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Pierre-Carl Langlais - "Wikipedia favorise-t-elle l'esprit critique ?" (25/03/12)
- Loys
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Pour mémoire, Pierre-Carl Langlais est "contributeur et membre du comité d'arbitrage de la Wikipédia francophone sous le pseudo d'Alexander Doria" et "critique musical" sous son vrai nom.
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Wikipedia favorise-t-elle l'esprit critique ?
Une fausse question donc, en vertu du conflit d'intérêt de M. Langlais, contributeur et membre du comité d'arbitrage de Wikipédia, et une fausse objectivité donc.
Ce n'est pas la servilité à l'égard des sources numériques, c'est la servilité à l'égard du numérique tout court, puisque pour l'exercice du commentaire de texte, il n'est besoin d'aucune "source". Autrement dit, pour lire et comprendre un texte, est-il besoin d'aller sur Google ?Le témoignage du professeur Loys Bonot a été très médiatisé. Repris sur Rue89, il attiré près de 300 000 lecteurs. Cette expérience pédagogique qui consiste, de l’aveu de son auteur, à « pourrir le Web » pour mesurer le degré de servilité de ses élèves à l’égard des sources numériques, a réveillé de nombreuses préoccupations latentes.
Wikipédia est tout à fait secondaire dans mon expérience, comme en témoigne l'article. On sait déjà qu'il ne sera nulle part question des sites de corrigés. Et quand vous parlez de Wikipédia, M. Langlais, vous pouvez dire "nous".Principale concernée par cette affaire, l’encyclopédie en ligne Wikipédia n’est pas restée insensible.
Il était temps...Dès jeudi matin, une longue discussion, toujours en cours, s’est amorcée sur la principale interface communautaire, Le Bistro. Les articles affectés ont été repris en main.
Un de mes élèves facétieux a en effet modifié la page plusieurs mois après mon expérience en y glissant mon nom. Personne sur Wikipédia n'y a retrouvé à redire pendant presque un an.
Rappelons que le terme "vandalisme" a ici un sens... wikipédien !L’enjeu de ce billet n’est pas d’offrir un contre-témoignage wikipédien à toute une série de remarques parfois justifiées (même si, de mon point de vue, le vandalisme d’un article est en soi indéfendable). Il s’agit plutôt d’apporter trois approfondissements afin de nourrir le débat plus avant.
Où l'on retrouve le sempiternel argument de la triche universelle, particulièrement développé ici, avec toujours le même relativisme moral : puisque la "société réelle" (les élèves ne font pas partie de la société réelle ? ) triche, pourquoi les élèves ne tricheraient-ils pas ?Des exemples qui viennent d’en-haut…
Le copier-coller de Wikipédia est un art très répandu. Il est notamment pratiqué par certains adultes que l’on supposerait matures : des écrivains (Houellebecq et Macé-Scaron en savent quelque chose) et, de manière plus insoupçonnée, des parlementaires et des administrateurs de la haute-fonction publique.
Approuvé par l’Assemblée en décembre 2009, un travail du député UMP Gérard Voisin sur « le déploiement de systèmes de transport intelligents dans le domaine du transport routier et d’interfaces avec d’autres modes de transport » (E 4200) piochait librement dans l’article « Système de transport intelligent ». Interrogé à ce propos, le député considère que Wikipédia s’apparente à un texte officiel, dans lequel on peut se servir à merci.
Le 9 juin 2010, le Conseil économique et social examine très favorablement un rapport d’une cinquantaine de pages sur « Les enjeux et les perspectives de la filière équine en France ». Il comporte une introduction générale sur les relations sociales et culturelles entre le cheval et l’homme qui reprend des extraits à peine modifiés de divers articles de Wikipédia. L’encyclopédie en ligne n’est créditée nulle part pour ne rien dire des contributeurs.
Dans les deux cas, l’exercice d’un esprit critique reste tout relatif. Le rapport de 2010 reprend ainsi une erreur, corrigée depuis sur Wikipédia : les relais de postes n’ont pas été créés en 1477, mais en 1464 suite à l’édit de Luxies.
