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"La twittclasse vire au clash" (OWNI)
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On aurait bien aimé que le niveau des élèves ou les objectifs pédagogiques soient précisés. Parce que "être la première twittclasse de la Haute-Savoie", c'est assez maigre.La twittclasse vire au clash
Aurélie et ses petits élèves étaient très contents d'être la première twittclasse de la Haute-Savoie.
Il faut ouvrir une cellule psychologique ou dresser une chapelle ardente. Heureusement ce scandale est dénoncé.Ils le sont un peu moins d'être la première interdite, après un volte-face de la hiérarchie sur fond officiel de paranoïa sécuritaire.
Une catastrophe nationale, donc.En Haute-Savoie, la première twittclasse du département a dû fermer sa timeline fin septembre, peu de temps après son ouverture, un rétropédalage qui semble inédit.
Comme quoi Internet n'est pas diabolisé par l'école...Il existe actuellement plus de 200 twittclasses en France qui fonctionnent sans problème, en accord avec leur hiérarchie.
Sans qu'on ait aucune idée des résultats de ces "expérimentations" hasardeuses... Nous avons déjà parlé des innovations courageuses de Laurence Juin ici .Il est fini le temps des expérimentations audacieuses de la pugnace Laurence Juin, la première à avoir utilisé le site de micro-blogging Twitter dans un cadre pédagogique en France.
La procédure peut sembler lourde, mais la maison Éducation nationale fonctionne ainsi...[/quote]Le Centre national de documentation pédagogique donne même la marche à suivre.
Un lien vers YouPorn ou des insultes auraient-ils atterri dessus ? Rien de tout cela. Dès le début, tout a été fait dans les règles, nous a expliqué Aurélie, la jeune institutrice de La Roche-sur-Foron à l’origine de l’initiative ]Pour préparer le terrain, j’ai pris contact avec ma conseillère pédagogique en juin, pour savoir à qui m’adresser et quel projet fournir. Je me suis aussi renseignée auprès de collègues ayant des twittclasses pour savoir la procédure qu’ils avaient suivie. Puis, nous avons attendu les recommandations du chargé TICE1 du recteur de mon académie. Après ce feu vert hiérarchique, la réponse de mon inspectrice de l’Éducation nationale (IEN) a vite été positive.
C'est vrai, il ne s'agit que de l'éducation des enfants, après tout.
Un avis à ce sujet ? On serait curieux de l'entendre.... a fortiori quand il s’agit d’Internet, souffre-douleur d’une partie du corps enseignant, lassé des copié-collé Wikipedia
...pourtant une garantie de réussite scolaire...et fermé aux charmes des liens faibles de Facebook...
Mais non, ça n'existe pas, voyons. Mais au fait, concernant Facebook, n'y aurait-il pas aussi la promotion de l'illusion narcissique, l'addiction aux écrans, la participation à un réseau social à caractère commercial, l'absence de modération et d'autres petites choses embêtantes ?...ce pourvoyeur de cyber-harcèlement.
A quel âge, on ne le saura pas. Rappelons que pour Facebook on ne peut ouvrir un compte avant treize ans.Les premiers pas sur le réseau social se font sans souci, en respectant bien des règles pour éviter des dérapages : les élèves ne possèdent pas le mot de passe – qui n’est pas la date de naissance d’Aurélie… -, ils ont pour l’instant accès au compte via un projecteur, et plus encore,“ils ne tweetaient quasiment jamais en temps réel par manque de matériel en classe, nous enregistrions tous les messages dans des documents OpenOffice, puis ils étaient copiés-collés dans Twitter”, souligne Aurélie. Difficile de contrôler davantage. Certains parents s’y mettent même puisque cinq élèves créent un compte dans la foulée, précise-t-elle.
Le même rectorat qui avait donné son accord peu avant. La suspension sera transformée en arrêt total, pour des questions de sécurité. [/quote]Bug Facebook cache-crasse technique
Et puis patatras, l’expérience est suspendue ]J’ai reçu l’ordre de cesser temporairement de tweeter avec la classe, au prétexte initial du pseudo-bug Facebook, et en attendant un avis des services juridiques… du Rectorat.
