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"Petite Poucette" (Michel Serres)
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Il faudra revenir sur ce titre qui évoque un conte de fées numérique : il s’agit donc dans ce discours de la révolution numérique de ces dix dernières années et des nouvelles générations des digital natives. Il est en effet utile de le préciser dès maintenant.Petite Poucette
Curieux raisonnement qui suppose que l'enseignant doit connaître celui à qui il enseigne. Avec le corollaire implicite qu'il faut évidemment adapter l'enseignement à celui qui le reçoit. Ce qui est toujours aisé dans le cadre d'un enseignement collectif.LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’ÉDUCATION
Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître.
J'aurais plutôt tendance à croire que l'enseignement nécessite non pas une proximité entre le professeur et l'élève, mais au contraire un écart, une distance entre les deux. L'école, c'est la confrontation fertile à la différence, à l'altérité, et non le lieu stérile de l'identité, du même.
Tout ce discours de Michel Serres repose donc sur un présupposé discutable.
Comme nous allons le voir, Michel Serres a une vision bien à lui des élèves d'aujourd'hui.Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ?
Les changements qu'évoque Michel Serres sont anciens et n'ont pas grand-chose à voir avec la révolution numérique. La France est majoritairement urbaine depuis 1930... date de naissance de Michel Serres.- I -
Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n’a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, s’occupaient de labourage et de pâturage ; en 2010, la France, comme les pays analogues au nôtre, ne compte plus qu’un pour cent de paysans.
Le terme de "culture", au sens de "formation de l'esprit par l'éducation", est déjà employé par les auteurs classiques en France au XVIIème siècle. Et Cicéron, il y a deux mille ans, évoquait déjà la cultura animi. Attention : le néolithique n'est pas loin.Sans doute faut-il voir là une des plus immenses ruptures de l’histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture change.
C'est encourageant.Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants...
C'est le Festivus festivus de Philippe Muray !...n’habite plus la même Terre, n’a donc plus le même rapport au monde. Il ou elle ne voit que la nature arcadienne des vacances, du loisir ou du tourisme.
Ses "prédécesseurs immédiats"... d'il y a donc un siècle !- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs.
Poucette, avec - en moyenne dès 11 ans - son smartphone d’importation coréenne ou chinoise sous le pouce et qui n'a "jamais vu veau, vache, cochon ni couvée", est effectivement un bon exemple d'éco-citoyenne éprise de nature, généreuse et altruiste.Mais il est devenu sensible aux questions d’environnement. Prudent, il polluera moins que nous autres, adultes inconscients et narcissiques.
Hélas pour l'angélisme bon teint de notre philosophe, la sensiblerie écologique, à laquelle tous les programmes scolaires cherchent désespérément à éveiller les élèves d'aujourd'hui, en promouvant systématiquement le développement durable par exemple, n'a malheureusement guère d'incidence concrète sur leur mode de vie, plus occidentalisé et appartenant plus à la société de consommation que jamais. :xx
En France la population a doublé entre 1700 et 1900 et n'a augmenté que de moitié entre 1900 et 2000. Le "bond" est donc très relatif. Quant au bond de la démographie mondiale, pas sûr que les élèves français en aient une nette conscience. Sans parler des pyramides des âges inversées dans la plupart des pays occidentaux, dont certains - comme l'Allemagne ou l'Italie - risquent même de voir leur population décroître dans les décennies à venir.Il n’a plus le même monde physique et vital, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d’humains.
Des considérations d’adulte, pas d’enfant…- Son espérance de vie est, au moins, de quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière- grands-parents s’étaient juré fidélité pour à peine une décennie. Qu’il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ?
Dans les années 1930 l'espérance de vie atteignait déjà presque 60 ans en France... Pour trouver une espérance de vie inférieure à ne serait-ce que 40 ans, il faut remonter au tout début du XIXème siècle. Les raccourcis historiques de Michel Serres sont un peu hyperboliques : que ne compare-t-il pas notre époque et le Moyen-Âge !
Encore des considérations d’adulte, pas d’enfant… En procédant ainsi Michel Serres ne risque guère de « connaître » celui à qui il veut enseigner.Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils n’ont plus la même vie, ne vivent plus les mêmes âges, ne connaissent plus le même mariage ni la même transmission de biens.
