Retour sur une promesse non tenue
Ce serait donc la grande réussite du quinquennat : le Ministère de l'Éducation nationale annonce, triomphant, que l’objectif des 60.000 postes pour l’école sera atteint en 2017. Sonnez haubois, résonnez musettes !
Une chance puisque les tailles de classe en France ou les taux d’encadrement – il faut bien un revers au dynamisme démographique français − sont parmi les pires d’Europe, selon l’OCDE elle-même1.
Mais comment expliquer, dès lors, que ce grand renfort de professeurs ne se concratise nullement dans les classes ? Entre 2012 et 2015, le nombre moyen d’élèves par classe n’a pas baissé : il a même légèrement augmenté2.
Une « Refondation » bien modeste
C’est que nous n’avions pas compris que, sur 60.000 postes, 54.000 postes seulement concerneraient l’Éducation Nationale spécifiquement. Ni que sur ces 54.000 postes, 6.000 concerneraient des personnels non enseignants. Ni que sur les 48.000 restants, 27.000 ne seraient pas des postes à proprement parler : l'année de stage n'est en effet pas une carrière créée, mais une carrière simplement allongée d’un an, à mi-temps devant les élèves. Bref, qu’il fallait attendre − stricto sensu − la création de 21.000 postes de titulaires seulement3.
21.000 postes créés (pour 841.700 postes existant en 2012) : la « Refondation de l’École » (sic) serait donc plus modeste que prévue. Pour le collège par exemple, les 4.000 postes promis en 2015 et 2016 (pour 7.100 collèges, soit un peu plus d’un demi-poste par collège) ne permettraient pas d’atteindre les taux d’encadrement finlandais : pour cela il aurait fallu créer…. plus de 150.000 postes rien que pour le collège !
Mais peu importe : 21.000 postes, c’était tout de même mieux que rien, même s'ils ne permettraient pas de compenser les 80.000 postes supprimés au cours du quinquennat précédent.
Démographie et crise des vocations : le retour du réel
Malheureusement on n’imaginait pas non plus que 200.000 élèves supplémentaires seraient scolarisés entre 2012 et 2015 et que ces postes supplémentaires ne feraient en réalité que couvrir en grande partie cette hausse démographique (que personne au Ministère ne pouvait bien sûr anticiper…). Comment croire, en effet, que le volontarisme politique ne serait qu'un simple ajustement mécanique à l'augmentation des effectifs ?
On n’imaginait pas également que la crise du recrutement amorcée en 2011 serait en réalité une crise des vocations endémique. Et qu’encore en 2015, par exemple, malgré les efforts du Ministère pour ne pas livrer les chiffres bruts4, plus de 3.600 postes ne seraient pas pourvus rien que dans le secondaire public : l’année précédente, le Ministère avait annoncé la création de 2.600 postes de titulaires supplémentaires dans le primaire et le secondaire5…
A quoi il faut retirer encore le nombre de démissionnaires croissant depuis 2012 : en 2015-16, ils étaient 1.180 (dont la moitié de stagiaires)6.
On le voit : des postes « créés » mais non pourvus, en réalité occupés par des contractuels (quand on arrive à en recruter dans l’urgence). À chaque rentrée, le ministère annonce ainsi les fabuleuses créations de postes à venir en oubliant étourdiment de faire le bilan de ceux annoncés et non pourvus l’année précédente ainsi que des démissions.
Une dernière fuite en avant
A la rentrée 2015, sur les 21.000 postes de titulaires prévus dans le quinquennat, seuls 4.150 avaient réellement été créées, de l'aveu même du Ministère7.
Pire : à la rentrée 2016, évoquant « la réalité de la Refondation » (sic), Najat Vallaud-Belkacem vient d’annoncer la création de plus de 11.000 postes supplémentaires pour la seule année 20178 soit… plus de la moitié des postes de titulaires promis depuis 2012 !
Une annonce presque surréaliste. Heureusement pour le Ministère, la réalité de ces créations annoncées ne sera connnue qu’après l’élection présidentielle. De fait, comme en 2012, c’est bien l’effet d’annonce qui compte.
Quant à la « Refondation de l’École », on l’a bien compris : elle n’est pas près d’avoir lieu.
Article édité le 8 janvier 2017 avec les chiffres des démissions.
Notes
[1] OCDE, Regards sur l’éducation 2016, D2.2
[2] De 24,6 à 24,8 dans le premier cycle. De 29,7 à 30 dans le second cycle. Source : RERS 2016, 2.3 (p. 33)
[3] LVM, « Conte de Noël finlandais » (19 décembre 2014)
[4] Note de la DEPP : « Concours enseignants 2015 du secondaire public : 20 % d'admissions en plus aux concours externes rénovés » (mai 2016).
Cette note, qui insiste sur le nombre d’admis aux concours externes, n’insiste pas sur le nombre de postes pourvus, toujours inférieur. Plus curieux : elle n’indique pas le nombre de postes non pourvus dans l’ensemble du secondaire public (hors enseignement professionnel). Il faut faire le calcul pour chaque type de concours et ensuite additionner.
- Concours externes 17% de postes non pourvus, soit plus de 2140 postes non pourvus
- Concours internes : 2% des postes non pourvus, soit 43 postes environ
- Concours réservés : 54% des postes non pourvus, soit 1512 postes environ
Total des postes non pourvus en 2015 : plus de 3600 postes, soit 20,4% de l'ensemble des postes mis au concours.
[5] Ministère de l'Éducation nationale, « 60000 postes dans l'éducation : le gouvernement tient ses engagements ! » (5 novembre 2014)
[6] Le ministère de l'Éducation nationale ne communiquant pas sur le chiffre des démissions annuels, on trouve ce chiffre dans d'autres documents : "Avis présenté au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2017 adopté par l'Assemblée nationale, TOME III ENSEIGNEMENT SCOLAIRE"
[7] LVM, « Postes restants » (26 août 2015)
[8] Café pédagogique, « La ministre confirme 60 000 postes en 2017 » (22 septembre 2016)