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"Discerner le bon grain numérique de l’ivraie" (Cahiers pédagogiques)
- Loys
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Le destin d'Encarta (Microsoft), pulvérisé en quinze ans par Wikipédia, est pourtant un bon exemple de ce que le numérique peut ne pas avoir de vertueux : le tout-gratuit l'a emporté par K.-O. sur le processus éditorial. Pour le dire autrement, il y avait du bon grain, il ne reste plus que de l'ivraie.
Un projet qui ne peut que susciter l'approbation. Mais qu'en reste-t-il aujourd'hui ?Éditrice de formation, la pédagogie a très tôt donné une note particulière au parcours professionnel de Nathalie Colombier. « Petite main, main ouvrière puis chef de projet et directrice éditoriale », pour Encarta, elle s’est forgée pendant près de quinze ans les compétences d’une encyclopédiste « du XXIe siècle ». « Dans chaque pays, la version locale de l’encyclopédie Encarta était élaborée par une équipe éditoriale locale avec énormément de liberté éditoriale ». La direction qu’elle choisit pour différencier cette encyclopédie numérique des autres produits existants est celle de l’utilité pédagogique. Elle travaille avec des enseignants pour développer des usages en classe, dans le cadre des programmes de lettres, de sciences, d’histoire-géographie ou encore de langues. Les liens s’opèrent également avec les professeurs documentalistes puis avec les médias en particulier avec Le Monde, et même les éditeurs scolaires. Les deux dernières années sont consacrées à l’avènement d’une encyclopédie taillée pour les 8-13 ans, ciselée pour décrypter pour eux, avec des mots simples et accessibles mais pas simplificateurs, le monde si complexe qui est désormais le nôtre.
Le monopole actuel de Wikipédia ne laisse aucun espoir.L’expérience dure de 1996 à 2009, une époque récente où pourtant les tablettes n’existaient pas encore. Il en reste une envie encore inaccomplie, celle de recréer cette version « Junior » en travaillant avec des enseignants et leurs classes, en mode « Wikipédia » mais avec un comité éditorial et pédagogique.
Penser la complexité me semble bien difficile avant un certain âge. Le modèle de Wikipédia ( "Tout le monde peut participer" ) s'est (en partie) imposé, on le voit.Cette nouvelle version, destinée à aider les plus jeunes à comprendre le monde, serait aussi un moyen de découvrir comment on peut élaborer une publication écrite et multimédia sur des connaissances en cours de construction. « Les connaissances scientifiques sont en cours de structuration et ont beaucoup évolué. Il existe peu de contenus encyclopédiques destinés aux enfants ; pourtant ils adorent cela et sont très jeunes sensibles aux difficultés qui naissent du choix d’une ligne éditoriale et de la sélection des sources ; ils aiment aussi penser la complexité et apprendre à positionner un écrit par rapport aux petites comme aux grandes controverses ».
Un outil de simple consultation, fiable et adapté aux publics scolaires, n'est plus un projet suffisant. Il faut qu'ils puissent créer, publier... lors même que la plupart des enfants ne savent ni lire ni écrire correctement.
Les "projets" sont bien secondaires à l'efficacité et à la réussite scolaire. Et bien souvent d'ailleurs la pédagogie de projet, avec tout ce qu'elle suppose de "sens" à donner aux apprentissages s'oppose en réalité à cette réussite. Considérer qu'un enfant a besoin de sens pour apprendre, c'est le considérer comme un adulte et lui laisser penser qu'il ne peut pas avoir confiance dans les adultes.Aujourd’hui, l’éditrice est devenue conseil en édition numérique, accompagnatrice de projets éducatifs numériques. Elle observe les différences des usages, les pratiques hétérogènes selon les établissements autour des ENT ou du cahier de texte électronique. Pourquoi ici, rien ne se passe tandis que là les projets naissent, vivent, se déploient.
C'est vrai que c'est une "histoire déroutante" (qui égare hors de la route). Il faudrait en discuter plus longuement.La variation vient souvent de l’existence ou non de formation et d’accompagnement, et provient aussi d’une sorte « d’effet établissement », quand une équipe s’empare du projet et le fait vivre, dans un ensemble plus riche que la somme de ses individus. « Dinosaure du numérique » comme elle aime à le dire, elle vit toujours en plein « l’histoire déroutante du numérique », faite depuis 1985, d’avancées, d’éternels recommencements et de questions de fond qui recueillent des réponses de surface et des initiatives riches. Et puise dans sa première expérience les bases d’une approche sans cesse renouvelée de l’édition et du numérique pour les enfants.
C'est le principe de l'obsolescence numérique. Qu'y aura-t-il dans cinq ans ?Depuis l’arrivée d’Internet, la naissance des moteurs de recherche, de Google, de Wikipédia, l’avènement des tablettes, les possibles se multiplient. Ils ouvrent des perspectives pédagogiques et des appétits industriels sans que les premières et les seconds se rencontrent tout à fait. En 2011, un ralentissement de son activité amène Nathalie Colombier à « lever le nez ». L’iPad vient d’arriver et elle pressent que « ce truc là va tout changer sur le numérique éducatif »...
On voit en tout cas que c'est au modèle pédagogique de s'adapter à l'objet technologique : curieuse façon de penser l'enseignement.
Et le triomphe du modèle gratuit....avec son écran tactile, sa caméra intégrée, son poids léger, sa mobilité, sa facilité d’utilisation, y compris à plusieurs, pour les plus petits. Les contenus sous forme d’applications commencent à fleurir. Les éditeurs de productions multimédias de qualité du début des années 2000 ont disparu avec l’éclatement de la bulle Internet.