Ces deux plagiats n’ont pas été très médiatisés — le premier, un peu, il y a un an, le second, pas du tout à ma connaissance. Pourtant ils sont révélateurs d’une double hypocrisie.
Hypocrisie d’abord vis-à-vis des élèves qui sont censés se soumettre à des canons éthiques qui ne sont pas du tout respectés dans la société réelle.
Avec cet argument, on peut aller très loin. Et justifier le vol ou le viol à l'école par exemple, en prenant l'exemple de certaines personnalités politiques.
Je suis curieux de lire ça.Wikipédia encourage une lecture critique
Dans le cas de la biographie de Vion d'Alibray, il n'y avait pas de bandeau "ébauche".La plupart des articles encyclopédiques ne comportent pas qu’un texte nu. Ils s’ornent de toute une série de bandeaux et de symboles qui remplissent une fonction bien particulière : déterminer le « niveau de lecture » soit le degré de distanciation que le lecteur doit entretenir vis-à-vis de ce qu’il apprend.
Le cas le plus courant, c’est le bandeau « ébauche ». Cette ébauche n’existe qu’en tant que potentiel. Elle comporte quelques informations utiles, pas forcément vérifiées et donc à prendre avec toutes les pincettes possibles et imaginables. S’il en sait plus sur le sujet, le lecteur est fortement incité à la compléter : « Vous pouvez partager vos connaissances en l’améliorant. »
Rien de cela dans le cas de la biographie de Vion d'Alibray.A côté de ce bandeau très général, il existe toute une série de bandeaux spécifiques : on peut indiquer que l’article ne donne pas ses sources, etc. L’article sur les fusillades en Midi-Pyrénées porte ainsi la mention suivante : « Cet article concerne un événement récent ». Concrètement, en raison du caractère extrêmement fuyant du sujet concerné, il n’est potentiellement pas à jour : le lecteur est invité à confronter ce qu’il lit avec les dernières informations dont il dispose.
L'article de Vion d'Alibray n'était pas labellisé.Enfin, terminons sur une note positive : certains articles sont labellisés. Il existe ainsi, à l’heure actuelle, environ 1 000 articles de qualité et 1 500 bons articles sur la version française de l’encyclopédie. L’obtention de ces labels dépend d’une procédure d’examen et de relecture plus ou moins longue (jusqu’à deux mois pour les articles de qualité).
Pas du tout dans le cas qui nous intéresse. Et à vrai dire pour l'immense majorité des pages Wikipédia.La communauté wikipédienne est assez fière de ses labels même si, force est de le reconnaître, ils ne sont pas très bien connus du grand public. Par contraste avec les bandeaux d’avertissement, leur figuration est plutôt discrète : il s’agit d’une petite étoile jaune ou grise sur le côté.
Comme on le voit, l’encyclopédie prend soin d’indiquer et de spécifier ses éventuelles impasses.
La preuve que oui, pourtant. Et remplacez "trompé" (dans mon expérience particulière) par "induit en erreur" (en général). C'est oublier de plus que mes élèves ont fait un raccourci historique abusif (c'est dans l'article...) : ils n'auraient pas dû utiliser la fausse information que j'avais glissée dans la biographie de Charles de Vion d'Alibray. Le problème n'est donc pas un problème de source fiable ou non fiable, mais de méthodologie par rapport aux sources.Sous réserve d’être attentif à ce mode d’emploi, on a finalement peu de chances d’être trompé.
Wikipédia n'est qu'un "projet d'encyclopédie". Vous parlez vous-même d'ébauches ou d'articles insuffisamment sourcés.Toutefois, cela suppose d’exercer un regard distancé par rapport au texte encyclopédique, ce que n’encourage pas forcément l’institution scolaire.
Peut-on recommander un brouillon d'encyclopédie à des élèves du secondaire ? Les professeurs préfèrent avec raison qu'ils consultent des encyclopédies achevées, rédigées par des auteurs non anonymes et ayant une compétence reconnue. Ces encyclopédies peuvent d'ailleurs être numériques, peu importe.
