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Michel Serres... a pourri Wikipédia !
- Loys
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Michel Serres écrit: Oui, j'ai mis des erreurs avec des amis. Nous avons testé la capacité de réaction et de correction : on a même inventé, je crois, un compositeur de musique baroque, avec des dates de naissance et de mort, avec œuvres complètes etc. [...] on a chronométré le temps de correction [...] Assez rapide
Finalement, avec ma minuscule phrase ajoutée et retirée par moi-même deux semaines après , mon propre "vandalisme" (pour reprendre la terminologie wikipédienne) était beaucoup plus anodin.
Darius Rochebin affirme qu'il y a plus d'erreurs dans l'encyclopédie Britannica alors que Michel Serres a toujours soutenu qu'il y en avait à peine moins dans Wikipédia (la fameuse étude de "Nature"), ce qui fait une petite différence : Michel Serres, ici, ne détrompe pas son interlocuteur et défend Wikipédia en se fondant sur le fait qu'elle peut être corrigée : mais - étrangement - il démontre ensuite surtout qu'une page sans erreur peut devenir... une page avec erreurs !
A relire : les différentes déclarations de Michel Serres relatives à Wikipédia :
- Dans la chronique radio "Le Sens de l'info" du 25 février 2007 (retranscrite ici ) :
La première raison, c'est sa gratuité et je crois que j'ai consacré ma vie à la connaissance, d'une certaine manière parce qu'elle est gratuite. Comme elle est gratuite, elle est productrice. Je prends un exemple : si vous avez du pain et moi 2 euros et si je vous achète du pain parce que j'ai faim ; vous allez avoir deux euros et moi du pain. Cet équilibre qu'on appelle le jeu à somme nulle est le principe même de l'économie, c'est-à-dire, il équilibre. Tandis que si vous savez un théorème ou quelque chose concernant le vivant et que vous me l'enseignez, vous me le donnez mais vous le gardez et par conséquent, ce n'est plus un jeu à somme nulle et c'est producteur de sens illimité. C'est gagnant-gagnant. L'école enseigne le gagnant-gagnant et l'économie n'enseigne que des jeux à somme nulle.
Deuxièmement, c'est libre. Alors là, il va y avoir des critiques. Puisque c'est libre, ce n'est pas validé. On a fait des calculs là-dessus et ils sont vraiment éblouissants parce que s'il y a une encyclopédie qui est une bonne référence, c'est l'encyclopédie Britannica. On a calculé qu'il y avait 2,93 erreurs par article dans l'Encyclopédia Britannica tandis qu'il y avait 3,86 erreurs par article dans Wikipédia. La différence est pratiquement nulle. Alors, on se dit que la liberté, là, a donné des résultats extraordinairement bons.
Je vais vous raconter une histoire sur la vérité de Wikipédia. Il y a quelques années, j'ai publié une livre qui s'appelait Rameaux et à la fin de cet ouvrage, il y a un grand chapitre sur Saint-Paul. Un de mes lecteurs américains m'a raconté l'histoire suivante, c'est que lisant ce livre-là, il a voulu vérifier ce que j'avancais dans ce chapitre. Il a trouvé Wikipédia et je disais dans mon chapitre que Saint-Paul avait passé sa jeunesse dans des études à Jérusalem... Et non, dans Wikipédia, il y avait marqué que Saint-Paul dans sa jeunesse avait vendu des ice cream à la vanille dans le New Jersey. Alors, il a été très étonné. Ca lui est arrivé un matin à 10 h 30 et il est revenu sur Wikipédia à midi et cette astuce-là était supprimée.
Par conséquent, la vérité est rétablie par des correcteurs anonymes et libres. C'est une entreprise qui m'enchante parce que, pour une fois, c'est une entreprise qui n'est pas gouvernée par des experts. J'ai une grande grande confiance dans les experts, bien entendu. A qui voulez-vous que je fasse confiance sinon à des experts ? Mais cette confiance envers les experts est limitée puisque les experts, qu'ils soient mathématiciens, astronomes ou médecins ne sont que des hommes. Par conséquent, ils peuvent se tromper et il y a là dans cette entreprise de liberté, de communauté, de vérification mutuelle, quelque chose qui, dans la gratuité, la liberté, m'enchante complètement et me donne une sorte de confiance dans ce que peut être un groupement humain.