Ah, il s'agit bien des petits Français, et pas des petits Africains par exemple. La pensée de Michel Serres, si généreuse et ouverte qu’elle soit, reste bien dans le même « même monde physique et vital » bien occidental…- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n’ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant des progrès de la médecine et, en pharmacie, des antalgiques et anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ?
Curieuse vision de la morale.Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait à des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde.
Celui qui est heureux n’a donc pas besoin de morale. Il est libre d’agir à sa guise, sans prendre en compte autrui.
C’est vrai que le bonheur est directement déterminé par les conditions matérielles de vie. Quant à la cruauté du monde, elle a totalement disparu. Du moins en France. Et la famine a heureusement cédé la place à la malbouffe et à l'obésité. L'espérance de vie, en s'allongeant, nous donne l'occasion d'être malade plus longtemps et de mourir pauvres et seuls dans de joyeux hospices.
Une morale permettant à ces êtres généreux de supporter leur bonheur inévitable et quotidien. :transpiIls n’ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut ni ne put leur inspirer une morale adaptée.
Voilà qui explique beaucoup de choses sur la nouvelle nature des relations entre parents et enfants.- Alors que leurs parents furent conçus à l’aveuglette, leur naissance fut programmée.
Curieusement, pour plus âgés qu'ils soient, les parents modernes n'en sont pas toujours plus adultes ou plus mûrs. :scr :Comme, pour le premier enfant, l’âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les enseignants ne rencontrent plus des parents d’élèves de la même génération. Ils n’ont plus les mêmes parents ; changeant de sexualité, leur génitalité se transformera.
C'est vrai que la France a toujours été homogène culturellement et linguistiquement. Curieux également que M. Serres oublie... tous ceux qui n'ont pas de religion. A l’entendre nous vivons encore dans la IIIème République.Alors que leurs prédécesseurs se réunirent dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d’un collectif où se côtoient désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs.
Et au fait, comment adapter un enseignement à un "collectif" si divers ? M. Serres a-t-il déjà enseigné dans un collège où l'on rencontre plus de soixante nationalités ? :scr :
Le multiculturalisme n'est pas une règle qui s'impose à l'école, c'est l'école républicaine qui impose ses règles au multiculturalisme.Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle depuis quelques décennies.
Par ailleurs, comme ses considérations démographiques, les considérations bien-pensantes de M. Serres sur le multiculturalisme n’ont pas grand-chose à voir avec la révolution numérique. :scr :
Parce que c’est seulement dans une société multiculturelle que cette expression est choquante ? :scr :Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l’ignoble « sang impur » de quelque étranger ?
Curieux, ce "autour d'eux" : de quel "eux" s'agit-il ? M. Serres voulait sans doute dire "parmi eux"... La bien-pensance emprunte parfois d'étranges chemins lexicaux.Ils n’ont plus le même monde mondial, ils n’ont plus le même monde humain. Autour d’eux, les filles et les fils d’immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses.
Car, si l'on suit le raisonnement de M. Serres - qui fleure bon la IIIème République -, on ne peut comprendre que la littérature ou l'histoire de son propre temps. Toute expérience de l'altérité est impossible.Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques et la moisson d’été, dix conflits, blessés, morts et affamés, cimetières, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l’urgence vitale d’une morale ?
Disons-le : toute littérature est impossible.
Voilà qui nous éloigne bien de la notion de « culture » précédemment évoquée.
La barrière de Planck, l'accrétion de la planète etc., voilà sans nul doute ce qui occupe l'esprit des écoliers et collégiens d’aujourd’hui. M. Serres a toujours cette fâcheuse tendance à plaquer sur les élèves ses propres considérations personnelles d'adulte.- II -
Voilà pour le corps ; voici pour la connaissance.
- Leurs ancêtres cultivés avaient, derrière eux, un horizon temporel de quelques milliers d’années, ornées par la préhistoire, les tablettes cunéiformes, la Bible juive, l’Antiquité gréco-latine. Milliardaire désormais, leur horizon temporel remonte à la barrière de Planck, passe par l’accrétion de la planète, l’évolution des espèces, une paléo-anthropologie millionnaire. N’habitant plus le même temps, ils entrèrent dans une autre histoire.
Et certains philosophes médiatiques, en faisant naïvement l'apologie du numérique, sans le moindre recul critique, ont une responsabilité particulière dans la destruction accrue de leur "faculté d'attention".- Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d’attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété est « mort » et l’image la plus reprise celle des cadavres. Dès l’âge de douze ans, ces adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres.
