au lieu de dormir") : installer une webcam ou un détecteur de réseau dans la chambre des enfants, confisquer la nuit ou pire : interdire le téléphone portable ?
Responsables, mais pas coupables en somme.Tous ces jeunes sont évidemment responsables devant la loi, comme leurs parents d’ailleurs. Mais étaient-ils capables d’assumer toute leur responsabilité, aucun d’entre eux n’ayant probablement jamais appris, de leurs parents comme à l’école, comment faire.
Parce qu'on apprend à ne pas insulter ou harceler dès... l'école maternelle ? Visiblement, pour M. Guillou, ceci ne relève pas de l'évidence...Un simple coup d’œil à l’ensemble des référentiels de compétences disponibles montre que la notion de responsabilité, toujours mise en avant dès qu’il s’agit d’aborder la formation du jeune citoyen, apparaît toujours comme une évidence, un truisme éducatif qui ne mérite aucune explicitation.
Pour reprendre l'analogie de M. Guillou, l'école devrait d'abord apprendre tous les plaisirs sexuels avant de mettre en garde contre les risques.Les risques et la défiance d’abord, avant toute opportunité
Il y a définitivement quelque chose de cassé dans notre système éducatif. Depuis plus de dix ans, on apprend le numérique et l’Internet comme on apprend les MST, le sida, le tabac ou l’alcool. S’il est constant que l’éducation aux risques est au centre du travail éducatif pour ce qui concerne ces derniers, il n’est pas imaginable, dans mon esprit, de ne pas envisager d’abord d’évoquer les incroyables potentialités et opportunités du numérique avant, et bien avant, d’en envisager les risques.
Le portail "Internet responsable" serait donc "anti-éducatif" : voilà qui est mesuré. Rappelons que M. Guillou n'est pas un praticien de l'éducation, mais un consultant du numérique.Cette attitude profondément anti-éducative s’insinue doucement dans les projets des enseignants et leurs pratiques professionnelles, y compris chez celles ou ceux qui semblent être en connexion avec l’innovation numérique et leur temps.
Il n'est nul question de comparer quoi que ce soit ici... Se préoccuper du harcèlement en ligne ne serait donc pas bienveillant ?Ainsi, tout récemment, a été publié le travail très intéressant de deux professeures d’anglais « Stop the Cyberbullies », qui me semble d’excellente facture et mérite d’être valorisé… s’il n’était précédé, dans sa présentation, de prolégomènes ahurissants :
« En effet, nos élèves sont habitués à se servir des réseaux sociaux pour publier tout et n’importe quoi, ce qui peut parfois amener aux dérives que nous connaissons : le cyberharcèlement. »
Quel manque absolu de bienveillance, quelle terrible absence de lucidité, quelle frousse, car il ne s’agit de rien d’autre ! Comment oser comparer l’extraordinaire et richissime production numérique des jeunes, tous médias et supports confondus, avec les manquements observés çà et là ?
A noter l'emphase habituelle (mais rarement concrète) sur "l'extraordinaire et richissime production des jeunes" : on parle ici principalement d'échanges triviaux sur les réseaux sociaux...
Relativisme habituel : le harcèlement n'a pas besoin d'être en ligne pour exister.Et comme ce propos use d’un misérable sophisme en amenant le harcèlement sur le tapis, il convient de rappeler que cette conduite abusive et parfois criminelle sait parfaitement et malheureusement, bien sûr, s’affranchir du numérique.
Sauf que les moyens numériques étendent considérablement les possibilités du harcèlement, avec un effet de groupe accru, des images et des vidéos, la facilité accrue de l'anonymat, de la discrétion, une extension du harcèlement bien au-delà du temps de présence... Mais tout ceci, M. Guillou n'en parle pas.
Voilà qui est dit....En l’occurrence, l’irresponsabilité et le « tout et n’importe quoi » est bien du côté des adultes.
Au passage, M. Guillou se contredit quelque peu puisqu'il reprochait, au début de son billet, qu'Eduscol s'adresse surtout aux adultes...
Plaidoyer pour la démission éducative, en somme.Les usages responsables : un oxymore ?
La vraie vie paraît bien pâle en regard du "flux réticulaire"...Il peut être intéressant de reprendre les premiers mots cités ci-dessus « nos élèves sont habitués à se servir des réseaux sociaux » qui sont l’éclatant témoignage de l’incompréhension des adultes. Les jeunes, les élèves, ne se « servent » pas des réseaux sociaux, comme d’autres se servent des transports en commun et en sont des usagers, ils s’y engagent, résolument et avec enthousiasme, s’y construisent une personnalité et une identité en ligne, y nouent des relations sociales riches et fécondes, s’approprient ces lieux virtuels pour en faire — c’est difficile, parfois — leur bien commun et public, y produisent des écrits, des sons, des images, y exercent une liberté fondamentale, échangent, partagent, enrichissent ce qui circule dans le flux réticulaire.
Fascinant qu'un "snap" de quelques secondes, avec ou sans image pré-programmée de réalité augmentée, puisse être consulté comme une "production".
Une conclusion aux généralités bien vagues pour mieux noyer le poisson. Mais M. Guillou l'avait déjà dit : "Un usage responsable ? Comme si on pouvait être responsable de ses usages !"Quant à la responsabilité, dont j’ai dit qu’il convenait d’en préciser le champ de compétences, pour que chacun, à commencer par les jeunes, puisse l’acquérir peu à peu, en même temps qu’une citoyenneté numérique, elle est totalement incompatible avec la posture d’usager consommateur à laquelle on s’acharne à les réduire. La responsabilité ne se construit durablement que dans l’engagement. Il est nécessaire de s’en convaincre.
Le peu d'efficacité d'un portail "Internet responsable" semble assez évident : mais pour M. Guillou, que ce portail existe est déjà trop. On a bien compris les irresponsables sont les adultes n'ayant pas éduqué les jeunes et que, pour les jeunes, les "incantations des usages responsables" ont quelque chose d'insultant.
En toute contradiction.
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