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Loïc Ballarini - "Les profs qui n’aimaient pas les élèves" (03/04/12)
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Merci pour ces amabilités, M. Ballarini. Vous savez de quoi vous parlez, vous qui êtes multiblogueur.Les profs qui n’aimaient pas les élèves
Pour un blogueur, le Graal que l’on espère dénicher, ou plutôt l’échalote derrière laquelle on s’épuise à courir, c’est le buzz. Faire parler de soi : le rêve. Pour y parvenir, une bonne recette consiste à surfer sur une thématique à la mode en y ajoutant un brin de provocation encore inédit. C’est parfois extrêmement pénible à observer, mais cela doit certainement être agréable à vivre pour qui cherche à faire gonfler un peu ses chevilles.
Car par définition un blogueur hait internet, comme de raison.Le must, c’est de parvenir à faire le buzz sur internet en y crachant sa haine d’internet...
En prenant la peine de lire mon article, M. Ballarini aurait su qu je ne déteste absolument pas internet ou le numérique en général. Mais il est plus simple de dénigrer et caricaturer une démarche que d'y réfléchir objectivement....cela ouvre immédiatement au blogueur les portes des médias traditionnels, ravis d’alimenter à peu de frais leurs préjugés sans se soucier de l’évidente contradiction que la démarche porte en elle : pourquoi accorder tant d’attention à sa célébrité sur le net, si on le déteste à ce point 1 ?
Jusque ici rien à redire.Aussi ne pourra-t-on en vouloir à Loys Bonod de se féliciter d’avoir suscité, en quelques jours à peine, 500 000 visites d’un de ses billets, 90 000 « likes » sur Facebook, plus des reprises chez les pure players et dans les journaux papier, parlés ou télévisés. C’est un beau buzz, rien à dire.
Sur le contenu, en revanche, permettez-moi d’être plus circonspect — je suis d’ailleurs loin d’être le premier 2. Qu’est-ce qui a en effet valu une si soudaine (mais bien recherchée) exposition médiatique à ce professeur de lettres d’un lycée parisien ? Ce qu’il appelle lui-même une « petite expérience pédagogique », qui plus est « amusante ». Il la raconte dans un billet sobrement intitulé « Comment j'ai pourri le web », publié le 21 mars sur un blog récemment créé, La Vie moderne 3. L’idée est simple : convaincu que ses élèves de première se contentent de recopier ce qu’ils trouvent sur internet pour remplir leurs devoirs faits à la maison, il leur a demandé un commentaire composé sur un poème d’un obscur auteur du XVIIe siècle. Mais en ayant pris soin, plusieurs mois auparavant, de « pourrir le web ». Le poète en question, Charles de Vion d’Alibray, étant à peu près inconnu sur internet, il lui a été facile de contrôler les rares informations disponibles en ligne, en introduisant un élément inventé dans la page Wikipédia qui lui est consacrée, en truquant des discussions sur des forums (en se faisant alternativement passer pour un élève posant une question et un prof y répondant), et en diffusant un « pseudo-commentaire » sur des sites qui vendent des corrigés. Il a évidemment retrouvé bon nombre de ces (fausses) informations dans les devoirs rendus un mois plus tard : « Sur 65 élèves de Première, 51 élèves - soit plus des trois-quart - ont recopié à des degrés divers ce qu’ils trouvaient sur internet, sans recouper ou vérifier les informations », écrit-il. « L'erreur la plus vénielle fut d'utiliser sans discernement les informations de Wikipédia. […] Les erreurs les plus graves étaient en revanche les erreurs d’interprétation, voire de compréhension littérale du poème : des expressions, des phrases et même des paragraphes entiers étaient recopiés sur le net, parfois au mot près, trahissant une incompréhension tant du poème que de la méthodologie du commentaire composé. »
Vous auriez trouvé ça normal, M. Ballarini. Encore le relativisme moral de la triche perpétuelle...Faut-il vraiment s’étonner que des élèves de première, qui plus est en début d’année, aient du mal à comprendre un poème baroque du XVIIe et éprouvent quelques difficultés à produire une « réflexion personnelle » à son endroit ? Il y a quelques années, ils seraient allés au CDI ou à la bibliothèque municipale chercher des infos dans une encyclopédie ou une exégèse, on aurait trouvé ça normal.
