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"L'école dans le monde qui vient" (Répliques)
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On retrouve, dans les propos de Michel Serres, nos tartes à la crème habituelles sur les grandes révolutions de la pédagogie :
- le passage de l'ère oral à l'ère écrite, avec le couple Socrate/Platon (car comme chacun sait, Socrate et Platon sont des enseignants de l'école publique)
- Une nouvelle paidéia avec l'imprimerie et la Renaissance. A vrai dire on voit mal en quoi c'est une révolution : l'écrit connaît une plus grande diffusion, mais qui ne devient proprement démocratique qu'à partir du XIXe siècle.
- La révolution numérique, troisième révolution. Il y a peut-être révolution, mais malheureusement ce n'est pas une révolution de l'écrit.
Alain Finkielkraut se réfère à "Petite Poucette" et pose la question de l'utilité du numérique pour découvrir la littérature. Michel Serres répond qu'il n'y a pas que la littérature comme enseignement : c'est vrai et cela risque même, à force de promouvoir l'image à travers les écrans, de disparaître. Par ailleurs on pourrait objecter que l'utilisation de la langue est bien commune à toutes les disciplines et que la rédaction est un exercice structurant de la pensée en mathématiques comme en histoire-géographie.
Michel Serres montre la révolution opérée dans les amphis puisque le maître n'est plus le seul dépositaire du savoir (grâce à... Wikipédia : il récidive ! ). Mais quel rapport entre l'université et l'école obligatoire ?! entre un étudiant et un collégien ? entre Wikipédia et la connaissance universitaire ?
Parallélisme élève/professeur et patient/médecin. La "présomption d'incompétence" n'est plus vraie : nous passons à la "présomption de connaissance" ce qui occasionne "une sorte de rééquilibration (sic) dans la relation pédagogique".
Dissymétrie défendue par Alain Finkielkraut : "N'y a-t-il pas une différence à préserver entre la transmission et la communication ?" Référence à une enquête récente et à l'abandon dramatique de la lecture par les adolescents. Le sentiment des professeurs est que "le gouffre entre ce qu'il savent et ce que savent les élèves, loin de s'atténuer, est encore aggravé sous l'effet des nouvelles technologies".
Michel Serres admet le gouffre mais demande de prendre du recul : il revient, toujours dans cette même perspective d'un progrès continu de l'humanité, à Socrate sceptique face à l'écriture, ou à la Renaissance et l'imprimé, où les docteurs de la Sorbonne ne comprenant rien à Rabelais. Comme si l'imprimé n'avait pas bénéficié aux institutions universitaires et religieuses ! Comme si Rabelais médecin n'appartenait pas à l'élite de son temps !
Nouvelle tarte à la crème avec la tête "bien pleine" ou "bien faite" de Montaigne, avec le même contresens habituel :
Une tête bien faite n’implique pas pour Montaigne, ce monstre d’érudition et de culture, qu’elle soit bien vide. Mais surtout la recommandation s’adresse au précepteur, non à l’élève. Quant à ce dernier, c’est un « un enfant de maison ». On est loin de notre horizon démocratique et de celui de la classe collective.Montaigne écrit: À un enfant de maison, qui recherche les lettres, non pour le gain (car une fin si abjecte est indigne de la grâce et de la faveur des muses, et puis elle regarde et dépend d’autrui), ni tant pour les commodités externes que pour les siennes propres, et pour s'enrichir et parer au dedans, et si l'on veut faire de lui un habile plutôt qu'un homme savant, je voudrais qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui ait plutôt la tête bien faite que bien pleine.
Retenons enfin la première partie de la phrase de Montaigne, défendant une éducation si libérale et si éloignée des référentiels de compétences dans la conception utilitaire de l’OCDE (PISA 2012 : « les économies modernes valorisent davantage la capacité des individus à utiliser leurs connaissances, plutôt que ces connaissances en tant que telles »).
Plus besoin de savoir par cœur : "ce qui change, ce n'est pas seulement le savoir, c'est la tête. Et Montaigne l'a bien vu" (à 13'12). Les livres n'ont plus besoin d'être sus par cœur, les "librairies" nous en dispensent. Comme si on demandait à nos élèves d'apprendre des livres par cœur ! Caricature de l'enseignement scolastique appliqué à l'école du XXIe siècle. Et surtout, ce raisonnement ne laisse pas d'étonner puisqu'il est attribué par Michel Serres à Montaigne : les livres, les "librairies", le savoir externe est donc là depuis longtemps. La révolution numérique n'y change pas grand chose.
Michel Serres reconnaît un nouveau gouffre qu'il nous faut comprendre.
