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Les pédagogies coopératives (dont "l'enseignement mutuel")
- Loys
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SYNTHÈSE
Même si les pratiques collaboratives sont moins répandues en France que dans les autres pays de l’OCDE, elles se développent néanmoins à tous les échelons du système. Pluralité de contextes d’émergence, diversité de sources d’impulsion, variété de niveaux d’enseignement et d’échelles de pilotage, tel est le terreau dans lequel elles se manifestent. La mission a vu dans ce foisonnement l’intérêt renouvelé qui est porté aujourd’hui à des démarches collaboratives s’appuyant à présent sur des résultats solides issus de la recherche qui en montrent l’effet bénéfique sur les résultats des élèves, sur le climat d’apprentissage et sur le bien-être au travail des enseignants.
Au fil des entretiens et des observations qu’elle a menés dans des lieux et des contextes variés, la mission a porté une attention particulière aux modalités de travail entre élèves ainsi qu’à la collaboration entre les différents acteurs du système scolaire visant, directement ou indirectement, l’amélioration de la qualité des apprentissages. Elle a ainsi identifié des conditions de mise en œuvre et d’enracinement durable des pratiques collaboratives dans le système scolaire français. Ces conditions reposent essentiellement sur l’identification des modalités d’une mise en œuvre bénéfique aux apprentissages, un soutien institutionnel, la formation et une communication appropriée.
De par leur nature même, les pratiques collaboratives nécessitent un temps de concertation pour leur conception, leur mise en œuvre et leur régulation. Ce temps collectif est indispensable au bon fonctionnement et contribue au développement professionnel. Il est nécessaire qu’il soit institutionnalisé dans les emplois du temps, que ce soit de manière hebdomadaire, mensuelle ou autre, selon un calendrier et un financement clairement établis. Le pilotage doit donc être bien défini et facilement identifiable, au sein de l’école ou de l’établissement, mais aussi au niveau académique, afin que les équipes sachent où trouver l’appui nécessaire.
Le soutien académique trouve son expression première dans la mise en place de formations à et par la coopération, car coopérer ne s’improvise pas, ni par les professeurs, ni par les élèves. Des formations entre pairs, de type « constellations », sont propices à l’acquisition des savoirs et savoir-faire nécessaires à la mise en place de pratiques collaboratives, comme on a pu l’observer dans la mise en œuvre du Plan mathématiques dans le premier degré. Les formations et leur suivi gagnent à bénéficier du soutien de la recherche afin d’aider les équipes éducatives à développer et mettre en œuvre ces pratiques de manière pertinente et efficace et à déployer d’autres modes de développement professionnel, plus collaboratifs eux aussi. La communication sur le bien-fondé de ces pratiques pédagogiques constitue la dernière composante indispensable à un fondement stable des pratiques collaboratives. Il s’agit en effet d’en faire connaître les effets bénéfiques sur le bien-être à l’école et sur les apprentissages. Il s’agit également de faire comprendre, notamment aux parents mais aussi aux enseignants les plus éloignés de ces démarches, que, loin de se résumer à une « lubie pédagogique » réservée à quelques-uns, loin de faire perdre du temps aux professeurs comme aux élèves, les pratiques collaboratives reposent sur des méthodes éprouvées et performantes qui permettent aux enseignants de gagner en efficacité et à tous les élèves de progresser.
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Par Fanny Durand Raucher, Laurent Reynaud, Cyril LascassiesPar Alexis Beaulieu, Raphaël Delarge, Cécile Morzadec, Laurent Reynaud*
La rentrée approche, et avec elle l’envie de changer ou de revoir ses cours. Et si faire coopérer davantage les élèves leur permettait de mieux apprendre ? Une belle idée, mais aussi une surcharge de travail ? Pas si sûr ! Un enseignant de lycée et un chercheur en sciences de l’éducation entremêlent ici leurs regards entre pratiques de classe et recherches actuelles. Un dialogue pour tenter d’y voir plus clair, s’inspirer ou se rassurer, et surtout cheminer ensemble vers cette nouvelle année qui commence, sans nécessairement s’épuiser à la tâche.
« Faire coopérer les élèves en classe. » Cette ambition pédagogique propose de faire d’une pierre deux coups : permettre à chacun de mieux apprendre, en percevant les différences comme une richesse, tout en préparant simultanément une société plus solidaire. Mais face à l’ambition, il y a le principe de réalité des enseignants : « C’est bien beau tout ça, mais on a déjà tellement à faire ! »
L’organisation de la coopération peine alors à trouver le chemin de la classe, coincée entre l’appréhension de la surcharge de travail et la perception de rivalité avec la transmission des connaissances. En cette veille de rentrée scolaire, nous partageons trois outils simples et concrets pour organiser la coopération entre élèves. Des outils pour faire la classe, mais surtout des outils pour penser et échanger. Il ne s’agit donc pas simplement de se retrousser les manches mais aussi d’ouvrir une réflexion partagée qui s’alimente en même temps qu’on expérimente.
Le tableau d’aide : le recours aux pairs
Imane a terminé la première partie de l’activité de SVT. Elle se lève et se dirige vers la colonne « Je peux aider » du tableau. Elle y inscrit son prénom et écrit en face « pour l’analyse du document A ». Yann, qui bloque depuis quelques minutes sur cette partie sans rien laisser paraitre, se lève à son tour pour la rejoindre à sa table.
Voici une situation de classe qui permet de visualiser l’intérêt du tableau d’aide. La mise en œuvre dans ma classe est finalement assez simple. À chaque lancement d’activité ou d’exercice, je trace deux colonnes au tableau que j’intitule « J’ai besoin d’aide » et « Je peux aider ». Chacune est divisée en deux autres colonnes, « prénom » et « pour… ». L’objectif est d’organiser l’aide entre les élèves en laissant l’initiative à celles et ceux qui sont coincés.
