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La liberté pédagogique
- Loys
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www.leparisien.fr/societe/jean-michel-bl...-04-2018-7684062.php
Pour Philippe Watrelot ("Cahiers pédagogiques"), il y a la bonne et la mauvaise liberté pédagogique : si une liberté peut être usée librement... il faut la supprimer !
philippe-watrelot.blogspot.com/2021/02/mise-au-pas.html
L’impasse de la liberté pédagogique
Au sein du camp « pédago », nous pouvons avoir des désaccords. La question de la liberté pédagogique en est un.
C’est à la fois un concept ancien évoqué par Ferdinand Buisson et nouveau puisque sa formalisation date de 2005 avec la loi Fillon. « La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. » (Article 48). C’est donc une liberté très encadrée. D’autant plus qu’il est dit dans le code de la fonction publique (1983) que « Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique...[1] ».
Donc si un enseignant ne se conforme pas aux instructions qui lui sont données, il est un « désobéisseur ». C’est d’ailleurs ainsi que s’étaient désignés les enseignants du primaire plutôt progressistes et attachés à une pédagogie active qui refusaient d’appliquer les programmes de 2009 mis en place sans concertation. Mais quelques années auparavant d’autres enseignants plutôt conservateurs refusaient d’appliquer les programmes de 2002 pourtant élaborés dans une large concertation. Plus récemment, on a vu cette désobéissance à l’œuvre dans le refus de remplir certains documents (comme par exemple les évaluations de CP) ou d’organiser une cérémonie.
Cette question est d’autant plus piégée qu’elle est souvent gérée de manière très autoritaire par les ministres qui y sont confrontés. Les désobéisseurs de 2009 ont subi les conséquences de leur acte par une baisse de leur note administrative, des retenues sur salaire, etc. Curieusement ceux de 2002 n’ont pas été inquiétés. En décembre 2005, Gilles de Robien déclarait que « la liberté pédagogique n’est pas la liberté de faire n’importe quoi. », ajoutant en janvier 2006 : « La liberté pédagogique s’arrête où commence le danger pour les enfants. »
Plus récemment, l’article 1 de la mal nommée Loi pour une école de la Confiance portée par Jean Michel Blanquer en 2019 évoquant le « devoir d’exemplarité des enseignants » a été vue comme un moyen d’encadrer et de réduire la liberté d’expression des enseignants.
Au regard de l’histoire, le débat sur la liberté pédagogique a donc changé de camp.
Le concept de liberté a surgi quand les pionniers de la transformation de l'école ont tenté de la revendiquer. Au cours des dernières années, c’est plutôt dans le camp des “conservateurs” que le thème de la liberté pédagogique a été repris. La liberté devient alors celle de continuer à faire comme avant.
Ce concept ambigu perpétue l’idée que les enseignants pourraient faire ce qu’ils veulent dans une sorte d’exercice “libéral” du métier. La liberté pédagogique est souvent un faux nez du conservatisme.
Et paradoxalement, les désobéisseurs renforcent cette image d’enseignants disposant du privilège de refuser les règles communes qui s’imposent aux fonctionnaires. C’est donc une arme à double tranchant. Et c’est l’objet d’un vrai débat au sein du petit monde des mouvements pédagogiques. Mais nous nous retrouvons tous pour dire que les enseignants ne peuvent être de simples exécutants. Être prof c'est penser son métier (et quelquefois le panser !).
Ma conviction est qu’il faudrait substituer à cette notion biaisée de « liberté pédagogique » qui comporte plus d’effets pervers que positifs une notion d'autonomie des équipes avec une démarche collective s'appuyant sur notre expertise et notre connaissance du terrain.
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- Loys
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www.parlonspedagogie.fr/liberte-pedagogique-il-faut-en-parler
À l’occasion d’un webinaire auprès de directeurs d’école, j’ai rapidement abordé la question de la liberté pédagogique et du mésusage qui en est parfois fait. Car, oui c’est une chance et un droit mais la liberté pédagogique est parfois invoquée pour éviter une réforme ou une demande institutionnelle dans une vision alors très libérale du concept ! Dans cette période où on parle de méthodes, de pratiques « efficaces », de nouveaux programmes, cette question de fond se pose. Donc, non, la liberté pédagogique n’est pas un totem d’immunité à invoquer pour justifier de faire « comme on veut ».
Cet article s’adresse d’abord aux directeurs d’école qui ont une responsabilité dans la mise en œuvre concrète des choses. Il va permettre de mieux détailler ma pensée et d’apporter quelques arguments .
D’abord, il faut comprendre que le concept de « liberté pédagogique » invoqué comme une sorte de principe ancien est en fait « récent ». La liberté pédagogique est apparue dans la loi Fillon de 2005 et explicité dans le code de l’éducation :
Article L912-1-1
La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection.