Encore un point de vue typique d'adulte : peu de d’écoliers ou de collégiens sont quotidiennement amenés à fréquenter des gares ou à se voir "refourguer des s'miles".- Ils sont formatés par la publicité ; comment peut-on leur apprendre que le mot relais, en français s’écrit -ais, alors qu’il est affiché dans toutes les gares -ay ? Comment peut-on leur apprendre le système métrique, quand, le plus bêtement du monde, la SNCF leur fourgue des s’miles ?
Et que signifie de plus ce raisonnement : les élèves d'aujourd'hui ne sont pas suffisamment intelligents pour comprendre la différence entre un usage institutionnel et un usage commercial de la langue ?
Si encore les médias avaient une fonction d'enseignement… :penduNous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d’une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l’école et l’université. Pour le temps d’écoute et de vision, la séduction et l’importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d’enseignement.
Et surtout parce que lucides et sans concession face à la modernité : ils sont notre mauvaise conscience.Les enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs. Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque mal payés.
Cette évolution spectaculaire a-t-elle été pensée, réfléchie, voulue ?- Ils habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l’usage de la toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou de Facebook, n’excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l’usage du livre, de l’ardoise ou du cahier.
Une seule question, soigneusement évitée par M. Serres : faut-il s'en réjouir ?Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent ni n’intègrent ni ne synthétisent comme leurs ascendants.
Ils n’ont plus la même tête.
Ces expressions consensuelles refusent toute comparaison. Reformulons : et s’ils connaissaient et intégraient et synthétisaient moins bien que leurs descendants ? Et si le progrès n’en était pas un ?
Citons Sénèque : « Nusquam est qui ubique est. ». Celui qui est partout n’est nulle part. :xx- Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la toile, à tout le savoir ; ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous habitions un espace métrique, référé par des distances.
Ils n’habitent plus le même espace.
On s’en est quand même aperçu... Un bref intervalle de 67 ans, sans guère de rapport avec la révolution numérique. Rappelons que l’usage du web s’est généralisé à la toute fin des années 1990.Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare de la Seconde Guerre mondiale.
Toujours ces même expressions consensuelles (« plus la même tête », « autrement ») qui refusent prudemment toute comparaison.Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, n’habite plus le même espace, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde extérieur, ne vit plus dans la même nature ; né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus la même mort, sous soins palliatifs. N’ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.
Quant à ne plus redouter la mort…
C’est bien la naïveté d’un grand-père qui veut rester dans le coup. La dextérité tactile n’a pas grande chose avec un usage raisonné et intelligent du numérique. Les élèves d’aujourd’hui ne sont pas forcément les mieux armés pour tirer un vrai profit du numérique. On n’utilise intelligemment un correcteur automatique que lorsqu’on sait déjà écrire. On n’appréhende les informations trouvées au hasard du web que lorsqu’on a une solide formation culturelle.- Il ou elle écrit autrement. Pour l’observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet.
A mes yeux ; la vraie génération numérique, c’est celle qui précède immédiatement la génération des digital natives.
Les dactylos utilisent tous les doigts. L’usage du pouce seul est intéressant en ce qu’il constitue précisément une régression d’usage. Et Apollinaire aimait « les belles sténodactylographes ».Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de dactylo.
Le surnom affectueux que donne Michel Serres à ces enfants d’aujourd’hui est en réalité infantilisant et condescendant.
Moins de vingt mille dans la neuvième édition (dont les trois premiers tomes sur quatre comprennent quatorze mille nouveaux mots).- Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu, l’Académie française publie, à peu près tous les quarante ans, pour référence, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s’établissait autour de quatre à cinq mille mots, chiffres à peu près constants ; entre la précédente et la prochaine, elle sera d’environ trente mille.
Des chiffres qui ne veulent pas dire grand-chose : il faudrait, avec des listes fréquentielles, comparer les mots d’usage courant. Car de ce point de vue la langue française est d’une grande constance, qui permet de lire aujourd’hui avec facilité une fable d’il y a trois cent ans.
L’ancien français n’était pas fixé par une académie, d’où sa difficulté. Le "gradient" choisi par Michel Serres est peu pertinent.À ce rythme linguistique, on peut deviner que, dans peu de générations, nos successeurs pourraient se trouver aussi séparés de nous que nous le sommes de l’ancien français de Chrétien de Troyes ou de Joinville. Ce gradient donne une indication quasi photographique des changements majeurs que je décris.
