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L'intelligence artificielle et l'école
- Loys
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Auteur du sujet
Thibaud Hayette est professeur de lettres depuis 2022, Interlocuteur Académique pour le Numérique (IAN) pour l'Académie de Lyon, formateur académique et webmestre du site académique de Lettres et LCA de Lyon. Il est aussi expert CRCN-Edu.
Extraits :
La correction de copies occupe une place importante de l’emploi du temps des professeurs (source du Ministère) : la moyenne serait de 6h30 par semaine pour les matières littéraires. S’il existe des outils pour alléger cela (la correction automatique de QCM en ligne de La Quizinière par exemple ou encore via un smartphone qui identifie, le temps d’une photographie, les bonnes réponses d’un élève sur papier ou via une ardoise numérique), l’utilisation de l’intelligence artificielle semble encore plus prometteuse (l’entreprise Compilatio, basée à Annecy, expérimente actuellement avec des enseignants volontaires un logiciel qui va en ce sens) car elle pourra notamment traiter de plus grandes quantités de textes, comme pour une rédaction, par exemple. En outre, l’IA ne se fatigue pas, peut répéter à l’envi une même demande, reste objective et peut surtout traiter en un temps record une grande quantité de texte.
Mais doit-on pour autant confier à une machine la correction de la production d’élèves ?
L’objectif de cette expérimentation a été de partir de productions réelles de collégiens, sur des copies officielles récupérées lors de l’épreuve de DNB de Français session 2024 et de comparer la correction humaine par rapport à la correction menée par la machine. Qui est le plus rapide ? Qui est le plus objectif ? Qui est le plus efficace ? Et pour terminer, la technologie est-elle suffisamment élaborée pour s’y fier ? En somme qui remporte le "combat" entre l’homme et la machine ?
Pour me faire un avis le plus objectif possible, j’ai récupéré sept copies officielles, avant correction [1]. Il s’agissait de sept copies présentes dans des enveloppes de sept correcteurs différents qui ont bien voulu tenter l’expérience. Je les ai scannées, page par page, en haute résolution (600 dpi) avec le photocopieur du centre d’examen et ai obtenu ainsi des fichiers PDF (un fichier par page).
J’ai ensuite rendu les copies aux enseignants, puis une fois les copies corrigées, je les ai à nouveau scannées avec l’apparition des points attribués, les quelques annotations et autres commentaires pour permettre la comparaison ultérieurement.
[...]
CONCLUSION
Les expérimentations actuelles de l’évaluation par l’IA partent toutes d’un contenu déjà numérique et l’on comprend aisément pourquoi : la perte de temps à scanner et revérifier le contenu après lecture par HTR diminue considérablement la rapidité de traitement et donc l’intérêt. Cependant, l’écriture manuscrite reste encore la norme, notamment pour les examens.
Une fois cet obstacle franchi, le gain de temps est évident lorsque la correction est menée par l’IA. Cependant, l’instruction générative doit être précise voire affinée ou modifiée en cours d’évaluation (par exemple pour le cas d’une dictée aménagée pour la copie 7 par exemple) et c’est surtout confier à une machine sans âme le soin de sonder l’originalité de style d’un élève. En outre, une IA ne mesure pas toutes les compétences acquises par l’élève pour parvenir à ces productions contrairement à un enseignant qui saura apprécier des connaissances spécifiques, du vocabulaire approprié, concernant par exemple la Première Guerre Mondiale dans le cas de ce sujet. Par ailleurs, l’IA va rester cantonnée à un corrigé officiel qui ne peut nécessairement exprimer tout l’implicite ou même penser à tout : elle se positionne seulement par rapport à des écarts à la norme. Cependant, sur l’ensemble des sept copies, l’écart du nombre de point total est seulement de 0,5. Mais cela cache parfois des écarts importants sur une même copie.
Enfin, l’IA semble souvent plus généreuse concernant la deuxième partie de l’épreuve, c’est-à-dire la rédaction : c’est là que l’écart avec les correcteurs humains est le plus remarquable. On sent par ailleurs une certaine fébrilité de l’IA lorsque l’on pointe des dissonances avec un correcteur humain. Est-ce une marque d’humilité qui reconnaîtrait encore la suprématie humaine ? En tout cas, cette expérimentation tend à montrer que le regard de l’enseignant est vraiment indispensable et que le système de correction par l’IA est encore perfectible. Mais pour combien de temps ?
