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"La tablette fait son entrée à l'école ... Une frénésie justifiée ?" (Michèle Dreschler)
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Depuis 2013, les choses ont bien changé à Los Angeles !Nous assistons actuellement à une frénésie mondiale autour de l'usage de la tablette à l'école. Selon le journal Le Monde, en matière d'équipement des écoles, les établissements américains ont déjà dépensé 5 milliards de dollars. La Grande-Bretagne, elle, a dépensé 194 millions de livres (226 millions d'euros) pour offrir 300 000 machines à ses élèves (1). De son côté, le District scolaire de Los Angeles, a signé un contrat de 30 millions de dollars avec Apple pour équiper 47 de ses écoles primaires d’iPad cet automne (2).
Bon les chiffres donnent le tournis, et ne concernent pas encore tous les élèves, ni la maintenance, ni le renouvellement, ni les infrastructures nécessaires (électricité, haut-débit dans les établissements, wifi dans les classes).
Les seuls exemples donnés sont ici des exemples d'équipement massif, pas de réussite éducative.Depuis cette rentrée scolaire, la Thaïlande (3) a doté chaque élève d'un ordinateur à l'entrée du CP et un million d'enfants sont équipés d'une ardoise tactile qui est devenue l'instrument de base du cartable de l'écolier.
C'est une question que l'on se posera après, comme de bien entendu.Si 80 % des Français jugent l'utilisation des tablettes tactiles à l'école utile, selon le 7e baromètre trimestriel de l'économie numérique de la Chaire économique de l'université Paris-Dauphine, cette frénésie n'est-elle qu'un effet de mode ou bien la tablette doit-elle s'imposer à l'école pour devenir désormais un outil personnel d’apprentissage incontournable ? Apprend-on mieux avec une tablette ?
Peut-on également faire mention des éventuels problèmes que posent les tablettes et les écrans en général ?Des sciences cognitives à la salle de classe.
Melhuish et Falloon (2010) identifient cinq affordances spécifiques ou des «avantages» liés à l'utilisation des tablettes : l'accessibilité, l'omniprésence, une pédagogie constructiviste en contexte, la connectivité, des expériences personnalisées.
Ce point est d'ores et déjà très discutable.La tablette est un outil...
Oui mais de manière dégradée : la tablette est un outil de consultation....qui peut associer tous les médias.
C'est très nébuleux. Il est curieux de constater que cette "interaction" supposée meilleure reste à "comprendre" et que la "réussite" est soumise à "condition".Pour Monique Linard, l’interactivité des multimédias favorise les médiations cognitives et offre un éventail très riche de fonctions techniques capables d’accompagner et de stimuler efficacement les nombreux aspects de l’interaction et de l’apprentissage humain, à condition de mieux comprendre cette interaction et de prendre en compte les conditions de sa réussite.
De même, les professeurs Robert Brien, Jacqueline Bourdeau et Johanne Rocheleau insistent sur l’importance de l’interactivité lors de l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences et soulignent l’utilisation des systèmes multimédias interactifs comme support à l’apprentissage.
L'"interactivité" est un postulat qu'on peut parfaitement contester (voir notre article sur un exemple de pédagogie inversée).
Le projet, c'était avant tout d'utiliser les tablettes. Drôle d'outil qui devient la fin.Mais qu'en est-il concrètement dans les classes ? Dans le cadre du projet académique du développement des usages pédagogiques du numérique 2012-2013, les 6 départements de l'académie Orléans-Tours se sont mobilisés autour des tablettes à l'école primaire et ont essayé de répondre à la question.
Voir lien : www.ac-orleans-tours.fr/vie_numerique/a_...usages_du_numerique/
L’objectif a été de développer des projets d’usages de la tablette à l’école primaire, de suivre les pratiques des enseignants impliqués, d’évaluer les usages des tablettes au service des apprentissages.
C'est un compte-rendu bien vague.Les IEN-TICE qui pilotent les groupes départements TICE se sont tous mobilisés et ont travaillé en interaction étroite avec les IEN maternelle, les formateurs TICE, les conseillers pédagogiques et les équipes enseignantes volontaires. Un rapport académique rend compte du protocole d'observation, des situations d'apprentissage mises en place et soutenues par des tablettes. Il interroge les effets de l'usage des tablettes tactiles en contexte scolaire sur les élèves mais aussi sur les enseignants. Il nous donne de premiers résultats dans différents contextes.
Voir lien. fr.calameo.com/read/0003022616b9815912aea
Voici le postulat de départ : la tablette apporte seulement des plus-values. Reste à déterminer lesquelles.Quelles plus-values pour les apprentissages ?
La potentialité importe peu : seule compte la réalité des usages.Avec cet outil nomade, nous avons des potentialités multimédia à portée de main.
