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"Les profs et Wikipedia : une certaine définition de l'hypocrisie"
- Loys
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Non, au contraire : les élèves ont juste craint qu'on ne suppose qu'ils limitent leurs recherches à Wikipédia. Ils ont donc parfaitement intégré que Wikipédia n'est pas une source primaire ou secondaire.« Désolés, on est sur Wikipedia »
Scène vécue lors de l'une des toutes premières séances : je circule en salle info, pour jeter un œil aux recherches des élèves et qu'ils n'hésitent pas à me poser des questions si besoin. Deux élèves font des recherches préliminaires sur leur sujet ; je passe derrière eux, les vois en train de lire un article. M’apercevant, ils se retournent immédiatement et se justifient d’un air coupable : « désolés, on est sur Wikipedia juste pour le début, mais on sait qu’il ne faut pas l’utiliser ensuite ».
Notons bien que je ne leur avais pas adressé la parole, ni fait la moindre remarque. C’est dire à quel point le « rejet » de Wikipedia est entré dans le monde scolaire.
Où donc est "l'hypocrisie" ?Mais cela révèle également à quel point il est absurde : les élèves (et, à vrai dire, l’immense majorité des profs) se servent spontanément de Wikipedia, surtout, comme me l’expliquaient ces élèves, pour les recherches préliminaires.
Un article ancien ne pourrait donc être - par essence - un article de qualité.Je me suis donc arrêtée auprès d’eux, et leur ai expliqué que non, je n’avais rien contre Wikipedia, au contraire ; que, bien souvent, sa fiabilité était similaire voire supérieure à celle d’encyclopédies « classiques », type Universalis (qui, à entendre certains collègues, devrait constituer l’alpha et l’oméga des recherches des élèves, alors même que certains articles sont vieux de plusieurs années (voire décennies) et déjà obsolètes).
Déformation disciplinaire, sans doute : l'état des connaissances en sciences physiques ou naturelles (et en histoire, par définition) mérite bien sûr d'être actualisé, mais non seulement cette actualisation relève dans bien des cas du simple ajout de connaissances ou bien d'une spécialisation hors de portée de lycéens, mais - à vrai dire - elle est loin d'être nécessaire dans de nombreuses disciplines. Un bon article sur le Romantisme ou le pivot de Gauss ne nécessite guère d'être mis à jour...
On retrouve la comparaison éculée Wikipédia/Universalis dont on connaît toutes les limites.
Quel iconoclasme téméraire !Les yeux de mes auditeurs s’étaient, à ce stade, agrandis de surprise : quoi, une prof qui ne crachait pas sur Wikipedia ? qui en vantait même les qualités ? Incroyable !
Mais au fait, les professeurs ne peuvent-ils critiquer d'autres usages, moins avouables, de Wikipédia ? Par exemple, l'utiliser comme source primaire, sans discernement, voire pour des travaux ne nécessitant aucune recherche (lire des résumés d’œuvres par exemple).
Ne peuvent-ils critiquer non plus un fonctionnement problématique par lui-même ?
Voilà qui témoigne d'une belle solidarité avec les collègues. A noter que le collègue, pour la première fois au lycée en ce début d'année, juge bien sévèrement ses collègues plus expérimentés dans les TPE...Je les ai néanmoins mis en garde : quelle que soit mon opinion, elle était extrêmement minoritaire parmi les enseignants, donc parmi ceux qui seraient amenés à évaluer les TPE. Il fallait prendre cette donnée en compte, et, pour frustrant que cela puisse être, s’obliger à ne pas citer d’articles Wikipedia comme sources.
Mais c'est surtout grave pour les élèves : ce n'est pas stratégie qu'il ne faut pas citer Wikipédia, mais par souci de rigueur. Selon ses propres principes, Wikipédia est une source tertiaire ! Drôle de façon de "faire acquérir de « bonnes » habitudes de recherche".
Ajouter que "citer Wikipédia" n'a aucun sens : il n'y a pas d'auteur et une page est sans cesse changeante. Wikipédia indique elle-même - de manière amusante - comment la citer en citant les "auteurs" d'un articles.
Mais si on comprend bien cet enseignant, on pourrait s'en passer !Cela n’empêchait cependant pas d’aller consulter les sources citées dans les fins d’articles, généralement plus acceptables aux yeux des enseignants, et cela leur permettrait déjà de mieux cibler et accélérer les recherches.
