La notion de "réussite" scolaire

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08 Juil 2017 17:17 #19344 par Loys
Dans le "Café" du 5/07/17 : "Le bac est-il donné ?"

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08 Juil 2017 17:36 - 08 Juil 2017 19:32 #19345 par Loys
Quelques commentaires.

Le bac est-il donné ?
Faut-il supprimer le bac parce qu'il "ne sert à rien" ou parce que "tout le monde l'a" ?

Tout le monde ne l'a pas, mais l'immense majorité de ceux qui le passent l'obtiennent : les records d'obtention et de mention sont battus chaque année. Quant au fait qu'il ne "sert à rien", c'est un débat distinct qui regarde la procédure APB d'une part et le niveau réel sanctionné d'autre part.

Un garçon sur quatre n'aura jamais le bac...
Le taux de 89% de reçus (en 2016) cache le fait que seulement 79% d'une génération obtient le bac. En 1980 , seulement 26% d'une génération obtenait le bac.

"seulement 79%" ? C'est un record inégalé... :roll:

Un jeune sur cinq quitte toujours l'école sans le bac. Pour ces jeunes là, le fait de ne pas avoir le bac est beaucoup plus stigmatisant que pour la génération précédente.

Pas nécessairement ceux qui ont choisi une voie plus courte. C'est leur faire insulte que de leur reprocher de n'avoir pas le bac.
Le raisonnement de M. Jarraud est amusant : plus une génération obtient le bac, plus il est stigmatisant. :santa:

Une fausse démocratisation
Le bac ? On devrait dire les bacs. Le bac suit de fait deux modèles. D'un coté on a le bac technologique et le bac général où la proportion de bacheliers dans une génération reste stable depuis 2000. De 2000 à 2015 on est passé de 51 à 51% d'une génération.

Non, la proportion est passée de 51 à 56% d'une génération. La proportion du bac général est passée de 33% à plus de 40% d'une génération.

De l'autre coté on a le bac professionnel. C'est lui qui fait augmenter le taux de bacheliers dans une génération.

Nous venons de voir que l'augmentation concernait également le bac général. Il reste vrai qu'il s'agit d'une "fausse démocratisation" : mais il fallait la dénoncer en 2008, quand le bac pro est devenu l'objectif de la voie pro dans le but précisément d'augmenter artificiellement la proportion d'une génération obtenant le bac. Or, à l'époque, le "Café" y était très favorable : "Pourquoi ces résistances à la réforme ?" . Toujours dans le "Café", le SNPDEN-Unsa y voyait une "possibilité de revalorisation" de la voie pro.

En 2000, seulement 11% des jeunes devenaient bacheliers professionnels. Aujourd'hui c'est 22% ce qui représente une énorme croissance.

Artificielle avec la réforme de la voie professionnelle. Cette croissance (+11 points) est un peu supérieure à celle du bac général (+7,5 points) : elle n'est problématique que si l'on considère que le bac professionnel est dévalorisé, ce qui était loin d'être le cas avant 2008.

Ces données indiquent deux choses. Le bac professionnel est le réservoir qui fait augmenter le taux de bacheliers dans le pays depuis le début du siècle. Le pourcentage de bacheliers généraux n'augmente quasiment pas. Alors qu'on compte deux fois plus de bacheliers professionnels. Le bac ne se démocratise qu'à travers le bac professionnel.

C'est donc en partie faux. Le graphique du "Café" en atteste d'ailleurs :

On voit au passage que la démocratisation doit bien plus aux deux autres voies si l'on considère la période depuis 1980...

Second enseignement. Pédagogiquement il y a deux bacs. Il est devenu une formalité pour les jeunes de l'enseignement général alors qu'il reste un obstacle à franchir sur la route des bacheliers professionnels.

Les taux de réussite ne sont certes pas les mêmes ( de 82% à 92%) mais de là à faire de l'un une "formalité" et de l'autre un "obstacle"...

