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"Jeux vidéos éducatifs : qu'en dit la science ?" (RSLN)
- Loys
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Avec de telles "analystes", l'objectivité est garantie ! D'ailleurs, ça me rappelle un court papier (un peu grossier, il est vrai) que j'avais écrit sur ce genre "d'études" commanditées par un éditeur pour promouvoir ses jeux : gamingsince198x.fr/vite-dit/les-jeux-cas...teur-de-jeux-casual/C'est ce qu'a entrepris SRI International, un institut de recherche créé par les fondations Bill Gates et MacArthur.
Cela dit, si on veut avoir un avis un peu plus sérieux sur les aspects pédagogiques de certains jeux vidéo, il y a Laurent Bègue : merlanfrit.net/Entretien-avec-Laurent-Begue
Il vous arrive de louer les vertus "pédagogiques" du jeu vidéo, ou des effets "positifs" des jeux "prosociaux". Avez-vous des exemples en tête ? N’est-il pas possible de penser le jeu vidéo autrement qu’en termes d’effets "positifs/négatifs", ou de contenu "violent/non-violent" ?
J’ai parlé d’effets "positifs" au sens large pour rappeler que le problème n’est pas le jeu vidéo mais son contenu. Il faut certainement préciser. Dans le domaine des apprentissages, le jeu vidéo peut surpasser des méthodes traditionnelles. Selon une étude réalisée en école primaire, la réussite à des contrôles de géographie et la motivation des élèves est supérieure lorsqu’ils ont joué à un jeu pédagogique sur cette discipline (Tuzun, 2009). Une étude de Green et Bavelier (2003) a montré qu’après avoir joué à des jeux vidéo, l’attention visuelle des joueurs est moins fatigable, ceux-ci évaluent un plus grand nombre d’objets que les non-joueurs, et ont de meilleures performances dans la poursuite simultanée de plusieurs objets dans le temps et l’espace. Une autre étude consacrée aux jeux de stratégie montre qu’après un entrainement de 24 heures, les participants avaient une amélioration de la mémoire de travail, la mémoire visuelle à long terme et le raisonnement (Basak, 2008). Des effets existent également dans l’éducation à la santé (une synthèse de 27 recherches indépendantes montrent de meilleurs apprentissage des contenus de santé, du fait d’un certain nombre d’aspects comme l’identification plus forte aux modèles (et donc à leur message), du caractère immersif, de l’adaptation au niveau des connaissances de chaque joueur et du soutien de l’attention, par exemple. On pourrait citer de très nombreux autres exemples, qu’il s’agisse de thérapie virtuelle (j’ai récemment visite le laboratoire du Pr Roland Jouvent qui développe ces outils dans son labo de la Salpêtrière à Paris), de remédiation dans les cas de dyslexie ou d’apprentissages professionnels. Les possibilités sont infinies. Pour terminer, j’aime citer ces recherches menées par questionnaire, par suivi de cohortes ou en laboratoire et menées aux États-Unis, à Singapour et au Japon, et qui montrent que la pratique de jeux vidéo impliquant des interactions coopératives et altruistes (par exemple certains segments de Super Mario Sunshine) augmentaient ces conduites dans la vie réelle.
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- Loys
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Papier très amusant.Shane_Fenton écrit: Avec de telles "analystes", l'objectivité est garantie ! D'ailleurs, ça me rappelle un court papier (un peu grossier, il est vrai) que j'avais écrit sur ce genre "d'études" commanditées par un éditeur pour promouvoir ses jeux : gamingsince198x.fr/vite-dit/les-jeux-cas...teur-de-jeux-casual/
Merci pour votre citation de l'entretien avec Laurent Bègue. Il faudrait en discuter plus longuement. Je retourne à la lecture de l'article entier.
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Je me permets de commenter le passage que vous avez cité. Ces études sont, à mon avis, à prendre avec précaution.Shane_Fenton écrit: Cela dit, si on veut avoir un avis un peu plus sérieux sur les aspects pédagogiques de certains jeux vidéo, il y a Laurent Bègue : merlanfrit.net/Entretien-avec-Laurent-Begue [...]
Celle qui prétend que les jeux de stratégies améliorent la mémoire de travail est assez suspecte, par exemple : toutes les études sur la MDT semblent indiquer qu'on ne peut pas l'entrainer, ce serait bizarre que celle-ci fasse exception.
De plus, certaines de ces études observent une amélioration de certaines capacités cognitives, pas une augmentation des résultats des élèves. Savoir que l'attention visuelle ou la motivation augmentent, c'est bien, mais encore faut-il que les résultats des élèves suivent le même chemin.
Ensuite, ces études ne semblent pas regarder ce qui se passe à long terme. Elles évaluent les effets sur quelques jours ou semaines, pas plus (sauf celle sur les thérapies virtuelles, l'éducation à la santé, et celle mentionnée en dernier). Mine de rien, tirer des conclusions sur des études à court terme est trompeur : ceux qui ont conçu la pédagogie explicite ont eu le coup avec le sur-apprentissage, par exemple.
Et surtout, elles ne comparent pas avec un grand nombre d'autres méthodes alternatives : il faudrait comparer les jeux vidéos avec d'autres approches. Parce que 5% d’amélioration avec des jeux vidéos, c'est bien, mais si on peut avoir 10% en lisant un manuel scolaire, c'est autre chose. Et je suis persuadé qu'il y a des améliorations bien plus urgentes que dépenser de l'argent public dans l'acquisition de jeux vidéos pédagogiques.
