L’expertise de l’enseignement secondaire dans de bonnes mains

France StratégieQuand une institution chargée des grandes orientations pour l’avenir de la nation, et notamment de son enseignement secondaire, éprouve quelques difficultés à évaluer son coût et son efficacité présents...

Après la Cour des comptes fustigeant en 2013 « le coût par élève de l’enseignement secondaire »1 puis l’iFRAP dénonçant en 2013 le surcoût des « trente milliards » que « la France surpaye » pour son système éducatif2, voici venir « France Stratégie » (l’ancien Commissariat général à la stratégie et à la prospective, dépendant du premier ministre) qui ─ dans une note d’analyse estivale3 ─ dénonce également une « présomption d’inefficience » (sic) de l’enseignement secondaire français, « jugé inefficace et dispendieux »4, avec des dépenses qui seraient supérieures et des résultats qui seraient moins bons que ceux de nos voisins allemands, britanniques ou suédois.

A vrai dire on ne peut que s’en étonner puisque nous battons chaque année record sur record dans l’obtention du baccalauréat (taux record de 77,3% d’une génération en 2014, taux record de réussite au baccalauréat de 87,9%, nombre record de mentions etc.)5. Notre secondaire n’est-il pas, au contraire, le meilleur du monde ?

Pour qui se penche sur cette note d’analyse et ses graphiques savants (la remarquable « frontière d’efficience » appuyée sur de très sérieux « indicateurs » maison), la rigueur scientifique de cette institution laisse en vérité perplexe.

Contrairement à cette note d’analyse, nous indiquerons nos sources précises, avec des liens cliquables et vérifiables.

Les dépenses d’éducation

L’Allemagne, comme d’habitude, est donnée en exemple avec des « dépenses consacrées à l’enseignement secondaire » plus faibles que celles de la France « de 35% par élève ». Un chiffre impressionnant mais qu’on ne retrouve pas dans les rapports internationaux sur les systèmes éducatifs : les dépenses de l'Allemagne ne sont pas inférieures de 35% mais... de 13% si l'on en croit l’OCDE6.

La note d’analyse ne précise pas qu’en Suède et au Royaume-Uni cette dépense pour l’ensemble du secondaire est certes inférieure mais assez proche de la dépense française. Elle ne précise pas non plus que l'enseignement dans le second cycle du secondaire (lycée) est très différent selon ces pays : l'enseignement professionnel (hors apprentissage) est assez rare en Allemagne et l'enseignement général au Royaume-Uni se limite à quatre ou cinq disciplines par élève.

Mais il y a plus embêtant : s’agissant de mesurer l’efficience de cette dépense, « France Stratégie » se propose d’évaluer la performance de l’enseignement secondaire au moyen d’un « indicateur de qualité » fondé sur « trois indicateurs partiels », parmi lesquels le « score PISA ». On ne peut que s’étonner de cette grave erreur méthodologique puisque PISA évalue les compétences des élèves... de quinze ans, c’est-à-dire à l’issue du premier cycle de l’enseignement secondaire (le collège). Pour le dire autrement PISA n’évalue aucunement la performance de l’ensemble de l’enseignement secondaire (ajoutons que cette évaluation est largement soumise à caution pour toutes les raisons que nous avons déjà analysées ici7).

Si par conséquent, on compare seulement les dépenses du premier cycle de l’enseignement secondaire, on s’aperçoit que les dépenses d’éducation en France sont bien inférieures à celles de la Suède et du Royaume-Uni8. Ce qui n’empêche pas « France stratégie » de présenter un graphique permettant au « Monde » d’affirmer le contraire (« la qualité de l'enseignement tricolore se classe derrière l'Allemagne, la Suède, le Danemark ou l'Irlande qui dépensent pourtant beaucoup moins. »15). On notera au passage les dépenses d’éducation du Danemark sont les plus élevées de l’Union Européenne, dépassées seulement par celles du Luxembourg.

Si l’on se rapporte enfin à l’ensemble des dépenses d’éducation, de la maternelle au collège, ce qui est logique pour évaluer si des compétences de bases ont été acquises (« les inégalités et les difficultés observées en France naissent dès l’école maternelle et tendent à perdurer dans l’enseignement primaire » concède la note d’analyse), on s’aperçoit que la France a tout simplement le système éducatif le plus économique des quatre pays considérés9.

Une vérité qui n’est peut-être pas bonne à dire.