Question de Alain Finkielkraut : "Est-ce qu'une nouvelle tête bien faite peut émerger de la Toile ?"
Il se réfère ensuite à Nicholas Carr. Michel Serres lui demande alors quel genre d'internaute il est (14'36), à quoi Alain Finkielkraut répond qu'il ne fréquente pas Internet et qu'il est un "handicapé informatique".
"Dans ce cas-là notre discussion va être assez difficile puisque nous allons parler d'un monde où l'un d'entre nous n'est jamais allé. [...] C'est grave de dire ça."
Alain Finkielkraut doit alors se justifier mais pour Michel Serres lire des livres sur Internet ne suffit pas.
Nous sommes dans la disqualification habituelle : on ne peut critiquer Internet que si l'on connaît Internet.
Référence à Marc Fumaroli, qualifié dans son lexique faussement affectueux et infantilisant habituel, de "grand-papa ronchon" par Michel Serres. Alain Finkielkraut : "Internet rend beaucoup plus riches les déjà riches. Plonger les enfants et les adolescents dans cet univers, c'est très dangereux parce que ce qu'on voit, c'est un monde bariolé et numérisé qui fait écran au monde. [...] Les meilleurs utilisateurs de la toile, ce sont des gens qui ont grandi, qui ont été formés dans la graphosphère. Donc ils peuvent évoluer à l'aise dans ce que Régis Debray appelle la numérosphère. En revanche, les digital natives, eux, certes sont plus à l'aise mais ils se noient." (17'40)
Michel Serres pense que les générations antérieures ont pu travailler avec les nouvelles technologies mais "quand on travaille avec une machine, on n'est pas supposé savoir ce qui se passe dans la machine". Car les nouvelles générations le sauraient, elles ?
Il compare "Grand papa ronchon"/"Petite Poucette" avec les docteurs de la Sorbonne et Rabelais...
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"Ce qu'on n'arrive pas à comprendre dans le monde moderne, c'est que désormais l'outil est cognitif : c'est-à-dire qu'il un objet extérieur à moi qui a des facultés "cognitives". Ce qui me reste sur la tête sur mon cou décollé, effectivement c'est l'intelligence, l'inventivité, tout ce qui est l'innovation. Il y a un rapport au savoir qui a changé."
Alain Finkielkraut revient sur la responsabilité de l'école et donne un témoignage de Mara Goyet : "L'ambiance n'est pas au travail : il y a mille autres sources de divertissement pour les élèves, textos avec le smartphone, le téléphone intelligent, appels, jeux, net, mp3". Elle décrit la chambre des adolescents "plongés dans le brouhaha écœurant d'échanges stériles et formatés". "C'est extraordinaire ! Quelle haine !" répond Michel Serres : "Moi je les aime, ces enfants-là ; je ne les trouve pas ni stériles ni formatés ; ils échangent entre eux, c'est merveilleux, ils inventent enfin des appartenances et des communautés que nous n'avions pas imaginées : tant mieux !"
Alain Finkielkraut répond que le téléphone est l'ennemi de l'enseignant en classe. Michel Serres prend son exemple personnel : amoureux, il écrivait à sa fiancée à Djibouti et attendait cinq mois. Au moins avec le smartphone la correspondance est instantanée ! Les échanges renforcent les relations familiales. Mais à vrai dire... quel rapport ?
Michel Serres esquive la question sur les portables."Revenons à l'enseignant, si vous le voulez". Oui, peut-être... Michel Serres évoque l'autorité et l'étymologie d'auctor, "celui qui vous augmente". Non plus les connaissances, puisqu'elles sont externalisées, mais "l'intelligence, la nouveauté, l'innovation". "L'enseignant n'augmente que le savoir qui est déjà là"... On parle de l'orthographe, sans doute .
Si l'on suit le raisonnement de Michel Serres, l'autorité revient maintenant à Internet et au smartphone !
Michel Serres avait vanté le brouhaha en classe dans "Petite Poucette". Alain Finkielkraut évoque le silence nécessaire à l'enseignement. "Toutes les questions que vous vous posez supposent admises toutes les règles, les formats et le monde précédent les nouvelles technologies. Si vous voulez juger les nouvelles technologies d'après ce format, vous êtes dans le cas de Socrate qui ne comprend absolument pas ce que veut dire l'écriture ou des docteurs de Sorbonne du Moyen-âge qui ne peuvent pas comprendre du tout le monde dans lequel rentre Rabelais, rentre Érasme, rentre Montaigne." (29'59).