Je comprends l'agacement de la collègue, ce genre de revirement arrive fréquemment, et pas seulement au sujet d'Internet et pas seulement dans l’Éducation nationale. De là à faire la matière d'un article de presse... Mais à la lecture de l'article on comprend que c'est un crime de lèse-Internet !
Jusqu’à nouvel ordre, les twittclasses sont désormais interdites dans le département. Et le nouvel ordre, c’est donc des conditions de sécurité satisfaisantes. On en conclut que l’Éducation nationale devra héberger des serveurs de Twitter.[/quote]Contactée, l’inspectrice de l’Éducation Marie-Françoise Casanova nous a expliqué ]Les serveurs de Twitter sont à l’extérieur et l’entreprise n’a pas de convention avec l’Éducation nationale. Le projet n’a pas été autorisé, il l’était au début. D’autres logiciels qui ne respectent pas les conventions de sécurité sont interdits, ça n’a rien à voir avec Twitter. J’avais juste donné un avis pédagogique, le projet était, est toujours intéressant. La sécurité est la seule raison.
C'est pourtant une question qui pourrait intéresser OWNI, le fait que les serveurs des réseaux sociaux échappent à tout contrôle. Ce qu'aurait pu en conclure Sabine Blanc, c'est qu'il aurait fallu utiliser des réseaux sociaux différents, libres par exemple.
Heu... Je vais reciter l'article lui-même : "Il existe actuellement plus de 200 twittclasses en France qui fonctionnent sans problème, en accord avec leur hiérarchie." ou bien "J’avais juste donné un avis pédagogique, le projet était, est toujours intéressant."Internet, c’est le mal
Dans quelle école Stéphanie de Vanssay enseigne-t-elle ?Dans le petit milieu des professeurs qui les Internets, la décision parait absurde. Stéphanie de Vanssay, contributrice d’Elab (laboratoire-éducation-numérique), s’emporte...
Comme je le disais, dans les commentaires de l'article : c’est vrai qu’ils auraient pu participer au sympathique hashtag #unbonjuif. C’est vrai aussi que, les adolescents passant en moyenne 5 heures par jour devant un écran, il est urgent de ne pas les en couper en classe et de les habituer dès le plus jeune âge, en maternelle ou en primaire, à participer à des réseaux à caractère publicitaire comme Facebook ou Twitter.“Je suis outrée de cette fermeture sous de faux prétextes, c’est emblématique de la défiance généralisée de la hiérarchie envers les enseignants et d’une grave méconnaissance de tout ce que peut apporter le web à notre enseignement et à nos élèves.”
La fermeture, pas bien. L'ouverture, bien.François Meroth, le président de l’association des Amis et défenseurs de l’école publique (ADEP), basée en Haute-Savoie, y voit un “décalage entre le discours affiché, avec la volonté affirmée d’ouvrir l’école et les politiques locales fermées.”
C'est impossible, puisque "Internet c'est le mal" !Le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon vient en effet de remettre sa feuille de route quinquennale pour refonder l’école en 10 points. Et “L’école et les nouvelles technologies” occupent le 8erang :
Une formalité.Les nouvelles technologies devront être utilisées comme “un levier de changement, d’ouverture“. Pour réussir le déploiement de l’e-éducation, le président de la République a demandé que les établissements soient équipés des matériels, ressources et réseaux nécessaires.
