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François Jarraud - "Comment un prof de lettres se piège sur Internet" (26/03/12)
- Loys
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M. Jarraud enseignait l'histoire-géographie dans un lycée privé jusqu'à l'an passé : il est désormais journaliste à plein temps au "Café pédagogique".
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- Loys
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Je ne suis pas sûr de comprendre en quoi en je me suis piégé.Comment un prof de lettres se piège sur Internet
Il n'y a de paradoxe que si l'on suppose que je suis un odieux conservateur, un esprit rétrograde opposé à internet. C'est vrai que webmaster, webdesigner et programmeur amateur, blogueur, j'ai tout de l'épouvantail réactionnaire.Sans Internet toute cette histoire n'existerait pas et ce n'est pas le moindre de ses paradoxes.
Ma réflexion porte simplement sur l'usage du numérique en lettres par des lycéens, numérique dans le cadre scolaire donc, sur lequel je porte un regard très critique, et d'autant plus légitime finalement que je suis convaincu de l'intérêt du numérique en général. Mais en vérité c'est peut-être ça qui dérange : je ne peux pas être disqualifié d'emblée, contrairement à mes collègues qui ne sont ni webmasters ni blogueurs.
Avec le verbe "se repaître" M. Jarraud journaliste n'exprimerait-il pas un certain mépris pour ses collègues ?Car c'est sur un blog et sur des forums professionnels qu'elle est apparue avant que la presse grand public s'en repaisse.
Je n'ai mis en ligne qu'une fausse information sur un site encyclopédique et une seul commentaire de texte. Le reste est constitué de questions-réponses sur des forums parascolaires.Un professeur de lettres aurait piégé ses élèves sur Internet. Après avoir mis en ligne de fausses informations sur un auteur quasi inconnu et avoir fourni à des sites de ventes de corrigés en ligne des commentaires de textes erronés, il a donné à ses élèves un sujet de devoir et mis en évidence que 51 élèves sur 65 avaient utilisé ces sources bidon.
A moins que M. Jarraud ne considère les sites de corrigés ou les forums parascolaires comme des "sources" légitimes d'information.
Je n'ai jamais dit que les élèves étaient "des tricheurs" dans mon article et d'une manière générale, conformément à une certaine éthique de mon métier de professeur, je m'abstiens de tout jugement de valeur sur mes élèves. Les élèves sont plus en difficultés en lettres qu'ils ne l'ont jamais été tandis qu'en face le web offre ses mirages de solutions illusoires : comment pourraient-ils ne pas résister à la tentation ?La conclusion, pour lui, c'est que les élèves sont des tricheurs et qu'ils "n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres".
Doux euphémismes, M. Jarraud : ces usages ne sont "inutiles", ils sont dévastateurs. Alors qu'ils s'apprêtaient à passer le baccalauréat de français en fin d'année, les élèves n'ont ni lu ni compris un poème de quatorze vers qu'ils avaient à lire, pourtant facile à comprendre. Ne parlons même pas des œuvres en lecture intégrale, pour lesquels le web propose des multitudes de résumés médiocres.Commençons par la conclusion. Il est évident qu'il y a des usages inutiles du numérique et que si l'usage d'internet dans son enseignement se limite à vérifier que les élèves n'ont pas copié collé des éléments de devoir, son utilité est contestable.
Bien sûr qu'on peut trouver quelque intérêt à l'utilisation du numérique : j'ai moi-même depuis plusieurs années un site dans lesquels je dispense des conseils méthodologiques, je récapitule les séquences étudiées, je poste des documents multimédia en prolongement des séquences, je renvoie à d'autres sites utiles, je réponds aux questions de mes élèves. Ma phrase "les lycéens n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres" est excessive : avec le recul, je dirais plutôt qu'ils n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un vrai profit du numérique en lettres."Mais il est établi qu'il y a des usages efficaces et culturels du numérique pour l'enseignement des lettres. On peut renvoyer à ce sujet par exemple sur l'ouvrage que l'association Weblettres et le CRDP de Paris viennent de publier.
Car ces quelques avantages du numérique institutionnel, guidé par le professeur, ne servent d'abord qu'à la marge l'enseignement des lettres : des conseils méthodologiques pour l'oral ne remplaceront jamais un vrai oral. Un commentaire de texte même professionnel ne remplacera jamais la réflexion personnelle d'un élève confronté à un texte. Mais ces outils qui proposent malgré tout une forme de travail - un fois l'effet de nouveauté passé - n'intéressent que peu les élèves et surtout ne pèsent pas grand choses face au numérique sauvage, aux forums parascolaires et aux sites de résumés ou de corrigés, qui proposent la facilité. C'est en ce sens que j'ai affirmé ceci dans mon article : "Pour ma part je ne crois pas du tout à une moralisation possible du numérique à l'école."