Et si nos élèves y arrivent, on pourra être heureux. Le numérisme, tel qu'il est défendu par Michel Serres, est un anti-humanisme.
Donc un élève qui textote ou qui filme en classe , c'est Montaigne ou Érasme.
Pour résumer, le dawa en classe, c'est l'avenir ! Dans ce cas-là, je connais quelques collèges défavorisés qui nous montre le futur sous son meilleur jour et où Michel Serres serait inspiré de se rendre, pour se changer de Stanford.
"La culture a bifurqué, non seulement la culture mais le sujet de la culture, non seulement le sujet de la culture, mais la tête, la cognition de la culture. Tout a bifurqué, il faut comprendre cette bifurcation. Notre rôle d'enseignants, ce n'est pas d'interdire ou de trouver dangereux ou stériles etc. ce monde-là, c'est de comprendre la bifurcation pour aider précisément la naissance de cette nouvelle culture qui a eu lieu au Ve siècle ou à la Renaissance. Nous sommes en pleine renaissance."
Alain Finkielkraut : "Il me semble que l'éducation en tant que telle relève du vieux monde". Il cite Ricœur : "Qu'est-ce que je fais quand j'enseigne ? Je parle".
Michel Serres explique les révolutions ne sont pas successives, mais cumulatives. Il rappelle l'étymologie de "éducation" : conduire au dehors, à l'extérieur. Il faut bien sûr transmettre du savoir déjà là, mais transmettre à la génération future son propre monde."
Protestation d'Alain Finkielkraut.
Michel Serres évoque les sciences et le mot de Max Planck à la fin de sa vie : "La génération d'avant vient de prendre sa retraite : c'est comme ça qu'on fait des progrès." Voilà qui explique la vision du savoir de Michel Serres : une vision ancrée dans le progrès et le dépassement du passé.
Il évoque le monde nouveau inventé par Rabelais. Alain Finkielkraut rappelle que l'éducation humaniste, notamment Rabelais, c'était l'enseignement du latin, du grec et de l'hébreu. Réponse stupéfiante de Michel Serres : "Le latin, l'hébreu etc., il sont dans Wikipédia !"
Anecdote à Normale Sup' dans les années 80 : Michel Serres a proposé aux normaliens de "mettre toutes les sciences et tout la littérature et toute la culture en ligne [...] On a inventé Wikipédia, nous tous, on était donc en avance. Mais c'est cumulatif, comme je vous l'ai dit, c'est vrai : Ovide en latin est dans Wikipédia, Virgile en latin est dans Wikipédia, le grec est là, l'hébreu aussi. On est dans Rabelais, tout simplement."
Question du copier-coller ("Je connais l'astuce" dit MS) abordé par Alain Finkielkraut : "Mon rapport au savoir, c'est le clic. Je sais puisque j'ai accès. Entre l'accès et le savoir, il y a toujours un gouffre."
Michel Serres considère que le "citationnel" dans l'institution est du copier-coller : "Cette critique que vous faites aux jeunes étudiants, l'ancienne génération le faisait mais avec le livre : c'était pire encore. C'est-à-dire : ils ne peuvent plus penser par eux-mêmes, ils ne font que citer. Qu'est-ce qu'une thèse au fond ? Une thèse a d'autant plus de valeur qu'il y a beaucoup de notes en bas de page et des index extrêmement fournis. Écoutez : il n'a pas pensé par lui-même, c'est pas un bouquin, ça ; c'est pas une invention, ça ; c'est rien du tout. Par conséquent le professeur, pour avoir son agrégation, pour avoir sa thèse, a fait pire que ce qu'il critique dans Wikipédia. Écoutez, c'est pas raisonnable". Pour Michel Serres dans une thèse, c'est la même chose que copier-coller dans Wikipédia. "La citation, c'est pas du couper-coller ? Tu parles !" (38'16)
Difficile défense de Finkielkraut, intimidé par Michel Serres d'une agressive mauvaise foi...
Quelle honte de la part d'un supposé philosophe de tenir de tels propos non seulement relativistes mais totalement ineptes !
Les élèves du secondaire ne sont pas des écrivains ou des doctorants en thèse. La citation n'est pas le copier-coller, puisqu'elle se manifeste en tant que citation : elle témoigne en outre d'une culture. Le copier-coller ne suppose pas cette culture, ni même la compréhension ni même parfois la lecture de ce qui est copié-collé ! Mon expérience en est la preuve, même dans un bon lycée !
Même en admettant le raisonnement de Michel Serres qui dénonce la nullité "du citationnel", ce modèle de nullité devrait servir de caution à la pensée à venir ? Et en quoi le copier-coller serait "de l'invention" ?