C'est effectivement amusant de discréditer les conseils, pourtant avisés, de collègues.Je poursuivis mon tour de la salle informatique, et, quelques instants plus tard, vis une collègue s’arrêter auprès des mêmes élèves. Sans qu’ils ne l’aient sollicitée, elle les interrompit pour leur rappeler que Wikipedia n’était pas une source fiable, « pourquoi ? » leur demanda-t-elle ; et eux, dociles, de répéter ce qui leur avait été dit sans doute de nombreuses fois : que les articles n’étaient pas rédigés par des experts, que n’importe qui pouvait les modifier, etc. Le tout en me lançant des regards à la fois gênés et amusés.
En ce cas, il faut rejeter Wikipédia pour la même raison : "Tout article de Wikipédia doit se référer à des travaux et à des savoirs connus et reconnus." "Les sources primaires publiées de manière fiable (par exemple, par un éditeur ou un journal reconnu) peuvent être utilisées dans Wikipédia, mais seulement avec précaution. Toute interprétation de source primaire doit être fondée sur une source secondaire fiable. En effet, les contributeurs anonymes de Wikipédia n'ont aucune légitimité à interpréter ou à valider une source primaire. Passer par le filtre de la source secondaire permet de faire reposer la fiabilité de Wikipédia sur le travail de vérification et de mise en perspective des sources primaires réalisé par des spécialistes, et non pas sur celle de ses contributeurs anonymes."Une encyclopédie pratique, accessible, complète
Ce rejet de Wikipedia me semble à la fois absurde et hypocrite.
D’abord parce qu’il suppose que la « Connaissance » ne peut venir que de grands pontes universitaires, reconnus comme experts par leurs pairs.
C'est évidemment oublier qu'un article de Wikipédia n'est pas écrit par un auteur (engageant son autorité sur une question), mais par une multitude de contributeurs anonymes et sans responsabilité aucune (contrairement à un éditeur - pour une publication imprimée ou en ligne).Alors que, soyons honnêtes, ce n’est pas parce qu’un article est écrit par un universitaire qu’il est nécessairement et automatiquement de grande qualité (ou qu'il reste de grande qualité, même quarante ans après sa rédaction). Et surtout, un citoyen lambda, passionné d’un sujet, peut avoir des connaissances extrêmement poussées et précises dessus ; le fait qu’il ne soit pas titulaire d’un doctorat dans la discipline correspondante n’y change rien.
On retrouve le refus de l'autorité et le mythe numériste de l'horizontalité, à peine tempéré par un verbe modal ("peut avoir des connaissances"). A ce compte, pourquoi un élève (potentiellement contributeur de Wikipédia) n'assurerait-il pas le cours à la place de notre collègue, dont les compétences disciplinaires ne sont peut-être pas si certaines ?
On sait ce qu'il faut penser de ce "contrôle" (lequel suppose d'ailleurs une autorité en contradiction avec le refus de l'autorité...). Pour le reste, encore une fois, la seule vertu est l'actualisation, ce qui est bien pauvre pour juger de la qualité d'un article...Ensuite, parce que le système Wikipedia est tout de même très bien conçu. Il permet une actualisation permanente des connaissances, un contrôle incessant de tous les contributeurs (il y a même une section « discussion » séparée, qui comporte parfois des débats très pointus).
Et pas les autres donc.Ces dernières années, la classification « thème de qualité », « bon article » (exemple : l'article Mont-Blanc est un bon article, faisant partie d'un thème de qualité) et « article de qualité » permettent d’accorder une plus grande confiance à certains articles, et empêche d’ailleurs certaines modifications de leur contenu (ainsi, l’article « Périclès » est en « semi-protection longue »). À mon avis, ce genre d'articles « labellisés » serait tout à fait acceptable comme source pour des exposés, dans l'enseignement secondaire au moins.
Pour le reste ces articles sont très peu nombreux ( moins de 1500 sur 1,7 millions, soit... moins d'un article sur mille !) et le processus de validation lui-même laisse songeur : un simple vote, en toute subjectivité, de quelques contributeurs anonymes.
D'où l'intérêt éventuel de Wikipédia comme source tertiaire...D'autre part, les liens internes permettent une navigation très aisée, et un approfondissement rapide des recherches.
