- Messages : 279
"FAJV : à qui vont les aides au jeu vidéo ?" (Gamekult)
- Shane_Fenton
- Auteur du sujet
FAJV : à qui vont les aides au jeu vidéo ?
(Dossier, par William Audureau - Vendredi 31/01/2014 à 16h 30)
Soutien vital pour les uns, vaste supercherie pour les autres, le système de soutien à l’industrie géré par le CNC divise les professionnels. Celui-ci distribue en moyenne trois millions d’euros par an aux studios qui parviennent à en bénéficier, mais dans un contexte de crise et d’assèchement des financements, certains reprochent à sa commission son opacité, et soupçonnent ses membres de détourner l’argent public à leur avantage. Accent toulousain, chouquettes et recours en justice : plongée dans l’étrange Kremlin du jeu vidéo français.
"UN SYSTEME QUI FAVORISE LE COPINAGE"
"Je me souviens m'être écrié : 'Si on n'aide pas un projet comme ça, c'est qu'on ne sert à rien et il ne reste plus qu'à fermer boutique !'. Tout le monde était d'accord et deux minutes après c'était bouclé". L’homme qui prononce cette phrase ne porte ni cape ni casque de preux chevalier ; il ne brandit pas Excalibur, ne s’adresse pas aux chevaliers de la Table Ronde, et le projet qu’il s’agit de sauver n’a rien à voir avec la quête du Graal ou le sauvetage d’une damoiselle en danger. Non, l’auteur de ces propos, c’est Olivier Lejade, game designer fondateur du studio Mekensleep, lors de la commission du FAJV du 17 juin 2011, qui a octroyé 200.000 € de subvention non remboursable à FLY'N , le projet d’Ankama. Bonne pioche : avec 80 sur 100 de moyenne sur Metacritic depuis sa sortie sur Steam en novembre 2012, ce jeu de plateforme a connu un joli succès d’estime à l’international.
Pour un grand nombre de studios – sans surprise, ceux qui ont le plus souvent bénéficié des aides – le Fonds d’Aide au Jeu Vidéo (ou FAJV) est un soutien si ce n’est indispensable, du moins très précieux à l’industrie française. Surtout depuis que Infogrames/Atari a disparu et qu’Ubisoft s’est détourné de la création hexagonale, laissant nombre de développeurs riches d’idées mais à sec de tout financement. Précieux, l’argent du CNC l’est donc assurément. Peut-être un peu trop, si l’on en croit les concentrations de critiques sur son mode d’attribution, où l’opacité le dispute à l’administratif. Les 200.000 € octroyés à FLY'N ? Le président d’Ankama siégeait à la commission le jour-même, et si en application du code de déontologie de l’institution, il n’a pas eu le droit de rester dans la salle durant l’examen de son projet, bien des studios s’inquiètent de ce que le FAJV dérive d’un rôle de commission indépendante à celui d’une chaîne de solidarité entre jurés.
"C’est tout un système qui favorise le copinage et la corruption", énumère calmement le cofondateur d’un studio de province. "Je ne dis pas qu’il y en a, mais le système réunit toutes les composantes pour que ce soit possible : manque de transparence sur les processus de choix ; aucune information précise sur les raisons de refus ou d’acceptation d’un dossier ; absence de contrôle par un organisme extérieur des fonds alloués ; absence de contrôle de la commission elle-même ; cumul de fonctions sur une seule personne (non externe donc non indépendante) qui gère la validité du dossier, sa présentation en commission, la remise des fonds et dont le travail n’est jamais soumis à un quelconque contre-pouvoir".
"UN PARTENAIRE ESSENTIEL DE LA CREATION"
La suspicion, toutes les commissions en suscitent. Le CNC n’a pas su y échapper, depuis qu’en 2003, le jeu vidéo a été ajouté aux projets éligibles au FAEM (Fonds d’Aide à l’Edition Multimédia, dont dérive le FAJV). Depuis maintenant dix ans, l’institution œuvre de manière très active au financement de l’industrie vidéoludique, et son importance est croissante, surtout depuis le déclin de la Nintendo DS et l’installation en France d’une profonde crise structurelle. D'après des chiffres du CNC, entre 2009 et 2013, 183 sociétés hexagonales ont sollicité ses différents dispositifs et son enveloppe annuelle moyenne de 3 millions d’euros. Ce n’est pas grand-chose à côté des 290 et 320 millions d’euros dépensés par le CNC en 2012 pour soutenir l’audiovisuel et le cinéma français, mais suffisant pour attirer les convoitises d’un microcosme en crise.
Source : CNC/Gamekult
"Le CNC est un partenaire essentiel de la création, l’une des rares institutions au sein de laquelle nous avons des interlocuteurs dédiés", acquiesce Julien Villedieu, directeur délégué du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV). "Il est très important pour notre secteur". Dans les faits, deux grands systèmes différents y coexistent : l’aide à la propriété intellectuelle, une pure subvention plafonnée à 200.000 € par entreprise, et l’aide à la préproduction, limitée à 400.000 € et 35% des montants de recherche et développement, mais sous la forme d’une avance remboursable pour moitié. La première cible prioritairement les jeunes studios et les projets innovants, la seconde, davantage les studios installés dans le creux entre deux projets. Ces deux dispositifs constituent l’essentiel du FAJV, le Fonds d’aide au jeu vidéo.
UNE DOUZAINE D'EXPERTS, 46% DE CHANCES
La fourchette des entreprises éligibles est large : à l’exception notoire d’Ubisoft, qui dépasse le plafond des 250 employés, à peu près n’importe quel studio français peut espérer en bénéficier, que leur projet parte sur un budget de 16.000 ou de 3,1 millions d’euros. Les résultats de commission, publics depuis 2011, permettent d’apprécier leur variété : Type:Rider (Ex Nihilo), Wargame: European Escalation (Eugen Systems) aussi bien que Beware Planet Earth ! (Lightmare Studio) ont ainsi été soutenus par le CNC, tout comme Styx (Cyanide), White Night (Osome Studio) ou encore le mystérieux Superfarm (Asobo), du côté des projets encore en gestation. Ce que les compte-rendus ne disent pas en revanche, c’est les projets qui ont été éconduits. Syberia 3 (Anuman), From the Ashes (Amplitude Studio) ou encore Wargame : Airland Battle (Eugen Systems) ont ainsi été retoqués au moins une fois par la commission. En tout, sur les 330 projets soutenus depuis 2008, le taux d’acceptation monte à 46%.