Positivité au bavardage de Petite Poucette. Question de Finkielkraut : changement de la nature de la relation pédagogique : mieux répondre à la demande ?
Parallélisme avec le médecin, qui doit apprendre à écouter le patient. Relation plus équilibrée, écoute. Michel se réfère à son expérience de l'enseignement partout dans le monde (Stanford etc.) : mais quel rapport avec le primaire ou le secondaire ? "Écouter le multiculturel qui est devant moi [...] Mon discours est obligé de changer". Quel rapport entre le multiculturalisme et la révolution numérique ? Quel rapport entre les "Africains", les "Maghrébins" et les "bavards, faisant du bruit, stériles" ?
"Comprendre le monde dans lequel sont élèves, ne pas le juger... écouter la nouveauté, un peu comme le multiculturel".
Alain Finkielkraut et Michel Serres s'accordent sur le fait que le maître doit dérouter, conduire vers une extériorité (43'20). Pour Michel Serres, on ne peut faire ce travail que si l'on se montre compréhensif et lucide sur le monde dans lequel ils sont entrés".
Alain Finkielkraut évoque le discours de la veille à l'Académie, le lien entre la vertu et le virtuel. "Pour connaître l'Homme dans sa singularité individuelle, la littérature est dix fois plus importante que les sciences humaines ou même la philosophie. C'est grâce à la littérature, Madame Bovary, Père Goriot et Benjamin Constant ou Proust que j'ai pu comprendre la singularité humaine. C'est ça que j'appelle le virtuel." Pour lui, ce virtuel littéraire se retrouve dans les sciences les plus exactes.
Parallélisme avec Sancho Pansa et Don Quichotte. Finkielkraut : "Petite Poucette ne lit pas Don Quichotte !". Il faut défendre la littérature et non les jeux vidéos, qui "ne nous ramène pas au vieux monde mais nous rattache à lui. Nous en sommes les continuateurs, les augmentateurs : ce n'est pas du passéisme que de dire cela."
Michel Serres : "Surfer sur la toile, c'est s'adonner au travail que précisément Cervantès décrit lorsque Don Quichotte va avec les moulins, etc. ; il y a une sorte de folie imaginative. Qu'est-ce qu'il fait, Don Quichotte, au fond : il surfe sur le réel ! Cette espèce de vie, elle est transposée de façon extrêmement vivante dans l'action de Petite Poucette. Le vrai successeur de Don Quichotte, c'est Petite Poucette." Pour lui Sancho-ronchon est dans l'erreur.
Dernière question : l'atrocité du XXème siècle, c'est aussi la place accordée à la jeunesse, demande Alain Finkielkraut.
Michel Serres : "Quel est le pays qui était au XXe siècle de loin le premier pour la musique, la littérature, la philosophie, les beaux-arts etc., l'enseignement, la médecine, la science etc., c'était de loin l'Allemagne : et cette Allemagne-là, qui était la plus cultivée de toutes les nations, cette vieille culture, elle l'a protégée de quoi ? C'est ça ma question. [...] De rien !"
Allons même jusqu'à dire qu'elle est responsable du nazisme !
Quel relativisme intolérable, de la part d'un normalien, à propos de la culture... Mais aucune réflexion sur la responsabilité de la technique dans les "150 millions de morts" qu'évoque Michel Serres. Ni sur la terrifiante vision de la culture qui animait le nazisme, dont les autodafés sont le meilleur exemple. La culture n'est pas une garantie contre l'atrocité humaine, mais elle est le point de départ d'un esprit critique, d'un scepticisme.
Accuser ainsi sur la culture est non seulement criminel mais insensé. Surtout quand on se prétend la responsabilité d'un pédagogue. Un monde sans culture serait donc un monde prémuni contre le totalitarisme ?
Songer ici Ionesco, quand il rend hommage à la tradition humaniste en France contre la rhinocérite :
Le relativisme culturel de Michel Serres va bien à l'encontre de l'humanisme revendiqué plus haut : Érasme, Montaigne et Rabelais rejetaient la scolastique mais se nourrissaient des humanités.
Michel Serres : "On ne peut pas faire de l'ancien monde de façon générale parce que là on a une expérience cruciale terrifiante."
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- Loys
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j'ai écouté cette émission, et je n'ai pas été autrement surpris par les énormités débitées par Michel Serres, car il tient ce type de discours depuis quelques années déjà. C'est vrai que c'est consternant : on pense à la fameuse phrase de De Gaulle sur Pétain: la vieillesse est un naufrage.