Même phénomène avec "Kartable".D’autres arrivent, issus des univers techniques, des créateurs de jeux vidéos ou de l’édition plus classique. L’engouement est rapide, les produits se multiplient. L’éditrice s’intéresse de près à ce qui se fait, à ce qui est écrit sur ce qui se fait et constate le peu de distance sur la qualité éditoriale ou pédagogique de ce qui est proposé, la presse spécialisée s’intéressant surtout aux prouesses techniques, tandis que la presse généraliste se contentait de reprendre rapidement les communiqués de presse. « Les applications de Chocolapps, par exemple, étaient portées aux nues. La première fois que j’en ai ouvert une, j’ai vu des fautes d’orthographe et de français, ainsi que des erreurs éditoriales et pédagogiques, alors qu’elle était destinée, selon le discours du marketing, à “l’apprentissage de la lecture” ».
En tout cas ce n'est plus un rôle d'"éditrice" à proprement parler qui est rempli ici.
Quel est le modèle économique de ce "magasine indépendant" ?Au fil de ses découvertes, oscillant entre les potentiels offerts par l’outil et l’hétérogénéité qualitative des applications, mûrit progressivement le projet de créer un site critique sur le numérique éducatif destiné aux enfants. Déclickids a surtout grandi porté par les échanges fructueux avec des enseignants ou des bibliothécaires sur twitter, qui racontent leurs usages. Le site analyse les applications ludo-éducatives en s’intéressant à l’ingénierie pédagogique et au design éditorial.
Voire presque jamais.L’offre est foisonnante avec plus de 300 nouveaux produits par mois. « L’absence de discernement contribue à les mettre tous sur un pied d’égalité. La gratuité ou le faible prix de vente, malgré des coûts de conception et de fabrication parfois élevés, génèrent un modèle économique où le marketing possède une place de choix. La vigilance est de mise face à certains éditeurs qui vendent aux parents stressés des promesses de performance scolaire rarement fondées.
C'est bien de le reconnaître. On comprend mieux pourquoi la demande d'efforts devient totalement irrecevable.Jamais le discours du "ludo-éducatif" voire du "serious game" n’a été aussi fort, comme un leitmotiv.
Mais pourquoi une application devrait-elle nécessairement être un "jeu" ?Mais il ne suffit pas de dire pour faire… Et surtout quand on voit la faible attention portée à la qualité éditoriale et pédagogique, ou quand on constate que certains éditeurs n’hésitent pas à tenter d’introduire dans leurs application les mécanismes pervers du « free-to-play » qui font ailleurs le bonheur critiquable des éditeurs de jeux »
Mais dans ce maelstrom existe aussi, des applications réussies, pertinentes, intéressantes, tandis que les enseignants inventent des usages dans le laboratoire de leur classe dont l’observation est pour l’éditrice un vrai bonheur. Distinguer, critiquer, recommander, l’analyse est à la fois éditoriale et pédagogique. Un produit de qualité est celui « qui propose un parcours qui donne envie de progresser dans l’acquisition des apprentissages ». Une application idéale ouvrirait son moteur de jeux pour que l’enseignant ou le parent puisse paramétrer en fonction du niveau, de la progression des enfants et l’adapter au mieux à chacun.
Le site répertorie quand même les promotions et offre des liens vers les magasins d'applications (Google Play ou iTunes). La publicité est donc indirecte.« Le numérique doit fournir des ressources pour les enseignants et pour cela, les éditeurs doivent apprendre à travailler avec les acteurs de terrain ». Declickids sort les griffes lorsqu’une supercherie se profile et n’hésite pas à épingler les impostures du secteur, par exemple, autour du site Kartable en octobre 2014, Nathalie Colombier a choisi quant à elle de mettre son blog à l’abri des pressions et des influences en refusant les encarts publicitaires et en achetant les produits qu’elle analyse.
Le modèle serait donc celui d'un site ne réalisant aucun profit.Ses visiteurs sont des enseignants, des bibliothécaires ou des parents. Elle aimerait le faire évoluer pour que ses visiteurs, enseignants, bibliothécaires, éducateurs de jeunes enfants ou parents, se frayent plus facilement un chemin dans les contenus qui au fil des mois s’étoffent. Elle souhaiterait aussi la création d’un espace collaboratif sur les usages pédagogiques. Le succès de Déclickids est réel avec 120 000 pages lues par mois et des échanges prolongés sur Twitter. « Il me réclame du temps mais nourrit aussi ma veille pour mes activités professionnelles en conseil ou en formation ».
A l'évidence, et de l'aveu même de Nathalie Colombier, certaines craintes sont tout à fait fondées. Sa perspective uniquement numérique lui en fait par ailleurs oublier d'autres, car les objets numériques, comme les tablettes, en sont pas nécessairement des "outils" numériques.Entre engouement excessif et craintes irraisonnées, le numérique éducatif nécessite pour que ses usages se développent un discernement souvent freiné par la frénésie des nouveautés.
En faisant croire le contraire.Pour Nathalie Colombier, l’approche encyclopédiste mériterait peut-être d’être réintroduite avec sa façon « de mettre le monde en cercles », de mettre en lien, de donner du sens, de représenter la complexité, de croiser de multiples intelligences. Et souligne-t-elle, « la médiation des enseignants est essentielle » à l’heure où le numérique, en se faisant eldorado, oublie trop souvent la pédagogie.
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