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"Les stratifications des pratiques numériques des adolescents" (Pierre Mercklé & Sylvie Octobre)
- Loys
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De ce point de vue, l'étude est déjà ancienne avec l'explosion récente des réseaux sociaux (depuis 2008 justement).
Quelques extraits :
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p. 31La pratique devient d’ailleurs de plus en plus autonome, corrélativement sans doute à la possession d’un ordinateur personnel : si un enfant sur dix se sert d’un ordinateur avec un de ses parents à 11 ans, ils ne sont plus que 3 % à 17 ans (et respectivement 26 % puis 11,3 % avec des frères et soeurs). Ces résultats attestent de l’ampleur et de la rapidité de cette révolution numérique au sein de leur génération.
p. 34Que font les adolescents avec l’ordinateur ? L’observation de l’évolution des usages saisis par l’enquête permet de se convaincre de l’importance croissante de la nature hyper-médiatique de ces usages : en début de collège, l’usage majoritaire est le jeu (jeux vidéo : 73 %), loin devant les usages communicationnels (messagerie : 33 % ; forums et chats : 20,5 %) et la consommation de produits culturels (consultations de CD-ROM : 29 % ; téléchargement de musique, de DVD, films ou DivX : 23 %). Avec le passage en seconde moitié de collège, les usages se diversifient et deviennent plus fréquents, à l’exception des jeux vidéo : les usages communicationnels se démultiplient (courrier électronique : 57 % ; messagerie instantanée : 75 % ; forums et chats : 22 %)4 ; la consommation culturelle prend une place importante (celle de musique est multipliée par 2, et celle de films, quasi-inexistante auparavant, concerne désormais 39,5 % des adolescents qui utilisent un ordinateur), et s’accompagne d’un développement de la création (dessins, photos 33 %), quand, dans le même temps, la pratique « traditionnelle » de ces mêmes activités est en déclin. Par ailleurs, l’accroissement de la pression scolaire favorise l’augmentation des recherches sur Internet (56 % en début de collège, 79 % au lycée), nouvelle encyclopédie interactive du savoir. L’ordinateur joue ainsi de la porosité des registres, éducatif et ludique : il s’impose tout à la fois comme mode d’accès au savoir et outil de travail scolaire (la part de ceux qui utilisent l’ordinateur pour faire leurs devoirs est multipliée par 25 avec le passage en seconde moitié de collège), mais aussi comme porte ouverte sur l’ensemble des centres d’intérêts des adolescents, au premier rang desquels figurent la sociabilité amicale et la conversation avec les pairs.
p. 38tout comme l’ordinateur, le portable devient ainsi un espace à soi, personnel et personnalisé (Allard, 2010), où la capacité médiatique révèle les compétences individuelles de ceux qui les utilisent, mais devient également caractéristique d’un groupe d’âge. C’est de ce sentiment de dépassement, à la fois technique et « éducatif » , sentiment accru par la rapidité des évolutions et l’extension des possibilités offertes par cet outil, que peuvent alors naître sinon de nouvelles « paniques morales »
5, du moins un préjugé de plus en plus répandu selon lequel la génération numérique se serait totalement affranchie, pour le meilleur ou pour le pire, de l’emprise culturelle parentale.
p.42Au total, il s’agit donc non seulement d’une transformation de la structure du capital culturel et des usages d’une génération à l’autre – à chaque génération de familles correspondant un contexte socioculturel propre – mais aussi, plus fondamentalement, d’une mutation des processus de transmission : la société contemporaine se caractérise par une individualisation et une désinstitutionalisation relatives et la socialisation n’y est plus considérée comme l’adoption des normes d’un groupe mais comme le déploiement des moyens disponibles à l’individu pour se réaliser lui-même.
Le déplacement de la fracture numérique : différenciation et diversification des usages de l’ordinateur
À l’entrée des enfants du panel dans l’adolescence, en 2002, leurs parents ne se différenciaient pas seulement par leur équipement, mais également par leurs usages de cet équipement. Dans l’ensemble, les enfants d’origine favorisée avaient des parents multi-utilisateurs, dont les usages nombreux combinaient fonctions professionnelles, utilitaires (comptes, recherches d’informations) et communicationnelles, tandis que les enfants d’origine populaire avaient des parents qui avaient un usage principalement récréatif de l’ordinateur domestique : 38 % des parents ouvriers utilisent l’ordinateur pour jouer, contre seulement 25 % des parents cadres, et c’est le seul type d’usage de l’ordinateur plus fréquemment observé chez les premiers que chez les seconds.
p. 43les enfants de cadres sont du reste plus nombreux que tous les autres à se servir de l’ordinateur pour jouer à des jeux vidéo. Ce n’est pas tant que les enfants des classes populaires utilisent plus que les autres leur ordinateur pour l’école : c’est surtout qu’ils l’utilisent moins pour jouer, ce qui s’explique en bonne partie par le fait qu’en revanche ils utilisent nettement plus souvent une console de jeu connectée à la télévision
p. 44Là encore, la comparaison avec la dynamique de la massification scolaire est éclairante : avec la généralisation de l’ordinateur domestique, le terrain de jeu de la distinction numérique s’est déplacé vers la maîtrise des NTIC, des usages connectés de l’ordinateur.
p. 49Au-delà de ces mesures des différences d’usages qui restent très générales, d’autres travaux récents ont d’ailleurs souligné que malgré un accès au réseau là encore de plus en plus massif, l’illégitimité persistante de certaines formes d’expression sur Internet (qui a du reste contribué à un retour inattendu de l’écrit comme forme dominante d’expression) continue de tenir les classes populaires à l’écart des normes d’autonomie, d’accomplissement de soi et de reconnaissance imposées dans ces nouveaux espaces publics par les classes dominantes
Si enfin on ajoute que les adolescents de milieux favorisés sont enclins à adopter plus rapidement que les autres les usages numériques émergents, il faut probablement admettre que le déplacement continu des frontières du territoire de la « littératie numérique » va condamner une partie importante des prochaines cohortes d’adolescents de milieux populaires à rester des « digital immigrants ».
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