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"Le devoir d’éduquer au et avec le numérique, ne baissons pas les bras !" (Bruno Devauchelle)
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02 Mar 2024 15:09 #24990
par Loys
"Le devoir d’éduquer au et avec le numérique, ne baissons pas les bras !" (Bruno Devauchelle) a été créé par Loys
Enième tribune pour l'école numérique par Bruno Devauchelle dans le "Café pédagogique" du 1/03/24 :
"Le devoir d’éduquer au et avec le numérique, ne baissons pas les bras !"
Attention : Spoiler !
Le devoir d’éduquer au et avec le numérique, ne baissons pas les bras !
C’est à l’occasion de la sortir du livre d’Asma Mhalla, « Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats », que Bruno Devauchelle interroge le rôle de l’École dans l’éducation au et avec le numérique. Pour le spécialiste de la question du numérique en éducation, « Mettre le numérique dans les préoccupations éducatives des enseignants, ce n’est pas promouvoir le numérique partout et tout le temps. C’est d’abord situer cette évolution dans le cadre plus général de la mission de l’éducateur : élever et libérer. C’est-à-dire permettre à chacun de se construire en liberté dans le monde tel qu’il est réellement et tel que chacun l’utilise dès le plus jeune âge. C’est aussi permettre de “choisir”. Choisir les équilibres de vie, choisir les ressources, choisir les moyens, choisir et s’approprier pour éviter la manipulation, la dépendance, la soumission ».
Il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Les enseignants doivent prendre conscience de leurs responsabilités éducatrices et éducatives face aux évolutions des technologies numériques. C’est l’une des bases argumentaires en faveur d’une éducation au et avec le numérique en contexte scolaire et universitaire qui se confirme chaque jour. Dans son ouvrage, “Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats ? Asma Mhalla, édition du Seuil 2024” présenté dans Télérama, l’auteur met en évidence les formes de “violences” renouvelées et étendues qui se déploient dans les espaces numériques et avec les moyens numérique, Intelligence Artificielle incluse. Si cet ouvrage met en évidence la place prise par les technologies dans les conflits actuels (massifs ou interindividuels), il montre aussi les nouvelles conflictualités rendues possibles par les technologies (harcèlement et autres). C’est surtout en posant l’hypothèse de la manipulation des cerveaux, ère dans laquelle nous serions entrés, qui interroge. Rappelons ici que, malheureusement, il ne s’agit que d’une amplification et une accélération de processus qui traversent les communautés humaines depuis très longtemps (Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, PUG, 1987). Le constat est simple : nous sommes tous susceptibles d’être manipulés. En avons-nous vraiment conscience ?
Dominer, manipuler, soumettre, avant l’ère numérique
Un retour en arrière est nécessaire pour montrer que l’instruction publique portée par Condorcet en 1791 était aussi fondée sur le même type de constat. On peut lire dans le premier mémoire sur l’instruction publique cette phrase : “L’inégalité d’instruction est une des principales sources de tyrannie”. Cette affirmation est renforcée ainsi “Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance.”. Ainsi le risque de soumission aveugle basée sur l’ignorance est une des bases de la manipulation d’une partie de la population sur une autre (illettrée, en l’occurrence). C’est pourquoi il convient de mettre en place des dispositifs adaptés : “C’est donc encore un devoir de la société que d’offrir à tous les moyens d’acquérir les connaissances auxquelles la force de leur intelligence et le temps qu’ils peuvent employer à s’instruire leur permettent d’atteindre. “. Nous avons les bases de la lutte contre la soumission et cela, tout au long de la vie. On rappelle ici, que Condorcet, sans ignorer les différences entre humains, a aussi posé les bases de la formation tout au long de la vie. Il sous-entendait que l’ignorance est, sans ignorer les différences essentielles entre humains, aussi présente dans le monde adulte que dès l’enfance…
Des constats récurrents qui invitent à l’action
Les enseignants sont, au moins pour la formation scolaire initiale, au cœur du dispositif souhaité jadis pour lutter contre les inégalités dans l’accès aux savoirs. Or, que ce soient PISA ou les évaluations multiples, jusqu’à celles de la journée défense et citoyenneté, au moins 10% des jeunes sont en difficulté de lecture, source DEPP. L’adoption massive des technologies numériques dans la population (plus de 90% de la population accède à Internet en 2022 dont 82% quotidiennement) et en particulier l’adoption des smartphones (plus de 95% de la population) alors qu’ils ne sont commercialisés que depuis 2008, ne peuvent qu’inciter à penser la place à donner au numérique dans l’éducation. On parle désormais aussi d’illectronisme. Que penser du fait que la quasi-totalité de la population est équipée, alors qu’entre 10% et 15% de la jeunesse est en difficulté de lecture et sort du système scolaire sans qualification ?