Pour la plupart des studios, le système des FAJV a un nom (et un accent), celui de Lionel Prévot, chargé de mission d’origine agenaise et principale interface entre le CNC et les entreprises candidates aux aides. Son nom est en première ligne sur tous les documents officiels liés au dispositif, et pourtant, cet ancien diplomate reconverti du cinéma au jeu vidéo n’a qu’un rôle de piston. "C’est un facilitateur", détaille un habitué du FAJV, mais ce n’est pas à lui que revient le pouvoir d’accepter tel ou tel dossier. Celui-ci revient en réalité à une commission d’une douzaine d’"experts" - comme le CNC les appelle avec insistance.
LES DOUZE DU CNC
Les membres de la commission sont essentiellement choisis au sein de l’industrie : créateurs de studio, directeurs marketing de maisons d’édition, compositeurs ou encore game designer y sont très régulièrement conviés. Plusieurs noms ronflants du jeu vidéo français s’y sont succédés, d’Eric Viennot à David Cage en passant par Frédéric Raynal ou Benoît Sokal. Mais on y trouve également des professionnels emblématiques du développement de l’industrie nationale sur le secteur des mobiles et du web, à l’image d’Anthony Roux, d’Ankama, ou d’Olivier Pierre, de Bulkypix ; des hommes de réseau, comme Nicolas Gaume, quand il n’était pas encore président du SNJV, ou Cédric Laguarrigue, dont la société, Focus Home Interactive, fraye avec de nombreux studios désormais historiques. En moyenne, sur douze membres, neuf viennent de l’industrie, et trois autres d’industries extérieures ou de la fonction publique. Les commissions sont nommées pour deux ans, et la prochaine devrait être révélée dans la quinzaine qui arrive.
Les douze membres sont nommés par la présidente de la CNC sur les suggestions de Guillaume Blanchot, directeur de l’audiovisuel et des industries techniques, et de Valérie Bourgoin, responsable du service jeu vidéo et création numérique. Ceux-ci veillent à équilibrer la composition de la commission en y glissant des regards tantôt extérieurs à l’industrie, comme Sébastien Saunier, directeur du crédit aux entreprises ou Céline Limorato, directrice adjointe de l’unité Jeunesse de France Télévision, ou bien des électrons libres comme le compositeur transmédia Christophe Héral ou le journaliste-animateur Julien Chièze. Chacun est censé apporter son regard et ses affinités. "Pour ma part j'étais surtout sensible à la prise de risque créative au niveau du gameplay", raconte Olivier Lejade, juré en 2010 et 2011. "Mais chaque membre a ses préférences : certains décortiquent les budgets, certains font attention à la cohérence entre les capacités du studio et ses objectifs, certains sont sensibles à la narration et l'univers, d'autres au positionnement marketing, etc...".
"IL FAUT CONVAINCRE EN QUELQUES SECONDES"
Dans les jours qui précèdent l’examen des candidatures, chaque juré doit ainsi éplucher entre trente et quarante dossiers, lesquels font entre quinze et cent pages selon les studios. Le secret pour convaincre ? Des recettes de bon sens, surtout. "Le principe, c’est de devoir aborder le gameplay, l’interface, etc. Il faut montrer qu’on s’est posé des questions", explique Jehanne Rousseau, directrice du studio Spiders, qui a siégé à deux commissions différentes, à celles de 2010-2011 et de 2012-2013. "On regarde ce que les gens ont en tête. S’il y a plein d’images pour un jeu de course mais aucune mention du gameplay, ce n’est pas possible".
A l’inverse, un dossier sans le moindre visuel n’a pas plus de chances, précise-t-elle. Comme à l’université, le secret, c’est souvent de se mettre à la place de la personne qui relit. "Beaucoup de dirigeants de studios ne savent pas exactement ce qu’attend la commission", convient Julien Villedieu, qui est souvent sollicité pour aider les adhérents du CNC à accéder au FAJV. "Le conseil que nous leur donnons est de faire comme si le lecteur de leur dossier n’y connaissait rien et qu’il fallait le convaincre en quelques secondes seulement".
Les "experts" regardent également le volet financier de chaque montage, souvent mésestimé. La règle est simple : 1€ d’apport, jusqu’à un 1€ d’aide. Ainsi, un projet budgété à 40.000€ ne pourra bénéficier que d’une subvention de 20.000€ maximum. Et pour cela, il faut convaincre les experts de la solidité de son montage : capital social, cash, apport en industrie, modèle économique et même plans de crowfunding, tout peut rentrer en compte, pourvu que le dossier se tienne et s’appuie sur des éléments fiables.
"COMME UN CONSEIL DE CLASSE"
Le jour J, c’est-à-dire trois fois par an, les membres de la commission s’attablent dans l’une des nombreuses salles de réunion du CNC. C’est là, rue Galilée, dans un immeuble bourgeois à quelques encâblures des Champs-Elysées, entre les moulures haussmanniennes et les murs jaunes délavés de l’institution chapeautée par le Ministère de la Culture, que les douze juges passeront la journée à discuter de chaque projet. Quelques chouquettes le matin, un verre de vin et un plateau-repas froid le midi, et quelques plaisanteries de bon ton par-ci par-là : l’ambiance est studieuse mais cordiale, assure-t-on.
Chaque projet est examiné individuellement. Après un premier tour de table à l’occasion duquel chacun donne son avis, les membres votent à main levée. "L’ambiance s’apparente un peu à un conseil de classe", convient-on au CNC. Les membres de l’institution et les différents représentants du Ministère du Redressement Public sont présents lors des débats, mais n’ont pas le droit d’y prendre part ni même d’interférer dans les délibérations. L’article 9 de la commission du fonds d’aide au jeu vidéo prévoit également que tout membre concerné directement ou indirectement par un projet se retire de la séance durant son examen et s’interdise toute référence à celui-ci à son retour.