La liberté n’est donc pas sans cadre ! Il y a d’abord le cadre des programmes et des instructions ministérielles mais aussi celui du projet d’école (ou d’établissement). Donc, même si une instruction ne nous plait pas (chacun reste libre de penser ce qu’il veut), la liberté pédagogique n’est pas le bon argument pour ne pas faire. N’oublions pas ce que veut dire être fonctionnaire…droits et devoirs…
Au-delà de ces questions juridiques, il y a surtout une question de sens. Pour cela, je ne peux qu’inviter à lire 2 articles de Jean Michel Zakhartchouk qui argumentent les choses :
1/ liberté pédagogique, un absolu
blog.educpros.fr/Jean-Michel-Zakhartchou...edagogique-un-absolu
2/ Liberté pédagogique, une notion douteuse
blog.educpros.fr/Jean-Michel-Zakhartchou...-une-notion-douteuse
Ce point étant fait, quelles conséquences concrètes ?
D’abord discuter collectivement de tout cela en équipe. Débattre, échanger, argumenter. Car c’est avant tout une question collective. Le collectif est le cœur de l’École.
Puis, concrétiser cette notion de liberté/responsabilité pédagogique concrètement. Pas pour « faire plaisir à l’institution » comme j’ai pu l’entendre mais pour le bien des élèves. Où est leur intérêt ? doit être la seule question qui guide les professeurs.
Par exemple, en réfléchissant à l’harmonisation de certaines pratiques. C’est une problématique que j’ai souvent portée. Elle est éminemment polémique (souvent de la part d’enseignants qui ont peur de voir leurs pratiques et habitudes remises en cause).Le constat de ce besoin d’harmonisation est d’abord empirique. De l’extérieur, il est évidemment plus facile de voir comment des fonctionnements d’école ou d’établissement peuvent insidieusement créer de la difficulté scolaire, ou du moins accentuer celle des élèves les plus fragiles. Quelques exemples :
La question des outils de travail des élèves : est-il cohérent de changer chaque année les outils les élèves ? Avoir 10 cahiers une année, 15 la suivante ? bleu pour le français une année, jaune l’année suivante ? Du grand format puis du petit, puis un classeur ? D’exiger dans une classe une rigueur (excessive ? ) sur telle modalité de présentation des cahiers puis autre chose l’année suivante (souligner, écrire à 3 ou 5 carreaux, etc)…Ces détails n’en sont pas, ils desservent les élèves qui ont le plus de mal à s’adapter: les élèves en difficulté…qui à chaque rentrée vont mettre plusieurs semaines à s’adapter à un nouveau fonctionnement.
Tous les emplois du temps des enseignants respectent ils les horaires des programmes ? Est-ce que tout le monde enseigne bien TOUT ce qui est à enseigner ? La notion du temps est complexe mais les choix de certains peuvent affecter les années suivantes…
La question des pratiques pédagogiques : quelles approches pédagogiques, didactiques en lecture, mathématiques, sciences… Est-il cohérent de changer de méthode, d’outils chaque année ? De changer tous les 2-3 ans sans avoir évalué l’efficacité parce que l’enseignant a l’impression de s’ennuyer et ressent – lui- le besoin de changer ?
Quel est le projet pédagogique derrière chaque sortie scolaire ? A l’heure où il y a beaucoup à faire à l’école, quelle pertinence d’aller voir un dessin animé au cinéma sous prétexte que c’est le vendredi des vacances ?
Certains vont trouver cela provocateur, voire m’accuseraient de profbashing ! C’est une erreur. Il y a des choses qui doivent être dites. Etre un enseignant investi, sérieux, n’exonère pas de s’inscrire dans un collectif. Je souligne des choses existantes, souvent méconnue même des premiers intéressés qui ne savent pas toujours ce qui se passent dans les autres classes. Il y aurait bien d’autres exemples à citer. L’une des tâches du directeur doit être d’avoir conscience de tout cela, de pouvoir le constater et le décrire finement. Pour ensuite, en débattre et réfléchir à quoi harmoniser et comment. Harmoniser ne veut pas dire que chacun fait exactement la même chose. Il s’agit pour moi de se mettre d’accord sur des approches pédagogiques, didactiques efficaces (c’est un autre débat…), adaptées au profil de l’école, à ses caractéristiques. Il s’agit aussi de faire preuve de continuité, de permettre à chaque élève d’avoir des repères stables, d’une année à l’autre. Les clés de ce travail d’harmonisation tiennent dans les mots suivants : concertation, communication, continuité, cohérence….
C’est en coordonnant les actions et en s’inscrivant dans la durée qu’on peut évaluer et obtenir des résultats tangibles, au service des élèves.
Pour le directeur, c’est une tâche ardue car elle va bousculer certaines équipes, contraindre certains à renoncer à une forme d’indépendance autoproclamée mais aussi permettre à d’autres de s’épanouir et de mieux vivre leur métier, dans un partage professionnel qui donne du sens. Une tâche ardue mais nécessaire.
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