Un détail...Indéniablement, Wikipedia est une encyclopédie extrêmement pratique, accessible et complète.
Faire confiance aux contributeurs : force ou faiblesse ?
Certes, parce que c’est un outil collaboratif en perpétuelle évolution, et globalement ouvert à toutes les contributions, il présentera toujours certaines faiblesses, notamment en ce qui concerne certains sujets « sensibles », où l’on peut parfois constater des « guerres d’édition ».
Si l'auteur de l'article avait lu mon expérience, il aurait constaté que tel n'était pas le but...Son autre faiblesse, si on peut la considérer ainsi, est de reposer sur la bonne foi des contributeurs. On entend régulièrement parler des profs qui ont piégé leurs élèves en bidonnant un article Wikipedia avec des informations fausses, pour détecter ceux qui, ô, déshonneur, avaient osé faire des recherches en utilisant cette encyclopédie au rabais. (Hahaha, regardez : qu’ils sont bêtes ces élèves !) Le procédé est à mon avis lamentable.
Je me cite : "L'erreur la plus vénielle fut d'utiliser sans discernement les informations de Wikipédia : rien n’indiquait en effet que le poème avait été composé au sujet de Melle de Beaunais. Le raccourci était abusif et non fondé, comme l'aurait montré une recherche plus approfondie : c'était un simple manque de rigueur à l'égard des sources historiques."
Ce n'était donc pas Wikipédia que je critiquais ici. Comme quoi se référer à une source primaire est utile...
C'est absurde de prendre l'exemple de mon expérience puisque le travail donné n'était pas un travail de recherche, mais un commentaire de texte. Toujours cette déformation disciplinaire...D’abord parce que les élèves qui font des recherches chez eux pour un devoir à la maison devraient être encouragés plutôt que stigmatisés (oui, il peut sembler évident que tous les élèves font des recherches pour enrichir leurs travaux, mais non, ce n’est pas forcément le cas de la majorité).
Et c'est valable pour les sites de corrigés, principale cible de mon expérience ?Même s'ils le font de manière maladroite, incomplète, la démarche initiale n'est pas à blâmer. Et à mon avis, falsifier volontairement un article Wikipedia amènera davantage les élèves à ne plus avoir confiance en leurs professeurs qu'à cesser d'utiliser l'encyclopédie.
Les gens qui n'ont aucune compétence sur un sujet donné ? On peut vandaliser un article en toute bonne foi, ce ne sont pas les exemples qui manquent...Ensuite parce que les profs qui modifient Wikipedia de cette manière ont un but malhonnête, en contradiction complète avec la visée initiale de l’encyclopédie. Oui, n’importe qui peut modifier la plupart des articles pour y mettre n’importe quoi. Mais qui le fait ?
Tant qu'ils sont "convaincus", c'est un gage de qualité scientifique !En dehors de ces profs, pas grand monde. Les contributeurs peuvent faire des erreurs, avoir des biais idéologiques, mais ils sont, dans leur immense majorité, convaincus de ce qu’ils écrivent, et ne le font pas dans l'unique but de tromper les lecteurs.
En l'occurrence, les professeurs ici dénigrés par ce jeune collègue avaient bien fait leur travail puisque les élèves ont compris que Wikipédia n'était pas une source primaire ou secondaire.Si les profs ne sont pas satisfaits de la manière dont les élèves mènent leurs recherches, peut-être serait-il pertinent de les éduquer sur le sujet : quels sont les éléments qui permettent de déterminer la fiabilité d'une source, comment exercer son esprit critique, comment et pourquoi recouper les informations, etc. Il est évident que ces habitudes relèvent d'une bonne attitude face à la recherche ; il devrait être tout aussi évident que ces procédés ne sont pas innés.
Et supposer que les usages de Wikipédia sont toujours vertueux, c'est de la lucidité ?Un rejet hypocrite
Les réactions offusquées, d’un automatisme parfois suspect, qui accompagnent la moindre mention de Wikipedia parmi les enseignants sont fatigantes et surtout, hypocrites.
Encore une fois l'auteur de l'article amalgame tous les usages de Wikipédia.Si l’on devait licencier tous les profs qui se servent parfois de Wikipedia pour faire leurs cours, il faudrait inventer un autre mot que « crise » pour désigner les difficultés actuelles de recrutement.
