Complètement TikTok

Dans "Le Monde" (abonnés) du 25/05/2024 : "« Panique morale » au sujet de TikTok ou des jeux vidéo, entre craintes pour la jeunesse et conflit de générations"
PS : on apprend dans cet article qu'Anne Cordier serait "psychologue".


TikTok ne fait ici l'objet d'aucune critique, mais au contraire d'une apologie en règle, sans jamais étudier la réalité des usages sur TikTok. Pour se faire, l'article, rédigé pour la rubrique "Pixels" (laquelle s'intéresse à "l’impact des nouvelles technologies sur nos modes de vie et l’évolution de nos sociétés"), se livre à une vaste entreprise relativiste.

L'analogie avec les romans-feuilletons du XIXe siècle est particulièrement consternante. Quel rapport avec TikTok ?

Au XIXe siècle, le reproche adressé au roman-feuilleton (dont on se demande en quoi il constituerait une "grande innovation dans la diffusion d’œuvres et de médias"), était celui d'avoir nourri une pensée progressiste et révolutionnaire. Rien de plus pertinent : Eugène Sue était député républicain et socialiste (qui dut s'enfuir en 1851). S'en prendre aux auteurs et à leurs œuvres, pendante et après la période troublée 1848-1851 n'a rien d'une "panique morale" à l'égard de la jeunesse, et tout d'une réaction politique contre-révolutionnaire. Rien à voir avec un "guerre générationnelle" ou un "classique conflit de générations", comme l'évoque ensuite l'article.

TikTok, application de divertissement chinoise toute récente, s'adressant à des publics jeunes, voire très jeunes (et dont on se demande également en quoi elle serait une "grande innovation dans la diffusion d’œuvres et de médias"), serait donc un instrument de progrès et de la révolution sociale que des réactionnaires voudrait à tout prix empêcher ?

Le "saucissonage des oeuvres longues", censé faire le rapprochement entre le le roman-feuilleton et TikTok, montre également à quel point l'analogie est artificielle : pour le premier, il s'agit d'une simple publication progressive, pour le second d'extraits de quelques secondes totalement décontextualisés.

Quant à la "normalisation" des romans-feuilletons, pour en rester au parallèle historique, on se demande bien de quoi il peut s'agir : les romans-feuilletons sont totalement passés de mode. Pour s'en sortir, M. Leloup fait un curieux amalgame entre les romans-feuilletons et la lecture en générale, qui, elle, se serait imposée... mais contre qui, au juste ?

Le plus amusant est que la lecture, en ce début du XXIe siècle, est en plein recul auprès de la jeunesse, comme en atteste les études de pratiques culturelles , les nouvelles technologies y contribuant fortement, mais peu importe : M. Leloup cultive ce paradoxe selon lequel TikTok serait même "plutôt l’une des meilleures choses qui soit arrivée au monde de l’édition", confondant visiblement vecteur publicitaire et pratique culturelle...

Autre chose amusante : dans la longue litanie (relativiste) des "paniques morales" injustifiées (le téléphone, le jazz, le cinéma, la télévision, les comics et mangas, le jeu de rôle, le rock ou les jeux vidéo), M. Leloup cite la télévision dont les effets négatifs sur les enfants sont reconnus même par les défenseurs des écrans...

Mettre Goldorak sur le même plan que la lutte républicaine et sociale d'Eugène Sue, il fallait oser.