"AVANT, IL FALLAIT DU VERSAILLES, DU ROI SOLEIL, DU LOUVRE..."
La commission n’est tenue à aucun quota. Seule est définie une enveloppe globale à ne pas dépasser, à charge ensuite aux experts de répartir les montants entre les projets jugés les plus méritants. "Fondamentalement, c’est un concours", insiste Jehanne Rousseau. Si lors d’une même session, vingt-cinq projets séduisants ressortent, il ne sera pas possible de les aider tous, ou bien au même niveau, que s’ils n’avaient été que dix. La concurrence frontale joue un rôle important. "Sur une même commission, il nous est arrivé d’avoir neuf tower defence sur cinquante dossiers", continue la responsable de Spiders. "Les premiers, c’est sympa, on peut trouver ça original. Les suivants, ça passe. Mais arrivé aux derniers, ça devient dur d’avoir l’aide. Au final, ce sera le plus joli ou le plus original qui l’aura. Ce n’est pas complètement juste mais cela reflète bien la réalité du marché".
Ce que les studios déçus ne mesurent peut-être pas, c’est qu’il y a encore huit ans, la simple idée de subventionner un petit jeu arcade aux couleurs acidulées aurait fait bondir le CNC. Mais le FAJV a eu le mérite de se sortir d’une vision culturelle, franco-française et élitiste de la production, comme cela avait été reproché aux premières commissions au milieu des années 2000. "Avant, pour avoir les aides, il fallait mettre du Versailles, du roi Soleil, du Louvres, c’était absurde, il n’y avait aucune considération pour le potentiel du jeu à l’international", se souvient Cédric Laguarrigue, directeur associé de Focus Interactive. "Avec Eric Viennot et Nicolas Gaume, qui faisaient partie de la même commission, on a œuvré et argumenté pour que cela change". Depuis peu, les jeux PEGI 18 sont même autorisés.
ENDLESS SPACE, FIERTE DE LA COMMISSION...
Et de fait, les derniers projets acceptés montrent un visage varié et décomplexé. Mieux, la commission a parfois eu le coup de cœur pour des jeux sans la moindre prétention culturelle, juste sur la qualité de leur gameplay ou de leur univers. C’est par exemple les cas de Squids, "un très joli projet avec un dossier impeccable" (Jehanne Rousseau), de Fly’n, "joli et créatif avec un budget solide et des développeurs compétents" (Olivier Lejade), ou encore d’Endless Space, "un dossier sympathique et un projet qui donnait envie", dixit Jehanne Rousseau à nouveau. Tous les trois ont été subventionnés à l’unanimité, et plutôt largement : 110.000 € pour le premier, 200.000 €, soit le maximum, pour les deux autres.
Pour Romain de Waubert de Genlis, fondateur d’Amplitude Studio, les montants octroyés par le CNC ont été "un élément clé" du succès d’Endless Space. Le jeune studio n’en avait pourtant pas un besoin vital pour sortir son premier titre. Des films d’introduction aux musiques, en cas de refus de la commission, cet ancien de DICE et Ubisoft avait juste prévu de sabrer dans les production values, tous les postes de dépense censés améliorer l’immersion. "Le jeu aurait été aussi bon pour ce qui est du gameplay", explique-t-il, "mais aurait été beaucoup plus austère sans l’aide du CNC". Au final, l’aide a représenté près d’un quart du budget total du projet. Elle n’était pas vitale, mais c’est elle qui a permis au studio de donner le coup de polish qui manque parfois à un bon jeu pour atteindre l’excellence.
... ET FLASHBACK, SON BOULET
L’excellence, Flashback, lui, n’y a pas goûté. Pas son remake de 2012, en tout cas. A l’inverse d’Endless Space, qui est l’une des fiertés de la commission, le jeu de Vector Cell restera comme l’un des principaux ratés du système. Et d’un, avec 300.000 € de dotations, le projet a été le jeu le plus généreusement subventionné depuis que les résultats sont publics (certaines aides seraient montées à 400.000 € par le passé). Et de deux, Paul Cuisset siégeait lui-même à la commission lorsque son projet a été examiné, et quel qu’ait pu être le respect des règles de déontologie que le CNC s’impose, le montant de l’aide et la position de juge et partie du célèbre créateur ont fait grincer des dents. Enfin, l’attribution d’une somme aussi massive à un dinosaure de l’industrie française représente absolument tout ce que les jeunes studios indépendants redoutent du système, et contre quoi la commission a elle-même lutté : l’obsession pathologique et le favoritisme pour une sacro-sainte french touch, fût-elle sous respiration artificielle.
Au final, le jeu n’a pas été à la hauteur des attentes. Avec un piètre 50 sur 100 de moyenne sur Metacritic, le titre n’a jamais justifié les espoirs – ni les sommes – placés en lui. Jehanne Rousseau reconnaît que la commission a raisonné à l’affectif. "Flashback, c’est un jeu qui nous a tous bercé, il était question de restaurer cette marque, et pour tous les membres ça a joué", témoigne-t-elle. "On a sans doute été plus enthousiastes que pour d’autres. On est humains aussi". Même son de cloche chez Olivier Lejade, qui écarte d'un revers de main tout vote de connivence en faveur de leur cojuré. "Si on ne fait pas confiance à Paul Cuisset, à qui ferait-on donc confiance ?". Mais deux ans et demi après le vote d’une aide à sa préproduction, le studio a mis la clé sous la porte, et ne remboursera donc jamais la moindre partie des sommes avancées.