"à médiatiser son enseignement"La tablette peut être à la fois une banque d’images, un appareil photo, un laboratoire de langue et c'est un outil qui aide l'enseignant à médiatiser son enseignement.
Pas besoin d'observations pour savoir ce qu'on peut faire avec une tablette.Les observations nous montrent que l'élève peut s’enregistrer, s’écouter, se corriger...
...et les applications transversales comme « book creator » permettent toutes sortes de projets de classe comme le cahier de vie en maternelle, ou la création de parcours en histoire de l'art.
Projets qui peuvent parfaitement être réalisés, avec bénéfice, sans tablette.
Mais une "création" avec un écrit réduit à la portion congrue...Si la tablette est avant tout une porte ouverte vers la création...
Parce que dans les autres cas les réalisations disparaissent ?...c'est aussi un outil « boîte à mémoire » qui permet aux élèves de revoir à souhait les réalisations faites en classe.
J'ignore pourquoi.La construction progressive des notions en situation en est facilitée.
"à haute valeur cognitive" ?C'est aussi un outil tactile à haute valeur cognitive qui permet à l'élève de s'exercer et de se corriger.
Comme l'a démontré André Tricot, "Le problème c'est que ce n'est pas parce qu'on est plus motivé qu'on apprend de façon plus efficace."L'enseignant interagit avec l'effort positif et la motivation des élèves, leur fournissant du temps d’apprentissage vraiment efficace et présentant des situations didactiques et pédagogiques pertinentes et stimulantes. Une façon d'engager les élèves dans leurs apprentissages !
Les écrans éloignent plus que jamais les élèves de la lecture approfondie.Un impact positif sur les apprentissages peut être noté dans de nombreux champs disciplinaires comme en lecture.
Oui : il faudrait réduire encore le temps consacré à l'enseignement de la lecture.Dehaene dans son ouvrage « des sciences cognitives à la salle de classe » (4) nous précise qu'il existe de nombreux outils numériques pour faciliter l’apprentissage de la lecture et parfois beaucoup trop de temps de l’enseignement est alloué dans les écoles à la présentation de concepts qui pourraient être acquis au moyen d’un matériel didactique de qualité et adapté.
L'écran réduit l'expérience sensorielle à la seule vue : pas sûr que cela eût ravi Maria Montessori puisqu'il s'agit au contraire, dans cette pédagogie, de "toucher pour apprendre".Encore faut-il connaître les potentialités des outils, les rendre accessibles et mettre en avant leurs apports pour les apprentissages. Pour mieux aborder la « chimie » du code alphabétique, l'usage de la tablette en est un exemple. Maria Montessori serait certainement heureuse de pouvoir découvrir le « Qbook », livre numérique développé aux USA qui combine le format ebook avec l’interactivité d'un smartphone en offrant une approche kinesthésique de la lecture et permettant aux élèves de mieux appréhender le code alphabétique.
L'interaction, dans le temps de la lecture, est surtout une distraction qui éloigne du texte.Elle nous inventerait une pédagogie Montessori 2.0 ! Comme je l'ai abordé lors de mon intervention au salon du futur du livre, les livres et albums interactifs avec toutes leurs fonctionnalités peuvent faciliter la compréhension des textes littéraires dans certaines conditions (5) .
Atteindre les anciennes "ambitions intellectuelles" serait déjà un moindre mal.Avec la tablette, il est possible de proposer de nouvelles ambitions intellectuelles...
L'individualisation est encore un mot piégé puisqu'elle laisse l'élève seul face à l'écran. Voir le dispositif "D'Col"....pour les élèves en développant l'individualisation...
Ou le contraire : le non-apprentissage entrant dans les murs de l'école....et en renouvelant les modes d'organisation dépassant l'espace-temps de la classe qui facilitent les apprentissages "dans" et "hors les murs" de l'école.
Car un document digne de ce nom se doit d'être "enrichi". A force de proposer des stimulations permanentes, on désapprend la persévérance scolaire aux élèves.La réalité augmentée au travers d’une tablette tactile peut enrichir les documents imprimés d’éléments virtuels.
On voit mal en quoi des distractions servent la mémorisation.Les enseignants peuvent utiliser les QR Codes pour enrichir les supports de cours destinés aux élèves avec des documents multimedia. Les enfants peuvent les consulter grâce à une application spécifique installée sur les tablettes en classe. Une occasion d'apporter des aides pour les leçons à mémoriser ou pour rendre les supports de cours plus ludiques !
Le contenu par lui-même ne suffit plus : il fait qu'il soit "augmenté" ou "enrichi".Il suffit d'insérer des QR Codes pour générer du contenu augmenté sur les tablettes.