Le raisonnement de M. Langlais suppose en effet qu'un élève de sixième, par exemple, s'interrogeant sur l'architecture des pyramides égyptiennes, doit être à même de juger de la pertinence des informations trouvées sur Wikipédia.
Bref, à lire M. Langlais et de son propre aveu, Wikipédia ne favorise pas l'esprit critique, Wikipédia nécessite de l'esprit critique.
Et on ne peut pas l'exiger d'élèves qui sont en train de former le leur (en rappelant toujours que le commentaire de texte ne suppose pas de recherche documentaire, c'est-à-dire que cette discussion est hors-sujet).
On y arrive. Où Wikipédia joue le rôle d'une nouvelle école libre et gratuite.Le monopole professoral et ses limites
Un responsable de Wikipédia qui cite un autre responsable de Wikipédia...De manière un peu subversive, le bloggeur (et wikipédien) David Monniaux inverse les termes de la conclusion de Loys Bonot. Selon lui, si les écoliers ne font pas usage d’un esprit critique, ce n’est pas parce qu’ils sont trop jeunes, mais parce que l’école leur enseigne exactement le contraire.
Pour David Monniaux, j'ai répondu à ses articles sur ce forum ici et ici .
Le rapport avec l'enseignement des lettres, où justement on attend une réflexion personnelle ?« L’enseignement des disciplines scientifiques et notamment des mathématiques fait de moins en moins appel à la réflexion, me disent mes collègues enseignants dans le secondaire. On évacue tout ce qui est conceptuel, car les élèves redoutent ce qui exige une réflexion. On se concentre donc sur l’apprentissage de techniques et de formules à appliquer. »
Où M. Langlais appelle de ses vœux l'égalité entre le professeur et ses élèves : toutes les paroles se valent, dans un beau rêve d'égalitisme hyper-démocratique. L'autorité du savoir est une imposture, il n'y a pas de référent : on est effectivement pas très loin de l'idéal wikipédien, et c'est bien ce qui est effrayant, puisque tout le monde peut écrire n'importe quoi. Il n'y a plus d'auteur faisant autorité. Ce que tu dis, ce que je dis, ce qu'il dit : tout se vaut.Dans une certaine mesure, l’institution scolaire paraît conditionner une lecture référente du texte académique, littéraire ou scientifique. Physiquement, le professeur surplombe les élèves : il est incité à se poser en dispensateur d’une parole unique, non réciproque.
En réalité, cette égalité revendiquée, ce relativisme, déjà au cœur des nouvelles pédagogies de la modernité depuis vingt ans (l'élève acteur de son propre apprentissage), est une grave menace pour l'enseignement mais aussi pour l'esprit même de la République. Quand il n'y a plus de référent, il n'y a évidemment plus besoin de professeur mais surtout il n'y a plus d'apprentissage possible. Et tant pis pour ceux qui en auraient le plus besoin.
Car il n'y a pas de controverses historiques sur Wikipédia...L’Etat n’hésite pas à s’ingérer et à imposer subrepticement son autorité normative (il n’y a qu’à voir les controverses à répétition sur le contenu des manuels d’Histoire dont Wikipédia se passe fort bien).
Wikipédia, en tête des requêtes Google, impose beaucoup plus subrepticement son autorité de fait, et pas forcément de la meilleure façon pour la diffusion des connaissances : c'est le référencement qui se substitue à la qualité. S'il y a un monopole à dénoncer, c'est bien celui-là.
Pour en revenir aux manuels, ils ne sont utilisés en lettres qu'accessoirement, puisque le professeur est libre de déterminer les œuvres à étudier et sa progression. Encore toujours la même confusion : le professeur de lettres, quand il commente un texte, ne délivre pas des "informations". Et quand il demande à ses élèves de commenter un texte, il n'attend pas non plus d'eux des "informations".
