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"Wiki prof de raison" (Antonio Casilli)
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Il est bon de savoir que M. Casilii est maître de conférences en Digital Humanities, à ParisTech et chercheur associé en sociologie à l'EHESS, Paris : www.iiac.cnrs.fr/CentreEdgarMori ... ?article26
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Ben voyons. Wikipédia va remplacer avantageusement les enseignants, n'en doutons pas !Wiki prof de raison
Eh oui, nous sommes une espèce archaïque et rétrograde qui s'effraie de tout et cela sans la moindre raison. Heureusement nous serons bientôt remplacés par des écrans.Wikipédia effraie les enseignants.
Une encyclopédie imprimée ou payante en ligne peut également parfois se tromper et ne pas stimuler l'esprit critique, si elle est bêtement recopiée. Les accusations sont en réalité d'un autre ordre : la position de monopole par le référencement (au détriment d'autres sources sur le web ou dans une bibliothèque) ou la disparition de la notion d'auteur ou l'absence de filtre éditorial par exemple.Qui l'accusent de se tromper et de ne pas stimuler l'esprit critique.
Non seulement elle est une encyclopédie, mais elle se présente comme "L'encyclopédie libre". En écho à ce que je viens de dire sur le monopole.Comme si Wikipédia était une encyclopédie !
J'ai pourtant pu, en changeant d'adresse IP, créer un compte à mon nom et mon adresse véritables il y a encore quelques semaines, alors que je suis officiellement banni de Wikipédia. Ce n'est qu'en créant un article sur "Anne de Beaunais" et en réutilisant ma vraie IP que j'ai pu être repéré...C'est d'abord un réseau social dédié au doute, pas aussi ouvert qu'il le prétend.
Alors pour le contrôle...
Parce qu'on peut évidemment comparer des élèves du supérieur et des élèves du secondaire...Ainsi que l'expérimente dans sa classe le chercheur Antonio Casilli, notre chroniqueur ès-cultures numériques.
Mes élèves n'ont pas compris le sonnet de Vion d'Alibray mais j'aurais dû leur demander d'aller compléter la notice biographique du poète. Cela semble d'une logique imparable.À l’occasion de cette rentrée universitaire, mes collègues enseignants et moi-même avons décidé d’ajouter une pincée de wiki à deux cours que nous donnons à Telecom ParisTech : j’ai créé un wikispace pour mon enseignement sur les cultures numériques, et, avec Isabelle Garron et Valérie Beaudouin, nous avons demandé aux étudiants de première année de tenter d’éditer et de discuter au moins une page Wikipédia, au titre de leur initiation à l’écriture en ligne.
Les élèves du secondaire ne l'utilisent pas "en tant qu'objet de recherche"...Naturellement, Wikipédia est employé comme outil d’enseignement à l’université depuis plusieurs années, et sa popularité en tant qu’objet de recherche s’accroît de jour en jour.
C'est vrai pour quiconque effectue une recherche hâtive, pour la simple raison que les résultats de Wikipédia sont référencés dans la première page des résultats de recherche Google. Voire en premier résultat. Malheureusement il arrive que les plus pressés cantonnent la recherche à la recherche préliminaire...Mais la principale raison de son emploi en classe tient dans son évolution en tant qu’étape préliminaire dans les recherches bibliographiques et les démarches de fact-checking.
Pour mémoire, je rappelle que - dans ma discipline - les informations biographiques n'ont que peu d'intérêt pour comprendre et commenter un texte littéraire.
Il y a des études à ce sujet.Songez à vos propres habitudes vis-à-vis de la quête d’information en ligne. Que faites-vous quand vous ignorez tout sur un thème ? Vous le googlisez probablement, et la première occurrence à apparaître est le plus souvent une page du site Web de Jimbo Wales.
Au passage, le verbe "googler" commence à peine à entrer dans les mœurs et vous le transformez déjà en "googliser" ?
