Alexandre Moatti - "Guillaume Budé et Wikipedia" (25/03/12)

A lire sur son blog cet article d'Alexandre Moatti, ingénieur de formation, diplômé de Polytechnique et docteur en histoire des sciences, qui a été plusieurs fois conseiller dans différents ministères.

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M. Moatti (voir sa page Wikipédia oublie de préciser dans son article qu' il est... administrateur de Wikimedia France depuis 2008 .

Commentons.

Guillaume Budé et Wikipedia

Le titre indique le principal argument : la triche perpétuelle.

Un professeur de lettres classiques du lycée Chaptal (Loys Bonod, 36 ans) se gargarise "J'ai piégé le Net pour donner une bonne leçon à mes élèves" (NB : en donnerait-il habituellement de mauvaises ? c'est toujours intéressant d'écouter l'inconscient parler).

Pour ce qui est de l'inconscient, cette puissante analyse psychologique est sans doute vraie mais malheureusement ce titre n'est pas de moi, mais de Rue89.

Rien de bien palpitant, mais çà remonte quand même jusqu'au JT de France 2 et au Journal de France-Musique (long reportage).

Quel mystère ! Un sujet inintéressant qui intéresse des gens !

On retrouve le piégage de Wikipédia, comme au bon vieux temps d'Assouline et de ses élèves de SciencesPo. J'ai lu récemment qu'Assouline, quatre ans après, "ne souhaite plus s'exprimer à propos de Wikipédia". Dont acte.

La lecture attentive de mon article aurait montré à M. Moatti que ce n'est pas tant la fausse information glissée sur Wikipédia qui intéressait mon expérience, mais finalement le raccourci historique abusif des élèves. Elle lui aurait aussi montré que Wikipédia était très secondaire dans mon expérience.

Et l'enseignant de se vanter d'avoir gagné la confiance des wikipédiens par quelques contributions érudites en littérature, avant d'introduire une donnée fausse dans une page pour les besoins de son "expérience".

La lecture attentive de l'historique de Wikipédia montre aussi que j'ai d'abord fait une modification avec cette justification : "Erreur temporaire à caractère pédagogique".

Nunquam auditur propriam turpitudinem allegans, disait un patron que j'ai connu à l'un de ses collaborateurs – sidéré – qui invoquait ses propres problèmes d'organisation. Personne n'est audible quand il fait référence à ses propres turpitudes.

Pourtant il me semble que j'ai été "audible".

La conclusion de l'article du prof de Chaptal, ce qu'il appelle pompeusement (c'est le cas de le dire) "la morale de l'histoire", c'est : "on ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui."

Les citations latines sont aussi pompeuses, voire cuistres.

Toujours cette même vision élitiste et hors d'époque : "Oui môssieur, moi j'ai fait mes humanités, et sans Internet".

De l'argumentation pure et dure : "élitiste et hors d'époque".

Mais, surtout, indépendamment de Wikipédia, indépendamment de ce stratagème-là, tout ceci n'a pas grand'chose à voir avec Internet.

Précisément si : la facilité avec laquelle Internet offre en une requête sur Google ses mirages de solutions, résumés d’œuvres, corrigés de commentaires ou de dissertation donne désormais à la fraude une dimension industrielle. Et on peut même tricher pour des exercices pour lesquels on ne pouvait autrefois pas tricher, comme le commentaire de texte. Le progrès numérique est là aussi...

J'ai souvenir du prof de latin (NB : moi aussi j'ai fait mes humanités ! ) qui ôtait un petit bout de phrase de Cicéron dans la version qu'il donnait à traduire. Toux ceux qui avaient le Budé sur les genoux ne manquaient pas de rendre leur copie avec le bout de phrase traduit.

L'expérience est effectivement amusante. D'ailleurs si l'auteur s'en souvient, c'est que le piège a été marquant !

J'ai fait par la suite des études scientifiques, mais je garde un souvenir ému de ce prof de français/latin/grec (lettres classiques) : M. Juhlin était son nom. RIP. Et lui n'a sans doute pas fait exprès en oubliant ce bout de phrase (c'est un élève qui le lui a fait remarquer lors de la correction orale...).

Il faudrait savoir... "J'ai souvenir du prof de latin qui ôtait un petit bout..."

