Collège 2016 : de la théorie pédagogique à la pratique en classe

20150329À quoi pourront ressembler les enseignements pratiques interdisciplinaires, ces « nouvelles pratiques » pédagogiques imposées par la réforme du collège 2016 ?

Petit exercice d'anticipation pédagogique à popos des exemples d’enseignements pratiques interdisciplinaires fournis par le ministère dans le dossier de presse de la réforme du collège 20161, ces « nouvelles pratiques » imposées aux professeurs et aux élèves, à raison de deux EPI par an (au moins), et qui réduiront de trois heures par semaine les horaires disciplinaires.

1. Les débats en caricatures

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Agnès, Éloïse, Léo, Lorraine, Zinedine et Matteo sont élèves en classe de 5e. On a imposé à leur professeur d’arts plastiques et à un autre, qui n'a pas su protester assez fort, de réaliser un travail autour de la liberté de la presse et, plus particulièrement du dessin de presse.

En enseignement moral et civique, il est demandé à chaque élève d’être en capacité d’argumenter et de confronter ses jugements à ceux d’autrui dans une discussion. Les six élèves doivent se regrouper pour organiser un débat autour de caricatures qu’ils doivent préparer dans le cadre du cours d’arts plastiques. Les 23 autres élèves de la classe font de même pendant que le professeur essaie de faire baisser le niveau sonore.

Leur enseignant a essayé de faire venir pendant une heure de cours un caricaturiste du journal local, qu’il a trouvé dans l’annuaire des réservistes citoyens, mais celui-ci n'a pas accepté d’être le grand témoin bénévole de ce débat en classe. Alors le projet devient un peu compliqué à mener.

Agnès et Zinedine dessinent assez correctement, ils ont donc réalisé chacun une caricature sur un même sujet dont les élèves du collège n'ont strictement rien à faire : la proposition des élus du conseil de la vie collégienne d'organiser des Olympiades pour tous les élèves dont la finale aurait lieu un samedi après-midi. Sur ordre de leurs professeurs, Agnès a défendu la proposition alors que Louis a proposé une caricature dans laquelle il critique le fait que cela se fasse en plus des heures de cours. Tous savent bien que ce projet, totalement bidon, n'est qu'un prétexte peu intéressant à l'exercice.

Éloïse et Lorraine, qui n'ont pas progressé en dessin pendant ce temps, ont fait semblant de préparer et d'animer le débat dans la classe, mais, assez rapidement, ça a été le bazar, alors leur professeur s'est fâché. Chacun aurait dû exprimer son point de vue mais le débat est assez limité en raison du manque de culture générale des élèves et de leur maîtrise de la langue encore trop approximative. Le projet de l'année prochaine pourrait être « Former son esprit en découvrant la grammaire française ». Léo et Matteo ont pris des notes pendant le débat et préparé un article pour le journal du collège. Malheureusement, ils ne sont bons ni en dessin, ni en rédaction.

Les enseignants les ont évalués sur ce projet complet : les caricatures, l’organisation du débat et l’article de presse. En vrai, ils n'ont pas su comment noter, alors ils ont mis de bonnes notes à tout le monde.

2. Un magazine consacré à la machine à vapeur

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Nadia, Carole et Jérôme sont en classe de 4e. Ce trimestre, le jeudi après-midi de 14 h à 16 h, avec leurs professeurs de mathématiques, de physique-chimie et d’histoire, qui ne savent pas vraiment comment organiser leurs cours à trois, ils mènent un projet sur la machine à vapeur : créer un magazine consacré à cette invention. Malheureusement, les enseignants se heurtent à la mauvaise volonté des élèves qui renâclent, lassés d’imaginer des magazines, des vidéos ou des blogs dans tous les EPI.

Du cours d’histoire, ils doivent utiliser leurs connaissances sur la révolution industrielle au XIXe siècle, ce qui pose quelques problèmes, la moitié de la classe ayant passé la soirée sur Facebook au lieu de réviser.

Du cours de physique, le chapitre sur la pression d’un gaz. Léo, qui a proposé à Julie de calculer la pression de ses gaz à lui, se fait punir par le professeur.

Leur professeur de mathématiques leur a demandé de prouver qu’il s’agissait réellement d’une révolution en calculant, à partir de la vitesse d’un cheval et la vitesse des premiers trains, le temps gagné pour rejoindre les villes de Lyon, Marseille, Orléans et Nantes depuis Paris. Nathan, qui rêve de devenir ingénieur, essaie de trouver la solution, mais il est perdu dans ses calculs. Théo et Victor prétendent qu'ils n'y arrivent pas et font les imbéciles pendant que le professeur essaie d'aider un autre groupe pas plus motivé.

Nadia, Carole et Jérôme rédigent actuellement leur magazine, pendant que leurs camarades se tournent les pouces, et seront évalués dans quelques semaines sur ce projet qui fera bâiller d'ennui toute leur classe.

3. Des éoliennes en maquette

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Lucas et Nora sont élèves en classe de 3e et vont travailler sur les éoliennes avec leurs enseignants de physique, de SVT et de technologie, sans oublier l'ensemble de la classe, soit 29 élèves en tout.

Pour leur projet, Lucas et Nora doivent créer une maquette et faire un reportage vidéo sur le blog du collège.