Comme le recrutement des deux bacs est socialement très différent, ces évolutions divergentes prennent sens. Ainsi, sur les 19 000 enfants de professeurs qui ont été admis au bac en 2015, 16 000 ont eu un bac général et 813 un bac professionnel. Chez les cadres c'est le cas de 110 000 jeunes sur 142 000 bacheliers soit 77%. Seulement 9% des enfants de cadres supérieur passent un bac professionnel. Inversement sur les 100 000 enfants d'ouvriers admis au bac en 2015, 34 000 ont eu un bac général et 44 000 un bac professionnel.

Rien de nouveau : les voies GT et pro sont socialement marquées. Reste à savoir si les bacs correspondant ont une égale dignité, ou à tout le moins si le bac professionnel peut se targuer d'une valeur reconnue sur le marché du travail par exemple. Et comme la "revalorisation" a consisté à réduire d'une quart la formation professionnelle et à envoyer en première et en terminale professionnelle des élèves qui n'en avaient peut-être pas le niveau...

Autrement dit, on n'assiste pas réellement à une démocratisation du bac. On voit plutôt l'éclatement du système entre un bac des riches qui ne s'ouvre pas , à fort taux de reçus, et un bac des pauvres, qui augmente rapidement mais n'offre ni les mêmes débouchés ni le même taux de réussite.

Il est temps de s'en rendre compte...
Mais l'analyse du "Café" est ici partielle puisqu'elle néglige la réflexion sur ce que vaut le bac professionnel (ou plutôt ce que valent les différents bacs professionnels car il est ici utile de distinguer les séries tertiaires des autres séries). Le sous-texte de l'article du "Café" est que la voie professionnelle est une sous-voie (sans analyser les raisons de sa dévalorisation récente, à laquelle le "Café" avait applaudi…) : encore une fois, la seule réussite reconnue par le "Café" est celle de la voie générale.

Un bac ethniquement ségrégatif ?
L'étude des prénoms les plus fréquents chez les reçus aux différents bacs est éclairante. Réalisée par Baptiste Coulmont, maître de conférence à Paris 8, elle montre qu'il vaut mieux s'appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Pour le Bac STG, par contre, Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent.

Encore une fois pas de surprise...

A-t-on trop de bacheliers ?
La barre "historique" des 80% de bacheliers n'est toujours pas atteinte.

Le "Café", qui a applaudi et aujourd'hui critique cette démocratisation en grande partie fictive, continue de pousser à atteindre cet objectif chiffré.

Et François Hollande a fixé en septembre 2015 l'objectif de 60% de jeunes diplômés du supérieur. Dans cette perspective, le 79% de bacheliers est un taux à peine suffisant.

Toujours aucune critique de ces objectifs chiffrés : nul doute qu'une nouvelle "fausse démocratisation" du supérieur sera critiquée par le "Café" dans dix ans. Les quotas y participent déjà.
Sans crainte de se contredire, le "Café" qui a appelé à raccourcir la voie professionnelle appelle aujourd'hui tous les élèves à poursuivre des études.

En fait tout va se jouer dans la capacité à réduire l'écart entre les bacheliers professionnels et les autres. C'est en améliorant la capacité de ces bacheliers à suivre avec succès un enseignement supérieur que l'on pourra augmenter le taux de diplomés.

Aucun questionnement sur le fait que la voie professionnelle se trouve ainsi dévoyée, le bac professionnel n'ayant au départ pas vocation à la poursuite d'études. Tous les élèves doivent - indistinctement - suivre des études longues : la démocratisation du supérieur est à ce prix !
D'ailleurs, à bien y réfléchir, 60% d'une génération diplômée du supérieur, est-ce bien une démocratisation ? Et les 40% non diplômés, ne risquent-ils pas d'être "stigmatisés" ? :devil:

Les récentes mesures de quotas de bacheliers professionnels en BTS, la création de places en BTS, le droit d'option des "meilleurs bacheliers" apportent des réponses insuffisantes par rapport à cet objectif.

Il suffit de fixer des "quotas" de réussite en BTS, DUT ou licence ! :santa:

De 2010 à 2015 le nombre de bacheliers professionnels a presque doublé. Et le pourcentage de ceux qui veulent suivre des études supérieures augmente. Face à avalanche de nouveaux bacheliers l'enseignement supérieur, à l'exception des BTS, fait le gros dos. Le premier ministre vient d'ailleurs de claquer la porte au nez des bacs pros en leur concédant la création d'un "diplôme supérieur" de niveau bac+1.