Et elles ne disent rien du mécanisme qui augmenterait les résultats des élèves joueurs (important de comprendre ce qui se passe derrière les corrélations). C'est pas un drame en soit, mais ça n'a pas vraiment la même qualité que d'autres travaux en pédagogie, (comme les travaux sur la charge cognitive, par exemple).
Après, toutes les étudees ne sont pas comme cela. Personnellement, il me semble avoir vu (il y a quelques années) une étude sur les jeux vidéo, effectuée par Alain Lieury. Le bilan était que ce jeux vidéo n'amélioraient pas les résultats en lecture et écriture, mais qu'elles avaient un léger effet (5%, de mémoire) sur les résultats en calcul. A mon avis, rien de suffisant pour justifier l'investissement.
Sinon, j'ai aussi entendu parler d'une étude (que j'avais vu sur le blog de Francois Guitte) sur les jeux vidéos 3D en vue subjective, qui semblait montrer une légère amélioration des résultats en mathématique sur des élèves de primaire/collège. Les effets étaient faibles, mais significatifs sur le long terme (quelques mois).
En soit, il n'y a pas de biais, et ces études sont certainement bien faites, mais elles ne donnent pas d'arguments en faveur des vidéos éducatifs, et sont à prendre avec quelques précautions.
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Pour ce qui est d'Alain Lieury, son étude concernait surtout un jeu en particulier, le Programme d'Entraînement Cérébral du Docteur Kawashima (qui est en fait l'adaptation vidéoludique d'un livre d'exercices) sur Nintendo DS :
www.risc.cnrs.fr/pdf/203_Focus.pdf
www.cerveauetpsycho.fr/e_upload/boutique...016020_encadres1.pdf
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Si l’Éducation nationale semble avoir admis que [...] la bande dessinée peut être éducative, si certains enseignants chagrins ne sont pas loin de voir en elle le dernier rempart contre l’analphabétisme (« mieux vaut qu’ils lisent des bandes dessinées plutôt que rien »), encore importe-t-il de savoir quel est exactement l’usage qui est fait de la bande dessinée dans les manuels et dans les classes. [...] Une œuvre de bande dessinée entrera dans les classes en vertu de son sujet, non de ses qualités propres. Que les Alix de la dernière période soient indigents et indignes de la grande période de Jacques Martin n’est d’aucune importance s’ils permettent d’illustrer tel aspect de la vie dans l’Antiquité et d’en favoriser la compréhension. Pour aborder Proust, quel meilleur moyen que de se servir de la version dessinée par Huet et publiée par Delcourt, en faisant l’économie d’une vraie réflexion sur les (pauvres) qualités et les (criantes) faiblesses de cette adaptation – et naturellement sur l’absurdité même qui consiste à prétendre enseigner La Recherche en l’arrachant à la sphère qui est la sienne, celle de l’écrit.
Un exemple récent qui atteint presque au scandale est celui de la faveur, auprès du public mais surtout des enseignants, de l’album de Pascal Croci Auschwitz (éditions du Masque, 2000, puis Emmanuel Proust éditeur). Très médiocrement dessiné (on note en particulier une incapacité à maîtriser les codes de l’expressivité, tant gestuelle que physionomique), très insuffisamment documenté (la bibliographie donnée par l’auteur lui-même mentionne trois films, dont deux documentaires, mais pas un seul des livres qui comptent dans la littérature sur les camps), l’album se réclame de Claude Lanzmann, dont chacun sait pourtant qu’il défend la thèse selon laquelle la Shoah est une expérience impossible à représenter (on se souvient de la vigueur avec laquelle il s’éleva contre le film de Spielberg La Liste de Schindler), et qui ne manquerait certainement pas de désapprouver cette tentative. Voilà donc un ouvrage où le sujet le plus grave qui soit est abordé, avec sincérité peut-être (je n’ai garde de me prononcer là-dessus), mais sans grand talent et surtout avec une légèreté ou une inconscience que l’on ne saurait comment qualifier. C’est pourtant ce livre qui, après avoir reçu en 2001 le Grand Prix de l’Assemblée Nationale (!), est chaudement recommandé par le Centre Régional de Documentation Pédagogique de Poitou-Charentes, et très favorablement accueilli par le corps enseignant comme une aide précieuse pour expliquer la « solution finale ». Cet exemple – comme beaucoup d’autres que l’on pourrait choisir indifféremment dans la bande dessinée ou la littérature enfantine – atteste que les politiques comme les éducateurs n’ont cure de critères esthétiques, même minimaux: ils ne font qu’obéir à des catégories idéologiques.
C’est peut-être ce qu’il y a de plus décourageant, au terme de ce long processus de légitimation, que de constater que tant et tant de personnes par ailleurs cultivées et animées des meilleures intentions abdiquent tout sens critique face à une œuvre de bande dessinée, soit qu’elles se reconnaissent ignorantes des critères d’appréciation qui seraient pertinents, soit qu’elles pensent que, de toute façon, la bande dessinée comme telle échappe au jugement critique parce que toute ambition artistique lui est étrangère. Quel constat plus accablant du fait que les spécialistes ont échoué à faire partager une « culture de la bande dessinée » même minimale ?
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- Loys
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Je pourrais apporter une réflexion analogue sur le cinéma, auquel correspond pourtant une vraie "culture" après un long "processus de légitimation". Nombreux sont les élèves qui pensent qu'il suffit de voir Les Liaisons dangereuses de Milos Forman pour n'avoir pas à le lire : or, le film ayant par ailleurs des qualités propres, est totalement inapte à restituer ce qui fait l'essence des Liaisons : un usage averti ou perverti de la langue dans l'échange épistolaire, la narration conservée dans l'adaptation ne lui servant au fond que de support.
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