Considérer qu'un professeur a besoin de "ressources", c'est lui retirer toute autonomie.Quels changements pour l'enseignant ? La tablette permet-elle d’abattre les murs de la classe
Les ressources numériques sont au cœur du métier de l'enseignant comme je l'ai souligné lors mon intervention aux journées nationales de l'innovation (6).
L'autonomie est un but de l'école, et non un moyen.L'usage de la tablette doit s'inscrire dans une réflexion plus large qui prend en compte le rôle majeur du maître et de sa place pour la médiatisation de son enseignement. Avec les tablettes, des environnements personnels d'apprentissage peuvent être développés pour que l'élève puisse travailler en autonomie, s'exercer .
On peut aussi voir de nombreuses contraintes supplémentaires.Pour relever ce défi, différents chantiers en perspective se profilent à l'horizon.
si les enseignants notent des avantages en terme de « flexibilité pédagogique » avec la tablette..
On en arrive à l'équation une application = une ressource = une pédagogie (voir la roue de la padagogie )...on peut noter une augmentation de la charge de travail en amont pour le choix du contenu adapté dans un contexte donné. Un collecteur de ressources et d'applications partageables pourrait être envisagé au niveau d'une académie pour aider les enseignants à mettre en place une pédagogie efficace avec les tablettes.
...l'enseignant a besoin de créer ou de trouver du contenu adapté pour développer une pédagogie inversée propice aux apprentissages qui lui permet de redéfinir son taux de présence auprès de ses élèves pour les guider et les accompagner.
Mais pas les autres.les enseignants qui utilisent les tablettes sont amenés à réfléchir sur leurs pratiques...
Si ça ne marche pas, ce sera donc la faute des enseignants....mais comme le précise Laurillard en 2007, la construction et l'utilisation de différents environnements numériques nécessitent des compétences et la connaissance des affordances pédagogiques et techniques. La formation des enseignants autour des tablettes est cruciale.
Un autre rôle à jouer serait d'évaluer avec un regard critique les problèmes que posent les tablettes en face de leurs si merveilleuses "affordances".il nous faut assurer la mobilisation de tous les acteurs autour de cette problématique des usages de la tablette et les corps d’inspection, dans leurs missions d’impulsion, d’accompagnement et d’expertise ont un rôle majeur à jouer.
Vœu pieux. En l'état les collectivités décident sans associer les enseignants....les collectivités doivent être associées à la réflexion sur le problème de l'équipement des écoles.
En tout cas la "frénésie" se confirme puisque cette réflexion n'offre aucun aspect critique, même mesuré.Pour conclure : Panacée ou pas panacée ?
La frénésie est donc justifiée et l'injonction en fait une panacée.Au-delà des phases de prise en main et des considérations techniques qui sont à présent connues et qui sont chronophages, il s'agit bien désormais d'engager des pratiques pédagogiques innovantes s'appuyant sur le potentiel cognitif des tablettes tactiles.
Si c'est vraiment "un outil parmi d'autres" (clause de style en vérité), pourquoi en faire une telle promotion ?Comme le précise l'UNESCO dans son rapport (2013, p 9), « la technologie mobile n'est pas et ne sera jamais la panacée éducative. Mais elle est un outil puissant et encore trop souvent ignoré, un outil parmi d'autres pour l'éducation ».
Je serais curieux de savoir quelles sont les "potentialités pédagogiques" des tablettes dans l'enseignement des lettres.Les potentialités pédagogiques ne tiennent pas uniquement dans une tablette mais dans la façon dont on s'en sert. La place et le rôle du maître restent essentiels. L'accompagnement des équipes est nécessaire et les inspecteurs jouent un rôle important avec les équipes de formateurs.
Un "outil comme les autres" mais un "changement de paradigme didactique".Les usages de ces outils numériques peuvent se construire collectivement par une communauté d’enseignants qui peuvent partager leurs observations, leurs réussites et comme disait Jean-Pierre Astolfi : « Il faut encourager et capitaliser toutes les tentatives, même modestes, pour accompagner un changement de paradigme didactique qui se cherche encore ».
Notez la précaution oratoire : "qui se cherche encore".
Quelle tristesse que "la joie à l'école" doive à présent venir des écrans.Avec les tablettes ne peut-on pas générer ces « révolutions minuscules » ou ces « petits moments magiques », qui bousculent les certitudes, qui « boostent » la réflexion des élèves, et qui permettent aussi une réflexion des enseignants sur les différentes façons d’apprendre ? Ces moments de manipulation via ces interfaces numériques à haute valeur cognitive ne sont-ils pas une façon de faire vivre concrètement dans l’action, l’expérience de ce qu’un savoir en construction produit comme surprise et inspiration ? Avec tous les apports du numérique, nous pouvons repenser ici à ce que Louis Legrand appelait une « pédagogie de l’étonnement » et Georges Snyders « la joie à l’école » !
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