Du cours de physique, Lucas et Nora essaient d'utiliser ce qu’ils auraient dû apprendre sur l’alternateur et les possibilités de production de l’électricité pour expliquer comment une éolienne produit de l’électricité. Malheureusement, avec la réforme de 2016, ils ont eu droit à moins d'heures de cours, alors ils galèrent un peu. Avec quelques pillages de pages de Wikipédia, ils prétendent être allés plus loin pour expliquer pourquoi certaines éoliennes sont plus performantes que d’autres.

Du cours de SVT, ils doivent exploiter le chapitre sur les énergies fossiles et énergies renouvelables qu’ils ont étudié il y a quelques semaines. Mais ils ne voient pas le rapport avec la maquette en bâtonnets d’esquimau qu'ils doivent confectionner.

Leur enseignant de technologie les accompagne dans la création d'une petite maquette représentant une éolienne. Ils ont déjà eu l’occasion en 5e et 4e d’être initiés aux démarches de conception et de modélisation numérique ; ils ont vu comment cela pouvait fonctionner sur un pont. Mais ils ont déjà tout oublié. À l'aide d'une maquette numérique, ils doivent mettre en application leurs connaissances pour produire un modèle simple qui associe une hélice, un aimant et une bobine de cuivre qu’ils feraient tourner grâce à un sèche-cheveux afin d’alimenter une LED. Le professeur finit par s'énerver parce que personne n'écoute et il est obligé de montrer une nouvelle fois comment faire. Puis il punit Jimmy qui essaie de soulever la jupe de Nora avec le sèche-cheveux.

Lucas et Nora ont été évalués sur cette vidéo dans laquelle ils auraient dû expliquer de manière simple comment fonctionnaient les éoliennes et pourquoi elles pouvaient représenter une source d’énergie d’avenir. Les professeurs, dépités par le résultat, renoncent à mettre la vidéo en ligne.

4. C’est quoi un urbaniste ?

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Les professeurs d’anglais, de géographie et de mathématiques, à court d'idées, ont décidé d'utiliser une proposition lue sur un site officiel: faire découvrir un métier aux élèves, celui d’urbaniste (après avoir hésité avec les métiers de taxidermiste et de trader dans une banque). Pour cela, chacun s'est demandé comment associer la découverte de cette profession à une partie de son cours, de telle sorte qu'on ne prenne pas trop de retard dans le programme. Après avoir tenté en vain de faire intervenir un professionnel de l’urbanisme, les professeurs ont dû lancer le travail.

Le professeur de géographie prétend lier le projet au chapitre sur la ville et sur les paysages et territoires. Les élèves auraient dû mieux comprendre les problématiques posées dans ces chapitres à travers le regard d’un professionnel, mais ce n'est évidemment pas le cas, comme personne n'a accepté de se déplacer gratuitement. De toute façon, la dernière fois qu'un professionnel est venu au collège, on a bien vu qu'il n'avait pas l'habitude de s'exprimer devant des enfants et son discours n'était pas vraiment adapté. Du coup, Thomas, Elise et Jonathan étaient un peu perdus.

Le professeur de mathématiques fait semblant de s’appuyer sur l’urbanisme pour aborder le chapitre « Aires et périmètres. »

Le professeur d’anglais, quant à lui, veut demander aux élèves de produire un exposé simple à l’oral sur ce sujet en expliquant brièvement ce qu’est le métier d’urbaniste et en prenant un cas très concret d’un quartier dans une ville anglophone. Il est bien embêté car cela va prendre beaucoup de temps de faire passer 14 binômes à l'oral. Et puis, sa spécialité, c'est la langue et la civilisation anglaises, pas l'urbanisme...

Marie et Mélanie, comme tous leurs camarades, vont donc préparer un exposé et pour répondre à l’énoncé, ont copié-collé sur une grande affiche le plan d’un quartier de Seattle piqué sur Internet. Elles ont tout d’abord expliqué en une phrase mal articulée comment l’urbaniste travaillait pour définir les contours d’un nouveau quartier (« It is a square and puts it in the streets »). Puis, à partir du plan qu’elles ont remis à tous les élèves, elles ont comparé l’utilisation des différentes surfaces : la surface du parc, la surface des habitations, la surface du nouveau centre commercial (« The people live in houses, there are races to go this commercial area is walking in the park. »)

Tout cela, en anglais, grâce à Google Traduction. C'est peut-être pour cela que le professeur n'est pas très content et que personne ne comprend rien.

Elles ont ainsi un peu découvert un nouveau métier tout en s'appuyant sur ce qu'elles savaient déjà faire : copier-coller des images, mal traduire grâce à des logiciels en ligne. Elles n'ont que modérément progressé en mathématiques, en géographie ou en anglais pendant ce temps. Le travail sur ce métier leur a été plus utile : Marie et Mélanie savent désormais qu'elles ne veulent pas spécialement devenir urbanistes.

A.-C.

Professeur de lettres

Plaquettes parodiques à télécharger pour affichage.


Notes

[1] Ministère de l'Éducation nationale, « Collège : mieux apprendre pour mieux réussir » (11 mars 2015), « Une nouvelle pratique pédagogique pour que les élèves s'approprient mieux les connaissances : les enseignements pratiques interdisciplinaires »