Mais, avec cette note, nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Les trois indicateurs de qualité

Les indicateurs de qualité supposés démontrer la faiblesse de l’enseignement secondaire en France sont les trois suivants :

PISA 2012 : une grossière erreur…

Non seulement cet indicateur, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas pertinent pour mesurer la performance de l’enseignement secondaire mais de plus « France Stratégie » se trompe sur le score lui-même. Le score de la France en 2012 n’est en effet pas de 495 points, comme l’affirme la note d’analyse, mais de 499,7 points. L’explication ? « France Stratégie » s’est uniquement référée à un domaine d’évaluation sur trois, la « culture mathématique »… Voilà qui est très sérieux !

Rappelons que dans PISA 2012 l’Allemagne devance la France (515,3 points contre 499,7 points), le Royaume-Uni obtient une performance à peine meilleure (502,3 points). Quant à la Suède, elle est à la peine (482 points).

Taux de décrochage scolaire : petits arrangements à l’année

C’est la « proportion des 18-24 ans sortis du secondaire avant l’obtention d’un diplôme, et qui ne sont ni en formation ni en études ». Pour cet indicateur, dans lequel la France est classé troisième avec 11,5% de jeunes ayant quitté l’éducation et la formation (contre 10,6% pour l’Allemagne), on s’aperçoit que « France Stratégie » se réfère à l’année 2012 sur « EuroStat », et non à l’année 201310.

Ce qui est bien dommage car la France se classe désormais seconde, après la Suède, avec seulement 9,7%...

Diplôme du secondaire : un curieux choix

On s'intéresse à la « part des diplômés du secondaire et plus dans la population totale ». Un taux très pertinent pour évaluer la performance du système éducatif actuel puisqu’il concerne par exemple… les personnes actuellement à la retraite ou/et celles qui ne sont pas passées par le système éducatif français !

Curieusement « France Stratégie » ne se réfère pas à un taux beaucoup plus pertinent fourni pourtant par « EuroStat » : la part des 20-24 ans ayant au moins atteint un niveau d'enseignement ou de formation secondaire supérieur11, taux dans lequel la France est première et l’Allemagne bonne dernière, avec dix points d’écart !

Bref, même en admettant la pertinence du choix des indicateurs de qualité (ce qui n'a rien d'évident, à vrai dire), difficile de se fier aux conclusions de « France Stratégie » puisque la France s’en sort plus honorablement que les trois pays auxquels elle est comparée !

Dernière chose amusante : sur le site de « France Stratégie » on trouve également cette étude sur PISA 201212 qui reconnaît en toute ingénuité que « le niveau des élèves à 15 ans n’est qu’une étape : il faudrait y ajouter l’analyse du lycée, sur lequel nous manquons d’éléments autorisant les comparaisons »...

Un coupable idéal : le redoublement

Notons que « France Stratégie » rapporte les chiffres de PISA 2012 (« d’après l’OCDE, 28 % des élèves français de 15 ans ont redoublé au moins une fois ») mais l'étude européenne Eurydice consacrée au redoublement indique déjà en 2011 que cette proportion est de 23,5% seulement13.

Évidemment, s’agissant du naufrage de l’école, aucune autre raison ne vient à l’esprit que le redoublement.

L'accusation n’a rien d’étonnant : le redoublement a l’avantage d’être à la fois responsable du coût et de l’inefficacité du système éducatif. Sa suppression ─ pour des raisons pédagogiques bien sûr ─ est un cheval de bataille de tous les ministres de l’éducation, de droite comme de gauche. Peu importe si, dans la pratique, il a été progressivement éliminé depuis le milieu des années 8014 et si sa suppression vient d’être officiellement entérinée15. Dans ces conditions il n’y a plus qu’à attendre que l’école française obtienne de bons résultats, dont on se demande d’ailleurs pourquoi ils ne se sont pas améliorés depuis une trentaine d'années.

Il est bon de noter que le Royaume-Uni et la Suède, deux pays qui ont réussi à atteindre un taux de redoublement quasi-nul, sont également les deux pays qui ont perdu le plus de points dans PISA depuis douze ans (respectivement -5% et -6%).

Du moins dans cette note d'analyse les vraies raisons qui visent à sa suppression sont-elles bien avouées : « Cette pratique est […] coûteuse (près de 2 milliards d’euros par an dans l’enseignement obligatoire) ». Encore une fois, on le voit, le dogme libéral rejoint très heureusement la doctrine des nouvelles pédagogies.

À qui profite l'incompétence ?

Entendons-nous bien : nous sommes par ailleurs convaincus du naufrage de l'école mais résumons : rien, dans cette hâtive et brouillonne « note d’analyse », ne résiste à l’analyse, précisément. Les vraies raisons de ce naufrage n'y sont évidemment pas abordées.