Quel scandale ! Comment l'institution scolaire ose-t-elle ne pas dérouler le tapis rouge devant le grand pédagogiste Pierre Frackowiak, IA-IPR honoraire, compagnon de route du Sgen et du SE-UNSA, le syndicat de Stéphanie de Vanssay ? M. Frackowiak a été profondément vexé et a promis de diffuser cette information : c'est chose faite !Bisbilles microcosmiques
On comprend d’autant plus l’agacement de François Méroth en se penchant sur la presse locale. La sécurité n’a peut-être rien à voir là-dedans, mais plus des enjeux de pouvoir microcosmiques. Le Dauphiné libéré relate dans un article surtitré “la seule classe Twitter du département, qu’il devait visiter, a été suspendue” :
Pierre Frackowiak, pédagogue et toute une carrière passée au sein de l’Éducation nationale, était invité par l’association des Amis et défenseurs de l’école publique (ADEP) pour s’exprimer devant le public, vendredi à La Roche-sur-Foron. Avant cela, il devait rendre visite à la seule classe Twitter du département située dans la même ville. Il n’en a pas reçu l’autorisation.
Les élèves vont-ils survivre à leur "twittclasse interdite" ? Et Pierre Frackowiak à l'insoutenable censure de ses visites de propagande ?Quoi qu’il en soit, Aurélie et ses petits élèves peuvent se consoler en lisant les messages de soutien sur Twitter, qui eux circulent librement ] www.laviemoderne.net/images/forum_pics/2...0121019%20tweets.JPG [/img]
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- Loys
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Oui, mais je ne suis pas un enfant de six ans. Et critiquer l'addiction aux écrans n'est pas critiquer les écrans en soi.Vous devriez faire attention, vous avez dû vous mettre devant un écran pour taper votre commentaire.
Ça embête beaucoup de gens qui veulent me taxer de réactionnaire anti-numérique, en effet...De même pour alimenter votre blog, pourrir le web, etc.
De fait je conçois mon blog et son design moi-même, je l'héberge moi-même (contrairement à la plupart des blogs), je dessine avec une tablette graphique, je modère un forum etc... Parce que précisément je veux conserver le contrôle sur le medium que j'utilise.
Pour la diabolisation d'internet, ne serait-ce pas un mythe ? A ce sujet, par exemple, notre article sur la rentrée 2012 : "Marronniers numériques" .Vous devriez lire ce superbe article d’Eric Scherer, “La plume est une vierge, l’imprimerie une putain”, qui remet en perspective la diabolisation d’Internet en faisant le parallèle avec le rejet de l’imprimerie à ses débuts.
L'article en question dit beaucoup de bêtises : il mérite quelques commentaires.Le tout avec force citations de Grands Auteurs et une citation en latin, ce qui devrait vous plaire, vous qui avez fait vos humanités.
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- Loys
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C'est vrai que la diabolisation est probante, comme le montrent la revue de presse ou les directives ministérielles évoquées un peu plus haut ...La plume est une vierge, l’imprimerie une putain
[...] Le mouvement classique de Contre-Réforme, qui tente de diaboliser l’Internet, prend de l’ampleur en ce moment dans bien des couches des institutions de la société, y compris dans les médias traditionnels. Rien de nouveau, quand il s’agit de révolution !
On retrouve dans cet article toujours la même tarte à la crème comparant l'avènement du numérique au passage à l'imprimerie.
C'est curieux car l’Église a plutôt vu immédiatement le profit à tirer de l'imprimerie. Le premier texte imprimé par Gutenberg fut d'ailleurs la fameuse bible à quarante-deux lignes. Le cardinal de Kues soutint le développement de l’imprimerie allemande afin de diffuser les textes liturgiques dans une forme unifiée.« Est virgo hec penna, meretrix est stampificata », écrivait à Venise au 15ème siècle, le dominicain Filippo della Strada, condamnant sans appel l’imprimerie, dans « une argumentation partagée par une large partie du Sénat et de la cité ».
Il est vrai que la Sorbonne a demandé en 1533 l'abolition de l'imprimerie à François Ier (sans l'obtenir finalement) mais c'était de l'inquiétude de voir les écrits protestants se répandre avec tant de facilité. Mais il faut aussi rappeler que la première imprimerie française a été celle de la Sorbonne, en 1470 (fondé par Jean de La Pierre et Guillaume Fichet).
Bref un mythe moderne, Internet diabolisé par la société actuelle (et l'école), qui s'appuie - par une analogie grossière et fautive - sur un autre mythe, ancien celui-là, l'imprimerie diabolisée par l’Église.