Beaucoup de collègues le font pour vérifier par exemple où l'exposé de l'élève a été généreusement recopié.Vous le faites, nous le faisons, nos étudiants le font aussi. En conséquence, avons nous intégré Wikipédia, non pas parce qu’il est un gadget sympa, mais parce que si nous ne l’avions pas fait nous aurions laissé s’installer un dangereux angle mort dans nos activités pédagogiques.
"Cette réalité" ? A savoir que les élèves ne consultent plus d'ouvrage de référence et recopient sans parfois comprendre ou même lire ?90-9-1
Admettre cette réalité sans céder à la panique n’est pas simple. Du moins ici en Europe, des jugements erronés sur la prétendue piètre qualité des articles de Wikipédia perdurent encore dans le monde de l’éducation.
Allez, un petit bashing dans un esprit bien scientifique... Merci M. Casilli.Certains, comme le professeur de lycée Loys Bonod, qui a connu ses quinze minutes de gloire cette année...
Eh bien non. Pour un expert en "digital humanities", vous lisez un peu vite. Je me cite dans l'article : "L'erreur la plus vénielle fut d'utiliser sans discernement les informations de Wikipédia : rien n’indiquait en effet que le poème avait été composé au sujet de Melle de Beaunais. Le raccourci était abusif et non fondé, comme l'aurait montré une recherche plus approfondie : c'était un simple manque de rigueur à l'égard des sources historiques."... s’empressent d’inclure des informations fausses et trompeuses dans Wikipédia, juste pour apporter à leurs élèves la démonstration que… Wikipedia contient des informations fausses et trompeuses.
D'une manière générale j'ai démontré à mes élèves qu'il est facile de publier sur des sites de corrigés ou sur Wikipédia, qui onbt pour les élèves une valeur institutionnelle, des éléments non validés : "J'ai ensuite voulu faire la démonstration que tout contenu publié sur le web n'est pas nécessairement un contenu validé, ou qu'il peut être validé pour des raisons qui relèvent de l'imposture intellectuelle."
Une observation elle-même d'une grande intelligence !Le paradoxe de telles réactions représente une bonne illustration du fait que l’exactitude et l’intelligence de Wikipédia sont au diapason de l’exactitude et de l’intelligence de ses contributeurs.
Où l'on retrouve l'habituelle injonction : si vous trouvez des erreurs sur Wikipédia, ne vous plaignez pas et corrigez-les.D’où la nécessité d’encourager les utilisateurs à abandonner leur attitude passive et à participer en écrivant et en discutant de leurs sujets.
Comme si des élèves du secondaire avaient la maturité pour cela.
C'est bien l'implication du principe de la facilité dont nous avons parlé plus haut. L'attitude de l'internaute est celle d'un consommateur pressé.Bien sûr, certains pourraient invoquer pour Wikipédia la soi-disant loi d’airain de la participation sur Internet : le principe “des 90-9-1″, selon lequel un article aura une majorité écrasante de simples lecteurs, quelques contributeurs qui feront l’effort d’apporter des modifications, et de très rares usagers suffisamment motivés pour se rendre dans les pages de discussion et engager un dialogue avec les autres wikipédiens.
C'est quand même incroyable : toute personne qui consulte une encyclopédie devrait, à lire M. Casilli, être une chercheur ayant les compétences, le temps et l'envie d'améliorer l'encyclopédie.Les sciences sociales peuvent apporter plusieurs éléments d’explication à ce phénomène. L’avènement d’une culture de la participation, sur les réseaux, a pu être largement exagérée. Peut-être la structure de l’encyclopédie tend-elle à recréer des dynamiques culturelles qui reproduisent l’opposition entre auteur et lecteur — au lieu de stimuler une polyphonie des contributions. Ou peut-être encore les éditeurs de Wikipédia cherchent-ils à intimider les autres utilisateurs dans un effort d’accentuer leur statut social en rendant leurs activités moins accessibles.
Un "éditeur" sur Wikipédia ?Lévi-Strauss
Essayez de créer un nouvel article. Très vraisemblablement, sa pertinence sera mise en doute par un éditeur.
