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Mérite scolaire et méritocratie
- Loys
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La réflexion sur le mérite (ou plutôt l'inanité du mérite) scolaire dans une société de la reproduction sociale, avec celle sur les "exceptions consolantes", s'inscrit évidemment dans le sillage de l'étude de cette reproduction : le mérite scolaire ou les exceptions consolantes sont des mythes visant à invisibiliser la reproduction sociale. C'est évidemment l'école qui se retrouve au accusée de promouvoir le mérite.
Étrangement, cette réflexion ne tient pas compte de ce qu'est devenu le système scolaire depuis la parution de La Reproduction en 1970.
La notion de méritocratie est l'invention du sociologue anglais Michael Young : The Rise of the Meritocracy (1958).
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Dans "Le Monde" (abonnés) du 6/09/21 : "Jean-Paul Delahaye : « Il devient absurde de parler d’égalité des chances : c’est à l’égalité des droits qu’il faut travailler »
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Voir aussi : www.la-croix.com/Famille/grain-pauvre-le...021-09-08-1201174392
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Barbara Fouquet-Chauprade écrit: Mais ne nous voilons pas la face : il y a aussi une difficulté à porter, politiquement, un sujet qui remet en question le fonctionnement méritocratique de l’école. Ceux qui y croient encore – ou qui se positionnent comme tels – auront plutôt tendance à défendre les « fondamentaux », la discipline et l’autorité à l’école, davantage d’heures de cours et d’efforts… Notre croyance dans une école méritocratique nous empêche en partie de nous emparer du problème. Pour cela, il faudrait prendre acte de l’ampleur des inégalités qui bat en brèche l’idée de méritocratie, alors que l’on sait que la reproduction sociale est forte.
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Olivier Faure (PS) écrit: Engager la rupture avec la tyrannie du mérite, voilà ce qui doit nous porter !
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Et un plus tard (17/11/23) cette proposition : "la création d'une dotation universelle, le capital républicain, qui prendait la forme d'un soutien monétaire de 60.000 euros pour toute personne qui sortirait du système scolaire sans diplôme. Il serait ensuite dégressif, de l'ordre de 30.000 euros pour une sortie au niveau bac par exemple, mobilisable à tout moment de la vie et conditionné à un projet détaillé."
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Dans le très pertinent Mérite, la sociologue Annabelle Allouch nous invitait déjà à renoncer aux logiques de classements, dénonçant le mythe du mérite. C’est depuis les neurosciences que Samah Karaki (@samahkaraki) dresse les mêmes constats, dans l’excellent Le talent est une fiction (JC Lattès, 2023). Karaki dénonce la fiction du talent, qui tient plus du refuge que du concept. Certes, certaines personnes sont plus curieuses, d’autres comprennent plus vite… mais le talent ne s’objective pas. Il relève du biais de perception bien plus que de la réalité, à l’image des professeurs de musique qui pensent que les enfants ne peuvent réussir que s’ils ont des dons innés et immanents, quand ces “dons” masquent d’abord le milieu culturel dont ils sont imprégnés. Diplômes, concours, dossiers… Toutes les “évaluations d’apparence équitables”, nous donnent l’impression que ceux qui réussissent l’ont fait par eux-même, alors que tous se conforment à un schéma qui privilégie toujours certains au détriment des autres. Or, les personnes issues de milieux pauvres avec de hautes capacités réussissent bien moins que les plus riches avec des capacités nettement inférieures, démontrait Stephen Morse en 2008. L’excellence n’est rien d’autre que le nom glorieux de l’exclusion, disait la philosophe Chantal Jaquet dans La fabrique des transclasses. Le mérite est une justification a posteriori, assène Karaki. “Dans une société inégalitaire, ceux qui arrivent au sommet veulent ou ont besoin de croire que leur succès est moralement justifié”. Et cette auto-légitimation renvoie ceux qui n’obtiennent pas le succès à leur responsabilité seule.
Ni talent, ni effort ne savent renverser la force du milieu social
Le talent comme l’intelligence n’ont pourtant été trouvés nulle part. Ni dans les gènes, ni dans les hormones… L’un comme l’autre dépendent d’abord d’une immersion sociale, d’un contexte culturel, de “ce qu’une culture valorise chez ses membres”. Le mérite est une fable qui permet de faire disparaitre le privilège, le statut, la richesse, le pouvoir. Les taux de QI (pour peu fiable soit cet indicateur) est totalement lié au statut socio-économique, comme le montrent les enfants adoptés. L’intelligence est environnementale et “l’éducation est la méthode la plus cohérente, la plus robuste et la plus durable pour l’accroitre”. Et parmi les méthodes d’éducation, les plus performantes sont celles qui sont centrées sur la maîtrise plus que sur la performance immédiate et celles qui sont tolérantes aux erreurs, afin de permettre la progression. La fable des 10 000 heures de pratique est simpliste et fausse. Il faut certes beaucoup de pratique pour réussir, mais cette pratique n’explique qu’une partie de la variance des performances. Le contexte est primordial. “C’est la qualité et non la quantité de la pratique qui fait avancer les choses”. Ceux qui réussissent ne dépendent pas de la sueur qui coule de leur front… et ceux qui transpirent le plus sont souvent ceux qui sont le moins payés et valorisés. L’effort nécessite un système d’entraînement et un environnement favorable pour être efficace.