Il n'y a pas une "bonne réponse" dans un commentaire, et on y recherche pas l'originalité non plus : il faut ne rien connaître au baccalauréat de français pour affirmer des choses pareilles !La notion même d’évaluation et de notation impose inconsciemment toute une série d’attentes (il y a de bonnes et de mauvaises réponses) qui ne favorisent guère l’expression originale.
Au passage, la labellisation des articles de Wikipédia n'est-elle pas une évaluation ?
Ah... la révolution culturelle et intellectuelle de Wikipédia... Bientôt M. Langlais va nous parler de Gutenberg : ce parallélisme est une tarte à la crème publicitaire de Wikipédia.La diffusion d’Internet et, donc de Wikipédia, paraît rebattre les règles du jeu.
Même en admettant cette curieuse vision de l'histoire (une sorte de revanche générationnelle absurde), les élèves ne sont de toute façon pas des "savants". Et les imprimés étaient toujours ceux d'auteurs faisant autorité, et ils étaient lus et compris, n'est-ce pas ?Ce n’est pas un phénomène inédit. Au XVIe siècle, la popularisation de l’imprimé avait eu des conséquences similaires. Pouvant accéder beaucoup plus aisément que leurs prédécesseurs à la connaissance écrite, les savants d’alors se sont très rapidement émancipés de la tutelle de leurs aînés.
Mes élèves ont recopié un corrigé sans lire le texte et sans comprendre : est-ce un progrès, une révolution culturelle et intellectuelle comparable à la Renaissance ?
Les élèves ne sont pas nécessairement des Kepler... Et Kepler fait autorité : or aujourd'hui, sur Wikipédia, sa parole vaut autant que la mienne, non ? D'ailleurs, pourquoi même citer Kepler : n'est-ce pas imposer une "autorité normative" ?En quelques années à peine, grâce à ses lectures, Kepler en remontrait à ses enseignants.
Décidément, M. Langlais ne veut pas comprendre ce qu’est un commentaire de texte, qui n'a besoin ni de recherche, ni de sources, et ne dégage aucune "vérité scientifique".Je dois dire que l’enseignement de Loys Bonot échappe dans une certaine mesure à ce travers. Son expérience pédagogique a un mérite certain : elle incite ses élèves à s’interroger sur l’élaboration du savoir. Qu’est-ce qu’une recherche ? Comment croiser et agencer les sources disponibles ? A quelles conditions pouvons-nous dégager une « vérité scientifique » ?
Réduire la pensée à un acte de "recherche" est effrayant, à vrai dire. Avec le copier-coller, c'est l'ère de la Grande Compilation. Nous ne sortons pas du Moyen Âge, nous y entrons.
Je renvoie au blog de l'universitaire Jean-Noël Darde, Archéologie du copier-coller .
Si cette somme colossale n'est pas validée d'une part et si les élèves ne peuvent l'appréhender d'autre part, à quoi bon ? Les œuvres de Vion d'Alibray sont disponibles sur Gallica, un site de référence : les élèves sont-ils plus désireux pour autant de les consulter ? sont-ils plus à même de les comprendre et de les lire parce qu'elles sont disponibles ?Dès lors qu’une somme colossale de savoir se trouve immédiatement disponible sur Internet, le rôle de l’école devra sans doute être repensé.
A vrai dire l'effet masse de cette "somme colossale" qui permettrait une plus grande diffusion du savoir est d'une douce illusion dont se bercent les défenseurs de l'école en ligne. Posséder une grande bibliothèque ne rend pas intelligent. Savoir lire un texte, par contre, un seul, c'est le début de l'intelligence. Et à cela, un professeur peut aider.
Comme quoi il n'est pas besoin que l'école les enseigne : ces choses s'imposent d'elles-mêmes pour toute personne formée à l'esprit critique !Il ne s’agit plus seulement de transmettre des faits et des connaissances bruts. Il importe également de définir des règles et des cadres méthodologiques : l’établissement d’une bibliographie, l’usage des références, l’évaluation des sources… Toute sorte de choses que j’ai appris en tant que wikipédien, mais jamais en tant qu’élève.
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