"INITIALEMENT, IL Y AVAIT UNE SURREPRESENTATION DES ECHECS"
"Parfois, on se plante aussi", reconnaît Jehanne Rousseau. "Mais à partir du moment où le jeu sort, on peut dire que la commission a fait son travail". Car avec un taux de commercialisation de l’ordre de 21,7% seulement aux débuts de la commission, bien des projets ont sillonné les fonds du CNC sans jamais voir le jour après. "Des gens qui demandent des aides à tort et à travers et qui ne sortent pas de jeu, ça pour moi c’est des abus", dénonce Vincent Dondaine, co-fondateur de Bulkypix, dont l’associé Olivier Pierre a siégé à la dernière commission. Aide à la préproduction et à la création oblige, le FAJV doit vivre avec le risque permanent de voir un projet ne jamais aboutir.
Source : CNC
Entre 2003 et 2010, il n’existait en effet qu’une aide à la préproduction, en théorie remboursable intégralement quel que soit l’aboutissement du projet. Mais une clause d’exonération permettait de ne pas la payer, si le studio prouvait qu’il avait entrepris des démarches commerciales pour trouver un éditeur. Dans les faits, neuf dossiers sur dix en bénéficiaient. "A une époque où il fallait rembourser 100% de l'aide [en cas de commercialisation], c'était plus intéressant de ne pas sortir son jeu", explique Patrick Pliggersdorfer, fondateur du studio Cyanide et vétéran de l’industrie. Les dossiers-fantômes, montés pour récupérer de l’argent public sans réel projet derrière, auraient même été légion au milieu des années 2000, aux dires de plusieurs vétérans de l’industrie. Darkworks y aurait longtemps excellé, mais bien d’autres s’engouffraient dans les failles du système. "Initialement, c’était une sorte de taux à 0% que l’on ne remboursait qu’en cas de succès", corrobore Cédric Le Dressay, cofondateur du studio Eugen Systems. "Je pense que le CNC s’est rendu compte qu’il y avait une surreprésentation des échecs, et a modifié le système".
REMBOURSER OU MOURIR
Ce parachute a en effet été supprimé en 2010 avec l’introduction de l’aide à la propriété intellectuelle. Désormais, 50% de l’aide relève de la subvention, donc d’une somme acquise pour toujours, mais le reste prend la forme d’une avance remboursable sous trois ans. La clause d’exonération a elle été supprimée. Il n’est donc plus possible de s’extraire à la restitution de cette somme. Sauf à mettre la clé sous la porte entre temps, comme cela a pu être le cas de Vector Cell ou Mimesis Republic.
Ce nouveau système encourage davantage les studios à concrétiser leur projet. Le taux de commercialisation tournerait depuis aux alentours de 65%. Le durcissement des conditions d’exonération explique peut-être aussi pourquoi Lexis Numérique a déjà lancé (et raté) deux campagnes KickStarter pour Taxi Journey (168.000 € en juin et 98.000 € en septembre dernier). Elle a bénéficié de 233.000 € du FAJV entre 2011 et 2013, années où son directeur commercial Djamil Kemal siégeait à la commission. Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile de savoir si la société d’Eric Viennot cherche des fonds pour boucler un projet en souffrance ou pour rembourser la moitié des 133.000 € octroyés par la commission en avril 2012 pour Taxi Journey. La société marseillaise est depuis janvier en procédure de sauvegarde. Si elle disparaissait, pour ce seul projet, l’Agent comptable ferait une croix sur 66.500 €.
EUGEN SYSTEMS, PREMIER DE LA CLASSE
Privilégier les studios susceptibles de rembourser les avances, voilà donc l’une des clés pour séduire les experts, en marge des questions de gameplay et de qualité. A ce jeu-là, si la commission a un chouchou, c’est Eugen Systems, à en croire les résultats des huit dernières sessions rendues publiques. Toutes aides confondues, entre trois projets acceptés, le studio a récolté 628.000 €, soit plus de 5% de toutes les aides distribuées sur la période. Aucune autre société n’a été mieux lotie. "On a remboursé tout le temps, même quand on a nous-même décidé d’annuler le projet", explique Cédric Le Dressay. "Avec nous, le CNC prend un risque faible". Le studio parisien, bon payeur, sait également s’appuyer sur la crédibilité acquise au fil des années au sein de l’industrie française.
"Ils ont une réputation sérieuse, sortent les jeux qu’ils ont annoncés, et jouissent d’une image positive à la commission. Leur historique plaide en leur faveur et ils maîtrisent très bien leur sujet", explique Jehanne Rousseau. Ce CV solide explique probablement pourquoi le taux d’acceptation des dossiers soumis par Eugen Systems dépasse les 80% (il serait de 5 sur 6, selon son dirigeant). Mais ce succès repose aussi sur la cohérence entre le savoir-faire du studio et les prototypes qu’il soumet : les créateurs de Wargame restent dans leur genre de prédilection et n’en sortent pas. "Si subitement ils présentaient un truc au gameplay barré dans un univers enfantin et coloré, on se poserait davantage de questions", plaisante Olivier Lejade. "Mais quand Eugen System présente un RTS de guerre réaliste, c'est difficile de leur dire non : ils connaissent leur marché et savent de quoi ils parlent mieux que n'importe qui autour de la table".
UNE NOUVELLE DONNE POUR LES EDITEURS
Si un éditeur peut se réjouir, c’est bien sûr Focus Home Entertainment, partenaire historique d’Eugen Systems, mais aussi de Cyanide et Spiders, soit trois des studios les mieux installés et les plus régulièrement subventionnés par le CNC. Les aides reçues par les sociétés de développement peuvent leur permettre d’étendre leurs droits sur le jeu, et à l’éditeur francilien de se désengager financièrement d’autant, pour mieux réinvestir sur d’autres studios plus jeunes. "C'est un cercle vertueux", explique Cédric Laguarrigue, "car il peut permettre à un studio subventionné de participer au financement de son jeu, et à ce titre, s’il travaille avec un éditeur ou un distributeur, d’augmenter de manière conséquente sa part sur les revenus. Les studios deviennent plus autonomes, et c’est comme ça que l’industrie peut se consolider".