L'utilisation de l'imparfait est signifiante...

O tempora, o mores, conclurai-je avec Bonod !

Déjà la conclusion (latine et pompeuse ?) ? Mais c'est un peu court, M. Moatti.

PS : je viens de trouver une page de chroniques elles aussi critiques du procédé de cet enseignant. Le titre originel de Bonod "Comment j'ai pourri le Web" est détourné en "Comment j'ai nourri le Web", démarche de laquelle je me sens plus proche.

C'est beau. Le bien contre le mal, en somme.

PS qui a (un) peu à voir : j'ai fini ce jour le remarquable livre de F. Bon, Après le livre (Seuil 2011). J'en parlerai sur ce blog à l'occasion. Voilà une approche intéressante du numérique !

Comprendre : une approche qui ne critique pas le numérique. Car réfléchir aux implications éventuellement négatives du numérique, c'est une approche inintéressante.

Au fait, comme dans de nombreux articles, pas une seule mention des sites de corrigé. Inintéressants, sans doute.

Quelques petites précisions:
* Alexandre Moatti est polytechnicien du Corps des Mines. Certes, sur le papier, il s'agit d'un ingénieur, mais ce type de formation ne correspond pas à ce que l'on entend généralement par "ingénieur".
* Il est auteur de divers ouvrages de vulgarisation et d'histoire des sciences.
* Il est docteur en histoire des sciences (sa thèse portait sur Gaspard-Gustave de Coriolis).

DM vous ne répondez pas à la question sous-jacente, d'après-vous M. MOATTI doit-il sa page à sa "proximité" avec Wikipédia oui ou non ? Combien de polytechniciens ayant écrit des ouvrages ne sont PAS sur Wikipédia ? Si je commence à créer une page pour chacun combien de temps faudra-t-il pour que je sois banni ?

A lire d'Alexandre Moatti : "Les postures d’opposition à Wikipédia en milieu intellectuel et culturel" (5/06/13), document d'accompagnement de son intervention au colloque "Wikipédia, objetscientifique non identifié ?"
Le titre est d'une rigueur scientifique toute exemplaire puisque critiquer Wikipédia ne peut relever que d'une "opposition" de "posture".

2. Qui ? [essai de catégorisation et de caractérisation]
1. « Vieil » antiwikipédisme de clercs, d’hommes de média (ex. Jeanneney, Assouline), antiwikipédisme « mondain »
- Venant de milieux lettres, histoire [lié à des controverses sur des pages d’histoire sur Wikipédia]
- Revue Histoire (pas en tant que telle mais des membres de son comité de rédaction)
- Postures institutionnelles : Revue
- Books et sa rubrique « Wikigrill »
2. Une critique au nom de soi (MA page Wikipédia)
3. Antiwikipédisme de nouvelle génération / interne à l’éducation nationale
Loys Bonod professeur de lettres au lycée Chaptal : contre le pédagogisme, contre les TICE

Où l'on retrouve une partie de mon analyse : la sédition plutôt que l'édition. Compte tenu de ce que nous avons dit plus haut, il est amusant que Alexandre Moatti critique les attaques "au nom de soi (MA page Wikipédia).
Pour ce qui me concerne, ma conclusion n'est pas "antiwikipédiste" puisqu'elle suggère des pistes de réforme du système Wikipédia, et non sa suppression. Je ne suis pas "contre les TICE", puisque je les utilise moi-même avec mes élèves, mais contre un usage béat des TICE.
Il est plus simple de caricaturer son contradicteur...

3. Quoi ? [quelles racines ?]
Informatique, Internet
Incompréhension totale du fonctionnement de l’Internet, de l’informatique
+ antijeunisme
Incompréhension du vocabulaire et de certains concepts
La notion de « projet » (Bonod)
La notion de « chapitre » (fonctionnement général de l’Internet)
Se déploie indépendamment des États
un projet trop libre vis-à-vis des pouvoirs publics ?
L’encyclopédie libre, les logiciels libres