A vrai dire, avant d'entrer dans le fond du débat, je pense qu'il convient d'indiquer, au préalable, que c'est d'abord la psychologie de Michel Serres que cette émission nous dévoilait. Cette adhésion sans aucune distance et quasi délirante au numérique, qui va bien au delà de ce que pourrait dire un digital native lui même, procède selon moi d'un fantasme de "vieux" sur la jeunesse, d'une projection sur la figure artificielle d'un jeune . Je pense que, ne se sentant plus de la première jeunesse, il prend le parti de célébrer ce nouveau monde, comme dans l'espoir de rajeunir lui même, mais on sent l'enthousiasme un peu forcé; c'est une sorte de pari (pascalien) mais sans aucune assurance d'être dans le vrai. Et que dire de cette piteuse formule de "petite poucette", d'une niaiserie grotesque (pourquoi s'en tenir à cette figure de petite fille, alors que les garçons sont atteints tout autant).
A vrai dire, Michel Serres n'évoque pas sérieusement le sujet, et l'on est en droit de s'interroger eu égard au pédigrée de ce philosophe.
Bien évidemment, il ne cesse de confondre l'accès au savoir, certes facilité et accéléré, et l'appropriation du savoir. L'exemple de wikipedia, que l'étudiant peut consulter avant un cours et qui le place à égalité avec le professeur, ne tient pas: dans l'"ancien monde", un élève pouvait très bien se renseigner et consulter les livres relatifs au cours qui allait être donné. Pendant mes études de lettres, j'en savais parfois plus que certains profs sur certains écrivains. Par ailleurs, la parole wikipédienne n'est pas parole d'évangile et n'offre pas toujours une fiabilité absolue, comme vous l'avez montré ( de la même façon qu'un livre du reste). Et puis ce n'est pas parce que l'on a accès à tel contenu sur wikipédia (ou autre) qu'on le lit vraiment et qu'on le comprend forcément. De ce point de vue le numérique ne change strictement rien à l'affaire. Comme le dit de façon lumineuse Régis Debray, on sait envoyer en quelques secondes d'un bout à l'autre de la planète le contenu intégral de Guerre et Paix, mais il faut toujours autant de temps pour le lire.
Autre sophisme difficilement supportable: établir une continuité entre les révolutions de l'écriture, de l'imprimerie et du numérique, dans une vision grandiose et positive du progrès. Sous entendu: il est inutile de s'opposer à cela car cela va dans le sens de l'histoire et de l'évolution de l'humanité.Pas de contrepoint dans ce discours. Il y a là une sorte de positivité intégrale qui ne prend pas en compte la face obscure du progrès et donc du numérique. Pourtant on aimerait lui rappeler les pensées ou philosophies du soupçon, l'école de Francfort etc; (Walter Benjamin, Adorno..). Or cette continuité harmonieuse, digne de la vision d'un Condorcet, est discutable. Ce discours ne tient pas compte de la rupture violente que représente la technologie numérique et de ses impacts socio-culturels. Le rapport au texte, à la lecture est complètement modifié et dans une certaine mesure dénaturé. Dans un certaine mesure, le numérique ne s'inscrit pas dans une continuité harmonieuse, mais fait se retourner la modernité contre elle même. Bref, il y aurait encore à dire pour démonter les propos de Michel Serres.
En définitive, le numérique est bel et bien là, chacun sent aussi un écart entre deux mondes. Assez rares sont ceux comme Finkielkraut qui s'affirment totalement coupés de cette technologie. Face à quoi Michel Serres a recours a l'argument terroriste classique de l'incompétence technique. Pourtant Finckielkraut a raison de dire que le numérique n'est nullement indispensable pour entretenir un rapport avec la littérature par exemple, ni même pour réfléchir au numérique car l'essence du numérique n'est pas numérique...(Justement l'exemple de la correspondance amoureuse d'antan face à l'échange instantanée, relaté par Serres, tend à prouver que le monde moderne étouffe les possibilités de littérature par cette annulation du temps et de la distance. Le numérique c'est aussi l'instauration d'un monde étouffant).
Au fond, ce qui manque à cette discussion, c'est une pensée de la technique. Il convient de rappeler que le numérique s'inscrit dans une vision cybernétique de la société, qui suppose une relation accrue de l'homme aux machines (aux ordinateurs). Or l'enseignement c'est autre chose: c'est d'abord la relation de l'homme à l'homme. Dans son extrémisme numériste, Serres en vient à oublier l'essentiel et à faire carrément disparaitre l'enseignement lui même, soit la tenu d'un cours avec la présence physique d'un prof et d'élèves. C'est dire à quel point d'aberration il finit par sombrer corps et âme .
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