Le sonnet est très simple, tant du point de vue lexical que syntaxique, et ne pose pas de difficulté d'interprétation : le poète se compare à un arc-en-ciel que fait naître et disparaître le soleil, c'est-à-dire la femme aimée.Aujourd'hui, ils ouvrent leur navigateur et font confiance à Wikipédia, et c’est mal. « Google a pensé pour eux et ils n'ont par conséquent pas compris le sonnet », ajoute le professeur dans un billet ultérieur. Et si c’était l’inverse ? Qu’ils n’aient pas compris le sonnet et s’en soient remis à Google ?
Encore du dénigrement facile : mes élèves se sont bien amusés avec moi, et m'ont applaudi. Avez-vous lu l'article, M. Ballarini ?Loys Bonod ne se pose pas cette question. Il préfère en tirer une morale bien à lui : « Les élèves au lycée n'ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres. Leur servitude à l'égard d'internet va même à l'encontre de l'autonomie de pensée et de la culture personnelle que l'école est supposée leur donner. » Mais est-ce bien en les humiliant de la sorte 4...
Quand ai-je menti ?... et en leur montrant que non seulement internet n’est pas fiable, mais qu’en plus leur prof leur ment, qu’il compte les amener vers une autonomie de pensée ?
Voilà qui serait tout à fait utile pour préparer au baccalauréat...D’autres « expériences pédagogiques » étaient possibles, comme le notent Jean-Noël Lafargue et Rémi Mathis : partir d'auteurs contemporains (chanteurs, écrivains) pour ouvrir des perspectives rendant abordables des textes « classiques », ou faire des recherches sur cet auteur avant de compléter sa fiche Wikipédia et ainsi d’en découvrir les rouages et d’appréhender les questions de fiabilité de l’information.
Quand les élèves pensent pouvoir copier-coller un corrigé sur internet sans qu'il s'en rende compte, c'est qu'ils ont une bien piètre opinion de leur professeur en informatique...Cela aurait pu être diablement intéressant, mais ça n’aurait peut-être pas fait le buzz. Or, dans la liste de ses motivations, Loys Bonod cite en premier : « J’ai voulu démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu'eux, voire mieux qu'eux. » Quel besoin avait-il de le leur démontrer ? Un prof n’est pas là pour prouver qu’il sait mieux que l’élève, mais pour (tenter de) lui transmettre savoir et goût du savoir, non ?
Ils ont été trompés par eux-mêmes : je ne les ai pas incités à aller sur internet, l'exercice ne l'exigeant pas.Je suis plutôt amateur de canulars, mais les utiliser dans une perspective pédagogique me paraît extrêmement délicat : on apprend en faisant des essais et des erreurs, mais qu'apprend-on en étant trompé par son professeur ?
Cette réputation était bien antérieure au buzz, puisque l'expérience a eu lieu un an et demi auparavant.Loys Bonod, pourtant, est persuadé d’avoir bien fait son travail. Mais les dernières phrases de son billet soulèvent de graves questions. « Ai-je réussi ? Ce serait à mes élèves de le dire. Une chose est sûre : cette expérience a, je pense, marqué mes élèves et me vaut aujourd'hui une belle réputation dans mon lycée. » Si le but était le buzz, c’était effectivement réussi…
Le numérique institutionnel, sous la forme des TICE, s'y efforce (cf le domaine 2 du B2i). Mais on ne peut pas moraliser le numérique sauvage, par définition.« Pour ma part je ne crois pas du tout à une moralisation possible du numérique à l'école. » Le numérique serait-il amoral en soi, qu’il faille absolument le remoraliser ?
Nous y voilà, la haine de classe. Car tricher à l'école, c'est se révolter contre la morale bourgeoise... Si une telle morale existe, à vrai dire. Je serais curieux que M. Ballarini en donne une définition.L’école est-elle là pour apprendre à penser ou pour inculquer la morale bourgeoise ?
Bref copier-coller est un acte de résistance politique :
Ni plus ni moins, s'il sert à tricher.Et le livre, alors, est-il moral, lui ?
