La modernisation au pas de charge des épreuves de médecine

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Pour les épreuves classantes nationales (ECN) de médecine, l’année 2016 aura été plus éprouvante que jamais pour les étudiants. Pourquoi ? Parce que les épreuves sont devenues… modernes !

La première année de médecine n’est pas la seule à être éprouvante. La sixième année est en effet cruciale pour le choix de la spécialité et du lieu de formation : trois années durant, les étudiants préparent donc fébrilement les épreuves classantes nationales (ECN), dont dépend une partie de leur avenir.

Mais l’année 2016 aura été plus éprouvante que jamais. Pourquoi ? Parce que les épreuves sont devenues… modernes !

La « petite révolution » des ECNi

Les ECN, qui ont remplacé le concours de l’internat en 2004, étaient – comme il se doit – obsolètes à peine neuf ans plus tard. À l’heure du numérique et des tablettes tactiles, le ministère des affaires sociales et de la santé a donc décidé, en 2013, de leur « nécessaire évolution », en adjoignant le « i » de la modernité à des ECN désormais passées en ligne sur de beaux iPads (les iECN ont depuis été rebaptisées ECNi).

Le but ? Moderniser et simplifier les ECN pour en faire des épreuves plus sûres, plus efficaces et plus justes, afin de départager au mieux les quelques 8.000 étudiants concernés chaque année. Pour le ministère, les ECN étaient en effet « une organisation complexe, exposée à des incidents techniques pouvant conduire à des discussions administratives et à une remise en cause de la validité des épreuves. »[1]

D’autres n’ont pas les pudeurs du ministère : ce sont aussi (ou surtout ?) des questions de coût qui ont justifié cette modernisation, avec une économie estimée à quatre millions d’euros[2]. Les épreuves peuvent en effet être passées dans chaque université et leur correction devient « automatique » et quasi-immédiate. Finie les lenteurs et la subjectivité de la correction humaine (une double correction anonyme par des professeurs des universités praticiens hospitaliers tirés au sort) : aux questions ouvertes doivent désormais succéder des questionnaires à choix multiples (comme en première année de médecine), résolument plus modernes. Paradoxalement, une des raisons évoquées pour ce changement est pédagogique : éviter le « bachotage »[2].

Et puis comment refuser les apports de la modernité numérique dans les épreuves : des images en haute résolution, des fichiers sonores, des documents vidéo ?

Bref, le ministère décrète, en 2013, l’organisation des premières épreuves informatisées en 2016. Un calendrier très serré, car tout est à inventer, mais le progrès ne saurait attendre !

Des tests nationaux catastrophiques

C’est donc au pas de charge qu’ont été préparées ces nouvelles épreuves, en collaboration avec des entreprises informatiques spécialisées[3].

Les premiers examens locaux sur tablettes ont suscité parfois quelques sueurs froides : à Paris, en décembre 2013 par exemple, un examen a dû être annulé en raison d’un problème de réseau[4]. A Lille, en février 2015, un accès bloqué au serveur a obligé à reporter un examen d’un mois, au grand dam des étudiants[5].

Mais ce sont surtout les premiers tests nationaux, en grandeur nature, quelques mois seulement avant les ECNi qui ont causé les plus vives inquiétudes. L’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) avait pourtant déjà donné l’alerte[6].

Le premier grand test national (deux jours et demi en décembre 2015) s’est révélé catastrophique, malgré le renoncement aux volumineux contenus multimédias audio et vidéo : centres d’examen non connectés dans les temps, connexion individuelle erratique, saturation des serveurs, épreuves interrompues. La première journée a tout simplement dû être annulée, comme celle du lendemain. Seule la dernière demi-journée a pu se dérouler à peu près normalement… la plupart des étudiants, excédés, ayant renoncé à se présenter.

Un petit test (d’une seule journée) a semblé donner satisfaction en février 2016, malgré des bugs mineurs[7]. Peu d’étudiants avaient accepté d’y participer.