La langue n’a pas tellement changé.Cette immense différence, qui touche toutes les langues, tient, en partie, à la rupture entre les métiers des années cinquante et ceux d’aujourd’hui. Petite Poucette et son frère ne s’évertueront plus aux mêmes travaux.
La langue a changé, le travail a muté.
Encore et toujours l’angélisme de M. Serres, qui devrait visiter les sites de rencontre communautaires, comme Mektoube ou jdate .- III -
L’individu
Mieux encore, les voilà devenus des individus. Inventé par saint Paul, au début de notre ère, l’individu vient de naître seulement ces jours-ci. Nous rendons-nous compte à quel point nous vivions d’appartenances, de jadis jusqu’à naguère ? Français, catholiques ou juifs, Gascons ou Picards, riches ou pauvres, femmes ou mâles… nous appartenions à des régions, des religions, des cultures, rurales ou villageoises, des groupes singuliers, des communes locales, un sexe, la patrie. Par les voyages, les images, la toile, les guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé. Ceux qui demeurent continuent aujourd’hui, vite, d’éclater.
Quant à la fin des « guerres abominables » grâce à la toile, M. Serres fait preuve d’un magnifique optimisme philosophique.
M. Serres confond délibérément dans son raisonnement enfant et adulte. Ce qui est effectivement une des caractéristiques de la modernité.L’individu ne sait plus vivre en couple, il divorce ; ne sait plus se tenir en classe, il remue et bavarde ; ne prie plus en paroisse ; l’été dernier, nos footballeurs n’ont pas su faire équipe ;
Pour les footballeurs, M. Serres n’avait-il pas affirmé précédemment que c’étaient nous, les adultes, qui étions « inconscients et narcissiques » ? Et que les nouvelles générations savaient vivre mieux que nous le multiculturalisme ?
Plus grave : les considérations de M. Serres sur les élèves valent légitimation : il est normal et légitime que les élèves d’aujourd’hui « remuent et bavardent » (et bien pire, d’ailleurs : M. Serres devrait enseigner un an ou deux dans certains établissements). Bref, les enseignants, grâce à M. Serres, peuvent encore plus se sentir « critiqués, méprisés, vilipendés ».
Les appartenances, qu’elles soient culturelles, religieuses ou sociales, ont encore de beaux jours devant elles grâce à des discours comme celui de M. Serres. L’école n’a jamais aussi peu joué son rôle républicain qu’aujourd’hui.nos politiques savent-ils encore construire un parti ? On dit partout mortes les idéologies ; ce sont les appartenances qu’elles recrutaient qui s’évanouissent.
Une génération heureuse et altruiste, quel bonheur. Elle risque effectivement d’être trop égoïste pour accepter de faire la guerre. Ceux qui en France ont eu le courage de résister au nazisme auraient dû avoir honte de leur « libido d’appartenance ».Cet individu nouveau-né annonce plutôt une bonne nouvelle. À balancer les inconvénients de l’égoïsme et les crimes de guerre commis par et pour la libido d’appartenance – des centaines de millions de morts –, j’aime d’amour ces jeunes gens.
Avec un milliard de membres Facebook et 2,6 milliards d'internautes seulement, on laisse quand même une petite partie de l’humanité sur le palier. C’est une certaine vision de l’humanité, généreuse et ouverte, qui s’exprime ici, effectivement.Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde.
Tant qu’elle a un smartphone sous le pouce…Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue.
Il y aura un Nuremberg dans l’avenir, pour juger tous ces adultes irresponsables.Nous, adultes, n’avons inventé aucun lien social nouveau. L’emprise de la critique et du soupçon les déconstruit plutôt.
Heureusement qu’il y a des phares de l’humanité comme Michel Serres.Rarissimes dans l’histoire, ces transformations, que j’appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large que peu de regards l’ont mesurée à sa vraie taille.
Puisque c’est une phase nouvelle pour l’humanité, c’est nécessairement une phase de progrès. L’humanité n’a connu que des progrès continus, jamais de périodes sombres de délitement ou de régression. Le XXème siècle est un bon exemple : on a tué avec des technologies innovantes et des méthodes modernes plus de personnes en deux guerres mondiales que pendant toutes les autres guerres humaines réunies.Je la compare, je le répète, à celles qui intervinrent au néolithique, à l’aurore de la science grecque, au début de l’ère chrétienne, à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance.