On notera encore toute la bienveillance de l'auteur à l'égard de ses collègues...
L'esprit critique, c'est donc de la "détestation" ?Et le « pire », c'est qu'ils ont raison de s’en servir : c’est un excellent outil, et eux-mêmes doivent en être plus ou moins conscients puisqu’ils l’utilisent (à moins qu’ils n’aient une bien piètre opinion de leurs propres cours).
Mais ils ont tort de continuer à propager, sans faire preuve du moindre esprit critique, la détestation convenue de Wikipedia.
C'est dans les principes mêmes de Wikipédia...Ils apprennent aux élèves que la connaissance n’appartient qu’aux experts, reconnus ;
Par définition, les élèves du secondaire n'ont pas encore la capacité à juger de la qualité d'un article. Ils doivent donc pouvoir faire confiance à un auteur...
Et tout le monde se sert de sites de corrigés pour des copiés-collés... Vive le "monde réel" !ils leur apprennent également que le système scolaire est décidément en dehors du monde réel, puisque tout le monde se sert de Wikipedia dans de très nombreuses situations...
Le MEN a signé une convention avec Wikimédia France......mais qu’elle est toujours encyclopædia non grata dans les établissements scolaires.
La critique du fonctionnement de Wikipédia ou de certains de ses usages, responsable du décrochage scolaire ? On aura tout vu !Ce genre de postures dogmatiques ne peut qu'éloigner encore plus certains élèves, à la limite du décrochage, qui ont l'impression que l'École ne peut rien leur apporter pour "la vraie vie".
Heureusement qu'il y a des esprits pionniers !Quand j’ai fait un point « Wikipedia » avec mes Premières, pour leurs exposés d’Enseignement Moral et Civique (ancienne ECJS), et que je leur ai exposé les grandes lignes de mon opinion sur le sujet (notamment, le fait que j'acceptais certains articles comme sources), j’ai quasiment eu droit à une standing ovation ; c’est dire à quel point ils n’ont pas dû entendre souvent cet avis, qui me semble pourtant relever d'un élémentaire bon sens.
Le "bon sens élémentaire", s'agissant d'apprendre à faire des recherches, c'est précisément de ne pas citer comme source Wikipédia, mais les sources sur lesquelles un article s'appuie...
La culture personnelle et la capacité de raisonnement constituent la plus solide des éducations à l'esprit critique.À quand l'éducation aux « nouvelles » technologies ?
Au-delà du seul enjeu « Wikipedia », il serait plus que temps que les élèves bénéficient d'un enseignement organisé (par opposition avec ce qui a lieu aujourd'hui : chaque enseignant qui distille quelques conseils et règles au gré de ses passages épisodiques en salle informatique) sur ces « nouvelles » technologies qui datent tout de même du siècle dernier.
Et si le Danemark le fait, c'est que c'est mieux !Au Danemark, les lycéens passent le bac avec Internet.
Curieusement, les pays les plus performants dans PISA sont aussi les plus déconnectés à l'école.
Nouvelles pédagogies : pourquoi apprendre quand il suffit d'apprendre à apprendre ? Mais comment évalue-t-on la qualité d'un article historique quand on n'a pas soi-même de connaissances ?Les enseignements qui préparent au bac s'en trouvent donc modifiés : il s'agit moins de retenir par cœur que de comprendre, savoir chercher, recouper, trier, organiser, argumenter… Bref, des compétences qui semblent bien plus utiles que savoir réciter par cœur des chronologies ou des statistiques apprises par cœur.
Argument massue.On est en 2015.
Porter un simple regard critique sur cette "évolution" par contre...Il serait temps que certains enseignants s'en rendent compte, et accompagnent les changements plutôt que de s'arc-bouter en vain contre des évolutions qu'ils ne peuvent pas empêcher.
En somme, une bien curieuse façon de "faire acquérir de « bonnes » habitudes de recherche". Quant à bénéficier d'une culture scolaire et d'une autorité conférée par des concours de l'enseignement tout en les dénigrant chez les autres de façon démagogique devant les élèves, on pourrait également considérer que c'est hypocrite.
Un conseil : puisse ce "jeune prof", au lieu de dénigrer indirectement ses collègues sur un blog ou devant les élèves, faire confiance à leur expérience en matière de TPE...
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