Une "expérimentation" à partir de sept copies, donc.
De façon amusante, l'auteur considère que les systèmes de correction automatiques déjà existants sont "prometteurs" tout en faisant la promotion d'un nouveau système qui les rendrait à l'évidence... obsolètes. Telle est la dure loi du progrès : elle annule toujours ce qui l'a précédé, relégué aux oubliettes à une vitesse rapide.
L'auteur propose donc un match : "En somme qui remporte le "combat" entre l’homme et la machine ?". La tension est à son comble, même si le match semble déjà plié en faveur de l'IA - qui n'est pas une intelligence, rappelons-le, mais un algorithme prédictif :
Dés lors pourquoi les deux premières questions semblent quelque peu artificielles :[L'IA] pourra notamment traiter de plus grandes quantités de textes, comme pour une rédaction, par exemple. En outre, l’IA ne se fatigue pas, peut répéter à l’envi une même demande, reste objective et peut surtout traiter en un temps record une grande quantité de texte.
En réalité, la dernière question annule toutes les autres. Si on ne peut pas se fier à ces algorithmes, leur efficacité, leur objectivité supposée ou leur rapidité n'ont aucun intérêt...Qui est le plus rapide ? Qui est le plus objectif ? Qui est le plus efficace ? Et pour terminer, la technologie est-elle suffisamment élaborée pour s’y fier ?
Reste, de toute façon, que l'efficacité est bien vite arrêtée par un premier obstacle : la reconnaissance de l'écriture manuscrite. Il apparaît en effet qu'en plus d'imposer des étapes supplémentaires au travail de correction (scan des copies, insertion dans un logiciel de reconnaissance, transformation en texte numérique - et encore : M. Hayette n'évoque pas le temps de classement des fichiers numériques quand un professeur a plusieurs classes), l'algorithme ne parvient pas à conserver le texte de la copie (de la correction automatique de l'orthographe à l'incapacité à lire la graphie de l'élève et à l'invention pure et simple de portions de texte alternatif). L'auteur reconnaît qu'il a dû "vérifier et remettre à l’identique, pour chaque copie, ce que l’élève avait écrit".
A noter que la graphie donnée en exemple, qui a causé tant de difficulté à la reconnaissance, est loin d'être la plus calamiteuse que l'on puisse rencontrer.
Ces étapes supplémentaires semblent donc parfaitement rédhibitoires : M. Hayette, lui, en déduit que le travail de l'IA sur ce point est "perfectible" : "on peut espérer que dans un avenir prochain cela ne posera plus de difficultés".
On pourra aussi utilement renoncer à l'écriture manuscrite car, comme le note ensuite l'auteur, " l’écriture manuscrite reste encore la norme, notamment pour les examens". Cet autre progrès permettra aux élèves d'utiliser également... "l'intelligence" artificielle !
Forte de cet espoir sur les progrès à venir de l'IA (et tant pris si les techniques d'OCR existent depuis des décennies), "l'expérimentation" continue donc.
Au passage, on note - ce que le brevet de français est devenu - que les deux premières questions du DNB citées ne portent pas sur le texte mais sur le paratexte explicatif...
Le compte-rendu ne permet pas d'étudier les copies dont la correction est comparée, ce qui permettrait de juger... le jugement de l'auteur.
A noter que, quand l'écart était trop élevé (quasiment +50% de points en plus), l'auteur a demandé à l'IA... de réévaluer la copie.
Dans sa conclusion, M. Hayette cède à un étonnant anthropomorphisme. Il note en effet "une certaine fébrilité de l’IA lorsque l’on pointe des dissonances avec un correcteur humain. Est-ce une marque d’humilité qui reconnaîtrait encore la suprématie humaine ?" M. Hayette cite d'ailleurs les justifications de l'IA comme preuve d'une intelligence de l'évaluation alors que ses réponses ne sont que des éléments de langage généraux.
La conclusion de M. Hayette se veut équilibrée mais en réalité le surclassement par l'IA n'est à ses yeux qu'une question de temps. Sur LinkedIn, plusieurs inspecteurs IA-IPR ont applaudi la réflexion de M. Hayette.