C'est pour son impertinence qu'on aime Arte. Ou OWNI.C’était aussi, hier soir, grosso modo, le message de l’émission d’Arte « Main basse sur l’info ». Pierre Haski (Rue89) dénonce ce matin l’imposture du « procès d’Internet qui casse tout », sur une chaîne, pourtant souvent en pointe sur le web.
Donc toute critique d'Internet s'apparente à la Contre-Réforme. Il ne faut peut-être pas s'en formaliser, vu les chefs-d’œuvre baroques qu'elle nous a laissés.Car le mouvement classique de Contre-Réforme, qui tente de diaboliser l’Internet, prend de l’ampleur en ce moment dans bien des couches des institutions de la société, y compris dans les médias traditionnels.
Donc Luther et le numérique, même combat ?Rien de nouveau, quand il s’agit de révolution ! Pensons à Luther contre le Vatican, ou à la Chouannerie.
On comprend la réaction de ce dominicain vénitien qui était aussi calligraphe, mais ses paroles n'engagent que lui. Je cite pour ma part Guy Bechtel, spécialiste de Gutenberg, qui n'évoque pas les réactions isolées comme celles de Filippo della Strada : l’Église a été dès le début de l'imprimerie "non seulement le principal client, mais même le principal fournisseur intellectuel des imprimeurs"...Mais cette réaction a souvent existé dans notre secteur. Revenons donc à notre dominicain :
Eh oui car l'école du XXIe siècle a évidemment le même objectif que l’Église au XVe siècle : conserver le savoir à tout prix et surtout ne pas le transmettre aux élèves !« Pour lui, écrit Roger Chartier dans « L’Histoire du Monde du XVème siècle » (1), l’imprimerie est plusieurs fois coupable : elle corrompt les textes, mis en circulation dans des éditions hâtives et fautives, composées pour le seul profit; elle corrompt les esprits en diffusant des textes immoraux et hétérodoxes, soustraits au contrôle des autorités ecclésiastiques; elle corrompt le savoir lui-même, avili par sa divulgation auprès des ignorants ».
Cela ne vous rappelle rien ?
C'est pourquoi les moines-copistes ont recopié des milliers d'ouvrages à la main pendant des centaines d'années et constitué les grandes bibliothèques monastiques : pour empêcher - à la sueur de leur front - la dissémination du savoir.Continuons la description de l’arrivée de l’imprimerie, destinée aux non-doctes (extraits du même remarquable ouvrage) :
« A plus long terme, la résistance de la publication manuscrite, certes minoritaire mais néanmoins robuste, se lie à la représentation durable et largement communes aux élites sociales et intellectuelles, qui identifie la dissémination du savoir à sa profanation.
Curieux, pour une religion du Livre...Le partage de la capacité à lire et à écrire et la multiplication des livres imprimés sont sources de désarroi pour les clercs, ecclésiastiques ou laïques, qui entendent monopoliser la publication ou l’interprétation des textes”.
L'invention de l'imprimerie a surtout été un soulagement pour les moines-copistes, enfin déchargés de ce pensum.
Un raccourci intellectuel étrange au passage : la diffusion s'apparente au "partage de la capacité à lire et à écrire". Cette page de sanskrit , par exemple, disponible en ligne, est accessible à tout le monde.
Où l'on retrouve la curieuse notion de savoir disponible .
Si la multiplication des livres est source de désarroi plus que de savoir, ce n'est donc pas un rejet de l'imprimé en tant que tel. C'est ici l'expression d'un regret que je pourrais reprendre à mon compte : une solide formation de l'esprit est nécessaire pour profiter du numérique.(…) « Mais nombre de textes aussi constatent que la multiplication des livres est source de désarroi plus que de savoir, dénoncent la méprisable condition des imprimeurs gyrovagues, ou attribuent la dégradation des textes à l’ignorance des typographes ou à celle de lecteurs incapables de comprendre les œuvres auxquelles l’imprimerie leur a donné accès ».