C'est vrai que raccourcir la voie pro d'un an pour ajouter ensuite un an d'études supérieures, c'est la preuve d'une pensée cohérente de l'école dans le long terme.

Faut-il réformer le bac ?
C'est vrai, le bac est une machine colossale et couteuse. Or quelques épreuves seulement sont prédictives du résultat pour 90% des candidats. Des voix demandent donc la simplification du bac. Il y a quelques années le député de droite B Apparu demandait 4 épreuves seulement. Un nombre repris récemment par le think tank Terra Nova, devenu proche de Macron. Si elle apparaît logique, la réforme proposée semble surtout susceptible d'abaisser le niveau et d'augmenter l'injustice. En effet on sait, depuis les travaux de D. Oget, que si le bac était passé au contrôle continu les résultats finaux seraient largement différents. Le fait qu'au bac on corrige une copie anonyme augmente les chances de certains candidats : les garçons, les jeunes des milieux populaires.

Dernière partie de l'analyse tout à fait pertinente. Mais pourquoi cette volonté de faire des économies tout en affichant une réussite factice plus grande n'a-t-elle pas rencontré la même lucidité de la part du "Café" en 2008, lors de la réforme de la voie professionnelle ?

Ce que ça coute de ne pas l'avoir
Mais pour bien estimer si le bac a de la valeur, voyons ce qu'il coûte à celui qui ne l'a pas. Si en France personne ne s'est attaché à ce calcul, le caractère pragmatique des Anglo-Saxons nous permet de trouver plusieurs études en ce sens. La plus récente provient de l'Alliance for Excellent Education (AEE) , une association charitable qui milite pour la scolarisation. Pour elle "tout le monde bénéficie des progrès de qualification". Elle a pu calculer la différence de salaire entre un bachelier et un non bachelier (26 923 $ contre 17 299) et partant de là estimer le manque à gagner collectif : si tous les jeunes Américains de 2008 avaient poursuivi leurs études jusqu'au bac, ils auraient apporté 319 milliards de dollars en plus à l'économie américaine durant leur vie.

Admettons que la réussite soit liée au seul salaire (un professeur n'est pas un exemple de réussite, à ce compte...). Le glissement est étrange entre salaire et apport "à l'économie".
On observe qu' à même niveau de diplôme, les diplômés devenus plus nombreux ne sont pas plus employables ou mieux payés au niveau de leur qualification. Les professeurs du primaire en sont un bon exemple : diplômés d'un master, ils sont moins bien rémunérés que leurs collègues moins diplômés des générations précédentes...

Mais puisque les diplômés vivent plus longtemps, deviennent des citoyens plus posés, L'AEE estime également d'autres retombées : "les économies régionales et locales souffrent plus quand elles ont des populations moins éduquées car il leur est plus difficile d'attirer des investissements. En même temps elles dépensent davantage en dépenses sociales". L'AEE a pu calculer qu'en poussant tous les Américains jusqu'à la fin des études secondaires, l'Etat économiserait de 8 à 11 milliards chaque année en aide sociale, 17 milliards en aide médicale. Si le taux de sortie sans qualification des garçons baissait de seulement 5% cela représenterait 5 milliards de dépenses policières en moins.

Curieuse conception de la société...
Dernière édition: 08 Juil 2017 19:32 par Loys.

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11 Jan 2018 23:03 - 11 Jan 2018 23:04 #20343 par Loys
Réponse de Loys sur le sujet La notion de "réussite" scolaire
Tribune d'universitaires du 11/01/18 : www.liberation.fr/debats/2018/01/11/sele...-meme-etoile_1621802

Menée à la va-vite par un ministère que l’on ne peut, a priori, soupçonner d’amateurisme, cette réforme universitaire qui vient révèle, in fine, son vrai visage, idéologique : «En finir avec le mythe de l’université pour tous» (selon les propres mots du président Macron), bref interdire aux élèves des classes populaires et moyennes d’accéder aux études supérieures de leur choix. En un mot, les enfermer définitivement dans un destin scolaire qui sera leur tombeau social.

Dernière édition: 11 Jan 2018 23:04 par Loys.

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