Cette approche n’est toutefois pas défendue par tous. Notamment dans le cas où le développeur est encore trop jeune et trop inexpérimenté pour défendre ses intérêts. "Dans le jeu vidéo, il y a une multitude de petits studios montés par des créatifs passionnés qui apprennent le commerce, la gestion et le management sur le tas", resitue Christophe Bandini, de Naoplay, un studio célèbre dans le landerneau pour être parti en guerre contre le FAJV. "Face à eux on trouve de vrais entrepreneurs comme Bulkypix, Ankama, etc. Ceux-là savent utiliser le système et les petits studios se retrouvent vite sous leur tutelle".
"CERTAINS EDITEURS 'RECUPERAIENT' LE FINANCEMENT"
Stéphane Longeard, qui présente Anuman comme l’un des derniers éditeurs à faire vivre les petits studios français, pointe les vicissitudes de ce rapport de force. "Jusqu’à la mise en place de la règle permettant aux éditeurs de soumettre directement les projets, lorsqu’un studio décrochait une aide, certains éditeurs n’hésitaient pas à 'récupérer' le financement du CNC pour leur propre compte, en déduction des dépenses de production dues au studio. Au final, la contrainte de soumission imposée par le CNC n’était absolument pas bénéfique au studio et entrainait la mort de celui-ci à terme".
Certains éditeurs présents à la commission seraient même allés, il y a quelques années, jusqu’à mettre en avant leur statut pour signer des contrats avec de jeunes studios débutants. "En gros, Bulkypix nous a laissé entendre : faites le jeu avec nous, en co-production, et vous aurez les aides de la commission", témoigne Adrien Bennaroche, de Naoplay. "J’ai coupé court à la conversation ; je n’ai pas besoin d’un mac". Bulkypix nie catégoriquement un quelconque abus de position dominante. "Signer avec nous un contrat d'édition ou de coproduction n'a jamais assuré une aide au CNC", corrige Vincent Dondaine avec fermeté. "BulkyPix est un éditeur reconnu, le studio peut en faire état lors de sa demande pour crédibiliser son business plan. Par ailleurs, en tant que développeur nous avons également déposé des dossiers dont une large majorité a été rejetée".
UNE MEFIANCE QUASIMENT STRUCTURELLE
Quoi qu’en disent les membres des anciennes commissions, la question des conflits d’intérêts revient régulièrement dans les débats. Les importantes sommes d’argent en jeu, l’identité des décideurs et enfin le manque de transparence suffisent à alimenter les rumeurs. Comme le signalait plus haut un responsable de studio, "c’est tout un système qui favorise le copinage et la corruption. Je ne dis pas qu’il y en a, mais le système réunit toutes les composantes pour que ce soit possible". Stéphane Longeard va plus loin : "C’est aberrant !", brocarde le président d’Anuman. "Il ne peut de toute manière pas y avoir de neutralité, si la commission est composée de gens de l’industrie. Chaque professionnel a forcément des affinités dans le milieu et ne peut pas voter les projets des autres en toute objectivité"
Difficile en effet d’accorder toute confiance à une tablée d’experts quand ceux-ci sont à la fois juges et partie. "Clairement, ça peut être discutable", admet Vincent Dondaine, de Bulkypix. "Après c’est une question de probité : à chaque fois qu'un conflit d'intérêt peut apparaitre, le membre de la commission concerné quitte la salle. Le système me parait ainsi extrêmement clair". Certains studios veulent croire à la sincérité des jurés. "Sur le papier, on pourrait croire que la commission favorise les conflits d’intérêt, mais au niveau opérationnel, je ne crois pas qu’il y en ait", assure ainsi Cédric Le Dressay.
10 CAS SUSPECTS SUR 115
Si l’on regarde les chiffres, les cas où un studio est à la fois juge et partie ne sont pas majoritaires, mais ils existent. Ainsi depuis 2011, première année où les données sont publiques, sur les 115 projets de jeux acceptés, 10 ont été soumis par des sociétés représentées dans la commission.
Source : CNC/Gamekult
"Là où les membres de la commission sont objectivement avantagés", reconnaît Jehanne Rousseau avec transparence, "c’est qu’on sait comment présenter un dossier pour qu’il soit lisible". Or qu’un studio siège ou non à la commission, son activité reste la production, et ses besoins de financement persistent même lorsqu’il devient juré. "Le problème est insoluble", rebondit Vincent Dondaine. "S’il y a des experts du jeu vidéo à la commission, doivent-ils s’exclure des aides ?". Plus en profondeur, Olivier Lejade pointe l’impossibilité d’établir un système d’évaluation qui puisse satisfaire tout le monde : "Soit la commission est constituée au moins en partie par des professionnels en exercice, soit pas. Dans le premier cas, il y aura des gens pour crier au favoritisme. Dans le second, il y aura des gens pour crier à l'incompétence".
JUSQU'A 207% D'AIDES ALLOUEES AUX JURES
Mais parce que le CNC a pris son parti de s’appuyer sur des industriels, et ce quelle que soit sa section, c’est donc de favoritisme qu'est régulièrement suspecté le FAJV. Après tout, les membres de la commission ont longtemps été bénévoles. Ils sont désormais défrayés, mais uniquement pour la journée, alors que le travail préparatoire au vote leur prend dans les faits jusqu’à une semaine de travail, selon les sessions. Un travail ingrat que nombre d’entre eux justifient par leur envie d’aider le jeu vidéo français. La question traverse naturellement les esprits. Et si certains se payaient de leur travail de juré sur les aides ?
Source : CNC/Gamekult
Dans les années récentes, une commission a été particulièrement surveillée : celle de 2010-2011, où les fonds alloués à des studios représentés dans le jury ont pu représenter jusqu’à un quart des financements distribués. "La précédente commission, plusieurs membres du SNJV s'en étaient plaints, il y avait des suspicions de connivences", confirme Patrick Pligersdorffer. Depuis, la commission a été changée, et la part d’aides allant à des studios représentés au jury est brusquement passée de 21,8% en 2011 à 6,8% en 2012 (les résultats de la dernière session de 2013 ne sont pas encore connus).