Plus fondamentalement, au delà de la non prise en compte des obstacles techniques ou du coût écologique, la réflexion de M. Hayette sur la correction des copies par l'intelligence artificielle comporte deux angles morts particulièrement graves, politique et pédagogique.
Cette "expérimentation" se justifie d'abord par cet objectif : alléger le travail des professeurs en les délestant de la correction des copies.
C'est évidemment un postulat parfaitement inepte puisque, en supposant que l'intelligence artificielle en soit capable, il est évident qu'il sera en contrepartie demandé aux enseignants d'assurer d'autres tâches ou davantage de présence face aux élèves, ce qui permettra de réduire leur nombre. L'appel en ligne effectué par les enseignants n'a pas déchargé la vie scolaire mais a permis de réduire le nombre d'assistants d'éducation dans les établissements.
Mais il y a plus grave encore : la correction des copies est précisément le moment où le professeur apprend le plus à connaître ses élèves, le coeur invisible de l'individualisation des apprentissages tant promue par les cadres de l’Éducation nationale. Retirer ce moment essentiel de correction - certes pénible par son caractère long et répétitif - entre donc dans une nouvelle étape de précarisation professionnelle des enseignants, rendant plus absurde encore l'exercice du métier.
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Le guide
23 janvier 2025
« Un enseignant qui n’a jamais exploré l’usage de ChatGPT passe à côté de son rôle fondamental : préparer ses élèves à évoluer dans un monde où l’intelligence artificielle occupe une place centrale. Ignorer cet outil revient à se priver d’une opportunité précieuse de redéfinir l’apprentissage et d’accompagner les nouvelles générations dans le développement des compétences indispensables pour leur avenir. » Ainsi se conclut le guide pratique de l’IA pour les enseignant·es que partage, sur Apps.education, Philippe Piekoszewski-Cuq, enseignant de technologie, formateur DRANE dans l’académie de Caen.
L’ouvrage fournit une base théorique, des conseils sur les bonnes pratiques à adopter et des exemples concrets d’utilisation d’outils comme ChatGPT. Pistes pour le prof : savoir rédiger un prompt efficace, faire de l’IA un « GPS pédagogique » pour concevoir des plans de cours, utiliser l’IA pour reformuler des consignes, résumer et simplifier des contenus, rechercher des idées, évaluer et remédier, s’adapter aux besoins des élèves, favoriser attention et engagement …
Le guide commence ainsi :
L’IA, aussi brillante soit-elle, peut se révéler aussi indomptable qu’un étalon sauvage.
Pendant ce temps, sur mon ENT en janvier 2025 :
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Comme c'est étonnant : l'IA remplaçant les enseignants, c'est donc réservé à ceux qui ne peuvent pas se payer une école privée.
Tout ressemblance avec D'Col il y a dix ans est fortuite.
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- Loys
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Malheureusement, celle-ci est la risée des réseaux sociaux, tant et si bien que :

Edit du 27/01/25 : next.ink/167186/erreurs-absences-de-mode...ra-rapidement-ferme/
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27 janvier 2025
Rodrigo Arenas : "Pour une école gratuite"
« Qu’on le déplore ou s’en réjouisse, l’IA fait désormais partie des outils de l’éducation. Il est donc urgent et vital de s’en saisir, de nous y éduquer et d’apprendre à en maîtriser le formidable potentiel comme les dangereuses dérives » écrit Rodrigo Arenas à l’occasion de la journée internationale de l’éducation consacrée à l’IA. Le député rappelle les enjeux de formation des enseignants, et la nécessité de « développer un esprit critique face aux algorithmes » des élèves. Il déclare :« cela suppose une gouvernance publique forte, une réflexion collective et une vigilance constante ».
« Produire leurs travaux écrits est devenu un casse-tête »
Travail, transports, santé, information, création artistique… évidente ou discrète, l’intelligence artificielle est toujours plus présente dans notre univers quotidien. Pour des milliers d’enseignants, le recours immodéré et surtout maladroit de leurs élèves aux logiciels de langage pour produire leurs travaux écrits est devenu un casse-tête pédagogique récurrent. Néanmoins, l’usage des Chat-gpt et autres Dall-e ou Deepl offre aussi une précieuse assistance pour la recherche documentaire, la traduction de documents inédits, la génération de questionnaires ou la production d’images pédagogiques.