Comment gérer les inégalités, sources de soumissions ?
Ne pas savoir lire, ne pas maîtriser les usages du numérique, c’est être exposé à toutes sortes de “manipulations”, qu’elles soient commerciales, politiques ou idéologiques. Le dernier avatar de la manipulation serait celle de l’interdiction pure et simple du numérique en éducation. C’est l’ambiguïté de la décision du ministre Blanquer d’interdire le téléphone portable à l’école, alors qu’il faut inciter au développement de l’industrie numérique en France, qui est actualisée sur le site du ministère. C’est aussi l’ambiguïté des propos sur les écrans qu’il faudrait limiter alors “qu’en même temps” il faudrait favoriser le développement du secteur du numérique. Mais les décideurs laissent passer, font mine d’ignorer derrière ces propos et décisions, un risque majeur et qui toucherait d’abord les plus en difficulté sur le plan cognitif et/ou social mais aussi les plus vulnérables sur le plan psychologique. Ce risque majeur, seule l’éducation est en mesure de la tempérer à défaut de le faire disparaître. Condorcet écrit : “Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance“, reconnaissant les inégalités fondamentales de nos sociétés humaines, mais ne voulant pas sacrifier et abandonner la population la plus fragile. Et c’est là que les éducateurs doivent agir, tout au long de la vie.
Agir enfin !
Mettre le numérique dans les préoccupations éducatives des enseignants, ce n’est pas promouvoir le numérique partout et tout le temps. C’est d’abord situer cette évolution dans le cadre plus général de la mission de l’éducateur : élever et libérer. C’est-à-dire permettre à chacun de se construire en liberté dans le monde tel qu’il est réellement et tel que chacun l’utilise dès le plus jeune âge. C’est aussi permettre de “choisir”. Choisir les équilibres de vie, choisir les ressources, choisir les moyens, choisir et s’approprier pour éviter la manipulation, la dépendance, la soumission. Depuis bientôt soixante années que l’informatique a été introduite dans le système éducatif, elle n’a jamais été vraiment considérée dans sa dimension éducative et sociale, mais essentiellement dans sa dimension économique, technique et commerciale. Et cela continue, de discours en discours. Car c’est aussi la difficulté d’une société démocratique que de vouloir l’égalité de tous sans imposer l’uniformité de chacun. C’est pour cela que des dispositifs éducatifs (et pas seulement l’école) doivent prendre conscience des dérives grandissantes liées aux progrès actuels des technologies numériques pour que jeunes et adultes ne soient pas sous influence et manipulables. Il y a encore beaucoup de travail, et celui-ci commence dans l’établissement scolaire… et se continue tout au long de la vie.
Bruno Devauchelle
C’est à l’occasion de la sortir du livre d’Asma Mhalla, « Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats », que Bruno Devauchelle interroge le rôle de l’École dans l’éducation au et avec le numérique. Pour le spécialiste de la question du numérique en éducation, « Mettre le numérique dans les préoccupations éducatives des enseignants, ce n’est pas promouvoir le numérique partout et tout le temps. C’est d’abord situer cette évolution dans le cadre plus général de la mission de l’éducateur : élever et libérer. C’est-à-dire permettre à chacun de se construire en liberté dans le monde tel qu’il est réellement et tel que chacun l’utilise dès le plus jeune âge. C’est aussi permettre de “choisir”. Choisir les équilibres de vie, choisir les ressources, choisir les moyens, choisir et s’approprier pour éviter la manipulation, la dépendance, la soumission ».
