Petite réécriture historique au Panthéon
Jean Zay, ce « Jules Ferry du Front populaire », vient d’entrer au Panthéon. Sa mémoire, dans cette occasion solennelle, a pu servir quelques intérêts plus circonstanciels... comme promouvoir la désolante réforme du collège 2016.
Les « enseignements pratiques interdisciplinaires », cette simple mesure d’économie budgétaire, se sont ainsi trouvé opportunément – et bien curieusement, à vrai dire1 – légitimés par Jean Zay lui-même, à un détour du discours du président de la République :
« La République lui doit les trois degrés d’enseignement, l’unification des programmes, la prolongation de l’obligation scolaire, les classes d’orientation, les activités dirigées, les enseignements interdisciplinaires, la reconnaissance de l’apprentissage, le sport à l’école, les œuvres universitaires… On croirait qu’il s’agit d’un programme d’aujourd’hui. »2
De même Najat Vallaud-Belkacem, occupant au ministère « le bureau qui fut le sien », s’inscrit dans la glorieuse lignée de l’action de Jean Zay : ainsi, dit-elle, des « combats » comme « porter un plan numérique de modernisation pédagogique… ne font que prolonger les siens. »3 Nul doute en effet que Jean Zay aurait voulu équiper tous les collégiens français d’iPads !
« C’est ainsi que l’Éducation nationale d’aujourd’hui porte encore la marque de ses réformes, sur l’obligation scolaire, l’organisation distinguant premier et second degrés, la logique de tronc commun des enseignements portant en germe le collège unique… »4
Précisément la réforme, avec les cycles 1-4 de la maternelle à la troisième – la 6e se trouvant désormais rattachée à l'école primaire –, cherche au contraire à abolir la distinction entre les degrés en primarisant le collège, qui se voit d’ailleurs assigné une nouvelle mission : « mieux enseigner les savoirs fondamentaux »5... mission qui n’est donc plus celle de l’école primaire ! Difficile de savoir ce que Jean Zay en aurait pensé...
Quant au « tronc commun » tel que le concevait Jean Zay, il ne concernait que le premier degré : « Les différentes branches du second degré ne peuvent-elles partir d'un tronc commun ? » écrivait-il en 1937. Même si le ministre du Front populaire, à travers les programmes des « lycées, collèges et cours secondaires » (les cours complémentaires et les classes primaires supérieures étant encore rattachées au primaire), a organisé le parallélisme des sections, c’est déformer son action historique que de laisser croire qu’en voulant unifier le second degré, il aurait voulu le rendre unique6. A ce compte le régime de Vichy est allé plus loin en transformant les classes primaires supérieures en collèges modernes...
Il est vrai que, le fondateur du collège unique n'étant pas de gauche, il fallait bien lui trouver un précurseur dans le Front Populaire !
Plus amusant encore. Selon la ministre de l'Éducation :
« Il avait compris, peut-être le premier, que les réformes de l’éducation ne peuvent se faire qu’avec les enseignants, que le rôle du ministère est d’abord de fixer des orientations et de soutenir les praticiens. C’est cet état d’esprit qui doit nous inspirer pour la refondation de l’école. »
Rappelons-le : le décret sur le collège 2016, qui a été publié le 19 mai 2015, en plein jour de grève et de mobilisation, avait été rejeté un mois auparavant par 80% des syndicats représentant les enseignants...
Article édité en novembre 2016 avec la note sur les « enseignements interdisciplinaires »1 et la correction : Jean Zay n'était bien sûr pas socialiste, mais radical-socialiste.
Notes
[1] La lecture, par exemple, de Souvenirs et solitude de Jean Zay ou de La Vie et l’œuvre de Jean Zay (1969) par Marcel Ruby ne permet de trouver aucune mention de ces « enseignements interdisciplinaires » promus par Jean Zay….
Mais, en 2016, l'Histoire a d'autres sources. Ainsi le 4 novembre 2016, le premier moteur de recherches du web renvoie, en premier résultat, à la page Wikipédia de Jean Zay. Sur cette page, on peut lire dans la présentation générale de Jean Zay, ajouté le lendemain, un quasi copié-collé du discours de François Hollande, sans aucune source historique autre que… ce discours : c'est ainsi que François Hollande (ré-)écrit l'Histoire.
Merveilleuse circularité qu'aucun des historiens de l'éducation proches du président de la République (d'Antoine Prost à Claude Lelièvre) n'a songé à dénoncer !
[2] Site de l'Elysée, « Cérémonie d’hommage solennel de la Nation à Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay » du 26 mai 2015
[3] Sur le blog de Najat Vallaud-Belkacem : « Portrait de Jean Zay » (25 décembre 2015)
[4] Sur le blog de Najat Vallaud-Belkacem : « Portrait de Jean Zay » (26 mai 2015)
[5] Najat Vallaud-Belkacem, « Collège : mieux apprendre pour mieux réussir » (11 mars 2015). Rappelons que Jean Zay était préoccupé par l’acquisition de la lecture fluide non pas dans le secondaire mais à l’entrée en CM1.
[6] Relire ces propos Jean Zay lors de son discours à la Conférence à l’Union Rationaliste du 29 novembre 1937. La démocratisation ne passe pas dans son esprit par un collège unique et l'orientation choisie n'est pas exactement son credo :
« Démocratiser l’enseignement, ce n’est pas l’encombrer, ce n’est pas précipiter vers la culture secondaire ou supérieure des milliers d’enfants et de jeunes gens à qui ne seront pas plus tard garanties les situations qu’ils croyaient pouvoir saisir à l’aide de parchemins devenus vains ; ce n’est pas augmenter le nombre des jeunes gens sans emploi et sans situation, qui fournirait des déclassés et des aigris et qui feraient courir aux institutions de liberté le grave péril auquel ailleurs elles n’ont pas survécu. C’est, bien au contraire, organiser et choisir.
[...]
On pourrait penser, à la lecture de certains commentaires, que l'orientation est une idée diabolique, entièrement surgie du cerveau de réformateurs improvisés. Je suis navré de constater – mais c'est nécessaire – que c'est en réalité la plus vieille, la plus constante, la plus essentielle préoccupation, non pas seulement scolaire ou universitaire, mais humaine. Nous n’avons pas inventé l’orientation, nous avons essayé de la prévoir et de l’organiser. Elle est, sous d’autres noms, le fondement même de toute société civilisée, puisqu’elle n’est pas autre chose que le désir de conduire chacun à sa place et de permettre à l’Etat moderne de faire de ses enfants ce que la nature a permis qu’ils puissent devenir. »