La grande réforme de l'évaluation des professeurs
Plaidoyer pour une réforme aussi absurde que nécessaire.
En ces temps de grave crise économique, le Ministre de l’Éducation nationale, a entrepris, dans sa grande sagesse et avec toute la discrétion que requiert un projet aussi ambitieux que courageux, de réformer le système actuel d’évaluation de ses professeurs.
De fait ce système n'est-il pas archaïque, inefficace et avant tout coûteux ? Les professeurs ne sont-ils pas en effet soumis à une aberrante double évaluation, inutile et redondante : administrative par leur chef d'établissement et pédagogique par les inspecteurs pédagogiques régionaux ? Or non seulement ces dernières inspections coûtent cher mais, de l’avis de tous, elles sont bien rares, et compromettent l'avancement de carrière des professeurs. Mû donc par le généreux souci de compenser la paupérisation lente de la classe enseignante constatée depuis trente ans, le Ministère s’est avisé qu’il pouvait par la même occasion mettre un terme à cet abus scandaleux des inspections, aussi inutiles que dispendieuses. D'ailleurs, dans son admirable providence, le Ministère a déjà réduit depuis plusieurs années les effectifs des différents corps d'inspection tout en les chargeant de nombreuses autres missions sans rapport avec leur mission première.
Il ne fait aucun doute que le chef d’établissement pourra remplacer avantageusement les inspecteurs pédagogiques : cette prérogative nouvelle, se cumulant aux innombrables fonctions qui lui sont désormais dévolues, lui donnera ainsi l’occasion de connaître par exemple le nom des professeurs de son établissement, ce qui constituera déjà un grand progrès en soi.
Certes, pour ce qui est de la discipline enseignée, certains mauvais esprits ne manqueront pas d’objecter qu’il n’est pas forcément facile d’évaluer les compétences d’un professeur dans une discipline sans la connaître soi-même. Mais c'est s'embarrasser de bien des scrupules d'un autre temps. Et, après tout, les résultats obtenus par les élèves ne sont-ils pas suffisants pour cela ? Qui dit bons résultats des élèves dit bons professeurs. Eux-mêmes, évalués en fonction des résultats de leurs élèves, comprendront rapidement où réside l'intérêt de tous, celui des élèves, le leur et celui du Ministère. Restent bien sûr les archaïques examens académiques ou nationaux, avec leur absurde correction anonyme : mais nul doute que les consignes de surveillance allégée, de bienveillance à la correction et la généralisation progressive des contrôles continus, adaptés à chaque établissement, permettront de résoudre ce problème mineur.
Cette admirable réforme contribuera donc à améliorer les résultats de nos élèves à moindre coût.
Et puis, d'une manière générale, l'ignorance du chef d'établissement à l'égard des nombreuses disciplines qu'il sera amené à évaluer, sa méconnaissance des textes officiels et des programmes sans cesse changeants, ou même son inexpérience personnelle du métier de professeur (puisqu’il est de plus en plus issu de la vie scolaire ou du secteur privé) seront sans nul doute une sage garantie d’objectivité et d’impartialité. Il sera en effet à même d'évaluer un professeur au jour le jour sur de nombreux aspects bien plus importants que son unique travail dans le cadre de la classe, chose tout est fait secondaire à l'école, tout le monde en convient.
A bien y réfléchir, à quoi bon d’ailleurs exiger des professeurs un diplôme dans une discipline, quand des vacataires moins chers sont recrutés avec une simple licence et donnent toute satisfaction avant d’être renvoyés ? On pourra sans doute un jour supprimer les concours de l’enseignement, comme le proposait récemment un député visionnaire, ou même abroger le statut des enseignants. Car indubitablement, en ce début de XXIème siècle, l’école a besoin moins de qualité que de flexibilité, de compétence que de présence. Heureusement, dans nos I.U.F.M la bivalence des professeurs est d’ores et déjà encouragée, avec des primes pour les stagiaires, comme on le faisait dans l'ancien temps béni des PEGC : or ne faut-il pas convenir que, si un simple professeur peut être bivalent, un chef d’établissement, nécessairement plus intelligent, peut-être omnivalent ?
Enfin, pour en terminer une fois pour toutes avec toutes ces soi-disant compétences disciplinaires dont se targuent tant les professeurs, n’est-il pas évident qu’elles sont aujourd’hui secondaires, périphériques, puisque, en plus des ses nombreuses nouvelles missions en dehors de sa classe, le professeur n’est plus dans sa classe qu’un éducateur, un accompagnant personnalisé et que l’élève construit lui-même son savoir ? Et que le savoir se trouve partout, notamment sur internet ? Cette réforme accompagne donc ce grand mouvement de l’école vers la modernité pédagogique : l’école a déjà, grâce aux efforts de ses ministres successifs, de moins en moins de professeurs, mais peut-être demain n’en aura-t-elle plus du tout : qui ne rêverait d'un tel avenir pour ses enfants ? Nul doute d’ailleurs que les nouvelles technologies sauront contribuer à ce progrès décisif pour l’école et le budget de la nation.