En bonne logique et connaissance de cette fin du Moyen-âge, la production de l'imprimé aurait dû décoller en un an. Sur le modèle du lancement de l'iPad...(…) « C’est pourquoi la production de nouveaux manuscrits augmenta jusqu’en 1470 et la production imprimée décolla tardivement, 20 ans après l’invention de la nouvelle technique ».
Avec la révolution industrielle Flaubert a surtout vécu la première vraie période de démocratisation du livre que n'a jamais été la Renaissance. Lire Madame Bovary, c'est justement comprendre ce que produisent les romans sur un esprit manquant de maturité. Mais Flaubert est sans doute un idiot... La vraie révolution qui a donné un accès démocratique au livre, c'est l'école obligatoire à la fin du XIXe siècle.Au 19ème siècle, même les plus grands étaient hostiles aux changements : « Prends garde ! Tu es sur une pente ! Tu as déjà abandonné les plumes d’oies pour les plumes de fer, ce qui est le fait d’une âme faible », écrivait Flaubert, en 1865, à son ami, Maxime du Camp.
Parce qu'il aurait dû imprimer chez lui ?!!Et Victor Hugo, comme Alexandre Dumas fils, se servit, jusqu’à sa mort, de la plume d’oie, « celle qui a la légèreté du vent et la puissance de la foudre ».
Rémy de Gourmont avait prophétisé Google books !Plus près de nous, en 1900, l’écrivain Rémy de Gourmont, se pose toujours des questions sur l’imprimerie, et entrevoit déjà un monde nouveau:
“Jusqu’ici, et je reprends l’allusion au rôle conservateur de la civilisation moderne, l’imprimerie a protégé les écrivains contre la destruction, mais le rôle sérieux de l’imprimerie ne porte encore que sur quatre siècles. Cette invention lointaine apparaîtra un jour telle que contemporaine à la fois de Rabelais et de Victor Hugo. Quand il se sera écoulé entre nous et un moment donné du futur un temps égal à celui qui nous sépare de la naissance d’Eschyle, dans deux mille trois cent soixante-quinze ans, quelle influence l’imprimerie aura-t-elle eue sur la conservation des livres ? Peut-être aucune”.
Grâce à Internet, il n'y aura plus aucune sélection : tout le monde sera lu par tout le monde !(…)« Il n’est pas probable que de la littérature française du Moyen Âge beaucoup plus de la centième partie ait survécu aux changements de la mode. Presque tout le théâtre a disparu. Le nombre des auteurs devait être immense en un temps où l’écrivain était son propre éditeur, le poète son propre récitateur, le dramaturge son propre acteur. En un certain sens, l’imprimerie fut un obstacle aux lettres ; elle opérait une sélection et jetait le mépris sur les écrits qui n’avaient pu parvenir à passer sous la presse. Cette situation dure encore, mais atténuée par le bas prix de la typographie mécanique.
Jolie citation.L’invention dont on nous menace, d’un appareil à imprimer chez soi, multiplierait par trois ou quatre le nombre des livres nouveaux ; et nous retrouverions les conditions du Moyen Âge : tous ceux qui ont quelques lettres – et d’autres, comme maintenant – oseraient la petite élucubration qu’on glisse à ses amis avant de l’offrir au public. Tout progrès finit par se nier lui-même ; arrivé à son maximum d’expansion, il tend à rétablir l’état primitif auquel il s’était substitué. »
La caricature, rien de mieux pour débattre sereinement. Tout critique du numérique est un obscurantiste...Aujourd’hui, le message est assez simple : l’Internet c’est le lynchage, le piratage, le complot. Le lynchage, le piratage, le complot, c’est mal. Donc, l’Internet c’est mal !
Et ça continue...Il faut refaire rentrer le génie dans la bouteille ! Un objectif, qui, sous couvert de désir de régulation, cache souvent un mouvement réactionnaire...