"IL Y A EU DES DOSSIERS REFUSES AUX MEMBRES"
Pour autant, impossible d’en tirer des conclusions définitives. Tout d’abord, la règle de base du FAJV interdit à tout dossier de demander plus d’argent que le studio n’en apporte lui-même. Or qu’il s’agisse d’Ankama, de Spiders, de Lexis Numérique ou encore d’Asobo, toutes les sociétés de développement représentées à la commission bénéficient d’une assise financière bien plus importante qu’une microsociété sans autre apport que des fonds personnels ou des allocations chômage, comme c’est le plus souvent le cas dans le tissu industriel français. Cela ne signifie pas que ces derniers ne peuvent prétendre au FAJV, mais mécaniquement, en suivant la règle du 1€ d’aide pour 1€ d’apport, les plus gros studios ne peuvent qu’aspirer les plus importantes subventions.
Par ailleurs, quid des cas où des membres de la commission se sont fait refuser leur demande ? "Il y en a eu", assure Jehanne Rousseau, forte de ses quatre années passées à la commission. Combien ? Impossible de le savoir, justement, la rue Galilée se refusant à communiquer sur les projets retoqués. En attendant, les anciens jurés n’ont que leur parole pour assurer de leur probité, à l’image d’Olivier Lejade, particulièrement agacé lorsqu’il est questionné sur le sujet. "Si j'étais capable de ce genre de manigances", rétorque l’intéressé, "je me serais épargné de la peine en le faisant dès la session précédente, où je présentais un autre projet de jeu géolocalisé, au même niveau de subvention, mais qui s'est, lui, fait rejeter".
UN CLIMAT D'INCOMPREHENSION
Mais faute de transparence, la méfiance reste de mise chez les petits studios, et la réputation délétère de la commission est suffisamment ancrée pour que la plupart sollicitent l’anonymat pour critiquer l’institution. "Comme tout système opaque, dans le doute, il existe des suspicions. J’ai des impressions, des doutes, des infos en off", confie un professionnel du Sud-Ouest, énigmatique. "Est-ce qu’il y a eu du copinage, du graissage de pattes ? Je n’ai jamais su au juste. Mais à Lyon Game, de nombreuses rumeurs circulaient", corrobore un ancien entrepreneur rhônalpin.
Pour les studios candidats au FAJV, plus encore que les suspicions de conflits d’intérêts, c’est surtout l’opacité du fonctionnement de la commission qui désarçonne. Car des débats qui ont eu lieu rue Galilée, les candidats ne connaîtront jamais la teneur, mais juste la conclusion, laconique. Nombreux sont ceux qui ne comprennent tout simplement pas pourquoi leur projet a été accepté ou refusé. "J’ai l’impression que le concept de March of History a plu grâce à son contenu culturel fort, mais je n’ai aucune idée des critères en fonction desquels le projet a été accepté", remarque ainsi Lévan Sardjevéladzé, géant de Celsius Online, pourtant heureux bénéficiaire du FAJV. "D’ailleurs, j’ai vu certains jeux intéressants, comme Penguins vs Parrot, qui, je crois, ont été reçus alors qu’ils ne s’appuient pas du tout sur un contenu culturel ! Donc en fait, je n’ai aucune idée des critères, ou bien je ne m’en souviens plus".
Un studio de province témoigne du climat d’incompréhension qui règne chez certains dans l’industrie : "Notre dossier a été accepté, mais on voudrait en déposer un autre qu’on ne saurait pas sur quels éléments s’appuyer. Il n’y a pas de compte-rendu des sessions, ce n’est pas transparent". Et de regretter l’absence d’éléments tangibles sur le site ou dans les courriers officiels du CNC. "Quand tu apprends que ton dossier a été recalé sans aucune explication, tu te retrouves un peu comme un con et je comprends que ce soit dur à vivre", compatit Romain de Waubert de Genlis. "Personnellement, on ne l’a pas mal vécu, mais on était surpris".
"IL FAUT FAIRE L'EFFORT DE SE FAIRE EXPLIQUER"
Au CNC, la complainte du studio sous-informé a le don d’agacer. Certes, les bénéficiaires de l’aide ne reçoivent pas de compte-rendu détaillé de la session et les projets éconduits doivent se contenter de quelques lignes succinctes. Mais le chargé de mission attaché au FAJV assure se tenir à disposition de tous ceux ayant besoin d’éclaircissements, ce qui n’a pas échappé aux entreprises les plus installées. "Il faut faire l'effort de se faire expliquer pour quelle raison on a été refusé", explique Patrick Pligersdorffer, de Cyanide. "Dans notre cas, la commission n'était pas d'accord avec le choix des supports : nous visions le PC, elle voulait que l'on fasse une version tablette. Tant pis, on ne va pas faire une version tablette juste pour leur faire plaisir".
Même son de cloche chez Cédric Ledressay, d’Eugen Systems : "J’ai appris ensuite pourquoi le financement d’Air Land Battle nous avait été refusé. De mémoire, c’était pour une raison de droits, le contrat avec l’éditeur avait déjà été signé". "On a appelé Lionel Prévot qui nous a expliqué que le dossier ne faisait pas assez concret", abonde Romain de Waubert de Genlis. "On a avancé, on l’a revu, et six mois plus tard on l’a représenté avec succès". Le responsable d’une association régionale tente de nuancer : "L’opacité des décisions, c’est une critique qui revient souvent. Certains disent qu’il faut être coopté, ou connaître quelqu’un. C’est vrai que ça fait rager quand on est un jeune studio et qu’on connaît mal l’écosystème français. Mais il y a aussi une part de subjectif, et je suis sûr qu’il y a autant d’histoires différentes que de personnes qui ont été en contact avec la commission".
"ABSENCE DE MOTIVATION REELLE ET SERIEUSE, EXCES DE POUVOIR ET PARTIALITE"
L’aspect pochette surprise de la commission, la très grande majorité des entreprises finissent par s’en faire une raison, faute d’alternative. Mais certains s’y sont refusés, comme Naoplay, jeune société fondée en avril 2011. Contrairement à bien d’autres, les trois amis à son origine ne sont pas du sérail. Originaires d’horizons aussi divers que la publicité, l’informatique de réseau ou la finance, ils décident de se lancer dans le jeu vidéo pour rompre avec l’ennui de leur activité professionnelle principale. Mais la commission se montre méfiante. "Le CV compte aussi", rappelle Jehanne Rousseau "Si vous avez de la bouteille, vous avez plus de chance d’obtenir une aide que si vous sortez de nulle part, ou que vous êtes une agence de publicité sans expérience du jeu vidéo, comme cela s’est déjà présenté".
