Numérique à l'école : les enquêtes du Sticef

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26 Mar 2013 21:34 - 25 Jul 2013 14:06 #4825 par Loys
Je recommande chaudement la lecture de cette première enquête du Sticef ("Sciences et Technologies de l ́Information et de la Communication pour l ́Éducation et la Formation") par Nicolas Guichon : "Les usages des TIC par les lycéens" (20/10/12)
Dernière édition: 25 Jul 2013 14:06 par Loys.

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26 Mar 2013 21:39 #4826 par Loys
Quelques commentaires au fil de la plume :

L'inconfort - voire la sidération - que ces outils ont produit chez les adultes qui ont du apprivoiser des ordinateurs pour des raisons professionnelles (cf. par exemple les travaux de Singéry (Singéry, 1994) concernant les changements technologiques en entreprise)...

C'est peut-être un peu exagéré, non ?

...peut être contrastée avec l'apparente facilité avec laquelle les adolescents appartenant à la génération des natifs numériques semblent adopter les applications technologiques qui sont apparues dans notre quotidien privé et professionnel. Toutefois si la présence de ces outils dans l'environnement des natifs numériques crée une familiarité, cela ne signifie pas que des usages experts se développent d’eux-mêmes et que les natifs numériques soient compétents dans l'utilisation des outils technologiques. Quand il s'agit d'étudier les usages des technologies d'information et de communication (TIC) qui se font jour parmi les adolescents, se pose avec acuité la question des compétences développées informellement dans la sphère privée et amicale, celles qui sont réinvesties à des fins d'apprentissage formels (par exemple pour faire les devoirs), et celles qui sont mobilisées dans la sphère scolaire sous l'impulsion des enseignants.

Bref, le numérique sauvage et le numérique institutionnel. Les pratiques numériques sont dans tous les cas présentés comme un développement de "compétences". :roll:

Guichon (Guichon, 2011) p. 141-149) a identifié deux logiques à l’œuvre en contexte scolaire et au-delà concernant les usages numériques, la logique d'imposition et la logique d'appropriation. La logique d'imposition émane des autorités sociopolitiques (l'institution scolaire, les décideurs politiques) et économiques (l'industrie de l'informatique et des communications, les décideurs économiques) qui déploient des discours valorisants - voire militants - vis-à-vis de l'adoption des technologies à des fins d'apprentissage. Au Canada, Bullen et al. (Bullen et al., 2011) ont bien montré que la presse générale et les recherches subventionnées par des intérêts privés jouaient un rôle conséquent pour propager des discours sur les natifs numériques alors que peu d'enquêtes viennent donner une base empirique à ces discours sur cette "génération Internet". En France, Fluckiger (ibid.) parle de "la pression institutionnelle, sociale ou marchande qui s’exerce pour que l’école intégre les technologies de l’information et de la communication".

Très intéressant.

Les résultats révèlent que 77% des répondants possèdent leur propre ordinateur et que 99,3% bénéficient d'une connexion Internet à la maison. Parmi les 704 répondants qui possèdent un ordinateur, 73,9% ont un portable et 41,8% ont un ordinateur fixe. Ils sont 15,7% à posséder l'un et l'autre de ces équipements. Parmi ceux qui n'ont pas d'ordinateur, il n'y a pas de différences notables entre les catégories socioprofessionnelles des parents (à l'exception des agriculteurs et exploitants agricoles et des sans emploi moins dotes) ni entre les sexes, ni encore entre les filières.

Voilà qui règle le problème de la supposée "fracture numérique".

Parmi les élèves qui ne possèdent pas leur propre ordinateur, 90,1% déclarent toutefois pouvoir bénéficier d'un accès à un ordinateur, que ce soit l'ordinateur familial (97,7%), des ordinateurs disponibles au lycée (25,2%) et chez des amis (11%). Ainsi, il semble que l'institution scolaire, en fournissant un accès à des ordinateurs connectes par exemple dans les Centres de Documentation et d'Information (CDI) des lycées, contribue à réduire en partie la fracture numérique qui existe parmi les lycéens.