Voilà la différence entre le travail éditorial traditionnel : un éditeur, sans nécessairement de compétences particulières dans un domaine, publie un ouvrage d'un auteur dont il a vérifié la compétence. Sur Wikipédia, l'"éditeur" (un contributeur jouissant de droits supérieurs) est supposé avoir les mêmes compétences qu'un simple contributeur mais expert dans son domaine.
C'est bien maigre comme contrôle. Et facile à contourner...Essayez de rédiger une biographie d’un personnage public vivant. Il y aura de grandes chances pour qu’une discussion en découle, qui portera non pas sur le personnage public en question, mais davantage sur les qualités privées de son biographe. L’auteur a-t-il juste une adresse IP anonyme ? Ou bien il est un utilisateur enregistré, avec son propre compte permettant de tracer dans le temps ses contributions ?
Curieuse conception des sources puisque ce n'était pas une source écrite...Et ce qui est vrai pour les personnes vivantes peut l’être aussi pour les personnes décédées, comme j’ai pu le constater. Par exemple le 3 novembre 2009 à 15h34, à travers une liste de diffusion universitaire, je reçois un email du président de l’établissement pour lequel je travaillais. Cet email annonçait qu’“à l’âge de 100 ans, notre collègue Claude Lévi-Strauss était décédé”.
Conscient que cette information était intéressante pour un large public, et qu’elle provenait d’une source fiable, je l’ai publiée sur Wikipédia.
Au passage nous comprenons donc que M. Casilli est un contributeur de Wikipédia, ce qui explique son ton à mon égard, qui n'est pas celui d'un chercheur ou d'un scientifique.
J’ai mis à jour la page consacrée à Lévi-Strauss en introduisant la date de son décès. Sans trop me soucier de me connecter via mon profil. J’assumais, en effet, que mon adresse IP (j’écrivais de mon bureau) aurait de quelque manière cautionné ma contribution.
Au passage, un anglicisme (to assume = présumer en français)
En bonne logique. Une IP non identifiée inspire plus de confiance que l'IP d'une université... Personnellement, je n'ai jamais reçu ce genre de message quand j'ai vandalisé (pour reprendre la terminologie toute en nuance de M. Casilli) Wikipédia.Cependant, alors que je sauvegardais ces changements, un message apparut m’informant que l’adresse IP en question avait été identifiée comme attribuée par le réseau informatique de mon université et qu’à ce titre ces changements apparaissaient sujets à caution.
Voilà qui paraît frappé au coin du bon sens. Le lien vers l'historique : fr.wikipedia.org/w/index.php?tit ... tagfilter=Un éditeur devait les valider. Mais il ne le fit pas. L’information que j’avais apportée avait été jugée “sans fondement”.
On constate au passage que la date renseignée par l'auteur était fausse.
Curieux d'espérer pourvoir modifier une page sans apporter une source.L’argument d’autorité, le fait d’écrire de l’intérieur de la même institution dans laquelle Claude Lévi-Strauss avait enseigné, ne semblait pas recevable.
Cet exemple trahit surtout une certaine conception de Wikipédia valorisant la mise à jour permanente. Mais l'essentiel de la culture n'a au fond pas besoin de mise à jour : la biographie de Rimbaud n'a par exemple aucune raison d'être modifiée et elle l'est pourtant plusieurs fois par semaine . Et en l'occurrence, dans le cas de la mort de Lévi-Strauss, il s'agit d'une information facile à vérifier pour n'importe qui, éditeur ou non, ce qui est finalement rarement le cas par ailleurs dans un domaine d'expertise. Et, d'un point de vue universitaire, qu'importe que la page de Lévi-Strauss soit mise à jour dans l'heure de son décès ou une semaine après... Le point de vue qu'adopte M. Casilli est celui d'un journaliste. Avec la confusion habituelle entre savoir culturel et savoir informationnel.La page fut modifiée quelque temps après par une personne pouvant inclure un lien avec la dépêche AFP annonçant la mort du chercheur.