Mais la plus grande frustration du studio est ailleurs : Naoplay, qui entendait demander 30.000 € à la commission, se laisse convaincre par le chargé de mission du CNC de gonfler la facture pour obtenir plus, raconte Christophe Bandini, l’un des cofondateurs. La jeune société s’exécute, et dépose finalement un dossier pour une aide de 400.000 €. Las : la commission la lui refuse, arguant que la demande est disproportionnée. Au sein du studio, la stupeur laisse très vite la place à la suspicion. "Quand mon associé a regardé le résultat de la session précédente, environ 40% des aides étaient allés aux membres de la commission", continue Christophe Bandini. "Et au final, c’était plus encore, avec les studios qui leur appartenaient ou leur étaient affiliés d’une manière ou d’une autre". Furieux, les trois associés déposent fin 2011 un recours pour excès de pouvoir contre le CNC, demandent l’annulation de la décision, le réexamen du dossier et le dédommagement des frais de justice pour "absence de motivation réelle et sérieuse, excès de pouvoir et partialité". Ils ne seront pas les derniers.
LE DROIT D'ETRE INFORME
En septembre 2012, nouvelle banderille, cette fois signée d’Eurocenter Games, société francilienne déboutée de sa demande d’aide à la session d’avril. Dans un autre recours administratif, elle adresse au CNC les critiques habituelles : "la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée ; la composition du comité d’experts chargé de rendre un avis sur l’attribution de l’aide méconnaît le principe d’impartialité ; la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit tenant à l’ajout d’un motif de refus non prévu par les textes applicables ; le refus du CNC est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation".
La société Eurocenter Games y argue notamment qu’en vertu de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979, "Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits, refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (…)". Le CNC y opposera que l’attribution du FAJV ne constitue pas un droit, et à ce titre, n’a pas à être motivée.
LE KREMLIN DU JEU VIDEO FRANCAIS ?
Opacité, conflits d’intérêts, impression d’une forteresse impossible d’accès… Et si le CNC était le Kremlin du jeu vidéo français, suggère-t-on alors à différents interlocuteurs ? "C’est un peu ça", acquiesce volontiers Christophe Bandini, de Naoplay. "Le CNC a effectivement un côté 'Kremlin', tant la difficulté de l’obtention des fonds par les éditeurs ou développeurs et l’opacité qui règne autour de l’attribution de ceux-ci sont importantes", corrobore Stéphane Longeard, à la tête d’Anuman Interactive. "Contrairement à certaines aides comme le programme Media sur 100 points, les conditions d’obtentions sont trop subjectives, il n’y a pas de grille de soumission et forcément les refus sont laconiques".
Mais la plupart tendent à minorer. "'Opaque' donne une impression de malhonnêteté alors qu’au fond, le problème, c’est qu’on n’a aucune idée du fonctionnement, tout simplement", tempère ainsi Lévan Sardjevéladzé, de Celsius Online. "Cela me paraît excessif", confirme Romain de Waubert de Genlis. "Ils ne sont pas aussi puissants que ça, et ce côté administratif et opaque n’est pas propre au CNC, c’est la France qui est comme ça. Au Canada, ils font les choses différemment". Habitué du fonctionnement de l’institution, Patrick Pligersdorffer ne dit pas autre chose : "certains studios, indépendamment de leur taille et de leur âge, ne comprennent pas que la commission du FAJV, ce n'est pas un guichet où il suffit de montrer sa carte pour avoir un chèque. Pour obtenir l'aide, il faut un dossier solide".
"IL Y A EU QUELQUES MAUVAIS PERDANTS..."
Et même si le chargé de mission du FAJV, Lionel Prévot est parfois présenté comme "un enfer administratif à lui tout seul", la plupart des acteurs lui savent gré de s’être battu auprès de Bruxelles pour la reconduction du crédit d’impôt sur les jeux vidéo, ou encore le déplafonnement des aides à la préproduction, qu’il a fait passer en aide à la R&D pour échapper à certaines restrictions européennes. "Il s’y connaît dans le domaine, ce qui n’est pas évident dans le jeu vidéo", observe Lévan Sardjevéladzé. "Il est même très au courant des différents projets et studios, même dans le reste de l’Europe".
Du côté du CNC, les critiques sont donc reçues avec flegme. "35% de taux de réussite, ça fait 2 frustrés sur 3", persiffle-t-on la rue Galilée. "Il y a eu quelques mauvais perdants qui ont parlé un peu plus fort que d’autres", résume poliment Jehanne Rousseau. Certains jurés auraient même reçu des appels d’insultes de la part de studios recalés, ajoute-t-elle avec dépit. Mais l’ancienne membre de la commission repousse avec flegme la comparaison. "Kremlin du jeu vidéo, c’est sévère", sourit-elle. "Cela renvoie l’image d’une institution pourrie par la corruption et je peux catégoriquement affirmer que ce n’est pas le cas"
LE TRIBUNAL DONNE RAISON A LA COMMISSION
En janvier 2014, le Tribunal administratif de Paris donne finalement raison au CNC et à sa commission : les deux recours en justice sont coup sur coup déboutés par le Tribunal administratif de Paris. Motif ? Aucune des deux sociétés n’est parvenue à prouver que la présence de professionnels à la commission suffisait à mettre en doute le respect du code déontologique du FAJV ou la probité de ses jurés. "Il est constant", observe le TAP, "que plusieurs sociétés de jeux vidéo ont obtenu l’aide à la création qui a été refusée à Eurocenter Games malgré leur situation de concurrence avec les sociétés dans lesquelles lesdits membres avaient des intérêts".