Cette dernière phrase est totalement contradictoire avec ce qui a été constaté auparavant. :shock:

Ce taux d'équipement permet donc une autonomie certaine quant à l'usage des ressources numériques. Il est d'ailleurs notable que 56,7 % des répondants déclarent que leurs parents sont au courant des utilisations qu'ils font de leur ordinateur (2,4% seulement ont installé un filtre sur l'ordinateur), ce qui signale qu’une partie des parents interviennent dans les usages numériques de leurs enfants et participent à leur développement.

"Être au courant", c'est "intervenir" et "participer à leur développement" ? :scratch:

Pour 43,3% des répondants, les parents ne sont pas au courant. :scratch:

Les entretiens révèlent que, même s'il y avait un ordinateur déjà présent dans leur environnement, c'est en général vers 12 ans que celui-ci commence à prendre un relief particulier dans leurs usages. L'importance des outils numériques s’apprécie également par le temps passé par les répondants à les utiliser. [...] Ainsi, en moyenne, 21,6% des répondants déclarent passer moins d'une heure à utiliser leur ordinateur, 45,9% entre une heure et deux heures, 24,3% entre deux heures et quatre heures et 8,3% plus de quatre heures par jour.

Les chiffres sont éloquents.

Avoir un compte Facebook est même quasiment un passage obligé pour les jeunes de cet âge comme le précise un répondant pour qui "ne pas être sur Facebook, je ne sais pas, c’est comme ne pas avoir de portable" (César). Ceci signale d'ailleurs que la logique d'imposition peut intervenir également entre pairs avec une pression du groupe sur l'individu pour utiliser certaines applications juste pour faire montre de son appartenance. On constate grâce aux entretiens que Facebook est mis en fond d'une autre activité, permettant de maintenir le lien et d'alterner devoirs et échanges en ligne comme le raconte Constance : "c’est juste s’il y a le bruit « ding ding », je fais « ah c’est bon, je vais me déconnecter du travail et je vais aller sur Facebook". Le panurgisme que semble induire cette application transparaît à travers le commentaire de Clémentine : "On va dire que j’y vais régulièrement, mais je ne sais pas pourquoi j’y vais". Pourtant, certains se révèlent être critiques envers ce genre d'échanges informels au cours desquels les utilisateurs "ne parlent pas vraiment, enfin... enfin ils parlent, mais sans rien dire !" (Laura). Comme l'a remarqué Fluckiger (Fluckiger, 2008), "le contenu de l’échange important finalement moins que le fait de manifester le lien social, [...], ces outils de communication s’inscrivant dans le processus de construction identitaire des adolescents".

L'utilisation du courrier électronique, si courant dans le monde professionnel, est très contrastée pour ce public, cet outil étant surtout utilisé occasionnellement (34,9% des répondants déclarant y avoir recours une à deux fois par mois et 30,8% seulement une à trois fois par mois). Sans doute l'échange de courriels est-il réservé à des écrits plus formels alors que les échanges écrits informels avec les pairs se font préférentiellement par le biais des réseaux sociaux.

Pour moi, l'enquête montrerait aujourd'hui une baisse très importante de l'utilisation des mails, quasi remplacés par les réseaux sociaux. Au point qu'il devient difficile de communiquer avec les élèves par mail.

Quand on leur demande à quelle fréquence ils utilisent les outils numériques pour faire leurs devoirs, on constate que seul un quart des lycéens disent n’y avoir que rarement ou jamais recours. Il semble donc que les TIC aient été intégrées dans les pratiques d’étude de cette population et soient reconnues comme une aide efficace pour le travail scolaire.

Voilà une affirmation qui me semble très hâtive, comme la suite le confirme.