Il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Les enseignants doivent prendre conscience de leurs responsabilités éducatrices et éducatives face aux évolutions des technologies numériques. C’est l’une des bases argumentaires en faveur d’une éducation au et avec le numérique en contexte scolaire et universitaire qui se confirme chaque jour. Dans son ouvrage, “Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats ? Asma Mhalla, édition du Seuil 2024” présenté dans Télérama, l’auteur met en évidence les formes de “violences” renouvelées et étendues qui se déploient dans les espaces numériques et avec les moyens numérique, Intelligence Artificielle incluse. Si cet ouvrage met en évidence la place prise par les technologies dans les conflits actuels (massifs ou interindividuels), il montre aussi les nouvelles conflictualités rendues possibles par les technologies (harcèlement et autres). C’est surtout en posant l’hypothèse de la manipulation des cerveaux, ère dans laquelle nous serions entrés, qui interroge. Rappelons ici que, malheureusement, il ne s’agit que d’une amplification et une accélération de processus qui traversent les communautés humaines depuis très longtemps (Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, PUG, 1987). Le constat est simple : nous sommes tous susceptibles d’être manipulés. En avons-nous vraiment conscience ?
Dominer, manipuler, soumettre, avant l’ère numérique
Un retour en arrière est nécessaire pour montrer que l’instruction publique portée par Condorcet en 1791 était aussi fondée sur le même type de constat. On peut lire dans le premier mémoire sur l’instruction publique cette phrase : “L’inégalité d’instruction est une des principales sources de tyrannie”. Cette affirmation est renforcée ainsi “Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance.”. Ainsi le risque de soumission aveugle basée sur l’ignorance est une des bases de la manipulation d’une partie de la population sur une autre (illettrée, en l’occurrence). C’est pourquoi il convient de mettre en place des dispositifs adaptés : “C’est donc encore un devoir de la société que d’offrir à tous les moyens d’acquérir les connaissances auxquelles la force de leur intelligence et le temps qu’ils peuvent employer à s’instruire leur permettent d’atteindre. “. Nous avons les bases de la lutte contre la soumission et cela, tout au long de la vie. On rappelle ici, que Condorcet, sans ignorer les différences entre humains, a aussi posé les bases de la formation tout au long de la vie. Il sous-entendait que l’ignorance est, sans ignorer les différences essentielles entre humains, aussi présente dans le monde adulte que dès l’enfance…
Des constats récurrents qui invitent à l’action
Les enseignants sont, au moins pour la formation scolaire initiale, au cœur du dispositif souhaité jadis pour lutter contre les inégalités dans l’accès aux savoirs. Or, que ce soient PISA ou les évaluations multiples, jusqu’à celles de la journée défense et citoyenneté, au moins 10% des jeunes sont en difficulté de lecture, source DEPP. L’adoption massive des technologies numériques dans la population (plus de 90% de la population accède à Internet en 2022 dont 82% quotidiennement) et en particulier l’adoption des smartphones (plus de 95% de la population) alors qu’ils ne sont commercialisés que depuis 2008, ne peuvent qu’inciter à penser la place à donner au numérique dans l’éducation. On parle désormais aussi d’illectronisme. Que penser du fait que la quasi-totalité de la population est équipée, alors qu’entre 10% et 15% de la jeunesse est en difficulté de lecture et sort du système scolaire sans qualification ?
Comment gérer les inégalités, sources de soumissions ?
Ne pas savoir lire, ne pas maîtriser les usages du numérique, c’est être exposé à toutes sortes de “manipulations”, qu’elles soient commerciales, politiques ou idéologiques. Le dernier avatar de la manipulation serait celle de l’interdiction pure et simple du numérique en éducation. C’est l’ambiguïté de la décision du ministre Blanquer d’interdire le téléphone portable à l’école, alors qu’il faut inciter au développement de l’industrie numérique en France, qui est actualisée sur le site du ministère. C’est aussi l’ambiguïté des propos sur les écrans qu’il faudrait limiter alors “qu’en même temps” il faudrait favoriser le développement du secteur du numérique. Mais les décideurs laissent passer, font mine d’ignorer derrière ces propos et décisions, un risque majeur et qui toucherait d’abord les plus en difficulté sur le plan cognitif et/ou social mais aussi les plus vulnérables sur le plan psychologique. Ce risque majeur, seule l’éducation est en mesure de la tempérer à défaut de le faire disparaître. Condorcet écrit : “Mais il suffit au maintien de l’égalité des droits que cette supériorité n’entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance“, reconnaissant les inégalités fondamentales de nos sociétés humaines, mais ne voulant pas sacrifier et abandonner la population la plus fragile. Et c’est là que les éducateurs doivent agir, tout au long de la vie.