... qui constate surtout que la reproduction sociale n'a jamais été aussi marquée qu'aujourd'hui où l'école ne remplit plus son rôle, aidée en cela par le numérique et d'autres facteurs aussi importants....qui n’apprécie guère la perte du magistère de la parole et la prise de contrôle des outils de production et de distribution des anciennes élites (politiques, économiques, sociales, médiatiques).
Un médecin, un professeur... un journaliste : voilà la parole verticale qu'il faut bannir !Mais le monde a changé.
Les dirigeants de l’institut d’opinion Giacometti Péron & Associés le décrivaient hier ( Le Monde daté du 10 février):
« Les tribus, communautés, groupes et autres réseaux créent de volatiles solidarités qui s’agrègent et se recomposent, consacrées par Internet et les formes de sociabilité du Web 2.0. Sphères privées ou publiques, les espaces se confondent. Les émetteurs et les relais sont concurrencés, les messages sont commentés, discutés, décortiqués et parfois décomposés.
Avec son cortège de certitudes ébranlées, la crise économique du nouveau siècle n’a fait que renforcer la méfiance envers toute parole verticale ».
Pas à la Renaissance...Encore une fois, l’imprimerie a permis au public de lire...
Tout le monde peut écrire, mais bien peu sont lus......et Internet lui permet aujourd’hui d’écrire, de prendre la parole, de s’organiser.
Mais virtuelle.C’est aussi un mouvement de démocratisation.
En Chine, Internet n'est jamais censuré et ne sert aucun objectif de propagande, avec ses milliers de posteurs salariés. En Iran, il y a même un second Internet officiel contrôlé par l'Etat ... pas de doute : la démocratisation est en marche !On le vante pour l’Iran ou la Chine, moins chez nous !
"Chaque lecteur", certes. Mais les lettrés étaient bien peu nombreux alors.Je ne me lasse pas de la description du bouleversement causé par l’arrivée de l’imprimerie il y a 500 ans, et continue à citer Roger Chartier, qui, dans son chapitre intitulé « L’ordre des livres » peint « une nouvelle culture écrite » qui « a répondu aux attentes »:
“Avec l’invention de Gutenberg, plus de textes sont mis en circulation et chaque lecteur peut en lire un plus grand nombre.
On parle toujours de la Renaissance ?Assurant la reproduction et la dissémination de l’écrit à une échelle inconnue au temps de la copie à la main, l’imprimerie a répondu aux attentes….”
« (…) l’invention de Gutenberg n’a pas transformé seulement la production livresque. Elle a également, ou peut être surtout, provoqué de profondes mutations dans la culture écrite, saisie dans son ensemble.
(…) l’écriture s’empare des murs, se donne à lire dans les espaces publics, transforme les pratiques administratives et commerciales.
La production manuscrite offrait surtout des avantages perdus par l'imprimé : la personnalisation sur commande, la calligraphie, la couleur, les miniatures et enluminures, la qualité du papier etc.(…) les lecteurs du passé, en particulier les lecteurs lettrés, se sont souvent emparés des ouvrages sortis des presses en corrigeant à la plume les erreurs qu’ils y trouvaient, en établissant les indices ou les errata qui leur étaient utiles, et en les annotant dans les marges ».
Chartier montre aussi le « mépris de l’imprimé et publication manuscrite » :« Pas plus au 15ème siècle qu’au siècles suivants, l’invention de Gutenberg n’a fait disparaitre la publication manuscrite. Sa survie doit être comprise, en premier lieu, comme un effet durable de la dépréciation du texte imprimé et de l’attachement au livre copié à la main. (même si) la nouvelle technique réduit drastiquement la durée et le coût de reproduction des textes. »
Voilà qui n'a rien d'étonnant puisque l'imprimerie est une invention technique tirée de l'ingénierie médiévale.Mais attention, si « la seconde moitié du XVè siècle a été pour le livre un temps d’hésitations et d’expériences, caractérisé par de multiples échanges entre les 3 supports des textes hérités ou inventés (…) seulement 5% des imprimeurs en activité avant 1500 avaient été auparavant copistes de manuscrits ».