Qu’on le déplore ou s’en réjouisse, l’IA fait désormais partie des outils de l’éducation. Il est donc urgent et vital de s’en saisir, de nous y éduquer et d’apprendre à en maîtriser le formidable potentiel comme les dangereuses dérives. Hélas, pour le moment, elle sert surtout à nourrir la tentation chez certains de remplacer l’humain par la machine. Le Ministère de l’Éducation nationale en montre même le mauvais exemple avec son « service numérique de remédiation », qui laisse l’inquiétante impression d’une expérimentation d’école sans profs. Confier l’éducation à des algorithmes purement pour réduire les coûts ou remplacer des enseignants relève d’une vision déshumanisée et dangereuse de l’école.
« L’école doit former des esprits libres et éclairés »
Il n’est donc pas superflu de rappeler que l’école est bien plus qu’un lieu de transmission des savoirs : c’est une fabrique de citoyenneté, un espace de justice sociale, une promesse d’émancipation. Ce n’est pas en noyant les élèves sous des contenus automatisés ou en réduisant les interactions humaines que nous les aiderons à grandir. En outre, certaines pratiques, comme l’évaluation par IA sans aucune prise en compte du contexte, ou l’usage de la surveillance algorithmique, ne font que renforcer la pression sur les élèves et les enseignants. Si la révolution technologique de l’IA devait se résumer à accentuer la taylorisation des enseignants ou la sélection entre les élèves qui savent s’en servir et ceux qui se retrouvent à son service, alors à quoi bon. Loin des dystopies et des fantasmes, l’IA nous offre l’opportunité unique de réinventer notre manière d’apprendre et de transmettre pour mieux répondre aux défis sociaux, humains et pédagogiques de notre époque.
Faisons-en au contraire un levier d’apprentissage pour réduire les fractures et les inégalités des familles face aux savoirs. L’école doit former des esprits libres et éclairés, capables de comprendre et d’interroger le monde. Loin de se substituer à la pensée humaine, l’IA peut en devenir un formidable catalyseur. Imaginez une classe où des simulations interactives permettraient d’explorer l’histoire, de modéliser des phénomènes scientifiques complexes ou de débattre des grands enjeux contemporains, avec des outils enrichis par l’intelligence artificielle.
« L’IA au service du bien commun »
Mais pour intégrer l’IA à l’école il faut une éducation numérique sérieuse et partagée. Pour que chaque élève puisse apprendre à utiliser ces outils avec discernement, à comprendre leurs biais et leurs limites, à développer un esprit critique face aux algorithmes, il faut aussi former leurs enseignants. Former les citoyens, c’est aussi leur donner les clés pour ne pas devenir les simples consommateurs passifs des technologies de la soumission. Il ne s’agit pas de livrer nos écoles aux intérêts privés ou de transformer les élèves en données exploitables, mais bien de placer l’IA au service du bien commun. Cela suppose une gouvernance publique forte, une réflexion collective et une vigilance constante.
Ni miracle ni menace, l’IA sera ce que nous en ferons : un outil d’expansion de notre humanité ou une nouvelle étape vers l’aliénation. Réaffirmons cette ambition : que l’IA devienne un levier pour construire une école plus juste, plus inclusive, plus émancipatrice. Ensemble, réinventons l’éducation, non pour servir les machines, mais pour mieux servir l’humain.
Rodrigo Arenas
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Les expressions tarte-à-la-crème-numérique comme "mettre à jour le logiciel de l'école" sont encore du bashing de l'école.
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En réponse à cet article, vous pouvez commenter ici notre billet d'humeur : "AI ça fait mal" du 8 février 2025.
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Voir aussi sur la fraude scolaire avec l'IA : www.laviemoderne.net/veille/ressources-n...rique?start=70#25370
Dans "Le Monde" (abonnés) du 13/02/25 cette tribune signée par Najat Vallaud-Belkacem, Cedric Villani etc. : "L’intelligence artificielle révolutionnera la façon dont les enfants apprennent et se connectent, la question est de savoir comment"
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