Le savoir absolu n'existe pas pour la bonne raison que dès qu'on est un peu dans le savoir, on voit à quel point il évolue à toute vitesse. J'ai dit dans une autre émission qu'aujourd'hui, les professeurs de sciences n'enseignent que la moitié de ce qu'ils ont eux même appris. Le savoir est dans une progression exponentielle. Comment voulez-vous qu'il soit un jour absolu ? Il y a une telle grande différence entre le savoir et la connaissance, ou l'entendement et l'intelligence, que la marge de progrès est infinie.
Revenons aux difficultés de Wikipédia aujourd'hui et je voudrais ajouter sur la gratuité que Wikipédia n'est pas le seul site qui soit gratuit. Si vous prenez l'Open Source par exemple, vous pouvez vous procurer des logiciels gratuitement qui sont, du point de vue de leur performance, 10 fois supérieurs aux logiciels qu'on utilise habituellement et qui sont fournis par des ingénieurs qui sont parfaitement bénévoles. D'ailleurs, Wikipédia est dirigée par une française qui s'appelle Florence Nibart-Devouard qui est parfaitement bénévole, elle aussi. Il n'y a que des bénévoles et cela donne vraiment tort à tous nos prophètes de malheur. Il y a aujourd'hui une encyclopédie libre, gratuite à la disposition de tout le monde et qui est le plus souvent vraie.
Il y a des vandales partout mais ce que je trouve d'extraordinaire dans l'organisation de Wikipédia, c'est qu'elle est auto-organisée pour lutter contre les vandales. D'une certaine manière, c'est un miracle d'auto-organisation, d'auto-gestion. On a l'impression qu'en matière de liberté et de vérité, l'honnêteté l'a emporté sur le vandalisme ce qui est rare dans notre monde moderne."
- Dans "l'Abécédaire de Michel Serres" (Le Monde Magazine) du 6/11/2010 :
Il y a quelques années, on m’avait demandé de faire un rapport sur l’enseignement à distance. J’étais allé voir le directeur d’une école très connue et je lui avais dit : “Mets toutes affaires cessantes tout le savoir en ligne, en te faisant aider de tous tes étudiants !” C’était le principe de Wikipédia. Il m’a répondu qu’il fallait un concours pour accéder à la connaissance, que le savoir n’était pas à la disposition de tout le monde. Triste affaire ! Je suis un enthousiaste de Wikipédia. C’est une encyclopédie libre, qui contient à peu près autant d’erreurs que l’Encyclopædia Britannica. Libre et même libertaire, car elle est du côté de la créativité de chacun.
- Dans Petite Poucette publié en 2012 :
Critiqués, méprisés, vilipendés,, puisque pauvres et discrets, même s’ils détiennent le record mondial des prix Nobel récents et des médailles Fields par rapport au nombre de la population, nos enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs dominants, riches et bruyants.
Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l’usage de la Toile, la lecture ou l’écriture au pouce des messages, la consultation de Wikipédia ou de Facebook n’excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l’usage du livre, de l’ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois Ils ne connaissent, ni n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants.
Ils n’ont plus la même tête.
[...]
Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait.
Avec l’accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l’accès en tous lieux, par le GPS, l’accès au savoir est désormais ouvert. D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.
[...]
Petite Poucette ne lit ni ne désire ouïr l’écrit dit. Celui qu’une ancienne publicité dessinait comme un chien n’entend plus la voix de son maître. Réduits au silence depuis trois millénaires, Petite Poucette, ses sœurs et ses frères produisent en chœur, désormais, un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture
Pourquoi bavarde-t-elle, parmi le brouhaha de ses bavards camarades ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà. En entier. À disposition. Sous la main. Accessible par Web, Wikipédia, portable, par n’importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d’erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan, sauf si l’un, original et rare, invente.
Fin de l’ère du savoir.
[...]