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- Loys
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On ne peut que regretter ce parallélisme non seulement simpliste mais totalement erroné. D'autant que Sabine Blanc a un regard beaucoup plus lucide, plus pertinent et plus critique sur la marchandisation de l'école quand il s'agit de Microsoft .
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Loys écrit:
On parle toujours de la Renaissance ?Assurant la reproduction et la dissémination de l’écrit à une échelle inconnue au temps de la copie à la main, l’imprimerie a répondu aux attentes….”
« (…) l’invention de Gutenberg n’a pas transformé seulement la production livresque. Elle a également, ou peut être surtout, provoqué de profondes mutations dans la culture écrite, saisie dans son ensemble.
(…) l’écriture s’empare des murs, se donne à lire dans les espaces publics, transforme les pratiques administratives et commerciales.
Oui. Si tu as raison de pointer l'anachronisme dans l'analogie invention de l'imprimerie / invention d'internet, je pense que tu tombes en réaction dans l'excès inverse. L'imprimerie de la renaissance, cela n'a pas été seulement un marché de luxe pour lettré enfermé dans sa bibliothèque. Oui les romans de Rabelais s'adressent à un public savant, mais Rabelais publie aussi des almanachs. La Réforme se diffuse grâce à l'imprimerie, en particulier via des libelles. La bible d'Olivietan est payé par les vallées vaudoises, avec pour objectif de faire entrer la parole sacrée dans chaque foyer (entendons : dans chaque grosse ferme). Regarde à quelle vitesse sont diffusée les lettres de controverse entre Luther, Bucer, Melanchton, Zwingli, Erasme : tout le monde ne peut pas les lire, mais les élites qui les lisent sont en contact direct avec le peuple.
Si on reprend le texte que tu cites et semble critiquer :
- "l’écriture s’empare des murs, se donne à lire dans les espaces publics" => Je ne sais pas si les placards de l'affaire du même nom étaient imprimés - Ah, et bien si, imprimés à Neuchâtel, merci le web. Cet affichage public, ce n'est pas une innovation radicale, les théologiens affichaient leurs idées dans la rue pour provoquer la controverse avec leurs collègues, mais dans l'affaire des placards, c'est toute la France qui est arrosée en une seule fois.
- "transforme les pratiques administratives et commerciales." => édit de Villers-Cotteret. On pourrait parler de transformation sociale, avec l'apparition d'ouvriers typographes : des ouvriers qui savent lire, c'est une révolution pour l'époque, et cela aura des conséquences sociales à long terme.
Donc pour moi, il y a une réelle analogie entre les deux époques. Le problème, c'est lorsque l'argument prend un tour moral, accumulant les éléments dépréciatifs faux pour forcer l'analogie, et lui adjoindre un tour moral.
A.
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- Loys
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Mais elle ne correspond en rien à la démocratisation revendiquée naïvement dans cet article et dans bien d'autres. Je continue d'affirmer que le livre est resté un objet de luxe jusqu'au XIXe siècle, même si sa diffusion s'est trouvée accrue par l'invention de l'imprimerie. Même imprimé, il reste cher. Il faut attendre le XIXe siècle et la mécanisation pour voir de nouvelles évolutions importantes dans l'imprimerie permettant de faire diminuer considérablement le prix de l'imprimé.Oui. Si tu as raison de pointer l'anachronisme dans l'analogie invention de l'imprimerie / invention d'internet, je pense que tu tombes en réaction dans l'excès inverse. L'imprimerie de la renaissance, cela n'a pas été seulement un marché de luxe pour lettré enfermé dans sa bibliothèque.
Quant au rôle libérateur et révolutionnaire supposé de l'imprimerie, je renvoie à Michelet, qui démontre bien qu'il s'agit d'une mythe, d'une construction rétrospective, car l'étude statistique des premiers textes imprimés prouve à quel point les écrits religieux traditionnels, voire scolastiques, furent longtemps prépondérants. C'est parce que la Bible fut imprimée et diffusée en masse qu'un retour aux évangiles fut possible et que la Réforme put naître au siècle suivant.