Quant à la volonté, elle ne garantit rien, contrairement à ce que nous faisait croire le test de la guimauve. A nouveau, c’est la stabilité sociale qui permet de résister à la guimauve. Plus le revenu familial est élevé, plus les tests scolaires sont élevés. “L’éducation d’élite est encore plus importante que d’hériter de biens ou d’actifs financiers”. D’où le fait que l’origine sociale des individus soit si prédominante et l’ascension sociale, finalement, si limitée, malgré l’accroissement de la scolarisation. “L’investissement des parents dans l’avenir de leurs jeunes enfants par le biais de l’éducation est largement devenu la principale forme de transfert intergénérationnel de privilèges”. C’est-à-dire que les groupes de statuts sociaux élevés préparent mieux que les autres leurs enfants à répondre aux attentes scolaires ! Le capital culturel se transmet par habitus, expliquait déjà Bourdieu dans La distinction, et notamment les compétences comportementales, les soft skills comme on dit aujourd’hui…
Les comportements des autres façonnent nos croyances et notre libre arbitre
Or, “quand nous croyons que le talent et l’effort sont les clés de la réussite, nous croyons que nos traits individuels et notre libre arbitre sont la source consciente et ultime de chacune de nos actions, et non les déterminants extérieurs à nous”. Le triomphe des transclasses est brandi comme une preuve du caractère déterminant de la responsabilité individuelle, quand ils ne sont qu’une exception dans un océan déterministe. Pourtant, nous disposons d’un moyen d’action. Nous pouvons agir sur notre trajectoire en comprenant ce qui nous détermine. Plus qu’un libre-arbitre, nous avons un libre-refus qui nous permet de saisir ce qui nous détermine. Mais comprendre ce qui nous détermine ne dépend pas que de nous. Encore faut-il que les autres nous y encouragent plutôt qu’ils ne nous ferment les perspectives de leurs jugements, parce que nos croyances sont d’abord forgées par celles de ceux qui nous regardent. Pour Samah Karaki, les comportements des autres influencent profondément les nôtres, et notamment les comportements des éducateurs explique-t-elle en opposant ceux qui ont des attentes rigides (qui pensent que le niveau d’un élève ne changera pas) et ceux qui ont des attentes ouvertes (qui louent le courage, les stratégies et les efforts plutôt que les réalisations et les qualités personnelles). Nos propres progrès dépendent bien plus des autres et du contexte, et de notre rapport aux autres, que simplement de nous-mêmes. Pour illustrer ces paradoxes, Samah Karaki prend l’exemple de la faible présence des filles dans les filières scientifiques, alors qu’elles sont bien souvent meilleures en science comme en math. En fait, dans les pays plus égalitaires, les femmes vont moins vers ces professions. L’égalité ne signifie pas que les stéréotypes soient démantelés, notamment dans les métiers scientifiques qui restent pour beaucoup très masculinistes. Les différences entre hommes et femmes n’ont aucun caractère biologiques, elles sont générées par les attentes du monde à leur égard, le sex-typing, le schéma de genre que nous intériorisons. “Nos croyances nous façonnent autant que nos expériences vécues”. “L’identification du rôle sexuel agit comme le meilleur prédicateur de l’intelligence auto-estimée”. A n’importe quel poste de responsabilité, les contributions des femmes ont 13% de chances en moins d’être créditées.