Mais, en attendant ces lendemains qui chantent, cette prérogative nouvelle du chef d’établissement présente un autre intérêt, bien plus fondamental pour réformer l’Éducation nationale.
Les professeurs bénéficient en effet dans notre pays, et depuis trop longtemps, d’une insupportable liberté de conscience et de parole. Ne se croient-ils pas naïvement investis d’une mission supérieure au service de la nation, d’une vocation, celle d’apporter le savoir à tous ? Sous ce prétexte pathétique, ces derniers intellectuels ont l’impudence de juger du bien-fondé des réformes ministérielles, de les dénoncer, voire même de se révolter contre la main qui les nourrit !
Or, à la vérité, qu’est-ce qu’un enseignant peut bien connaître à l’enseignement ? Tous nos graves docteurs en sciences de l’éducation, qui travaillent depuis si longtemps dans les caves du ministère, connaissent bien mieux les exigences du métier et savent bien mieux comment lutter contre l’échec scolaire à moindre coût. Pourquoi, à titre d’exemple, la mise en place de l’accompagnement personnalisé au lycée rencontre-t-elle tant de mauvaise volonté, au prétexte que la personnalisation se fait par groupes de vingt élèves ou plus, que le professeur accompagne les élèves dans des disciplines qu’il ne connaît pas, que cet accompagnement non évalué se fait au détriment d’heures de cours judicieusement supprimées, ou que sais-je encore ? Mauvaise foi que tout cela, et néanmoins une telle inertie nuit à l’application effective et rapide de cette admirable réforme. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette déplorable indépendance et liberté d’esprit des professeurs qui n’a que trop duré.
Grâce à la réforme de l’évaluation des enseignants le chef d’établissement pourra non seulement créer une saine émulation entre les professeurs sous son autorité, récompensant à sa discrétion non pas ceux qui lui paraissent bien travailler, mais ceux qui lui donneront l'impression de travailler mieux que les autres. Mais surtout, dans un esprit de féodalité toute moderne, l’avancement des professeurs sera désormais conditionné à une sujétion absolue au chef d’établissement, lui-même soumis au rectorat, lui-même soumis au ministère. Ainsi le Ministre de l’Éducation nationale pourra-t-il enfin être ainsi assuré de la loyauté sans faille de tous les professeurs de ce pays pour appliquer, dans l'unanimité et l'enthousiasme, les nouvelles réformes à venir, sans plus craindre les invariables grèves, la contestation ou même la mauvaise volonté. N'est-ce pas un progrès remarquable pour l'école (et le Ministre) ?
Mais allons plus loin : en soulevant cette grave question, notre Ministre a bien senti l’intérêt profond de nos concitoyens pour l'évaluation des professeurs.
Car si personne ne se soucie de l’évaluation professionnelle des orthodontistes, des épiciers ou des agents immobiliers, en revanche combien de citoyens, aujourd’hui pourvus d’une précieuse carte électorale, se sentent directement concernés par celle des professeurs ? Combien d’entre nous furent en effet, dans leur enfance, mal notés, brutalisés, opprimés par l’arbitraire odieux de professeurs mal payés et haïssables ? Il n'est que justice que la roue tourne enfin, et que ceux qui notent depuis toujours soient notés à leur tour. On note bien les États, après tout.
Soyons même plus hardis : puisqu’elle est source d’angoisse et de traumatisme, puisqu’elle empêche l'épanouissement des enfants, n’est-il par temps de supprimer purement et simplement la notation des élèves, comme nous y invitent nos pédagogues les plus avant-gardistes ? Or, à bien y réfléchir, si les élèves ne sont plus notés, n’est-il pas juste en retour que leurs professeurs le soient ? Ne peut-on même envisager que les élèves eux-mêmes notent leurs professeurs, comme le proposait il y a peu un site commercial intrépide ? Voilà la véritable modernité : le monde à l'envers, et tout ira mieux.
Bref, notez-les tous, et le Ministre reconnaîtra les siens !
Pour conclure, en ce XXIème siècle naissant, faisons fi de la vieille logique et du bon sens pour changer l'école. Avec cette réforme audacieuse, nul doute que la modernité sera en marche en 2012 : saluons donc le courage et l’intelligence de ses braves initiateurs, lesquels sont animés, n’en doutons pas, par la seule recherche du progrès de notre école !
Mise à jour importante (9 mai 2012) : au lendemain de l'élection présidentielle, malgré l'opposition de tous les syndicats depuis six mois, le décret a été signé par le Premier ministre et publié au journal officiel ce mardi 8 mai. Rappel : une pétition intersyndicale en ligne, qui compte déjà plus de 72.000 signatures, n'attend plus que la vôtre.