Il reste à voir comment le FAJV peut évoluer. Comme l’explique Cédric Lagarrigue, "il ne faut pas casser l’outil, il faut l’améliorer". Certains évoquent des pistes intéressantes pour résoudre en partie les problèmes d’impartialité : introduire des professionnels extérieurs à l’industrie française. "Qu’il n’y ait que des professionnels étrangers, non, mais un ou deux industriels européens, cela me parait intelligent", convient Vincent Dondaine. "Surtout qu’en France on a un regard créatif mais il nous manque parfois le regard business. Savoir ce que pense un professionnel américain ou un chinois des jeux présentés serait indéniablement un plus". De son côté, le CNC n’exclurait plus de communiquer sur les projets recalés, afin de lever toute ambiguïté.
"UN PANSEMENT SUR UNE JAMBE DE BOIS"
Si le fonctionnement du CNC suscite commentaires et fantasmes, au moins, il y a un point sur lequel tous les acteurs se rejoignent : il a pris une place anormalement importante dans le paysage français. "Les financements FAJV deviennent de plus en plus essentiels, cela prouve qu’ils ont été bien pensés", détaille Julien Villedieu, "mais c’est inquiétant aussi, car cela démontre la pénurie des autres formes de financement et renforce leur impact sur les productions, au-delà de ce qu'ils devraient être". Ou pour le dire avec la gouaille d’un ancien dirigeant : "ces aides, c’est un pansement sur une jambe de bois".
Augmenter les subventions ne corrigera pas les problèmes structurels auxquels sont confrontées les sociétés françaises : droit du travail inadapté aux cycles de production, manque de compétences commerciales, assèchement des sources traditionnelles de financement, sous-dimensionnement des sociétés, raréfaction des contrats de commande des éditeurs ou encore hyper-concurrence sur le web et le mobile, etc. Aujourd’hui, nombre de studios se battent avec leurs modestes armes pour bénéficier de ces enveloppes, et les aides du CNC passent pour une solution à la crise du jeu vidéo français. Mais pour l’heure, et depuis dix ans, elles en sont surtout le symptôme.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.
- Shane_Fenton
- Auteur du sujet
- Messages : 279
Christophe Héral écrit: bonsoir, membre de cette commission l'an passé, vos propos me blessent parce qu'ils me semblent terriblement injustes.
On dirait que j'ai fait partie d'une loge maçonnique, d'une bande de malotrus, baignant dans la mafia du jeu video !
Je tiens juste à vous dire que pas un seul jeu sur lequel j'ai bossé n'a bénéficié d'une aide du CNC ,à part le crédit d'impôt, du coup veuillez pardonner Ubisoft de faire travailler aussi des français en France, contrairement à ce que insinue l'article (Ubisoft s’est détourné de la création hexagonale, laissant nombre de développeurs riches d’idées mais à sec de tout financement)
Je crois que Rayman Origin's,et Legends, mais aussi Tintin et le secret de la Licorne, From Dust, Just dance, ZombiU, le prochain Valliant Heart ....ne sont pas yougoslaves ...
Au cours des commissions, certains studios comme Asobo (pour ne pas le citer) ont présenté des projets dont la majorité ont été refusé, pourtant le boss de la boite, sébastien Wloch siégeait à mes cotés, et cela a été le cas de bien d'autres.
Je peux vous promettre que ma participation à cette commission était basée sur l'enthousiasme de pouvoir aider des projets (nombreux) par rapport à leur interêt (Game play ...) et leur faisabilité (budget, économie, placement ...)
Néanmoins, nous sommes des humains, seulement des humains, et quand il s'agit d'affecter des budgets pour aider des projets, vous voudriez remplacer ces humains, tous professionnels
par quoi au juste ? des billets de loteries ? des techniciens du ministère de l'économie et des finances ? un tirage aux dés ?
En passant, merci à ahsamba
pour avoir rétabli certaines contre vérités sur le financement du CNC (j'ai lu des choses qui transpirent la haine, gouvernement de Vichy, sangsue, contribuables .... prenez juste le temps de vous renseigner, please ! et même puisque vous parlez de sangsues, de vous rensaigner )
Alors certes, rien n'est parfait, mais zut, cette commission tente de faire pour le mieux ! sinon, je ne l'aurais jamais cautionnée.
Je n'aime pas la façon avec laquelle l'auteur de cet article cloue au pilori Lionel Prévot ("Pour la plupart des studios, le système des FAJV a un nom (et un accent), celui de Lionel Prévot, chargé de mission d’origine agenaise et principale interface entre le CNC et les entreprises candidates aux aides...") (pouvez vous me dire en quoi l'accent a quelque chose à voir avec la qualité de son boulot ? )
Parisien, mon accent chante, et ça fait pas de moi un pistonneur mafioso !
Lionel est à l'écoute de tous les projets, il aide au mieux les studios à monter les dossiers, en tout cas, c'est que je ressens quand je vois la manière avec laquelle il présentait les dossiers.
Un truc que ne dit pas l'article, c'est le temps que nous passons à analyser les dossiers en amont de la commission !
pour moi c'était jusqu'à 3 ou 4 jours de boulot pour étudier les dossiers en amont, et vu la qualité des analyses faites le jour de la commission, je peux vous affirmer que tout le monde y passait à peu près le même temps.
Je n'ai d'ailleurs rarement vu une commission aussi sérieuse.
Je m'y suis retrouvé parce que le CNC a eu envie de considérer la musique comme faisant partie d'un élément important d'un jeu vidéo, et je crois sincèrement que c'est une bonne chose !
Quant aux chouquettes, c'est bien une maigre gâterie que nous nous permettions pendant la commission
Qu'il y ait eu des ratés, surement, car encore une fois il y a de l'humain dans cette histoire, mais damned, en me citant dans cet article, et donc en amalgamant tous les participants, je ne crois pas, ainsi que mes confrères, mériter une telle volée de bois vert !
voila, je vous laisse la parole en espérant vous avoir donné à partager mon enthousiasme, ma sincérité, mon honnêteté.
christophe Héral, electron libre
Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec tout, mais j'apprécie qu'il vienne défendre son bifteck jusque dans la fosse aux serpents.
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.