Un second et dernier grand test national, en mars 2016, a été annoncé comme réussi dans « L’Étudiant »[8]. La réalité était malheureusement beaucoup plus désolante, avec l’annulation d’une épreuve, reportée au lendemain. Un étudiant exaspéré raconte ainsi les lenteurs pour valider (une quinzaine de secondes), les déconnexions à répétition, aléatoires et plus ou moins longues selon les étudiants, les plantages de serveur, les graphiques et tableaux ne chargeant plus, les « Réactualisez  ! » pour toute réponse d’un encadrement dépassé et impuissant, la disparition soudaine des surlignages (des dizaines de minutes de travail) dans l’épreuve de lecture critique d’articles (LCA), les suspensions de session, les reprises abruptes, les consignes contradictoires, la prolongation improvisée des épreuves, la confusion généralisée, et le bruit… Des étudiants se seraient même vus attribuer des notes très honorables à l'issue des premières épreuves… lors même qu’ils étaient absents !

Pour l’épreuve de LCA et devant le refus du Centre national de gestion (CNG) de prévoir une solution de secours, les étudiants ont lancé une pétition signée par plusieurs milliers d’entre eux et obtenu gain de cause : l’épreuve se fera finalement… à l’aide d’un document papier !

Quant au site d’entraînement de la plateforme SIDES, il ralentit ou plante régulièrement à quelques semaines des épreuves[9], faisant le bonheur des officines ou des applications commerciales[10].

Un bel exemple de numérisme

Face à ces échecs, non seulement les responsables du CNG ont fait preuve non seulement de déni mais même d’un optimisme sidérant : « Les examens informatisés, on y va et ça va marcher  ! »[11]. A l’occasion du premier test national (sur deux jours et demi), catastrophique, Jean-Pierre Gondran, responsable du CNG, s’est ainsi félicité d’avoir pu « rectifier le tir en 48 heures »[12] !

Comme le dit en effet Djillali Annane, doyen d’université :

« Il vaut mieux que le système plante aujourd'hui plutôt qu'en juin, lors des épreuves réelles. Cela permet au CNG de savoir ce qu'il faut corriger", relativise-t-il. Et de rappeler qu'il s'agit d'une "première mondiale". "Tous les étudiants d'une même filière, à l'échelle d'un pays passent ensemble des épreuves par voie numérique", s'enthousiasme-t-il. »[13]

Une « première mondiale » en forme de fiasco consternant, donnant le sentiment que les épreuves servaient moins aux étudiants à s’entraîner à ce nouveau type d'épreuve qu’aux organisateurs à tester la fiabilité d’un système conçu au pas de charge.

De fait, les responsables techniques ont reconnu benoîtement que les étudiants ne se comportaient pas comme les « robots » faisaient pendant les tests virtuels. C’était d’ailleurs, pendant les tests nationaux, aux étudiants d’adapter leur comportement aux machines : « Connectez-vous maintenant », «  Ne consultez qu’un document à la fois ! », « Ne surlignez plus : c’est ce qui fait buguer  ! ». Heureusement, pour deux heures d’épreuves par exemple, les étudiants étaient convoqués trois heures. « De toutes les façons, les étudiants sont convoqués pour toute la semaine au cas où il faudrait reprogrammer [des épreuves]. »[8] Un progrès qui force l'admiration, en effet !

Les étudiants, en colère, se sont d’ailleurs surnommés la « promo crash test ». Comme dit l'un d'entre eux :

« Je m'aperçois de plus en plus désormais (à la vue des mails, des communiqués à répétition etc.) du tenant idéologique quasi sacré de ces réformes numériques pour ceux qui s'en font les chantres (fermés à tout dialogue avec les élus étudiants).

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L’ECNi, « c’est un peu le cheval de Troie qui doit nous permettre de faire entrer le numérique en faculté de médecine » avoue Antoine Tesnière, maître de conférence à l’université Paris Descartes3. L’ambition est ensuite d’étendre la révolution numérique aux examens de la première année de médecine par exemple (avec ses dizaines de milliers de candidats). Comme dit Jean-Pierre Gondran :

« On a du mal à imaginer devoir faire marche arrière. […] L'important était de mettre en place la rupture numérique du dispositif. On pourra améliorer le reste ensuite. »

Selon toute apparence, le souci des étudiants n’est pas « l’important », en effet.

Quant à « la rupture numérique », elle a été éclatante. Enfin, surtout la rupture.

Des examens augmentés ?

Promesses finalement non tenues (absence de documents multimédias, iconographie de qualité médiocre), examens appauvris (disparition des questions ouvertes)… Même les actions en apparence les plus simples – surligner un texte – semblent trop complexes dans un dispositif numérique.