Le « savoir » semble effectivement « inadapté ». Ce qui est très rassurant pour l’avenir.Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l’enseignement, au sein de cadres datant d’un âge qu’ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classe, bancs, tables, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires même, j’allais même dire savoirs… cadres datant, dis-je, d’un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu’ils ne sont plus.
Mais qui justement critique l’absence d’un « lien social nouveau » tout en balayant d’un revers tous les espaces communs de la république, à commencer par l’école ?
La mission de l’école est et a toujours été bien plus vaste que de simplement transmettre le « savoir ». :xx- IV -
Trois questions, par exemple : Que transmettre ? À qui le transmettre ? Comment le transmettre ?
Que transmettre ? Le savoir !
On se demande bien à quelle époque se réfère M. Serres en évoquant « jadis et naguère ». Les aèdes ou griots ne sont pas et n’ont jamais été des figures d’enseignants. Quand à Socrate, le pédagogue par excellence, difficile de le considérer comme une « savant » ou une « bibliothèque vivante ». Pour servir son propos M. Serres objective la figure de l’enseignant.Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps même du savant, de l’aède ou du griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue.
Si l’on suit le raisonnement simpliste de M. Serres un parchemin est dépositaire d’un savoir au même titre que l’enseignant et à ce titre enseigne aussi bien que lui. Donnez des livres à vos enfants : ils deviendront savants.Peu à peu, le savoir s’objectiva d’abord dans des rouleaux, vélins ou parchemins, support d’écriture, puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d’imprimerie, enfin, aujourd’hui, sur la toile, support de messages et d’information.
J’aurais plutôt pensé que les traités de pédagogies pullulèrent ces trente dernières années. Comme tous les pédagogistes M. Serres appelle à un changement de pédagogie qui a déjà eu lieu depuis longtemps et dont on peut aujourd’hui constater les effets.L’évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d’enseignement. Du coup, la pédagogie changea trois fois : avec l’écriture, les Grecs inventèrent la paideia ; à la suite de l’imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent.
Supposons que le savoir est disponible sur la toile : : il est facile d’accès mais est-il accessible pour autant ? Non. Le texte original grec de La Poétique d’Aristote reste d’un accès complexe, de par la langue, la dimension culturelle et la portée philosophique de sa réflexion. La disponibilité en ligne n’y change rien.Aujourd’hui ?
Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la toile, disponible, objectivé.
Supposons encore que le savoir est disponible sur la toile : est-il transmis pour autant ? Non. C’est même tout le contraire : pourquoi lire un livre quand on peut lire son résumé ? pourquoi réfléchir ou traduire par soi-même quand des sites vous proposent des corrections ou des traductions toutes faites ? pourquoi aller sur un site culturel quand on peut aller sur un site de jeu en ligne massivement multi-joueurs ? Non seulement le web ne permet pas la transmission, mais d'une certaine manière il lui fait obstacle.
Supposons que le savoir est partout sur la toile : la toile n’offre-t-elle qu’un savoir repérable, fiable, organisé et adapté au niveau de chaque élève ? Non. La toile est un chaos, un capharnaüm, un fouillis inextricable dans lequel il faut savoir se repérer et discerner le bon grain de l’ivraie. La culture personnelle, l’esprit critique, la capacité de raisonnement, l’autonomie de pensée – toutes choses auxquelles prépare l’école - sont des boussoles qui sont plus nécessaires que jamais. Il suffit de prendre l’exemple des sites paramédicaux pour comprendre à quels errements nous expose la toile. Quant aux vrais sites médicaux universitaires, ils sont généralement incompréhensibles pour le tout-venant.
Ce raisonnement est d’une naïveté confondante : facile d’accès n’est pas accessible. Disponible n’est pas transmis. A ce compte on parle anglais quand on sait utiliser un traducteur automatique. :xxLe transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait.
Heureuse nouvelle : la question de la transmission ne se pose plus ! Plus besoin de connaître, il suffit de pouvoir connaître à tout instant. La culture n’est plus en nous mais en ligne. Elle n'est plus réelle, elle est potentielle.Avec l’accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l’accès en tous lieux, par le GPS, l’accès au savoir est désormais ouvert. D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.