Agir enfin !
Mettre le numérique dans les préoccupations éducatives des enseignants, ce n’est pas promouvoir le numérique partout et tout le temps. C’est d’abord situer cette évolution dans le cadre plus général de la mission de l’éducateur : élever et libérer. C’est-à-dire permettre à chacun de se construire en liberté dans le monde tel qu’il est réellement et tel que chacun l’utilise dès le plus jeune âge. C’est aussi permettre de “choisir”. Choisir les équilibres de vie, choisir les ressources, choisir les moyens, choisir et s’approprier pour éviter la manipulation, la dépendance, la soumission. Depuis bientôt soixante années que l’informatique a été introduite dans le système éducatif, elle n’a jamais été vraiment considérée dans sa dimension éducative et sociale, mais essentiellement dans sa dimension économique, technique et commerciale. Et cela continue, de discours en discours. Car c’est aussi la difficulté d’une société démocratique que de vouloir l’égalité de tous sans imposer l’uniformité de chacun. C’est pour cela que des dispositifs éducatifs (et pas seulement l’école) doivent prendre conscience des dérives grandissantes liées aux progrès actuels des technologies numériques pour que jeunes et adultes ne soient pas sous influence et manipulables. Il y a encore beaucoup de travail, et celui-ci commence dans l’établissement scolaire… et se continue tout au long de la vie.
Bruno Devauchelle
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- Loys
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17 Mar 2024 19:14 - 17 Mar 2024 19:21 #25005
par Loys
Réponse de Loys sur le sujet "Le devoir d’éduquer au et avec le numérique, ne baissons pas les bras !" (Bruno Devauchelle)
Et encore le 15/03/24 :
"L’informatique a conforté les inégalités, l’école n’y a rien fait !"
Pour le reste, bien malin qui comprend quelque chose à ces circonlocutions incohérentes.
Attention : Spoiler !
L’informatique a conforté les inégalités, l’école n’y a rien fait !
Le numérique, source d’inégalités ? « Trop focalisé sur l’objet technique et pas assez sur les usages et les contenus, le monde scolaire n’a pas mesuré combien l’informatique était la source de nouvelles inégalités », écrit Bruno Devauchelle. « Dans le monde numérique et en particulier Internet, les séparatismes et les inégalités sont renvoyés principalement aux usagers eux-mêmes, dans une logique néolibérale que n’avaient pas envisagée la plupart de leurs promoteurs ».
Les polémiques actuelles autour des groupes de niveaux renvoient en réalité à deux questions : d’une part la différenciation, d’autre part les inégalités. Pour cette deuxième question, la récurrence du thème est inquiétante si on l’examine sur la durée. Alors que tous les responsables politiques ont déclaré lutter contre les inégalités en s’appuyant sur le monde scolaire, aucune des actions menées n’a endigué le phénomène qui laisse entre 10% et 20% (selon les points de vue) de côté. L’émergence de l’informatique au début des années 1980 dans le monde scolaire, mais dès les années 1960 dans le monde professionnel a pourtant été le signal d’une transformation importante du rapport à l’information et donc de l’accès aux connaissances. Trop focalisé sur l’objet technique et pas assez sur les usages et les contenus, le monde scolaire n’a pas mesuré combien l’informatique était la source de nouvelles inégalités.
Séparatisme au cœur des inégalités ?
Dans une tribune publiée par le Monde, François Roger Gauthier évoque les séparatismes au sein du système éducatif. Il y voit, en partie au moins une source des “inégalités instituées” de et par l’école, c’est-à-dire celles que l’organisation du système scolaire impose (niveaux, disciplines, types d’enseignements etc.…). La place prise par le numérique dans la société s’inscrit aussi dans ce questionnement en particulier entre les différentes visions de la place des moyens numériques dans le système scolaire. Car à l’inverse du système scolaire, les moyens numériques concernent toute la population et effacent, au moins sur le principe, tous les séparatismes, si l’on s’en tient à la vision initiale d’Internet comme l’a montrée Fred Turner dans son ouvrage “aux sources de l’utopie numérique” (C&F éditions 2012). Dans le monde numérique et en particulier Internet, les séparatismes et les inégalités sont renvoyées principalement aux usagers eux-mêmes, dans une logique néolibérale que n’avaient pas envisagée la plupart de leurs promoteurs.