Problèmes techniques à répétition et autrement plus graves, épreuves désorganisées et confuses, suscitant un stress nouveau et bien compréhensible chez les étudiants. Déconnexions risquant de créer de graves inégalités entre eux ou entre les universités. Et nouveaux problèmes modernes en perspective : sécurité (échanges de mots de passe, brouillage wifi etc.) mais également apport de la preuve en cas de contestation des résultats.

Coût global non communiqué, mais finalement bien plus élevé que prévu, qu’on peut sans doute estimer à plusieurs millions d’euros (hors investissement de la première année)[14].

Bref, plus simple, plus fiable, plus juste et moins cher : vraiment ?

« Nous sommes sur le chemin de la réussite », a affirmé la directrice du CNG, Danielle Toupillier[15], prévoyant malgré tout deux jours supplémentaires d'examen par précaution. A partir du lundi 20 juin 2016, les étudiants pourront en juger. Une chose est certaine : réussite ou fiasco, l’anxiété des étudiants en médecine aura bien été augmentée  !

@loysbonod


Notes

[1] Ministère des Affaires sociales et de la Santé : « Lancement des travaux de modernisation de l’examen classant national (ECN) » (25 mars 2013)

[2] Présentation du projet sur le site de l’Université de Nice en 2013 (le lien n’est plus actif) :

« Dans ces conditions, l’organisation pratique des ECN et notamment le regroupement des étudiants sur les lieux d’épreuves, l’édition des cahiers d’épreuves et surtout la mobilisation d’un jury de près de 500 membres pendant plusieurs semaines, apparaissent de plus en plus risquées, coûteuses et finalement mal adaptées à la finalité recherchée. »

Voir aussi dans « L’Est Républicain » du 2 février 2014 : « Nancy : exams de médecine sur iPad »

« Sur le plan économique, les examens classants sur iPad devraient générer une économie de 4M d’euros, précise Henry Coudane, doyen de la faculté. Plutôt que d’être rassemblés par grande région, les étudiants seront évalués en même temps chacun dans leur propre faculté. Plus de déplacements donc, plus de location de parc des expositions, plus de réservations d’hôtel à Rungis où tous les profs se réunissaient ensuite pour plusieurs jours pour les corrections. « Ce temps gagné sera mis au service de l’élaboration des questions, des sujets avec ajouts de documents vidéos, etc. », note Marc Braun. »

[3] Solucom pour la sécurité par exemple.

[8] « EducPros » du 8 mars 2016 : « Médecine : les ECNi réussissent leur second test grandeur nature ». L’article, tout en gardant son titre, est néanmoins édité le 9 mars 2016 avec cet ajout amusant :

« L'épreuve du mercredi matin a planté

Tout avait bien commencé... jusqu'à ce troisième jour d'épreuves. Mercredi 9 mars, le système a flanché lors de l'épreuve de LCA (lecture critique d'articles). Le problème serait dû à une surcharge des serveurs lors de l'ouverture simultanée de textes. À trois mois des "vraies" ECN, les étudiants oscillent entre désarroi et dérision... Le CNG a finalement suspendu l'épreuve et devrait la reporter. "De toutes les façons, les étudiants sont convoqués pour toute la semaine au cas où il faudrait en reprogrammer", indique Djillali Annane. Une précaution qui se révèle aujourd'hui utile... »

Beaucoup plus critique, « Le Quotidien du Médecin » du 10 mars 2016 : « ECNi tests : l’épreuve de LCA de nouveau perturbée par des bugs »

[9] « Le Quotidien du Médecin » du 6 juin 2016 : « Le portail d'entraînement donne des sueurs froides aux carabins »

[14] « EducPros » du 11 décembre 2015 : « Après le crash des ECNi, les informaticiens face au défi des examens en ligne »

« Pour la seule université de Rennes 1, le coût humain pour la seule DSI est estimé à 90.000 euros auxquels s'ajoutent 15.000 euros de fonctionnement annuel. "D'un point de vue matériel, il est de 350.000 euros d'investissement et 40.000 euros de fonctionnement par an", explique le DSI breton ».

[15] « Le Quotidien du Médecin » du 4 avril 2016 : « ECNi : Nous sommes sur le chemin de la réussite »