Et alors ?N’y a-t-il vraiment que de bons livres ? Enseigne-t-on Marc Lévy ou SAS en cours de lettres ? Et puis, qu’est-ce que le numérique ? Le numérique n’est pas plus extérieur à notre quotidien que l’école n’est extérieure au monde dans lequel nous vivons. Il y a du numérique partout, dans nos téléphones et dans l’affichage de l’heure de passage du prochain bus, dans le pré-remplissage des déclarations d’impôts et — incroyable ! — dans l’écriture et la fabrication des sacro-saints livres de papier.
Car bien sûr internet est au contraire "un ensemble monolithique de contenus" dignes "de confiance".Ou bien serait-ce plutôt internet qui est visé ? Internet vu comme un ensemble monolithique de contenus indignes de confiance. La critique n’est pas neuve, elle est évidemment caricaturale...
Ce n'est pas que l'enseignement des lettres est bousculé, c'est qu'il est dévasté. Ces "outils", les sites de triche organisée, de résumés d’œuvres, de corrigés ne sont pas au service de l'enseignement, de l'esprit critique ou de la culture. Bien au contraire....et typique de ceux qui sont bousculés dans leurs habitudes et ne veulent pas comprendre que la pédagogie doit évoluer avec les outils dont elle dispose.
Ils sont sans doute idiots comme moi.Ce qui pousse notre facétieux professeur à conclure : « Et je défends ce paradoxe : on ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui. » Il devrait être ravi d’apprendre que plusieurs cadres très haut placés chez eBay, Google, Apple ou Yahoo! ont décidé de suivre son conseil : ils envoient leurs enfants dans une école primaire totalement dépourvue d'ordinateurs.
On avait compris que M. Ballarini faisait partie des Bourdieusiens. Et que c'est au nom de Bourdieu qu'il défend le massacre de la culture et de la transmission scolaire.Comme si le crissement de la craie sur le tableau noir était meilleur pour le développement du cerveau que le cliquetis du clavier. Mais qui doute vraiment un instant que ces enfants-là sauront utiliser un smartphone même avant d'en avoir effleuré l’écran ? On sait très bien, notamment depuis les travaux de Bourdieu et Passeron sur l’école, l’effet que le milieu social d’origine des enfants a sur leur « réussite » scolaire, c’est-à-dire leur capacité à répondre aux injonctions du système éducatif, voire à les devancer 5.
Ah bon ?Il est certainement possible de profiter du numérique en ayant formé son esprit sans lui, mais cela est réservé aux enfants d’une élite.
Je n'ai jamais dit qu'ils ne pouvaient pas accéder à internet, j'ai dit qu'ils ne pouvaient pas en tirer un quelconque profit en lettres.Pour les autres, deux solutions. Ou on les méprise et on leur prouve leur infériorité en leur montrant qu’ils ne peuvent pas comprendre internet alors que le prof, lui, il peut (na !).
Oodoc et Oboulo font partie de ces "formidables ressources" ? Et le copier-coller, c'est de la "création individuelle ou collective" ?Ou on les aide à former leur esprit en utilisant, notamment, le numérique et ses formidables ressources en matière de diffusion, de partage, de création individuelle et collective.
Ben voyons, en m'efforçant de faire réfléchir les élèves par eux-mêmes, je tue l'école. Il était pourtant simple de la rendre vivante en intégrant le copier-coller de la pensée d'autrui, sans nul doute : pourvu que le copier-coller soit encouragé au baccalauréat dans les années qui viennent !Quand il a développé ses principes pédagogiques — c’est-à-dire quand il a confronté ses convictions, ses intuitions et ses lectures avec sa pratique d’instituteur —, Célestin Freinet (1896-1966) s’est saisi des outils de son époque. C’était il y a presque un siècle : pour ouvrir l’école sur le monde, Freinet y faisait entrer les animaux de la ferme, mais aussi l’imprimerie. La découverte par l’expérimentation, la progression par essais et erreurs, l’expression libre, le travail individualisé, le partage à travers les correspondances scolaires, la mise en responsabilité des enfants… est-ce que le numérique empêche de mettre cela en pratique aujourd'hui 6 ? De la maternelle à l’université, nombreux sont les enseignants conscients qui, parfois en tâtonnant et en se dépatouillant comme ils peuvent avec les programmes et la bureaucratie, inventent des manières d’enseigner en prise avec leur époque. D’autres, qu’ils soient enseignants, parents ou politiques, veulent croire que l’institution scolaire serait là pour protéger les élèves du monde. Ce sont eux qui tuent l’école.
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