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"La mondialisation universitaire" (Christophe Charle)
- Loys
- Auteur du sujet
Extrait :
La Vie des Idées : On présente de plus en plus internet comme un media susceptible de bouleverser l’université dans les années qui viennent. Cela serait-il porteur de changements sur les hiérarchies mondiales et sociales à l’œuvre dans les universités ?
Christophe Charle : Plus largement qu’internet qui joue déjà un rôle important dans le travail intellectuel et de recherche des enseignants-chercheurs et des étudiants, c’est la possibilité, déjà largement en place dans certains pays comme les États-Unis, de l’enregistrement des cours ou l’encadrement à distance d’étudiants qui me paraît le plus grand bouleversement pédagogique en cours dans l’enseignement supérieur. Comme toute mutation technique, il peut constituer la meilleure ou la pire des choses pour ceux qui sont attachés à un certain idéal démocratique et ouvert des universités.
La meilleure, s’il permet d’effacer un certain nombre d’obstacles à la diffusion des savoirs, des cours et des difficultés de communication entre collègues ou entre universitaires et étudiants quels que soient l’origine, l’âge, la motivation. La pire si, comme c’est pratiqué dans certaines universités privées à but lucratif, il s’agit de fournir des « kits » d’enseignement uniformisés, conformes à une routine ou à des objectifs utilitaristes, et destinés à transformer l’enseignement supérieur en un marché standardisé comme un autre où la relation humaine disparaît progressivement. Certains y voient aussi une menace contre le statut de professeur, puisque certains promoteurs de ces universités virtuelles imaginent qu’on sélectionnera sur chaque sujet le meilleur cours de la « star » du domaine et qu’on réduira tous les autres spécialistes à encadrer ou commenter ce cours standard comme tuteurs des étudiant(e)s qui auront cette vidéo sur leur écran d’ordinateur à la demande. Il est possible que selon les domaines on pourra réaliser ou non cette utopie du meilleur des mondes universitaires avec, pour reprendre les catégories d’Aldous Huxley, les « alpha plus » devant la caméra, et les « bêtas » et « gammas » cantonnés dans la coulisse à l’interrogation orale, au courrier électronique de liaison avec les « clients apprenants » ou à la correction des devoirs par internet.
Ces visions technophiles de l’avenir universitaire oublient aussi qu’un cours n’est pas un manuel lu devant un micro, ni une performance aguichante devant une caméra. Surtout si les cours ne sont pas nourris par le travail parallèle des enseignants chercheurs, on peut directement les supprimer et les remplacer par des polycopiés obligatoires sur tout le territoire. La diversification des enseignements supérieurs et des publics et l’accélération des flux d’informations sur lesquels reposent les enseignements rendent l’adaptation permanente des formules pédagogiques indispensable, alors que des formules vidéo ou audio enregistrées risquent, du fait des coûts, de pousser à la stagnation, au choix des enseignements standardisables ou à la reproductibilité au moindre coût, incompatible avec la modification continue des contenus.
Il faudra trouver le bon point d’équilibre, mais il y a là un défi nouveau pour toutes les universités. La France de ce point de vue a beaucoup de progrès à faire, d’autant que les bombes à retardement laissées par les réformes mal conçues antérieures diminuent encore les marges de manœuvre des établissements, comme le montrent certaines lettres de protestation récentes des présidents d’université français.
par Florent Guénard
Merci Cliohist.
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