Quand la démocratisation du bac n'a pas eu lieu…
Ainsi donc, le niveau du baccalauréat ne baisserait pas et notre examen national n'aurait pas vraiment été démocratisé, à en croire l’expertise du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO).
Ainsi donc, le niveau du baccalauréat ne baisserait pas et notre examen national ne se serait pas vraiment démocratisé, à en croire l’expertise du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO), une instance créée par le ministère de l'Éducation nationale en 2014, moins pour guider ses orientations que pour les cautionner.
Difficile de nier pourtant qu’il est obtenu par les trois quarts d’une génération, une proportion record (il n’était obtenu que par un quart d'une génération en 1980). Difficile de nier également les taux de réussite record, les taux de mention record (en un quart de siècle le taux d’admis avec la mention TB a plus que décuplé), le nombre record de moyennes supérieures à 20/20 (plusieurs centaines aujourd’hui) : en 2016, un nouveau record aurait même été battu, avec 21,22 de moyenne.
Nier, c’est pourtant ce à quoi s’évertuent les "progressistes" scolaires, avec une belle obstination.
Pour réfuter toute démocratisation, il suffit en effet de dire – curieux progressisme, à vrai dire – que le bac général a plus de « valeur » que les autres bacs[1]. Ce sont pourtant les mêmes progressistes qui ont créé cette réussite artificielle en intitulant en 1985 « bac professionnel » un diplôme de fin d’études du secondaire, en réduisant en 2009 son cursus à trois ans et en automatisant l’accès au cycle terminal pour tous les élèves de la voie professionnelle, en invitant enfin les bacheliers professionnels à poursuivre leurs études (avec notamment des quotas réservés) après l’obtention d’un diplôme de moins en moins professionnalisant.
Il suffit aussi de faire croire, en parallèle, que la proportion d’une génération obtenant le bac général n’a pas évolué. C’est ainsi le CNESCO affirme que « depuis trente ans […] le baccalauréat général s’est peu ouvert numériquement et socialement », avec à l’appui ce graphique.
La date de 1995 n’est pas choisie au hasard. Avec le graphique corrigé, l'impression n'est plus tout à fait la même.
On le voit : la proportion d’une génération obtenant un bac général a tout simplement doublé en trente ans, pour dépasser 40% en 2016, avec un nombre record de bacheliers généraux (plus de 327.000 contre 160.000 en 1980).
S’agissant de la baisse du niveau, que constatent la plupart des professeurs de lycée, la présidente du CNESCO est ferme mais prudente : « Nous n’avons aucune recherche qui permette d’attester cette affirmation très courante »[2]. Elle incrimine une « logique malthusienne à la française » : la déconsidération du diplôme serait tout simplement psychologique.
Et Nathalie Mons d’expliquer les taux de réussite de plus en plus élevés − selon une curieuse logique −, par la hausse du nombre de candidats dans la voie professionnelle. Ou encore par les nouveaux travaux personnels encadrés (TPE) dans la voie générale, des épreuves plus modernes et pour lesquelles la sociologue oublie étourdiment de préciser que les élèves sont évalués par leur propre lycée et que seuls les points au-dessus de la moyenne sont pris en compte.
Pour justifier l’inflation vertigineuse des mentions depuis un quart de siècle (voir « La grande illusion du bac »), la présidente du CNESCO a trouvé un bouc émissaire utile : les options « aujourd’hui passées par la moitié des bacheliers ». Un chiffre fantaisiste puisque les options facultatives ne concernent au plus que 20% des bacheliers généraux. Principales accusées : les options de langues anciennes, bien évidemment. Les 5% d’élèves latinistes ou hellénistes, une proportion stable depuis des années, contribueraient donc à l’explosion générale des mentions…
La vérité, c’est que la réussite miraculeuse du bac (en contradiction d'ailleurs avec la nécessité urgente de « Refonder l'École ») s’explique tout simplement par la baisse progressive des exigences : la généralisation rampante du contrôle continu ou de l'examen local (EPS, dossiers en série technologique, langues vivantes, TPE etc.), des systèmes d’évaluation imposés aux professeurs (les paliers en langues vivantes par exemple), des attendus et des consignes de correction “bienveillants”, des commissions d'harmonisation (toujours vers le haut), des jurys de délibérations accordant de nombreux points en plus etc. Dernière nouveauté : le bac peut désormais se passer en plusieurs années et dans le même lycée. Une réussite en grande partie artificielle, en somme.
La vérité, c’est qu’il suffit d’observer les taux d’échec en licence (40% des inscrits obtiennent leur licence en trois ou quatre ans) ou – plus cruellement – le réalisme pragmatique des pays frontaliers. Ainsi, pour s’inscrire dans une université suisse, le baccalauréat général français, pourtant un diplôme donnant l'accès aux études supérieures, ne suffit plus : la mention Assez Bien (ou même Bien pour les bacheliers de la série L !) est désormais nécessaire.
Mais peu importe : pour le CNESCO, le baccalauréat est toujours aussi exigeant et n’est pas encore démocratisé. C’est que, dans la logique du CNESCO, il ne faut pas s’interroger sur l'éventuel échec d'une politique de démocratisation, mais l’accélérer. Nathalie Mons indique ainsi les nouveaux objectifs à atteindre : « 100 % d’une cohorte de jeunes qui a le bac pour pouvoir entrer dans l’enseignement supérieur. »
On le voit : avec une « évaluation du système scolaire » aussi perspicace, les lendemains ne pourront être que plus radieux encore.
Notes
[1] CNESCO www.cnesco.fr/fr/debats-autour-du-baccalaureat/
[2] Nathalie Mons dans « Le Monde » du 6 juillet 2016 : « Le bac, victime d’une « logique malthusienne à la française » »