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"La classe est finie" (Le Monde)
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Le numérique va réaliser ce vieux rêve poétique.La classe est finie
Parce que les écrans Retina, les tableaux numériques et les applications Android, ce sont le sable, l'eau et les arbres de Prévert ?"Et les vitres redeviennent sable/l'encre redevient eau/les pupitres redeviennent arbres (...)." Cet effondrement de la classe, que le poète français Jacques Prévert a mis en scène en 1945 dans Page d'écriture, comme le rêve éveillé d'un élève, est en train de devenir réalité.
Réjouissons-nous !C'est bien l'écroulement de ce qui semblait le cœur de l'école, la classe, qui est à l'œuvre aujourd'hui. Attaquée de toutes parts, ses murs cèdent.
Car les élèves d'aujourd'hui sont plus bêtes que ceux d'hier, ils ont besoin qu'on leur parle "individuellement".Ici, c'est la technologie qui lui porte un coup, là le manque de crédits, là encore cette urgente nécessité de s'adresser individuellement à chaque élève.
Et comme un professeur ne peut s'adresser "individuellement" à une "classe", une "app" va le faire et ce sera un grand progrès humain !
Ringard, l'apprentissage de la collectivité, la confrontation à l'altérité, essence de l'esprit républicain.La classe, c'était quatre murs et un maître s'adressant à un collectif.
Si un cours est magistral au sens où une démonstration est magistrale, on ne peut que s'en féliciter...C'était un savoir enfermé dans un espace clos et magistralement délivré à un groupe.
Peu importe : libérons le savoir ! Vive le savoir libre ! A bas le groupe, à bas la classe !
Vacillement qui fait le bonheur de certains, officines scolaires ou groupes technologiques, avec leurs solutions miraculeuses !Ce modèle, qu'on croyait pérenne, vacille sur ses bases.
Ah bah, si on ne "jure plus" que par ça, il n'y a rien à faire. Nous avons appliqué ce nouveau crédo à la réforme du lycée, avec les résultats probants que l'on constate depuis.INDIVIDUALISATION DES APPRENTISSAGES
Dans les pays de l'OCDE, on ne jure plus que par l'individualisation des apprentissages.
Car dans un monde parfait, tout le monde fait des études supérieures.Et comme le note l'Unesco dans son rapport 2012 sur l'éducation pour tous (lire le rapport en PDF), il y a urgence à s'adresser à chacun pour en finir avec les 14 % des jeunes qui ne poursuivent pas leurs études au-delà du second cycle du secondaire...
Malgré des structures individualisées à mort comme les classes-relais ?... et qui, bien souvent, décrochent même avant...
Les ministres devraient leur parler individuellement, à ces décrocheurs.Inciter individuellement chaque élève à rester à l'école est devenu le leitmotiv des ministres, européens comme américains, de gauche comme de droite.
Quels autres lieux du savoir fréquentent donc assidûment les élèves ?Dans des sociétés où l'écart culturel se creuse, parce que l'école n'est plus le seul lieu du savoir...
Que voilà une proclamation pompeuse et fondée à l'évidence sur l'expérience.... l'élève moyen, celui sur lequel un maître ajuste ses enseignements, n'existe plus.
Comme cela a toujours été le cas.Le bon élève s'ennuie et le moins bon décroche...
Mais aujourd'hui la "réussite éducative" doit être au rendez-vous pour tous, avec une "orientation choisie" comme dans notre meilleur des mondes.
Ce n'est pas l'école qui les abandonne mais eux qui abandonnent l'école. Voir les chiffres de l'absentéisme scolaire, malgré toutes les manipulations comptables.Et ils sont nombreux sur le bord du chemin, sans diplôme ni formation, abandonnés de l'école ; au ban de la société de la connaissance.
Pays pauvres et pays riches, unis dans le même malheur ! Il fallait oser...Dans les pays moins favorisés aussi, la classe est dépassée. Périmée avant même d'avoir existé ! Le rendez-vous a été manqué, et maintenant que l'argent public se fait rare, pas de quoi construire des murs, y mettre des enseignants et y motiver des jeunes dont les familles réclament la force de travail. Là aussi il y a urgence à arrêter de jouer classique.
Scolarité primaire et scolarité secondaire, c'est la même chose ?Dans les 123 pays au plus faible revenu, 200 millions de 15-24 ans n'ont pas achevé leur scolarité primaire et pour la première fois depuis l'an 2000, leur nombre ne fond plus.
Heureusement le numérique nous propose des solutions magiques.Sans redémarrage de la machine à scolariser, sur 100 enfants aujourd'hui non scolarisés, 47 ne mettront jamais un pied dans une école. 47 % de 61 millions, c'est trop !
Quels veinards ! Et quels visionnaires !INVENTION DE L'"ÉLÈVE MOYEN"
Alors, enjambant les siècles, l'Afrique, l'Amérique du Sud et beaucoup de pays du Moyen-Orient sautent dans l'ère numérique sans passer par la case de l'école à classes.
Le petit Africain qui s'instruit sur son smartphone : voilà donc la nouvelle réalité de l'Afrique.Ils mettent à disposition des savoirs dans les smartphones ou les ordinateurs ;
Vive le très haut-débit dans les bidonvilles ! Et les Rétina dans les favelas !... des technologies auxquelles les populations accèdent de plus en plus largement.
En attendant la tablette tactile.La classe aussi avait été inventée comme un pis-aller.
Une catastrophe scolaire, comme on a pu le constater à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.Au départ, c'était d'abord une réponse à l'impossibilité d'offrir un précepteur à chaque élève. Au Moyen Age, dans le monde occidental, l'école regroupe des enfants dans d'immenses salles communes. Le maître les prend un à un à son bureau pour les faire travailler, avant qu'à la Renaissance ne s'instaure un enseignement simultané, pensé par des ecclésiastiques soucieux d'améliorer l'efficacité du dispositif. Au XIXe siècle, le "cours", qui, très vite, se confond avec la "classe", colonise finalement les systèmes éducatifs.
On peut redoubler ou sauter des classes...Mais la classe, c'est un nivellement, c'est l'invention de l'"élève moyen". Pour s'y faire une place, un enfant ne doit pas trop s'éloigner d'une norme d'âge et d'un niveau obtenu par la moyenne de notes dans une série de disciplines.
Le respect de la singularité ressemble fort à une sorte de complaisance emprisonnant l'enfant dans ce qu'il est.La classe emprisonne les enfants sans tenir compte ni de leur singularité, ni de leur rythme d'apprentissage.
C'est fou ce qu'on obtient en étant innovant. Et les résultats concrets de cette bousculade, montrant le gain éducatif, où peut-on les consulter sereinement ?Aujourd'hui, une page se tourne. L'innovation bouscule ce concept qu'on croyait fondateur.
C'est une chance qui effectivement coûtera moins cher que de construire des écoles et de former des professeurs.Et c'est une chance si l'on veut être capable d'offrir d'ici à 2030 – comme 164 pays s'y sont engagés en 2000 – un enseignement universel jusqu'à la fin du 1er cycle du secondaire.
Reste à savoir la nature de ce changement.Un objectif qui changera des destins individuels, certes, mais aussi le futur de la planète.
Ah, c'est la croissance qui compte finalement ? C'est vrai qu'on parlait d'innovation précédemment. Une logique de consommation, donc.Un dollar investi dans l'éducation, c'est dix à quinze dollars de croissance.
Détruisons les écoles pour le bien de la croissance mondiale !Et plus un système est efficace, plus il générera de croissance. C'est pour cela que la classe moribonde doit bien vite rendre l'âme.
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- Loys
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