Pourtant, quand on y réfléchit bien, le web ne fait que rendre plus facile d’accès un savoir qui était déjà disponible dans toutes les bibliothèques du monde et dont les élèves pouvaient d’ores et déjà profiter bien avant. Comme quoi l’éducation ne se résume pas au savoir et à sa transmission.
Encore faut-il en connaître l’existence, s’en servir, savoir s’en servir et s’en servir à bon escient.Objectivé, certes, mais, de plus, distribué. Non concentré. Nous vivions dans un espace métrique, dis-je, référé à des centres, à des concentrations. Une école, une classe, un campus, un amphi, voilà des concentrations de personnes, étudiants et professeurs, de livres, en bibliothèques, très grande dit-on parfois, d’instruments dans les laboratoires… ce savoir, ces références, ces livres, ces dictionnaires… les voilà distribués partout et, en particulier, chez vous ;
Non seulement le savoir est à la disposition de l’élève, mais le professeur également. Un grand progrès social, sans nul doute.mieux, en tous les lieux où vous vous déplacez ; de là étant, vous pouvez toucher vos collègues, vos élèves, où qu’ils passent ; ils vous répondent aisément.
Pour entendre, encore faut-il écouter. Cette dématérialisation de la parole va de pair avec la fragmentation de l’attention : un internaute lit en moyenne une quinzaine de mots par page web. :penduL’ancien espace des concentrations – celui-là même où je parle et où vous m’écoutez, que faisons-nous ici ? – se dilue, se répand ; nous vivons, je viens de le dire, dans un espace de voisinages immédiats, mais, de plus, distributif. – Je pourrai vous parler de chez moi ou d’ailleurs, et vous m’entendriez ailleurs ou chez vous.
C’est effectivement ce que souligne Nicholas Carr : sauf que ces « transformations » sont globalement négatives et constituent des régressions de l’intellect.Ne dites surtout pas que l’élève manque des fonctions cognitives qui permettent d’assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support.
Socrate aurait voulu la même chose que Montaigne. Comme n’importe quel enseignant d’ailleurs.Par l’écriture et l’imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. Cette tête a muté.
Cette citation de Montaigne est généralement détournée par tous les pédagogistes actuels pour justifier le renoncement à tout apprentissage systématique (l’histoire, la géographie, les tables de multiplications, les poèmes, les formules algébriques etc.) et au nécessaire effort qui l’accompagne. Pourquoi apprendre ? Or Montaigne, dont la culture était immense, n’a jamais voulu une tête bien vide.
Et toujours dans le discours de M. Serres ces expressions neutres (« a muté »). La comparaison avec les changements occasionnés par l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie ne suffit pas pour déterminer la dimension positive ou négative des changements actuels en cours. :xx
Concrètement, à part la suppression des lieux d’enseignement, quels sont les « changements » que suppose une nouvelle pédagogie pour accompagner les « nouvelles technologies » ? Pourquoi M. Serres reste-t-il si vague ?De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l’invention et de la propagation de l’écriture ; de même qu’elle se transforma quand émergea l’imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies.
Et, je le répète, elles ne sont qu’une variable quelconque parmi la dizaine ou la vingtaine que j’ai citées ou pourrais énumérer.
M. Serres en fait partie, avec ses « doigts gourds ». Car ceux qui connaissent bien les nouvelles technologies et les élèves d’aujourd’hui s’inquiètent à juste titre de l’avenir de notre école et de notre modèle républicain dont on peut espérer qu’il ne s’évanouisse pas. Il y a des choses du passé dont on peut souhaiter la pérennité.Ce changement si décisif de l’enseignement, – changement répercuté sur l’espace entier de la société mondiale et l’ensemble de ses institutions désuètes, changement qui ne touche pas, et de loin, l’enseignement seulement, mais sans doute le travail, la politique et l’ensemble de nos institutions – nous sentons en avoir un besoin urgent, mais nous en sommes encore loin ; probablement, parce que ceux qui traînent encore dans la transition entre les derniers états n’ont pas encore pris leur retraite, alors qu’ils diligentent les réformes, selon des modèles depuis longtemps évanouis.
