Séverine Parent - "Piéger ses étudiants" (26/03/12)

A lire sur "Espace TIC", le site du Cégep Limoilou, ce bref article de Séverine Parent, "conseillère pédagogique TIC" au Québec.


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Piéger ses étudiants

Des élèves de seize ans entrant en première ne sont pas des étudiants...

Plusieurs ont réagi depuis quelques jours à la suite de la nouvelle publiée par l’enseignant qui a piégé ses étudiants sur le web. Loys Bonod raconte comment il aurait piégé ses étudiants pour leur donner une bonne leçon :

L'expression "pour leur donner une bonne leçon", avec ce qu'elle suppose de punitif, est de Rue89, pas de moi malheureusement. "Donner une leçon" aurait suffi.

Le professeur voulait « démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu’eux, voire mieux qu’eux ». L’enseignant a d’ailleurs mis beaucoup de temps pour « piéger » ses étudiants!

Pas du tout, ça a été très simple et très rapide. Le plus long étant le faux corrigé, qui m'a pris une ou deux heures. Je ne sais pas à quoi tient ce préjugé tenace, si ce n'est peut-être à une méconnaissance des nouvelles technologies.

Il a aussi voulu « faire la démonstration que tout contenu publié sur le web n’est pas nécessairement un contenu validé, ou qu’il peut être validé pour des raisons qui relèvent de l’imposture intellectuelle ». Intéressant. Très intéressant. C’est peut-être une bonne idée de démontrer de la sorte que le web contient du contenu qui doit être évalué.

Évalué par des gens de confiance. Pas les "comités de lecture" de Oodoc et Oboulo, par exemple. Et je rappelle que ce qui est publié sur Wikipédia n'est pas nécessairement évalué, ou pas nécessairement évalué par des gens ayant compétence : la preuve par l'exemple.

Mais ne manque-t-il pas un morceau du casse-tête? Qui leur a appris à bien chercher et discerner l’information?

Ce n'est pas le sujet : un commentaire de texte ne nécessite pas de rechercher des informations. A part à la marge et pour la forme, quelques indications biographiques sur l'auteur destinées à l'introduction : bref, rien ne peut justifier d'aller sur un site de corrigé, sauf à penser qu'un corrigé de commentaire est de l'information !

On n'a vraiment le sentiment, chez mes détracteurs, d'une incompréhension profonde de l'exercice qu'est le commentaire composé, exercice qui se pratique en trois heures au baccalauréat sans ressource documentaire. Ou alors, chose impossible à imaginer aujourd'hui, dans le monde moderne interconnecté : on ne peut plus penser par soi-même, on a besoin en permanence de la pensée des autres. Sachant qu'on ne parle pas ici d'interprétation, mais même de simple compréhension littérale d'un sonnet de quatorze vers.

Et maintenant que les étudiants sont confondus, qui va leur montrer?

Il n'y a rien à leur montrer, concernant les lettres. La leçon visait à montrer qu'il n'y a pas besoin de "rechercher l'information" puisqu'un commentaire n'est pas constitué d'informations.

Au cégep, les enseignants sont invités à se référer au Profil TIC, dans ce cas, c’est la rechercher de l’information du Profil TIC qui nous intéresserait :

Je sais faire une recherche documentaire

C'est formidable comme mon expérience peut servir à la publicité de pratiques pédagogiques qui me semblent bien inutiles pour le baccalauréat au contraire.

J’évalue les résultats d’une recherche

En supposant rationnel et légitime de rechercher un corrigé de commentaire (ce qui est absurde), comment des élèves de seize ans pourraient-ils évaluer ce qu'ils trouvent sur le web, quand des "comités de lecture" n'en ont pas été capables (malgré l'énormité des âneries de mon faux commentaire) ?

Voilà qui ne fait que conforter mon opinion : "on ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui."

J’utilise et je diffuse l’information de façon éthique et légale

Quand les élèves auront appris à utiliser "de façon éthique et légale", bien sûr qu'ils ne pratiqueront plus le copier-coller !

Là où le bât blesse, c'est qu'ils l'ont appris grâce au domaine 2 du B2i que mes élèves ont validé...

Ces habiletés doivent trouver une place dans le programme, être enseignées, pratiquées et mises à profit dans les activités et projets des étudiants.

Voilà qui peut éventuellement avoir un sens pour les disciplines qui nécessitent des recherches documentaires. Mais, pour part, je considère que la constitution d'une culture personnelle, l'acquisition de capacités de raisonnement, d'autonomie de pensée et d’esprit critique en général, tels que les professeurs de lettres s'évertuent à les inculquer aux élèves, suffisent amplement.

C’est tout aussi vrai pour la recherche, pour le traitement que pour la présentation de l’information. Sinon, on pourra continuer à piéger les étudiants, à trouver qu’ils cherchent mal, mais il faudra toujours se poser la question « qui leur a montré », vous ?

Je crois que mes élèves vous répondront que oui ! Et toutes les personnes qui ont apprécié ma démarche vous diront la même chose.