A vrai dire c'est surtout la démarche non scientifique de M. Casilli qui est ainsi démontrée...L’épisode ne représente qu’une illustration de la manière dont l’autorité intellectuelle se remodèle dans un environnement ouvert, de mise en commun des connaissances tel Wikipédia.
Une réflexion bien inquiétante puisqu'elle accuse la pensée universitaire d'être non vérifiée, contrairement à Wikipédia.La posture universitaire du parler “ex cathedra” (en l’occurrence “ex adresse IP”) est questionnée de manière saine, quoique frustrante pour les universitaires.
Beau paradoxe, qui serait drôle s'il ne laissait pas transparaître une défiance fondamentale à l'égard de l'institution universitaire.
L'exemple pris par M. Casilli est de mauvaise foi puisque la vérification qu'il évoque est une simple vérification factuelle, n'exigeant aucune compétence particulière. Si M. Casilli avait indiqué que dans Tristes tropiques M. Lévi Strauss annonçait qu'il mourrait à cent ans, il aurait fallu que l'"éditeur" dispose du livre pour le vérifier. Et c'est encore un exemple simple et factuel que je prends.L’enjeu ne se limite plus au statut intellectuel des institutions savantes de nos jours, mais bien à la façon dont l’information est validée.
Oui j'ai même remarque que ces bannières existaient sur l'étonnante biographie de certains de mes détracteurs, par ailleurs ardents défenseurs de Wikipédia ou de l'école numérique ! D'autre utilisent Wikipédia pour faire de la publicité vers leur blog ou leurs ouvrages.Notoriété
Vous avez probablement en mémoire ces bannières Wikipédia vous signalant qu’il existe un désaccord quant à la neutralité d’une page.
Un exemple parmi d'autres.
Ce genre de considération laisse songeur car tout semble notoire dans une "encyclopédie" comme Wikipédia : de la vie privée de Rihanna à la culture du skuff .En un sens, chaque page Wikipédia pourrait en contenir une, puisque chaque page procède, plus ou moins, de sa propre controverse interne. Les auteurs de chaque article se disputent sur comment ce dernier est argumenté, classé, référencé. Ou alors sur l’ajout de liens externes et sur l’orthographe de certains noms. Mais la plupart du temps, ils se disputent sur le point de savoir si les sujets sont ou pas “notoires” — c’est à dire, dans le jargon wikipédien, s’ils donnent ou pas matière à un article.
Un outil automatique, donc ?Au cours des années, ces différends sont devenus si fréquents que Wikipédia a fini par proposer ses propres critères généraux de notoriété, ainsi qu’une liste de PàS (pages à supprimer) actualisée chaque jour.
Les analystes de la Fondation Wikimédia ont imaginé un moyen simple et élégant d’évaluer les controverses sous-jacentes auxdites pages. Il s’agit de Notabilia, un outil graphique permettant de détecter des structures distinctives de ces débats, qui peuvent aboutir autant à des décisions consistant à “supprimer” qu’à “garder” un article.
Voilà qui fait rêver. On n'a plus qu'à appliquer cet outil graphique en politique !Comme des opinions antinomiques ont tendance à se compenser, les pages qui font l’objet de fortes controverses ou de discussions animées entre partisans ou adversaires d’un sujet donné dessinent des lignes plus ou moins droites. Tandis que les discussions plus consensuelles tracent des lignes en forme de spirales, qui convergent vers un accord.
Eh oui... le "réseautage" a ses défauts. Surtout que certaines communautés sont virtuelles . Je me souviens de M. Delcroix appelant ses milliers d'abonnés Twitter à défendre "sa" page Wikipédia menacée de suppression...L’impact et le sens de telles discussions entre contributeurs mettent en évidence l’existence de vibrantes communautés qui s’agrègent autour de sujets bien déterminés. À telle enseigne qu’actuellement on peut définir Wikipédia comme un service de réseautage social comme les autres. Finalement, ses utilisateurs partagent leurs intérêts sur leurs profils comme on peut le faire sur Google+, ils gagnent des badges comme sur Foursquare, discutent publiquement comme sur Twitter et leur vie privée est constamment mise à mal — comme sur Facebook.