Quel est donc le but de cette stigmatisation permanente de l’école, d’inspiration néo-libérale ? Pourquoi est-elle relayée avec tant de complaisance par le journal de référence ? Les « décodeurs » du « Monde », sans doute en vacances, se sont en effet contentés de reproduire servilement les chiffres de « France Stratégie » sans le moindre « décodage »16. Et tant pis si « Le Monde » juge l’enseignement secondaire français inefficace le 23 juillet après avoir célébré le 10 juillet les merveilleux résultats du bac17 !

Pas besoin de chercher un quelconque complot.

« France Stratégie » fait partie de tous ces « machins » dont la fonction est moins d’impulser une politique que de cautionner celle que l'on veut suivre, même si le Ministère de l'Éducation nationale a jugé ce rapport « indigent ». Et, dans la bataille entre les tenants d'une école exigeante et efficace et ceux d'une école où la réussite est en trompe-l'œil, « Le Monde » choisit malheureusement souvent le mauvais camp.

@loysbonod

Édition le 28 juillet 2014 : la référence à un autre article de « France Stratégie » de 2014 sur PISA 2012 a été ajoutée.


Notes

[1] Voir notre article « Le fabuleux rapport de la Cour des comptes » (18 août 2013). Sur l’efficacité du système éducatif français voir également « Combien coûte un point PISA ? » (3 septembre 2013).

[2] Voir nos articles « La force d’iFRAP du Figaro » (22 septembre 2013) et « Reconnue d’inutilité publique » (4 mars 2014).

[3] « France Stratégie » : « Pourquoi les dépenses publiques sont-elles plus élevées dans certains pays ? » (23 juillet 2014) par Céline Mareuge et Catherine Merckling

[4] « Le Monde » du 24 juillet 2014 : « L'enseignement secondaire jugé inefficace et dispendieux »

[5] Voir notre article sur le baccalauréat : « La grande illusion » (29 mai 2014)

[6] OCDE, Regards sur l’éducation 2013, tableau b1.1a. Dépenses d’éducation par élèves dans les établissements d’enseignement en 2010. Pour l’ensemble du secondaire les dépenses sont les suivantes :

9 285 USD en Allemagne
10 185 USD en Suède
10 452 USD au Royaume-Uni
10 696 USD en France

[7] Voir notre article « Nouvelle livraison de PISA » (14 décembre 2013)

[8] OCDE, Regards sur l’éducation 2013, tableau b1.1a. Dépenses d’éducation par élèves dans les établissements d’enseignement en 2010. Pour le premier cycle du secondaire les dépenses sont les suivantes :

9 399 USD en France
9 776 USD en Suède
10 533 USD au Royaume-Uni
11 561 USD au Danemark

Les données de l’Allemagne n’ont pas été communiquées à l’OCDE.

[9] OCDE, Regards sur l’éducation 2013, tableau b1.1a. Dépenses d’éducation par élèves dans les établissements d’enseignement en 2010. Pour le pré-primaire, le primaire et le premier cycle du secondaire les dépenses cumulées sont les suivantes :

22 384 USD en France
22 612 USD en Allemagne (+1%)
26 345 USD en Suède (+17,7%)
26 949 USD au Royaume-Uni (+20,4%)
31 950 USD au Danemark (+42,7%)

[10] « EuroStat », « Jeunes ayant quitté prématurément l'éducation et la formation - % (2013) »

Allemagne : 9,9%
France : 9,7%
Suède : 7,1%
UE27 : 12%
Royaume-Uni : 12,4%

[11] « EuroStat », « Niveau d'études secondaire supérieur ou niveau d'études supérieur, tranche d'âge 20-24 ans par sexe - % de la population âgée de 20-24 ans (2013) » (pourcentage des jeunes de 20 à 24 ans ayant au moins atteint un niveau d'enseignement ou de formation secondaire supérieur, soit un niveau CITE 3a, 3b ou 3c long minimum).

Allemagne 76,8%
Royaume-Uni 82,9%
Suède 86,2%
France 86,4%

[12] « France Stratégie » du 30 avril 2014 : « Une lecture de Pisa 2012 » par Vanessa Winsia-Weill.

[13] Commission européenne, Eurydice, « Le redoublement dans l'enseignement obligatoire en Europe » (janvier 2011). Proportion d'élèves de 15 ans ayant redoublé au moins une fois au niveau secondaire inférieur (CITE2), 2009.

[14] DEPP, L'Etat de l'école 2012, « La durée de scolarisation »

Voir aussi ce fil de discussion du forum.

[15] « France Info » du 7 juillet 2014 : « La fin du redoublement ? »

[16] « Le Monde » du 23 juillet 2014 : « La France dépense plus que ses voisins, mais pour quels résultats ? »

[17] « Le Monde » du 10 juillet 2014 : « Bac : un taux record de 87,9 % de réussite »