Pour Samah Karaki, il y a pourtant une solution pour remédier à ce biais culturel : favoriser la diversité. Par exemple, former les éducateurs au maintien d’attentes similaires pour tous leurs élèves quelque soit leur couleur de peau, leur sexe, leur statut socio-économique ou les capacités qu’on leur attribue. Nous devons porter plus d’attention à ce qui marginalise les gens plutôt que de chercher à réparer les personnes marginalisées. Nous devrions surtout arrêter de tenir les individus comme responsables de leurs trajectoires et arrêter de les sommer à agir sur leurs pensées et façons de penser ! “C’est ensemble, pas individuellement, que nous pouvons démanteler les systèmes qui nous maintiennent au sol”. Pour cela, il nous faut démanteler La tyrannie du mérite, comme nous y invite le philosophe Michael Sandel dans son livre. Sandel, lui, dans un livre plus convenu, montre surtout que les universités (américaines) oeuvrent bien “moins à l’augmentation des opportunités qu’à la consolidation des privilèges”. Pour lui aussi, la méritocratie est d’abord une discrimination positive au profit des plus riches. C’est le taux de sélectivité qui classe les universités, plus que leurs résultats. L’“Hubris méritocratique donne plus de poids qu’il n’en faudrait à l’effort personnel et elle oublie les avantages qui permettent de convertir l’effort en succès”. Sandel invite à “soigner les blessures de ceux que le tri a élus ; soulager l’indignité de ceux qu’il relégués au rang des perdants”. Il invite à “dégonfler” la bulle de l’hubris. Aucun de ceux qui ne sont en haut n’y sont arrivés seuls. Pour lui, nous devons “mettre hors d’usage la machine à trier” et ce alors que l’acharnement méritocratique se focalise sur les meilleurs diplômes et les meilleurs élèves au détriment de tous les autres et de la majorité. Nous n’irons nulle part avec un système “peu généreux à l’égard des perdants et oppressif vis-à-vis des vainqueurs”. Les rares opportunités d’ascensions sociales ne peuvent être les substituts d’une grande dose d’égalité pratique, conclut le philosophe. Ni les vainqueurs ni les perdants ne méritent leurs places. Un propos très proche de celui de la neuroscientifique finalement, qui dit d’ailleurs : “Plutôt que de construire des politiques qui font des [très rares] opportunités d’ascension et de la mobilité la seule réponse aux inégalités, nous devrions réparer les conditions que les moins favorisés veulent fuir”. “Quand le mérite devient purement une question individuelle, nous devenons aveugles aux causes et influences sociales qui échappent pourtant au contrôle individuel”. Or, contrairement à la légende de ceux qui le prétendent, nul n’est vraiment autodidacte. Pour Karaki, nous devrions en finir avec les instruments de distinction, avec ces conceptions hiérarchiques des qualités qui oublient ce que nous devons aux autres. La logique de compétition nous fait croire qu’on ne peut réussir qu’en battant les autres, au risque de rendre nos sociétés toujours moins empathiques, moins capables d’aider les autres.
Arrêtons de croire au mérite
“Ceux qui croient à la méritocratie aiment supposer que l’impartialité est au cœur de son attrait moral”. Or sa mise en œuvre conduit surtout à favoriser les inégalités qu’elle croit éliminer. C’est le paradoxe de la méritocratie : là où elle est la règle, les gens sont convaincus que leurs jugements sont très sensibles aux préjugés, alors que c’est exactement l’inverse : les adeptent de la méritocratie détectent bien moins leurs préjugés ! “Croire que notre mérite découle de nos talents et de notre travail personnel encourage l’égoïsme, la discrimination et l’indifférence face au sort des autres”. Plus nous nous considérons comme autodidactes et autosuffisants, moins nous nous soucions du sort de ceux qui sont moins privilégiés.
Pour Karaki, notre conception méritocratique sans limite, notamment à l’école et au travail, exige d’être interrogée. Nous devrions remettre en question notre “crédentialisme” – c’est-à-dire la croyance que les qualifications académiques ou autres identifiants prestigieux sont la meilleure mesure de l’intelligence ou de la capacité. L’essentialisation du mérite nous menace de sa conformité, au risque d’exclure non seulement ceux qui pensent autrement, mais toute diversité même. Nos organisations ont besoin de diversité et de complexité, explique la neuroscientifique qui invite à démanteler la hiérarchie des diplômes et la hiérarchie des financements (qui font qu’on finance bien plus généreusement les plus hauts diplômes que les plus petits, érigeant par là bien plus les frontières sociales qu’elles ne sont abolies, comme le disait Paul Pasquali dans Héritocratie).
Mais surtout, insiste-t-elle, la motivation est primordiale dans l’apprentissage, elle agit sur le choix, l’effort et la persévérance. Il est plus facile de fournir des efforts dans les domaines qui nous motivent. Emotion et cognition sont liées dans une forme de collaboration qui fait naître la motivation. Les émotions évaluent la pertinence de ce que nous vivons, pour en créer sens et significations. Elles nous livrent un monde chargé de valeurs et d’invitations à l’action. “Ce à quoi nous donnons de la valeur est donc contextuel”. Notre pensée à un pouvoir sur nos émotions. Nos motivations, bien qu’elles soient ancrées dans un système écrasant de valeurs, ne nous déterminent pas. C’est au niveau de nos désirs que réside notre mince marge de manœuvre sur nous même”. En nous invitant à mobiliser d’autres désirs que celui de dominer les autres. Nous avons bien plus besoin d’empathie et de diversité que de réussite…
Le talent est une fiction est un bon livre pour remettre en cause ses convictions. Il nous aide à comprendre que nous avons une influence considérable dans la réussite et l’échec des autres, notamment dans notre manière d’accueillir leurs efforts et de les encourager. Que si le contexte social est et demeure prédominant, c’est à chacun d’entre nous et à nous tous de remettre en cause l’idée que le mérite serait unique. Ne le ratez pas !
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