- Dans l'émission "Répliques" du 8/12/12 (retranscrite partiellement ici ) :
- Dans la revue "L'Elephant" de juin 2013 avec des propos prenant en grande partie le contre-pied de ceux de Petite Poucette ("Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. [...] Avec l’accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l’accès en tous lieux, par le GPS, l’accès au savoir est désormais ouvert. D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis. [...] Petite Poucette, ses sœurs et ses frères produisent en chœur, désormais, un bruit de fond qui assourdit le porte-voix de l’écriture. Pourquoi bavarde-t-elle, parmi le brouhaha de ses bavards camarades ? Parce que, ce savoir annoncé, tout le monde l’a déjà. En entier. À disposition. Sous la main. Accessible par Web, Wikipédia, portable, par n’importe quel portail. Expliqué, documenté, illustré, sans plus d’erreurs que dans les meilleures encyclopédies. Nul n’a plus besoin des porte-voix d’antan [...]")
[...]
Les enseignants ne sont pas morts, mais ils doivent changer fondamentalement leur manière d’enseigner. Pour autant, cela ne se décrète pas de façon dogmatique, cela se fait au coup par coup. Il faut s’adapter, être à l’écoute de ce que savent les élèves. Et ce n’est pas parce que le savoir est accessible à tous, depuis son ordinateur personnel, que l’on peut imaginer inverser le rôle dévolu à l’école et celui du travail à la maison [voir l’entretien avec Jacques Attali dans L’éléphant n° 1, NDLR]. Cela pour une raison très simple, c’est que l’information, ce n’est pas le savoir. La différence est très complexe. Pour simplifier, c’est un peu comme avoir lu tous les livres à propos d’un pays sans jamais y avoir mis les pieds et avoir visité ce pays. On a une information dans un cas, un savoir dans l’autre.
Le savoir serait donc l’expérience personnelle, une référence intime ?
Donnez-lui toutes les définitions que vous voulez, je serai toujours d’accord parce que je n’en ai pas. Si on savait ce qu’est le savoir, on serait tous très savants.
- Dans l'entretien de la "Revue Projet" du 11/03/2015 : "Numérique : « On a encore plus besoin du professeur »"
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- Loys
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fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Serres
Il est un enthousiaste de Wikipédia comme lieu de rassemblement gratuit de connaissances, entreprise « non gouvernée par des experts » de connaissance partagée.
Michel Serres meurt le 1er juin 2019, à l'âge de 88 ans, à Vincennes. Ses obsèques sont prévues en la cathédrale d'Agen le 8 juin 2019.
framablog.org/2007/02/27/wikipedia/
L’enthousiasme communicatif de l’académicien Michel Serres[1] lorsqu’il évoque l’encyclopédie libre Wikipédia fait vraiment plaisir à voir.
En l’occurrence cela fait surtout plaisir à entendre (et de se dire que nous n’étions sûrement pas les seuls) puisque nous vous proposons ci-dessous la reproduction de l’émission de France-Info Le sens de l’info du 25 février dernier[2].
Prenant le contre-pied de bon nombre d‘experts dubitatifs qui soulignent à l’envie la question du vandalisme, Michel Serres[3], littéralement enchanté par l’entreprise Wikipédia, nous livre ici une chronique optimiste et humanisme, apportant en quelque sorte sa caution d’intellectuel à l’un des plus beaux projets collectifs de notre temps.
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- Loys
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Hasard de l'actualité sur les réseaux sociaux avec ces deux réactions de Rémi Mathis à quelques jours d'intervalle. Rémi Mathis est un ancien président de Wikimédia France. On peut relire son réquisitoire de 2012 contre mon canular sur les sites de corrigés ("un comportement malsain dans l’éducation actuelle", "vandaliser Internet", "leçon d’égoïsme et de mépris du travail de l’autre", "comportement [...] moralement choquant", "manque de maturité intellectuelle" etc.) :
Ou encore, s'agissant de ma "légende" (sic) :
Michel Serres est pourtant "l’honnête homme par excellence" , a déclaré le ministre de l’Éducation nationale en hommage.
Edition du 14/09/19 : Rémi Mathis a effacé ses deux tweets...
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