Des inégalités systémiques, même avec le numérique
La publication du numéro 55 | 2024 de la revue “Recherches en éducation” intitulée “Être élève, être enseignant à l’ère numérique : entre avancées égalitaires et inégalités nouvelles” (Agnès Grimault-Leprince, Sophie Joffredo-Le Brun et Pascal Plantard (dir.)) est une occasion renouvelée d’évoquer la question de la forme scolaire face aux technologies en particulier numériques mais aussi les inégalités constatées et envisagées à l’avenir. C’est aussi l’occasion d’interroger les séparatismes et autres divisions qui apparaissent aussi dans cet univers, à commencer par les enseignants eux-mêmes et en continuant à propos des technologies elles-mêmes qui se révèlent elles aussi génératrices d’inégalités appelées par ailleurs vulnérabilités ou encore fragilités. Car à rechercher la source des inégalités, on ne peut se limiter à un seul champ d’analyse si l’on ne considère pas l’ensemble de la société, son fonctionnement.
Des objectifs, des rêves et des réalités
Rappelons ici que l’école dans une volonté perpétuellement affirmée de réduire les inégalités ne parvient plus à atteindre les objectifs souhaités même si elle a largement contribué et continue encore de le faire dans de nombreux pays à éviter des dérives inégalitaires insupportables. À la recherche de l’égalité, certains proposent l’uniformité, ou pour le dire autrement, un formatage mental que l’éducation serait censée permettre (ce que l’histoire dément). Le mythe d’Internet et plus généralement de l’informatique a toujours un écho dans certaines catégories d’acteurs du système éducatif et de la société en général. Derrière cet engouement d’une partie de la population, les éducateurs en particulier, il y a aussi un rêve de réduction des inégalités qui les motive : en classe, certains élèves se révèlent davantage dans l’utilisation des moyens numériques que dans les écrits papiers et autres manuscrits. Cette impression, souvent le fait de l’attirance pour la nouveauté, ne doit pas faire baisser les bras, dès lors que les élèves sont entrés dans des routines scolaires fondées sur le numérique et ont alors une motivation qui s’estompe voire disparaît.
Un remplacement à envisager ?
Une piste actuelle est présentée par les tenants de l’Intelligence Artificielles adaptative : ce que les enseignants ne peuvent faire, les moyens numériques peuvent, au moins les y aider et certains parlent même de s’y substituer au moins partiellement. Le point de départ de cette hypothèse est d’abord la difficulté qu’ont tous les enseignants à suivre chaque élève de manière séparée et précise. En effet, devant 20 à 40 élèves, pour peu qu’ils n’aient cours avec vous que trois heures par semaines, il est très difficile de connaître chacun dans son parcours de développement cognitif. Même pour un enseignant d’école primaire qui voit longuement les enfants au cours de la semaine et de l’année, cela peut s’avérer difficile (même si, comme on le constate, ils parviennent à une très bonne connaissance du développement de l’enfant). Face à ces difficultés, mais aussi parce que les modèles d’évaluations se transforment (passage des notes aux compétences en particulier), l’émergence de moyens “automatiques” de suivi peut permettre aux enseignants de dépasser, partiellement, cette forme de cécité à laquelle ils sont confrontés.
Ce que ne peut l’école !
Mythe ou réalité ? Ni l’un ni l’autre, car le sujet de l’inégalité est complexe (au sens employé par Edgar Morin). D’une part, une société et des cultures envahies par l’emprise des moyens numériques et de leurs usages, d’autre part, des développements technologiques qui peuvent apporter des aides significatives dans des situations inégalitaires. Le premier exemple, le plus facile, consiste à évoquer les aides apportées aux handicaps sensoriels et moteurs. Le plus difficile est celui des aides aux difficultés cognitives. Or ces dernières demandent d’abord à être mieux comprises, connues, ce qui est encore loin d’être le cas, malgré certains propos de scientifiques dont le travail se heurte le plus souvent à la réalité contextuelle des situations de vie, à domicile, en classe, au travail, etc… Ce que peut l’école, si l’on revient à la référence aux différents séparatismes évoqués plus haut, semble aujourd’hui un propos incantatoire. Si l’on écoute le discours des zélateurs des intelligences artificielles, on peut penser que cela ouvre des perspectives. Mais les deux références doivent s’interroger mutuellement. Les annonces d’un précédent ministre de l’Éducation devenu depuis Premier ministre à propos de l’IA et du projet MIA ne doivent pas faire illusion. C’est l’ensemble de la société qui est inégalitaire, il est nécessaire que chacune et chacun en prenne conscience et que l’on évite cette lourde tendance du moment qui vise au repli sur soi, sur son territoire et qui argumente contre le territoire des autres ! A l’école, comme dans les quartiers ou au travail, c’est une transformation profonde qui devrait s’engager, nous en sommes loin. On pourra écouter les propos d’Asma Mhalla qui nous invitent à une pensée autre…(cf une récente chronique).