Je croyais que cet outil ne valait que pour la "notoriété" ou non de tel ou tel nouvel article ?Ces fonctionnements, en principe, permettent de travailler de manière collaborative et de repérer les erreurs factuelles rapidement et de façon transparente.
Voilà qui est rassurant.Cependant, ils introduisent certaines particularités dans les processus de validation de l’information présentée sur Wikipédia. La confiance et la sociabilité bâties par les contributeurs influencent profondément la perception de la qualité de leurs articles. Ainsi, comme dans n’importe quelle autre communauté épistémique, la confiance est affaire de contexte.
Elle dépend des réseaux de contacts qu’un auteur peut attirer à lui. À tel point que, selon certains chercheurs, la confiance que les usagers peuvent susciter sur Wikipédia s’apparente davantage à un produit dérivé de leur capital social, que d’une reconnaissance de leurs compétences (voir en particulier les travaux de K. Brad Wray “The epistemic cultures of science and Wikipedia”).
Les élèves de collège et de lycée sauront sans nulle doute s'y retrouver.Un exemple que j’avais déjà évoqué dans mon livre Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? peut illustrer ce phénomène. Il y a quelques années, une controverse sur la page consacrée à la précarité s’est élevée dans la version en langue anglaise de Wikipédia. En sciences sociales, la précarité se définie comme l’ensemble des conditions matérielles des travailleurs intermittents dans la société post-industrielle.
Les contours de cette notion ont été tracés par plusieurs auteurs issus du courant du marxisme autonome, tels Michael Hardt et Antonio Negri. Aussi, l’article a-t-il été affilié à la catégorie “syndicalisme”. Mais, un contributeur anonyme (vite surnommé “le catholique”) était d’un avis quelque peu différent. Il expliqua, à juste titre, que la notion de précarité avait été pour la première fois introduite par un moine français, Léonce Grenier (décédé en 1963), qui employa le terme pour mieux souligner la fragilité de la condition humaine face à la puissance divine. Son argumentaire avait du poids et ses références bibliographiques étaient correctes.
Toutefois, au lieu de défendre ses choix dans les pages de discussion, unilatéralement, il décida de rattacher l’article à la catégorie “christianisme social” et retira toutes les références aux mouvements syndicaux. L’épisode déclencha une vive dispute sur les réseaux. Très vite une lutte sans quartier éclata. Chaque nuit, le catholique rangeait l’article sous “christianisme”, chaque matin les marxistes protestaient avec véhémence et le rangeaient sous “syndicalisme”.
On croirait lire 1984...
Curieuse justification "scientifique" que celle du référencement...À ce moment-là je me suis demandé, comme des milliers de wikipédistes, à qui faire confiance. J’ai concédé que le contributeur catholique avait des arguments, mais je me suis aligné sur les positions des marxistes autonomes — en détaillant les raisons de ce choix dans un message. L’article devait entrer dans la catégorie du syndicalisme afin d’optimiser sa faculté à être référencé sur les moteurs de recherche.
Sans présumer du fond de la question dans cet article, on ne peut évidemment pas rattacher un article à deux catégories. C'est trop compliqué...
Voilà le fond du problème. Croire en l'émergence d'un savoir non académique.Je pense ne pas avoir été le seul à adopter une réaction non académique.
A ce titre L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert aurait eu beaucoup plus de difficulté à être publiée...Wikipédia n’a pas vocation à atteindre une exactitude universelle, mais de parvenir à un consensus.
"Wiki prof de raison" ? On voit que le savoir ne doit pas obéir à des arguments, fussent-ils académique, mais à une majorité, toujours démocratique bien sûr (même si à proprement parler le fonctionnement de Wikipédia n'a rien de démocratique). Une telle conception du savoir et de la "raison" ne laisse pas d'effrayer.