C'est vrai que, pour ma part, je ne comprends rien à Internet ou à l'Informatique.
Et je n'ai pas compris la notion de "projet encyclopédique", bien sûr. Ou alors j'ai mis en avant la contradiction schizophrène qui consiste à présenter Wikipédia tantôt comme une encyclopédie, tantôt comme un projet d'encyclopédie.
Quant à "se déployer indépendamment des États", c'est vrai que l'hébergement des serveurs dans un seul pays, les États-Unis, plaide tout à fait pour l'indépendance...
La "liberté vis-à-vis des pouvoirs publics", c'est surtout un refus de se soumettre à la loi commune de la République française par exemple : www.laviemoderne.net/detox/43-le-jeu-de-loi-de-wikipedia
Enfin Wikipédia est une encyclopédie libre mais qui (avec le site miroir d'Orange par exemple) rapporte de l'argent à la Wikimedia Foundation et plus généralement à Google.
Enfin rejetons "l'anti-jeunisme" : soyons jeunistes !

3. Quoi ? [quelles racines ?]
Une critique à caractère politique ?
- Libre > libertaire de droite ?
- Comment peut-on prétendre faire de la culture sans l’État ?
En France on aime les théories (de Descartes à Marx), parfois au détriment de la réalité...
Wikipédia c’est le contraire : « ça marche en pratique pas en théorie »

Donc si on critique Wikipédia, c'est qu'on est de droite, et si on est de droite c'est qu'on n'est pas du côté du Bien... C'est curieux : la revendication de plus d’État est plutôt une revendication de gauche.
Quant à "la culture sans l’État", cette phrase est amusante quand on sait que Wikipédia développe des actions institutionnelles auprès de l’Éducation Nationale et que les dons bénéficient en France d'une exonération d'impôts.
Je ne sais pas si les critiques de Wikipédia font preuve d'anti-américanisme mais en tout cas le second élément d'analyse est déconcertant de francophobie généralisante...
Quant à Wikipédia "ça marche", tout dépend du point de vue adopté.

4. Comment ? [Quelques manifestations de cette critique]
Le must de la critique de Wikipédia, celui du narcissisme
MA page Wikipédia [argument diagonal]
Ex. Borch-Jacobsen commente sa propre page dans la rubrique Wikigrill de Books
« WP obscure divinité d’Internet »
Affaire Roth : WP force certaines personnes célèbres à réfléchir sur la manière dont on parle d’elles
dissonance cognitive
Wikipédia univers kafkaïen (Roth) [toujours une référence dans la littérature]
Wikipédia dépassé [interface, nb. de contributeurs] (Bonod)
[quand on réfute quelque chose, on l’accuse d’être dépassé]

Il est amusant de voir comment Alexandre Moatti concède presque à regret que Philip Roth est "toujours une référence dans la littérature"...
C'est vrai que l'interface de Wikipédia est totalement dépassée, à l'ère des réseaux sociaux. Mais comme je n'y connais rien à Internet ou à l'Informatique, j'ai sans doute tort.
J'observe qu'Alexandre Moatti n'a gardé de mes critiques du fonctionnement de Wikipédia qu'une remarque assez anecdotique...
www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/3...-c-est-de-participer

La vidéo qui correspond :

@Loys: Pour être clair: il m'apparaissait, à l'époque, que cette biographie ne satisfaisait pas aux conditions de vérifiabilité et de notoriété, et je maintiens cette appréciation. Peut-être que je pourrais, 5 ans après, évoluer sur la question de la notoriété.
Ceci dit, je trouvais que votre présentation d'A. Moatti comme "ingénieur de formation" était fort réductrice, notamment en raison de l'énorme spectre que couvre le terme "ingénieur", et d'autre part en raison du doctorat d'A. Moatti en histoire des sciences.

Qu'il ne parle pas de wikibuster.org on lui pardonne car on ne vient pas du "milieu intellectuel" et encore moins mondain. Qu'il évacue Alithia (prof. de philo quand même) qui a bossé pendant des années sur Wikipédia avec des articles très fournis et argumentés c'est déjà extraordinaire mais la traiter de troll c'est curieusement méprisant. Sinon je trouve qu'il est franchement dans une "posture" (puisqu'il aime bien ce mot) victimaire, vous ne trouvez pas ? Au final il ne retient aucune critique légitime, positive, à considérer, sérieux ? C'est archi pauvre son intervention. Son procédé me donne l'idée de faire une catégorisation de l'argumentaire wikilâtre.