L'échange suivant permet d'illustrer de quelle façon Facebook est utilise pour réaliser un devoir à la maison (DM) de maniére collaborative :
Valentin : Quand j’ai besoin d’aide ça m’arrive de demander sur Facebook. Souvent, quand il y a des gros DM de maths, on s’entraide un peu.
Intervieweur : Tu peux me décrire à quoi qa ressemble ?
Valentin : On poste un statut, ou quelqu’un a déjà poste un statut, et puis souvent nous on donne ce qu’on a trouve, moi je donne un peu ce que j’ai pu trouver et puis on se corrige... ça arrive oui !
Intervieweur : Du coup vous avez tous le même DM à la fin ?
Valentin : Non ! Enfin moi je me débrouille pour ne pas avoir le même !
Intervieweur : Comment tu fais ?
Valentin : S’il y a quelqu’un qui le poste entier par exemple, je le reprends moi-même, j’essaie de comprendre ce que je fais, de détailler s’il y a des calculs à détailler.

On voit donc que les ressources numériques sont utilisées par les lycéens non seulement pour des pratiques de sociabilité électronique mais aussi pour les pratiques scolaires comme, dans le cas d’espèce, la résolution collaborative de problème.

Cette façon de résumer l'absence de travail personnel par l'expression "résolution collaborative de problème" ne manque pas de piquant. :santa:

Si Wikipédia s’impose comme une source d'information de choix, les lycéens interrogés lors des entretiens déclarent apprendre progressivement à vérifier la véracité des informations données... En plus d'apprendre à vérifier la qualité de leurs informations, les lycéens disent mettre en place des strategies pour travailler l'information et sont en mesure, du moins pour une partie d'entre eux, d’opérer une distinction entre accéder à l'information et se l'approprier : "Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera pas pour le bac." (Marie)

On progresse ! :twisted:

En outre, la maîtrise des outils numériques semble plus grande chez les élèves que chez leurs parents et leurs enseignants, ce qui signale une rupture importante avec d'autres technologies du passé qui étaient davantage maîtrisées par les adultes. On constate d'ailleurs que les jeunes se montrent indulgents vis-à-vis du manque d’appétence des enseignants pour les outils numériques, contrastant leurs propres usages avec ceux de leurs professeurs : "Oui, oui, nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on est habitués, mais je pense que si j’avais découvert l’ordinateur à 40 ans, je n’aurais peut-être pas envie des changer mes habitudes. (Ophélie)

Les élèves soupçonnent assez peu que les enseignants utilisent les nouvelles technologies au moins autant qu'eux.

Mais certains sont critiques envers leur manque de compétences techniques à les utiliser :
Moi ce qui m’étonne c’est pourquoi les jeunes profs qui arrivent n’ont pas déjà reçu une formation et ne savent pas utiliser tout le matériel qu’il y a. Parce que moi j’ai déjà vu des profs qui ont eu des difficultés rien qu’avec des lecteurs DVD ou un vidéoprojecteur ! Ils perdent un peu en crédibilité devant les élèves. (Clementine)

Que les élèves essaient, on peut aussi s'amuser. :mrgreen:

ou envers l'offre techno-pédagogique existante :
Après, si on peut inventer des choses, le tableau interactif moi je trouve ça pourri, mais si vous inventez d’autres choses mieux, peut-être que si les profs s’en servent, peut-être que ça serait bien quoi ! (Constance)

Voilà un témoignage très amusant. Quoi ! Le numérique n'est pas magique et n'opère pas un ravissement des élèves ! :transpi:

Certaines fonctions des ressources numériques en ligne (par exemple la correction linguistique par le biais de dictionnaires en ligne ou de traducteurs) mériteraient certainement d'être accompagnées par les enseignants pour éviter les problèmes de plagiat et de contre-sens que le recours à ces ressources semble parfois induire.

Je ne suis pas tout à fait sûr que le terme "ressource" soit bien approprié ici. Quand à l'accompagnement par l'enseignant, j'aimerais bien savoir quelle forme il peur prendre dans le cadre des usages personnels des élèves à la maison.

Il semble bien que les lycéens apprécient une différentiation des usages entre les deux sphères et que certains éprouvent une réelle réticence à voir l'école coloniser leurs pratiques numériques privées et entrer en conflit avec leur sphère personnelle.