Justement : les élèves sont tout sauf des "experts" !Il faut de l'ignorance et de l'aplomb pour tirer une conclusion aussi négative alors qu'internet est en train de devenir un moyen privilégié de diffusion de la littérature et est déjà l'outil de travail quotidien des experts.
Quant à penser qu'internet "est en train de devenir un moyen privilégié de diffusion de la littérature", c'est une plaisanterie. Les textes sont de plus en plus disponibles en ligne... mais dans la pratique (voir les enquêtes PISA), les élèves dans le secondaire lisent de moins en moins. Voilà un vrai paradoxe, auquel M. Jarraud - qui n'est pas professeur de lettres - devrait peut-être réfléchir.
L'enseignement des lettres, un "savoir scientifique" ?Refuser de former à Internet ses élèves c'est les couper du savoir scientifique...
"Desséché", rien que ça ? De tels propos raviront tous les professeurs de lettres qui, comme moi, tâchent de rendre vivants et accessibles aux élèves les plus grands textes de ce bien commun qu'est notre littérature.... les enfermer dans un savoir scolaire desséché et les livrer aux marchands.
L'argument de la triche perpétuelle. Moralement douteux, pour commencer. Et puis assez peu recevable puisque avant le web les corrigés de commentaires imprimés n'existaient que pour un nombre restreint de textes et n'étaient pas forcément faciles d'accès pour les élèves. Le web au contraire offre de multiples corrigés, gratuits ou payants, pour un nombre exponentiel de textes, le tout accessible en une requête sur Google, sans quitter la maison. On voit qu'avec internet la triche devient industrielle et atteint une masse critique.Revenons sur les fameux devoirs copiés. Il s'agit de travaux faits à la maison. A vrai dire, si Internet a bien facilité les choses, le pompage de ces travaux est aussi vieux que leur existence.
La haine de classe de M. Jarraud pour les élèves des "beaux quartiers" est donc supposée m'atteindre également : je suis un agent de la "reproduction" pseudo-bourdieusienne. Ce que M. Jarraud ne veut pas savoir, c'est que j'ai enseigné un peu partout, et notamment dans trois collèges de Z.E.P. pendant huit ans : je me sens donc toute légitimité pour réfléchir aux problèmes de l'enseignement dans les "beaux quartiers" comme dans les autres.On l'a peut-être perdu de vue dans les lycées des beaux quartiers comme celui où travaille cet enseignant, mais il y a bien longtemps aussi que les enseignants savent que le travail à la maison est source d'inégalités.
Quant à la question du "travail à la maison [...] source d'inégalités", c'est le crédo des pédagogistes comme M. Jarraud et d'autres. C'est un autre débat, de toute façon hors-sujet car je ne donne précisément plus ce genre de travail à la maison depuis ma première année de lycée, comme nombre de mes collègues de lettres, affligés et impuissants contre la fraude numérique : pour être sûrs de corriger nos élèves, nous sommes de plus en plus contraints de donner en classe les commentaires et les dissertations. Nous perdons donc des heures de cours et les élèves n'ont plus l'occasion de s'entraîner régulièrement à la maison. Dans un cercle vicieux le numérique produit aussi cet effet qu'il dégrade les conditions d'enseignement et affaiblit encore le niveau des élèves. Il n'y a guère que M. Jarraud pour s'en réjouir.
Si M. Jarraud estime les exercices écrits du baccalauréat de français obsolètes, il ne peut en toute honnêteté m'accuser d'y préparer mes élèves.Internet a accéléré la prise de conscience des enseignants. Les exercices les plus classiques ne peuvent plus être donnés aujourd'hui que si l'élève est capable de les défendre oralement devant la classe.
Il ne s'agit pas des "exercices les plus classiques", mais de l'écrit lui-même qui, selon M. Jarraud, serait devenu obsolète. On constate bien que l'abandon de l'écrit, prôné par M. Jarraud, pour effrayant qu'il soit par ailleurs, n'est pas choisi, réfléchi, intentionnel, mais imposé par le numérique. Étrange progrès que celui d'une régression non voulue.
On reste dans le vague. Peut-on avoir des exemples précis et concrets, pour comparer avec le commentaire ou la dissertation ?De nombreux enseignants, y compris en lettres, inventent de nouveaux types de travaux.
Le renoncement à l'écrit ou à la lecture, "retombée pédagogique positive" ? Il faut n'être pas professeur de lettres pour affirmer une chose pareille.Du coup ils élaborent d'autres approches pédagogiques et de nouveaux modes d'évaluation et c'est une des retombées pédagogiques positives d'Internet.