M. Serres aurait davantage été avisé d’enseigner dans certaines écoles de certains quartiers de France, loin de la Coupole, où les Petits Poucets n’évoluent malheureusement pas dans des contes de fées. :transpiEnseignant pendant quarante ans sous à peu près toutes les latitudes du monde, où cette crevasse s’ouvre aussi largement que dans mon propre pays…
Encore une comparaison fumeuse. On pourrait en prendre le contre-pied : toutes les réformes engagées dans l’éducation depuis trente ans déchirent les tissus de ce grand corps malade qu’est l’école. Allons beaucoup plus loin : amputons, tuons le malade !…j’ai subi, j’ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia comme les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu’ils cherchent à consolider.
Mais M. Serres se réfère sans cesse à une histoire et à une littérature que la Petite Poucette ne peut pas comprendre, parce que trop éloignées d’elle.Oui, nous vivons un période comparable à l’aurore de la paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître
Oui, le règne du livre est apparu avec l’imprimerie. Et avec Google il va disparaître et l’acte de lecture avec lui : réjouissons-nous tous ! :xx
Tous ces changements sont bien antérieurs à l’éclosion du numérique.… période incomparable pourtant, puisqu’en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, l’être-au-monde lui-même, les métiers, l’espace et l’habitat.
Les livres, par exemple.- V -
Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets.
Les étoiles, même mortes depuis longtemps, ont toujours guidé les marins dans ce monde. La culture est à l'image des étoiles : éloignée, elle nous fascine et nous sert de repère à tous et nous donne de l'humilité.Nos institutions luisent d’un éclat qui ressemble, aujourd’hui, à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps.
Je ne sache pas que les philosophes aient pour mission la prospective : comprendre le monde d’aujourd’hui et les illusions des enjeux du numérique aurait bien suffi à Michel Serres.Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? J’en accuse les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d’anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, comme moi, ce me semble, failli à leur tâche.
Les adultes, à commencer par les professeurs qui n’ont pas su inventer une nouvelle morale et une nouvelle pédagogie, ont été bien vilipendés dans ce discours : il suffit de le relire pour s’en convaincre.Engagés dans la politique au jour le jour, ils ne virent pas venir le contemporain. Si j’avais eu, en effet, à croquer le portrait des adultes, dont je suis, il eût été moins flatteur.
Il existe de nombreux clubs de retraités pour s’initier à l’informatique.Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, non, puisque tout est à faire.
M. Serres, par cette déclaration, nous donne une belle leçon de jeunisme béat. Qui risque de bien mal vieillir, malheureusement.Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j’ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés.
Bref je vais me permettre d'être un peu médisant pour défendre le métier d'enseignant puisque M. Serres se demande à quoi nous servons : nous pouvons de notre côté nous demander à quoi Michel Serres.
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www.20minutes.fr/web/twitter/1081137-twi...esperant-rater-cours
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Comme dit Michel Serres : "Petit Poucet et Petite Poucette ne parlent plus ma langue. La leur est plus riche"...
Sur "Big Browser" : bigbrowser.blog.lemonde.fr/2013/ ... t-twitter/
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Le jeu de mot "main tenant" fait florès. On aurait aussi bien pu dire "l'homme de deux mains".L'homme nouveau tient le monde en main
Il y a du boulot, alors. Pour commencer : un petit tour dans un collège défavorisé.Michel SERRES. - Les inventions à venir, je ne les connais pas. Elles sont toujours imprévisibles, inattendues. Je préfère rester lucide sur le temps présent...
Ça radote, ça radote. Et toujours personne pour rappeler à Michel Serres que la France est devenue majoritairement urbaine en 1930.Ce sont, par exemple, la disparition du monde paysan - nous comptions de 40 à 45 % de paysans au début du XXe siècle, ils ne sont plus que 0,8 %!
On est heureux de l'apprendre...Oui, parce que j'ai assisté depuis un demi-siècle, partout dans le monde, à la victoire des femmes.
C'est bien connu. Le sérieux et le professionnalisme sont des concepts sexués.Elles sont plus professionnelles, plus sérieuses.
Ah c'est ça, le sérieux...Je l'ai surnommée Poucette du fait de son habileté à jouer de ses deux pouces pour envoyer des textos.
Heu... Il y a 30 ans le téléphone mobile et l'Internet...Elle a une trentaine d'années, et est l'enfant d'internet et du téléphone mobile.
C'est du copier-coller de Petite Poucette, tout ça.Pour elle, l'ordinateur n'est pas juste un outil, il fait partie intégrante de sa vie. Poucette n'a plus le même corps ni la même intelligence. Elle n'a plus confiance dans les anciennes appartenances. La paroisse, la commune, et même la nation se défont. De fait, elle crée de nouvelles appartenances, de nouveaux liens sociaux, bouscule le rapport au savoir et le rapport à l'autorité. Elle construit un nouveau monde...