Voilà une observation que mériteraient de lire de nombreux techno-pédagogues qui font ami-ami avec leurs élèves sur Facebook ou Twitter... :devil:

Autre observation très intéressante, qui risque de déplaire à Michel Serres :

Comme d’autres chercheurs (Baron et Bruillard, 2008), cette enquête nous conduit enfin à nuancer les discours trop enthousiastes de certains chercheurs au sujet d'une génération dont les membres seraient uniformément capables d'utiliser de manière critique les ressources et les outils à leur disposition "pour remettre en question les idées, les personnes et les affirmations" (Tapscott, 2009) p. 88. Si différents témoignages mettent en lumière quelques postures critiques vis-à-vis des ressources numériques, certains adolescents interroges font état de leur passivité face à l’écran d'ordinateur ou d'un certain esprit grégaire. Il convient donc de remettre en cause l'image d'un adolescent expert dans les utilisations des outils numériques qui traverse les discours médiatiques et façonne la logique d'imposition selon laquelle les enseignants devraient adopter de nouvelles pédagogies recourant aux TIC parce que leurs élèves en seraient particulièrement friands. On peut même supputer que la logique d'imposition a crée de toutes pièces la fable des natifs numériques à laquelle les jeunes eux-mêmes semblent participer ("nous c’est vrai qu’on est nés dedans donc on est habitués", dit Ophélie) et à laquelle souscrivent les parents, les enseignants et la société dans une belle unanimité. Pas plus que la génération née avec la télévision n'est devenue experte en décryptage d'images, celle qui est née avec Internet n'est pas aussi universellement compétente qu'on serait porte à le croire.

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27 Mar 2013 10:34 #4835 par Wikibuster

"Si Wikipédia s’impose comme une source d'information de choix, les lycéens interrogés lors des entretiens déclarent apprendre progressivement à vérifier la véracité des informations données... En plus d'apprendre à vérifier la qualité de leurs informations, les lycéens disent mettre en place des strategies pour travailler l'information et sont en mesure, du moins pour une partie d'entre eux, d’opérer une distinction entre accéder à l'information et se l'approprier : "Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera pas pour le bac." (Marie)"


C'est fabuleux on dirait du R. MATHIS, il faut apprendre à "tricher" oui mais avec du savoir faire ! :doc:

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27 Mar 2013 18:07 #4847 par archeboc

Loys écrit:

Si Wikipédia s’impose comme une source d'information de choix, les lycéens interrogés lors des entretiens déclarent apprendre progressivement à vérifier la véracité des informations données... En plus d'apprendre à vérifier la qualité de leurs informations, les lycéens disent mettre en place des strategies pour travailler l'information et sont en mesure, du moins pour une partie d'entre eux, d’opérer une distinction entre accéder à l'information et se l'approprier : "Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera pas pour le bac." (Marie)

On progresse ! :twisted:


On progresse ? Tu fais la fine bouche ? Qu'est-ce que tu demandes de plus ?

Tu voudrais que Marie soit suffisamment brillante pour pouvoir enfumer sa prof si elle le voulait, et que son haut sens moral seul lui interdit de le vouloir ? Je crois que même du temps de Jules Ferry ne se rencontraient de tels élèves que dans les livres.

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27 Mar 2013 19:43 #4850 par Loys
Disons que l'argumentation de Marie est quelque peu contradictoire. :mrgreen:

"Oui. Je ne fais jamais de copier-coller parce que la prof le repère direct et en plus c’est idiot parce que si je ne comprends même pas ce que je fais c’est débile. Et puis ça ne m’aidera pas pour le bac." (Marie)


C'est moins un acte raisonné (le petit laïus sur la vacuité du copier-coller me semble justement un copier-coller des paroles du professeur) qu'un acte contraint (premier argument : "parce que la prof le repère direct"). Où l'on retrouve l'anneau de Gygès et une morale subordonnée à une possible impunité ou pas.

Mais il y en a, parmi nos techno-pédagogues avisés, qui croient encore en une moralisation possible du numérique. :santa:

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25 Jul 2013 14:04 - 25 Jul 2013 14:07 #6932 par Loys
Nouvelle enquête du Sticef : "Internet et enseignants : entre contrastes et clivages. Enquête auprès d’enseignants du secondaire" (12/07/2013)

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Dernière édition: 25 Jul 2013 14:07 par Loys.

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25 Jul 2013 16:00 #6939 par Loys
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