Le baccalauréat n'a pas changé, à ma connaissance... Stupéfiant, non ?Il est stupéfiant de voir un enseignant constater que ses élèves copient le travail demandé et continuer à donner des exercices comme avant...
On voit bien que M. Jarraud fait partie de ceux qui militent insidieusement pour une oralisation ou même une suppression du baccalauréat, cet examen national archaïque et inégalitaire.
Allons-y pour les procès d'intention... Que sait M. Jarraud de moi pour m'accuser publiquement de "perversité" (ou d'"ignorance crasse" sur France Culture, "Rue des écoles" du 28/03/12) ? Connaît-il autre chose que l'invective dans le débat d'idées ? Il faut dire que les nouvelles pédagogies prônées par M. Jarraud exhortent à davantage de numérique à l'école : oralisons, jouons, twittons, facebookons, copions-collons et les élèves ne seront plus en échec scolaire.Mais le pire dans cet histoire c'est la glorification du piège. On ne sait quelle motivation perverse pousse cet enseignant dans cette voie, ou quelles déceptions.
La confiance, c'est encourager la fraude massive des élèves ?Mais ce n'est pas sur la méfiance et le piège qu'on construit une relation pédagogique.
Et François Jarraud devrait relire un peu Rousseau, le maître à penser des nouvelles pédagogies : il aurait quelques surprises...
Après cette expérience, les élèves ont eu davantage confiance en moi que dans les sites de corrigés, dont ils ont pu mesurer le degré d'incompétence et de vénalité. Mon enseignement à moi est désintéressé. Les élèves ont ri et ont apprécié ma démarche - espérons-le - originale et ludique pour les amener à porter un regard plus lucide sur le web.C'est au contraire sur la confiance que repose l'autorité de l'enseignant.
On en revient à la haine de classe... Où l'on constate que les tenants des nouvelles pédagogies, à l’œuvre depuis vingt à l'école et dont on constate les résultats effroyables aujourd'hui, sont souvent des idéologues de la vulgate bourdieusienne. En théorie les pédagogistes veulent la réussite de tous, mais en réalité jamais l'école républicaine n'a été aussi malade d'inégalité. Grâce à des personnalités influentes comme M. Jarraud ou d'autres.Si l'élitisme est une drogue dont s'intoxiquent eux-mêmes les enseignants des beaux quartiers...
Quand les enfants des milieux défavorisés ne seront plus incités par l'école à lire et à écrire, qui peut croire que l'égalité sera atteinte avec les enfants des "beaux quartiers" ? Qui finalement est élitiste ?
Eh oui... il serait peut-être intéressant que M. Jarraud se pose des questions. Mais non, malgré les centaines de milliers de lectures de mon article, il continue de qualifier mon expérience de "non affaire" (France Culture, "Rue des écoles" du 28/03/12). C'est "troublant", en effet.... le plus troublant dans cette histoire c'est l'écho médiatique que rencontre cette perversion du rapport pédagogique.
Bref, le numérique dans ce qu'il a de pire au service de la pensée de Bourdieu.Pourtant le conservatisme éducatif est l'outil qui permet le tri social par l'école et la reproduction des élites.
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- Loys
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Je suis ravi de constater que le débat d'idées, avec M. Jarraud qui ne me connaît pas plus que je ne le connais, glisse finalement dans la psychanalyse de bazar à distance. Il est en effet plus facile de discréditer moralement une personne que de combattre une idée, surtout quand elle s'impose avec tant d'évidence.On se demande quand même, derrière cette idée du piège, qu'est-ce qu'il y a (sic) comme humiliation mal lavée, qu'est-ce qu'il y a (sic) comme remords remonté.
M. Jarraud ne pourrait pas plus se tromper, pourtant.
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- Loys
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www.laviemoderne.net/veille/le-naufrage-...de-la-defiance#18766
Extrait :
De manière générale, l’activité parait emblématique d’une culture numérique qui est aussi une culture du « fake » : quel regard portez-vous sur cette question ? en quoi la mystification vous parait-elle potentiellement féconde sur le plan pédagogique ?
L’une des deux classes a mené l’expérience de façon particulière : un groupe étant en sortie scolaire pour la semaine, le reste de la classe a mené l’aventure du fake, sans que l’autre groupe en soit averti. A son retour, les fakeurs ont présenté leurs recherches sans dévoiler le subterfuge. La présentation a duré un peu plus d’une heure. Au départ, les élèves prenaient des notes, comme s’il s’agissait d’exposés traditionnels. Mais certains esprits critiques se sont éveillés, des questions ont émergé…jusqu’à ce que soit dévoilé le petit jeu. Il en a résulté d’une part une discussion à propos de l’esprit critique, d’autre part à propos de la notion de cohérence. Enfin, les élèves testés ont été ravis de voir la pertinence, même relative parfois, du travail de leurs camarades.
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