Trop fort, ce Michel Serres !Comment appréhende-t-elle ce nouveau monde?
Elle a trouvé le sens réel du mot «maintenant». Pour elle, «maintenant» signifie «tenant en main».
Et ça, ça change tout...Elle tient en main son portable et, si elle le souhaite, tous les lieux du monde, toutes les informations, elle peut communiquer avec tous à tout moment... En quatre coups de téléphone - 4,74 exactement - elle peut être reliée à n'importe quelle autre personne sur la planète, cela s'appelle le théorème du petit monde.
Elle ne tient rien du tout, concrètement.Elle tient en main ce monde nouveau.
Michel Serres confond avec les connaissances... Le savoir, c'est l'appropriation des connaissances : et ça, ça n'est pas et ça ne sera jamais "immédiat".Et, dites-vous, la voilà «condamnée à ne devenir qu'intelligente». Pourquoi?
L'accès au savoir était le grand problème que rencontraient nos aïeux. Il exigeait des efforts, des voyages, du temps... Aujourd'hui, cet accès est immédiat.
A Stanford peut-être...Lorsque j'entre dans mon amphi pour enseigner, il est fort probable que mes étudiants se soient préalablement informés sur internet du sujet traité en cours. Ils sont compétents, c'est ce que j'appelle la «présomption de compétence».
A 40.000$ l'année de cursus à Stanford, les cours devaient déjà être intelligents avant...Pourquoi se déplaceraient-ils pour écouter ce qu'ils savent déjà? Je suis donc obligé de faire un cours intelligent. C'est une chance.
On n'a pas entendu Michel Serres à l'époque de la construction de la BNF...Je reviens d'un voyage en Asie, et j'ai vu dans le métro, à la place des affiches publicitaires, des figurines qui permettaient aux usagers de passer commande à l'aide de leur portable. Ils se faisaient ensuite livrer. L'économie, le travail, les loisirs, tout va être bouleversé... Nous avons dépensé des millions d'euros pour construire La Très Grande Bibliothèque, alors que les nouveaux outils numériques nous apportent tous les livres à domicile.
De même, la relation aux médias se transforme. Autrefois, on comptait quelques personnes à l'émission et l'immense majorité à la réception. Aujourd'hui, elles sont aussi nombreuses à l'émission qu'à la réception.
Avoir un téléphone, c'est avoir le pouvoir ?Cela implique une évolution du pouvoir qui se dilue. Qui pouvait dire «maintenant, tenant le monde» autrefois? Quelques rois et dirigeants. Aujourd'hui, ils sont 3,750 milliards de personnes à pouvoir le dire.
Heu non... Il y a dans le monde actuellement un milliard de smartphones seulement.C'est le nombre précis d'individus qui possèdent des portables avec un ordinateur intégré.
Comme on peut le constater tous les jours.C'est donc aussi l'avènement d'une nouvelle démocratie...
Virtuellement, elle est déjà là.
Une utopie qui se réalisera ?Comment elle se réalisera, je n'en sais rien. C'est très exactement une utopie.
Ah bon...C'est l'utopie contemporaine. Il n'y a pas de nouveauté dans l'histoire qui n'ait été précédée d'une utopie.
Quel génie, ce Michel Serres ! Enfin, heureusement qu'il est là pour le rappeler en toute humilité...Comment rêvez-vous les années 2020? Iront-elles forcément dans le sens du progrès?
Si je pouvais les prévoir, elles seraient déjà là. Mais nous n'avons pas accès à l'avenir, il est imprévisible. Tout au plus peut-on anticiper. Dans les années 70, lorsque j'écrivais les cinq volumes d'Hermès, j'expliquais que la société de demain serait une société de communication, mais sans pouvoir dire ce qui allait se passer ni porter de jugement.
Un génie incompris. En tout cas, aujourd'hui personne ne se moque de lui. Personne n'ose même lui porter la contradiction.A l'époque, on se moquait de moi.
Michel Serres sait ce qui lui reste à faireQu'importe. Le physicien Max Planck déclarait: «Ce n'est pas parce que les expériences et les théories de la physique sont vraies que la science fait des progrès. Non, c'est parce que la génération d'avant a pris sa retraite.»
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