Bruno Devauchelle
Le numérique, source d’inégalités ? « Trop focalisé sur l’objet technique et pas assez sur les usages et les contenus, le monde scolaire n’a pas mesuré combien l’informatique était la source de nouvelles inégalités », écrit Bruno Devauchelle. « Dans le monde numérique et en particulier Internet, les séparatismes et les inégalités sont renvoyés principalement aux usagers eux-mêmes, dans une logique néolibérale que n’avaient pas envisagée la plupart de leurs promoteurs ».
Les polémiques actuelles autour des groupes de niveaux renvoient en réalité à deux questions : d’une part la différenciation, d’autre part les inégalités. Pour cette deuxième question, la récurrence du thème est inquiétante si on l’examine sur la durée. Alors que tous les responsables politiques ont déclaré lutter contre les inégalités en s’appuyant sur le monde scolaire, aucune des actions menées n’a endigué le phénomène qui laisse entre 10% et 20% (selon les points de vue) de côté. L’émergence de l’informatique au début des années 1980 dans le monde scolaire, mais dès les années 1960 dans le monde professionnel a pourtant été le signal d’une transformation importante du rapport à l’information et donc de l’accès aux connaissances. Trop focalisé sur l’objet technique et pas assez sur les usages et les contenus, le monde scolaire n’a pas mesuré combien l’informatique était la source de nouvelles inégalités.
Séparatisme au cœur des inégalités ?
Dans une tribune publiée par le Monde, François Roger Gauthier évoque les séparatismes au sein du système éducatif. Il y voit, en partie au moins une source des “inégalités instituées” de et par l’école, c’est-à-dire celles que l’organisation du système scolaire impose (niveaux, disciplines, types d’enseignements etc.…). La place prise par le numérique dans la société s’inscrit aussi dans ce questionnement en particulier entre les différentes visions de la place des moyens numériques dans le système scolaire. Car à l’inverse du système scolaire, les moyens numériques concernent toute la population et effacent, au moins sur le principe, tous les séparatismes, si l’on s’en tient à la vision initiale d’Internet comme l’a montrée Fred Turner dans son ouvrage “aux sources de l’utopie numérique” (C&F éditions 2012). Dans le monde numérique et en particulier Internet, les séparatismes et les inégalités sont renvoyées principalement aux usagers eux-mêmes, dans une logique néolibérale que n’avaient pas envisagée la plupart de leurs promoteurs.
Des inégalités systémiques, même avec le numérique
La publication du numéro 55 | 2024 de la revue “Recherches en éducation” intitulée “Être élève, être enseignant à l’ère numérique : entre avancées égalitaires et inégalités nouvelles” (Agnès Grimault-Leprince, Sophie Joffredo-Le Brun et Pascal Plantard (dir.)) est une occasion renouvelée d’évoquer la question de la forme scolaire face aux technologies en particulier numériques mais aussi les inégalités constatées et envisagées à l’avenir. C’est aussi l’occasion d’interroger les séparatismes et autres divisions qui apparaissent aussi dans cet univers, à commencer par les enseignants eux-mêmes et en continuant à propos des technologies elles-mêmes qui se révèlent elles aussi génératrices d’inégalités appelées par ailleurs vulnérabilités ou encore fragilités. Car à rechercher la source des inégalités, on ne peut se limiter à un seul champ d’analyse si l’on ne considère pas l’ensemble de la société, son fonctionnement.
