Les limites d'un storytelling scolaire

Emmanuel Macron

Le parcours scolaire d'Emmanuel Macron constitue-t-il vraiment un exemple à suivre de la « méritocratie » par « l'excellence dans l'école publique »  ?

La « méritocratie » par « l'excellence dans l'école publique » : c’est ainsi que l’actuel président de la République, défenseur de « l’émancipation par la transmission »1, a pu rappeler l’importance de notre école républicaine.

Et quel meilleur exemple de la réussite au mérite que… lui-même ? Dans Révolution (2017), M. Macron consacre ainsi le premier chapitre (« Ce que je suis ») à son itinéraire personnel échappant à tous les déterminismes :

« Rien ne me prédestinait aux fonctions que j’ai occupées comme ministre de l’Economie, ni à l’engagement politique qui est le mien aujourd’hui. Je ne saurais vraiment expliquer ce parcours. J’y vois juste le résultat, qui n’est au fond jamais définitivement acquis, d’un engagement déjà ancien, d’un goût sans partage pour la liberté, d’une chance aussi, sûrement. »

L'actuel président présente l’histoire de sa famille, qui avait « accédé récemment à la bourgeoisie », comme celle « d’une ascension républicaine dans la province française ». Ses grands-parents (« enseignant, cheminot, assistante sociale et ingénieur des Ponts et Chaussées ») venaient tous « de milieux modestes ». Sa grand-mère était fille « d’un père chef de gare et d’une mère femme de ménage » qui ne savait pas lire ou lisait mal.

L'accès d'Emmanuel Macron à la magistrature suprême serait donc la dernière pierre de cette belle histoire républicaine. Pour un peu, on croirait Emmanuel Macron presque réchappé à la fatalité de l’illettrisme provincial : « La langue par laquelle quelqu'un comme moi, qui vient d'une famille de province peut devenir président de la République est la vôtre. Soyez en fiers. »2

Ascension… ou reproduction ?

Mais cette belle histoire, destinée à plaire aux enseignants comme aux familles, est quelque peu arrangée : si ses arrière-grands-parents maternels ne savaient pas lire ou lisaient mal… c’était au début du XXe siècle  ! Pour le reste, la reproduction sociale est on ne peut plus classique dans la famille Macron, si provinciale soit-elle : enfants « de médecins hospitaliers », son frère et sa sœur sont également médecins.

Dans son esprit, Emmanuel Macron a su échapper à la reproduction sociale… en n’étant pas médecin !

« Mais, à l’heure où l’on choisit sa vie, je voulais un monde, une aventure qui me soient propres. D’aussi loin qu’il me souvienne, j’ai toujours eu cette volonté-là : choisir ma vie. »

Une « volonté » peut-être un peu favorisée… par une certaine providence sociologique car malheureusement tout le monde ne choisit pas sa vie. Comme tous les présidents de la République (ou presque3), qu'ils viennent de province ou pas, Emmanuel Macron est un homme, il est issu de la bourgeoisie, il a reçu une parfaite éducation catholique et il a été scolarisé dans les meilleures écoles privées.

Évidemment, personne ne songerait à reprocher à Emmanuel Macron son origine sociale s’il ne se donnait pas en exemple à suivre.

Un exemple pour tous ?

« C’est dans ces années d’apprentissage que s’est forgée chez moi cette conviction que rien n’est plus précieux que la libre disposition de soi-même, la poursuite du trajet que l’on se fixe, la réalisation de son talent, quel qu’il soit. Et ce talent, chacun l’a en lui. »

Pourtant, cet exemple donné par le président de la République est d’autant plus problématique que l’explication de sa réussite scolaire est moins à chercher dans l’école que dans « cette famille dont les valeurs étaient si profondément accordées à l’enseignement de ses maîtres » : « Ma grand-mère m’a appris à travailler. Dès l’âge de cinq ans, une fois l’école terminée, c’est auprès d’elle que je passais de longues heures à apprendre… »

Tant mieux pour lui, certes, mais autant le dire : un message de désespoir pour ceux qui ne peuvent compter que sur l’école.

« Nombreux sont ceux qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue » concède Emmanuel Macron, ce qui ne l’empêche pas de se souvenir « de ces enseignants dont c’était l’honneur de suppléer à toutes les carences pour emmener les élèves vers le meilleur. » Nul doute que les carences étaient très nombreuses dans ce curieux modèle de « l’école républicaine » qu’était et qu'est encore le collège jésuite de la Providence à Amiens.

De façon étonnante, M. Macron n'hésite pas à fustiger ce dont il est le pur produit : « Cette conviction, par la suite, a déterminé mon engagement politique, en me rendant sensible à l’injustice d’une société d’ordres, de statuts, de caste, de mépris social ».

Et il n'hésite pas à faire, parce qu'il y est parvenu lui-même, cette promesse audacieuse : « Tous les enfants, quel que soit leur quartier, pourront atteindre l’excellence par l’école de la République ! »4

A nous de savoir si cette promesse audacieuse, qui correspond si peu à ce qu'il est, pourra correspondre à ce qu'il fait. Car, à vrai dire, nous avons déjà de bonnes raisons d'en douter.

@loysbonod


Notes

[1]

[2]

[3] De Gaulle, Pompidou, Mitterand ou Hollande venaient de province. Seuls Chirac et Pompidou ont fréquenté l'école publique.

[4]