Les indulgences ont également été diffusées par dizaines de milliers grâce à l'imprimerie dès le XIVe siècle.Oui les romans de Rabelais s'adressent à un public savant, mais Rabelais publie aussi des almanachs. La Réforme se diffuse grâce à l'imprimerie, en particulier via des libelles.
Ne pas oublier qu'un dixième de la population seulement sait lire jusqu'à la fin du XVIe siècle. Il faut attendre le XIXe siècle pour que la moitié de la population sache lire en France. La vraie révolution démocratique de la lecture a donc eu lieu au XIXe siècle avec la mécanisation et l'alphabétisation.
Bien sûr que l'imprimerie a contribué peu à peu à la diffusion (relative) des idées. Mais à vrai dire elle a été l'arme autant de la Réforme que de la Contre-Réforme.La bible d'Olivietan est payé par les vallées vaudoises, avec pour objectif de faire entrer la parole sacrée dans chaque foyer (entendons : dans chaque grosse ferme). Regarde à quelle vitesse sont diffusée les lettres de controverse entre Luther, Bucer, Melanchton, Zwingli, Erasme : tout le monde ne peut pas les lire, mais les élites qui les lisent sont en contact direct avec le peuple.
Comme tu le dis, ce n'est qu'une question de degré de diffusion.Si on reprend le texte que tu cites et semble critiquer :
- "l’écriture s’empare des murs, se donne à lire dans les espaces publics" => Je ne sais pas si les placards de l'affaire du même nom étaient imprimés - Ah, et bien si, imprimés à Neuchâtel, merci le web. Cet affichage public, ce n'est pas une innovation radicale, les théologiens affichaient leurs idées dans la rue pour provoquer la controverse avec leurs collègues, mais dans l'affaire des placards, c'est toute la France qui est arrosée en une seule fois.
Quant à dire que l'écriture "s'empare des murs", s'il s'agit simplement de l'affaire des placards, c'est un peu exagéré, non ? L'écriture qui s'empare des murs, voilà qui évoque plutôt la fin du XIXe et le XXe siècle. Je renvoie à "Zone" d'Apollinaire, qui s'en émerveille.
Bien sûr, mais ce n'est pas une démocratisation du savoir. Ces ouvriers ne doivent pas être considérés comme des intellectuels et d'ailleurs ils n'écrivent pas.- "transforme les pratiques administratives et commerciales." => édit de Villers-Cotteret. On pourrait parler de transformation sociale, avec l'apparition d'ouvriers typographes : des ouvriers qui savent lire, c'est une révolution pour l'époque, et cela aura des conséquences sociales à long terme.
Pas pour moi. L'imprimerie, c'est une diffusion accrue de l'écrit et - longtemps après son invention - une redécouverte des textes antiques favorisant l'ébullition intellectuelle et l'éclosion de l'humanisme.Donc pour moi, il y a une réelle analogie entre les deux époques.
La révolution numérique n'est à son tour qu'une diffusion accrue de l'écrit qu'en apparence (en réalité une simple disponibilité en ligne de l'écrit) mais il s'agit d'une régression de l'écrit dans les usages.
La théorie de la diabolisation d'Internet est un bon moyen de disqualifier tout regard critique.Le problème, c'est lorsque l'argument prend un tour moral, accumulant les éléments dépréciatifs faux pour forcer l'analogie, et lui adjoindre un tour moral.
Pour moi, dans sa forme actuelle, la révolution numérique est tout sauf un humanisme. Alors oui, je force peut-être un peu le trait, mais nous sommes peu nombreux à réfléchir vraiment à cette révolution subie.
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Extrait :
Que dire d’autre à propos de cette lamentable affaire qui met à mal l’innovation numérique ? Il reste à espérer que ce cauchemar cesse au plus vite, que la professeure haut-savoyarde en question puisse très vite recommencer à travailler avec Twitter
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