Des objectifs, des rêves et des réalités
Rappelons ici que l’école dans une volonté perpétuellement affirmée de réduire les inégalités ne parvient plus à atteindre les objectifs souhaités même si elle a largement contribué et continue encore de le faire dans de nombreux pays à éviter des dérives inégalitaires insupportables. À la recherche de l’égalité, certains proposent l’uniformité, ou pour le dire autrement, un formatage mental que l’éducation serait censée permettre (ce que l’histoire dément). Le mythe d’Internet et plus généralement de l’informatique a toujours un écho dans certaines catégories d’acteurs du système éducatif et de la société en général. Derrière cet engouement d’une partie de la population, les éducateurs en particulier, il y a aussi un rêve de réduction des inégalités qui les motive : en classe, certains élèves se révèlent davantage dans l’utilisation des moyens numériques que dans les écrits papiers et autres manuscrits. Cette impression, souvent le fait de l’attirance pour la nouveauté, ne doit pas faire baisser les bras, dès lors que les élèves sont entrés dans des routines scolaires fondées sur le numérique et ont alors une motivation qui s’estompe voire disparaît.
Un remplacement à envisager ?
Une piste actuelle est présentée par les tenants de l’Intelligence Artificielles adaptative : ce que les enseignants ne peuvent faire, les moyens numériques peuvent, au moins les y aider et certains parlent même de s’y substituer au moins partiellement. Le point de départ de cette hypothèse est d’abord la difficulté qu’ont tous les enseignants à suivre chaque élève de manière séparée et précise. En effet, devant 20 à 40 élèves, pour peu qu’ils n’aient cours avec vous que trois heures par semaines, il est très difficile de connaître chacun dans son parcours de développement cognitif. Même pour un enseignant d’école primaire qui voit longuement les enfants au cours de la semaine et de l’année, cela peut s’avérer difficile (même si, comme on le constate, ils parviennent à une très bonne connaissance du développement de l’enfant). Face à ces difficultés, mais aussi parce que les modèles d’évaluations se transforment (passage des notes aux compétences en particulier), l’émergence de moyens “automatiques” de suivi peut permettre aux enseignants de dépasser, partiellement, cette forme de cécité à laquelle ils sont confrontés.
Ce que ne peut l’école !
Mythe ou réalité ? Ni l’un ni l’autre, car le sujet de l’inégalité est complexe (au sens employé par Edgar Morin). D’une part, une société et des cultures envahies par l’emprise des moyens numériques et de leurs usages, d’autre part, des développements technologiques qui peuvent apporter des aides significatives dans des situations inégalitaires. Le premier exemple, le plus facile, consiste à évoquer les aides apportées aux handicaps sensoriels et moteurs. Le plus difficile est celui des aides aux difficultés cognitives. Or ces dernières demandent d’abord à être mieux comprises, connues, ce qui est encore loin d’être le cas, malgré certains propos de scientifiques dont le travail se heurte le plus souvent à la réalité contextuelle des situations de vie, à domicile, en classe, au travail, etc… Ce que peut l’école, si l’on revient à la référence aux différents séparatismes évoqués plus haut, semble aujourd’hui un propos incantatoire. Si l’on écoute le discours des zélateurs des intelligences artificielles, on peut penser que cela ouvre des perspectives. Mais les deux références doivent s’interroger mutuellement. Les annonces d’un précédent ministre de l’Éducation devenu depuis Premier ministre à propos de l’IA et du projet MIA ne doivent pas faire illusion. C’est l’ensemble de la société qui est inégalitaire, il est nécessaire que chacune et chacun en prenne conscience et que l’on évite cette lourde tendance du moment qui vise au repli sur soi, sur son territoire et qui argumente contre le territoire des autres ! A l’école, comme dans les quartiers ou au travail, c’est une transformation profonde qui devrait s’engager, nous en sommes loin. On pourra écouter les propos d’Asma Mhalla qui nous invitent à une pensée autre…(cf une récente chronique).
Bruno Devauchelle
Venant du "Café pédagogique" et de Bruno Devauchelle en particulier, il faut se pincer !Trop focalisé sur l’objet technique et pas assez sur les usages et les contenus, le monde scolaire n’a pas mesuré combien l’informatique était la source de nouvelles inégalités », écrit Bruno Devauchelle. « Dans le monde numérique et en particulier Internet, les séparatismes et les inégalités sont renvoyés principalement aux usagers eux-mêmes, dans une logique néolibérale que n’avaient pas envisagée la plupart de leurs promoteurs ».
Pour le reste, bien malin qui comprend quelque chose à ces circonlocutions incohérentes.
Dernière édition: 17 Mar 2024 19:21 par Loys.
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