On voit que M. Casilli a choisi le camp du bien et de la démocratie.À ce titre, beaucoup de wikipédiens vous affirmeront que leur encyclopédie n’est pas une démocratie, même si leurs processus de décision s’inspirent des principes de la délibération démocratique (voir à ce sujet le texte [pdf] de Laura Black, Howard Welser, Jocelyn Degroot et Daniel Cosely “Wikipedia is not a democracy”). Dans le cas que nous avons évoqué, puisque une polarisation partisane empêchait l’article d’évoluer, une simple règle majoritaire a été appliquée.
Et si l'on applique son raisonnement à l'article "Palestine", que se passe-t-il ?
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Le "vandale" peut aussi être celui qui ne pense pas comme vous.L’ombre du vandalisme se projette sur les controverses de Wikipédia. Dans l’exemple de la page sur la précarité, présenté dans l’épisode précédent de notre chronique, avant qu’une solution ne soit trouvée il aura fallu que le soi-disant contributeur catholique soit accusé d’avoir “usurpé” et “défiguré” l’article en question.
La "neutralité de point de vue" en prend un coup, du coup.Afin de mettre un terme à ses modifications non sollicitées, les contributeurs d’obédience marxiste ont dû déposer auprès des développeurs de Wikipédia une demande de semi-protection de la page en question, assimilant de facto toute expression de contestation à un acte de vandalisme.
C'est exactement de ce genre de choses dont je parle dans mon dernier article. Le problème, c'est que le principe de la neutralité de "point de vue" laisse croire aux visiteurs que le seul point de vue retenu est neutre.Personnellement, j’avais des réticences vis-à-vis de cette conclusion, mais elle ne me surprenait point. Ce sont des accusations courantes dans le contexte de Wikipédia. Certaines des disputes qui s’y élèvent ne peuvent tout simplement pas être réglées publiquement.
Il n'y a pas de rédaction collective dans Wikipédia.Lorsque les opinions sont par trop clivées, les comportements deviennent violents. C’est à ce moment que la négociation échoue et le dénigrement des adversaires s’installe.
C'est regrettable.Selon les dires du sociologue Nicolas Auray :
Alors que les crispations ou escalades dans la polémique ne parviennent que difficilement à se “reverser” dans une confrontation raisonnée d’arguments, il semble que le mécanisme adopté par Wikipédia soit de tenter d’imputer à une “faute” personnelle, commise par un fauteur de trouble ou un persécuteur, la responsabilité du dérapage.1
C'est effectivement très intéressant, mais cet outils ne permet que d'étudier le vandalisme identifié, c'est-à-dire le moins discret.Prenons cet exemple : en 2010, sur la liste de diffusion Wiki-research a été diffusée une base de données des pages les plus “reversées” (revenues à une version précédente après que des changements ont été révoqués). Nous sommes là face à un corpus des plus intéressants. Pour chaque article de Wikipédia, le ratio de réversion (à savoir : la proportion entre les changements invalidés et le nombre total des modifications) est un indicateur fiable du taux de vandalisme. Une analyse rapide fournit un bon aperçu du profil des vandales qui s’attaquent à la célèbre encyclopédie libre.
Des élèves qui copient-collent pour leurs devoirs ? Mais non, ça n'existe pas !Les pages les plus ciblées relèvent de certaines catégories assez prévisibles, tels le sexe (16%), les excréments (7%), et les insultes (7%). Le genre d’humour puéril qui nous amènerait à penser que le vandalisme sur Wikipédia est circonscrit aux adolescents et aux jeunes adultes. Et le fait que les années 1986-1992 soient les plus “reversées” semble tout autant corroborer cette hypothèse. Il semblerait que les usagers éprouvent une forte envie de vandaliser leur propre année de naissance… Toutefois, parmi les principales cibles nous trouvons des articles tels “Incas” ou “renaissance italienne”. N’étant point les thèmes de choix de blagues pipi-caca, ces sujets nous aident à avancer une autre explication : les pages qui font l’objet de l’attention des vandales coïncident avec des contenus qu’ils croisent quand ils compulsent l’encyclopédie à la recherche de matériel à copier/coller pour leurs devoirs. Il existe un lien entre le comportement turbulent des 18-24 ans utilisateurs de Wikipédia et une certaine frustration culturelle, marque de la socialisation scolaire (et universitaire).
Pour un peu, on croirait que l'école est responsable du vandalisme.
On dirait le portrait-robot d'un wikipédien !Ce qui conduit à un autre résultat frappant. Parmi les usagers anglophones, la plus forte concentration de contributeurs troublions (dans la mesure où leur nombre est proportionnel aux articles avec le plus haut ratio de réversion) est aux États-Unis. “Amérique” est le numéro 1 des articles vandalisés pour sa catégorie (40,9%). Neuf des dix articles les plus vandalisés dans la catégorie “batailles”, ont trait à des événements historiques qui ont eu lieu aux États-Unis ou au Canada. Parmi les “pages de discussion” les plus ciblées, celles des célébrités (Zac Efron, les Jonas Brothers…) ou des personnages historiques (Benjamin Franklin, George Washington…) Nord-américains.
Portrait-robot
Alors, qui sont-ils, ces vandales de Wikipédia ? Leur portrait-robot se dessine peu à peu : ils sont jeunes, ils ont de bien solides références culturelles américaines, ils sont assez geek sur les bords.Ils fréquentent les sections de l’encyclopédie dédiées aux sciences et aux mathématiques plutôt que celles des sciences humaines.
Allons-y pour une nouvelle couche de sociologie anti-scolaire... C'est vrai que la culture est la première cause d'oppression dans le monde.Quel sens donner à ces résultats ? L’article “Vandalisme” du Wikipédia anglais met beaucoup d’emphase sur l’argument avancé par Pierre Klossowski selon lequel leur sabotage pourrait être considéré comme une sorte de guérilla culturelle contre une hégémonie intellectuelle oppressante.
Vous voyez qu'on y arrive. Le vandale est gentil car l'école est méchante.Le vandale, je cite, “n’est lui-même que l’envers d’une culture criminelle”.
Les vandales ne correspondent pas seulement au portrait-robot des wikipédiens, ils sont aussi des wikipédiens.Pourtant cette notion de “d’envers”, bien que conceptuellement liée à celle de “réversion”, ne signifie pas seulement un opposé dialectique. Le vandalisme est également une image en miroir du consensus général sur lequel les articles de Wikipédia sont bâtis. En un sens, les vandales – en tant que groupe contribuant de sa manière perturbatrice à la construction sociale de la connaissance au sein de l’encyclopédie en ligne – peuvent et doivent être considérés comme un double renversé des wikipédiens dans leur ensemble.
A noter cette expression : les vandales "contribuent à la construction sociale de la connaissance" qui ne laisse pas d'interroger, d'autant que cette vision du vandalisme oublie un vandalisme beaucoup moins potache et beaucoup plus pernicieux et discret, et donc moins identifié : le vandalisme promotionnel. Sans parler du vandalisme le plus répandu, celui de la médiocrité : mais il n'est pas reconnu par Wikipédia.
Ce n'est pas forcément rassurant.En guise de conclusion, j’avancerai la supposition éclairée que les préoccupations culturelles, la composition démographique et les intérêts des utilisateurs s’adonnant à des actes de vandalisme, ne diffèrent pas considérablement de ceux de contributeurs réguliers.
Certes.Si les utilisateurs de Wikipédia, comme l’affirme Michael D. Lieberman2, dévoilent leurs intérêts, leurs coordonnées géographiques, et leurs relations personnelles à travers leurs modèles de contribution, cela vaut également pour leurs homologues vandales.
Wikipédia stimule l'esprit critique, mais le mien, d'adulte avec une culture patiemment acquise. Pas celui de mes élèves. L'esprit critique procède d'une culture personnelle, pas d'une recherche documentaire.Wikipédia effraie les enseignants. Qui l'accusent de se tromper et de ne pas stimuler l'esprit critique. Comme si Wikipédia ...
Avec la limite que j'ai indiquée plus haut.Vigilance participative
La liste des pages les plus reversées publiée sur Wiki-research pourrait nous aider à voir comment le vandalisme s’accumule au fil des sujets, la façon dont il se structure, offrant ainsi un panorama ô combien utile, des préférences culturelles (et des biais culturels correspondants) de la communauté Wikipédia dans son entièreté.
Je ne crois pas à une "collaboration" où les contributions vont les unes contre les autres.Le vandalisme ne représente pas nécessairement une contre-culture en lutte face à une puissante élite de sysadmins et d’éditeurs-vigiles. Nous pouvons admettre que Wikipédia, à un degré plus élevé que d’autres projets encyclopédiques, encourage la réflexivité dans la mesure où il montre que la connaissance n’est pas une collection de notions, mais un processus de collaboration en formation continuelle.
Pas dans le premier cas évoqué au début de l'article.Plusieurs acteurs participent à ce processus et contribuent à cette réflexivité par la négociation, par la controverse, par la sensibilisation, et (à mon avis) par le vandalisme. Visiblement, le rôle du vandalisme est généralement éclipsé par des comportements pro-sociaux. Mais en fait, le vandalisme stimule ces mêmes comportements pro-sociaux.
Je ne sais pas d'où sortent ces chiffres, je connais des actes perturbateurs d'une durée virtuellement infinie.Considérez ceci : en moyenne, sur Wikipédia un acte perturbateur reste impuni pour à peine une minute et demi3.
Pour autant qu'ils ont l'expertise pour identifier le vandalisme. M. Casilli ne parle que d'un vandalisme assez grossier et facile à repérer.Après ce bref laps de temps, les articles “défacés” finissent vraisemblablement par attirer l’attention des éditeurs, qui s’empressent d’annuler les modifications problématiques...
Un autre anglicisme pour renoncer ?... rétablir la version précédente des pages vandalisées et possiblement les mettre sur leur liste de suivi. Peut-être, à ce point-là, les vandales vont-ils se désister.
Il y aurait beaucoup de choses à vandaliser, dans ces conditions.Ou peut-être continueront-ils. Quoi qu’il en soit, ils auront obligé les éditeurs à se pencher sur les articles ciblés. Ils auront contraint d’autres wikipédiens à réagir, à corriger, à organiser les contenus.
Beaucoup plus lassante et moins enthousiasmante qu'à Wikipédia à ses débuts. Comment se passionner pour un travail digne de Sisyphe ?En fin de compte, les vandales auront accompli la fonction essentielle de susciter auprès des autres utilisateurs cette “vigilance participative” que Dominique Cardon identifie comme le moteur de la gouvernance de Wikipédia4.
Comment ? Il y aurait "des sujets depuis longtemps figés" et des "discussions en sommeil" ? Mais c'est impensable, voyons !Par leurs modifications provocatrices ou destructrices, ils revivifient l’attention pour des sujets depuis longtemps figés, ils stimulent les discussions en sommeil, ils réveillent les consciences.
Ce que je résume ainsi : plus il y a de vandalisme et mieux l'encyclopédie se porte. Le raisonnement de M. Casilli est celui généralement porté sur les hackers, qui oblige les systèmes informatiques à s'améliorer sans cesse : mais l'analogie s'arrête là, car Wikipédia, face au vandalisme, corrige le contenu sans changer le contenant. Comme si une banque recréditait de l'argent sur un compte bancaire hacké.Ainsi, ils obtiennent le résultat paradoxal de favoriser la coopération par l’abus, la participation par la discorde – et la connaissance par l’ignorance.
Pour que l'analogie soit valide, il faudrait que Wikipédia se réforme dans son principe même.
On voit que l'encyclopédie atteint une fin de cycle pour qu'un de ses contributeurs se félicite du vandalisme.
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