Avant, c’était moi qui déambulais de table en table pour aider les élèves bloqués ou encourager les plus avancés à aider les autres. C’était épuisant, j’avais l’impression d’être un garçon de café. Si j’ai arrêté ce défilé, je ne me défile pas pour autant de ma mission. Ce tableau d’aide me permet de rester au bureau. J’y propose des temps d’aides spécifiques pour les volontaires au fil de l’activité ou, plus souvent, je me consacre aux élèves en grande difficulté.
Évolutions
L’utilisation de ce tableau a beaucoup évolué. Au départ, je tenais à ce que chaque élève y indique son prénom avant d’avoir recours à de l’aide. Par exemple, Yann aurait dû indiquer son prénom dans la colonne « J’ai besoin d’aide » avant d’aller voir Imane.
J’ai abandonné cette condition quand Sylvain m’a montré un résultat de recherche. En effet, certains élèves s’interdisent de marquer leur prénom dans cette colonne par peur du jugement. Je conserve quand même la colonne pour laisser la possibilité à certains élèves de visualiser qu’ils passent parfois d’une colonne à l’autre. Par exemple, Yann peut ensuite s’inscrire dans la colonne « Je peux aider » et s’effacer de l’autre.
Ces glissements sur le tableau sont rares, mais les élèves qui le font ressentent très souvent un sentiment de fierté qui transparait sur leur visage. Au fil du temps, ce fonctionnement transforme la classe en une valse de l’entraide qui entraine un peu tout le monde dans le travail.
Apprendre à aider
Pour autant, apprendre ne se résume pas au travail et une difficulté persiste : l’engouement est de courte durée. En effet, il arrive assez souvent que les élèves ayant bénéficié de l’aide se retrouvent débloqués sans pour autant avoir compris. Dans un premier temps, ce n’est pas grave car cela permet aux élèves d’avancer dans les activités mais dès les premières évaluations certains s’aperçoivent, trop tard, que sans aide ils n’y arrivent toujours pas. Cette inefficacité au long cours de l’aide alimente alors une perception démotivante d’inutilité, voire de leurre : « Je travaille mais cela ne sert à rien. »
Avec les collègues, nous avons donc mis au point une formation à destination des élèves (disponible sur le blog Feydercoop). Elle leur permet d’apprendre à aider leurs camarades, et à demander de l’aide, pour que cela soit efficace et durable pour tout le monde. Ils y apprennent par exemple qu’aider son camarade se conclut systématiquement par : « Allez, recommence tout seul pour voir ».
Regard de la recherche :
Le tableau d’aide décrit par Laurent a été identifié comme un levier puissant de différenciation pédagogique non stigmatisante. Sans y être obligés, chacun est autorisé à faire le choix d’une demande d’aide à chaque fois qu’il en perçoit le besoin : face à une consigne incomprise, un mot nouveau, un manque de motivation, etc.
Nous avons pu repérer plusieurs formes de travail possibles pour chaque élève : continuer à travailler seul (dans la réalisation des exercices d’entrainement), demander de l’aide à un camarade de son choix qui s’est proposé, apporter soi-même son aide (et ainsi bénéficier des immenses atouts d’être tuteur ou tutrice), travailler en entraide (avec des camarades qui sont sur de mêmes tâches et ne souhaitent pas rester seuls) ou solliciter l’enseignant pour une question spécifique (une correction rapide, une aide non résolue par de la coopération).
Les risques identifiés au tableau d’aide sont doubles. D’abord, des élèves qui feignent ne pas avoir de problème et n’avancent pas dans leur travail. Ils se servent des espaces de liberté pour procrastiner ou, pire, pour se satisfaire de leurs manques. Ce manque d’autonomie peut alors être compensé par des degrés d’autonomie qui distinguent les élèves selon leurs capacités à pouvoir se montrer responsables dans leur travail, l’enseignant n’hésitant pas à surveiller davantage l’avancée de leurs engagements.
Ensuite, des élèves qui n’osent pas prendre le risque de montrer leur vulnérabilité, comme l’évoque très bien Laurent. C’est souvent un travail de longue haleine que de les convaincre des avantages qu’ils peuvent retirer d’une aide demandée. Cela passe par une formation initiale des élèves (avec des explications sur la manière de demander et d’apporter de l’aide), par un accompagnement de ceux ayant le plus de mal à prendre cette initiative, notamment au pied des résultats de leurs évaluations au regard des stratégies qu’ils ont usées pour s’y préparer.
Le tableau d’aide
Résumé
Place de la coopération
Moment du cours
Les avantages
Les précautions
Un tableau pour que les élèves indiquent aux autres quand ils peuvent aider ou quand ils ont besoin d’aide Aide entre pairs Une activité ou des exercices d’entrainement Soulage l’enseignant en démultipliant les recours lors de blocages d’élèves.
Valorise les élèves aidant et leur permet de progresser
Contribue à une ambiance collective de mise au travail Diminuer le jugement des élèves qui demandent de l’aide.
S’assurer d’une réciprocité de l’aide
Accompagner les élèves moins autonomes
Un travail en groupe en dix minutes
Apolline a dû réfléchir toute seule à la question du jour en SVT : « Comment expliquer que les cellules du corps soient différentes alors qu’elles sont issues d’une cellule unique ? » Elle s’est ennuyée, car elle sait bien que les cellules changent à cause de l’ADN. Elle se retrouve ensuite en groupe avec trois camarades. Ils doivent échanger leurs réponses personnelles. Tao n’est pas d’accord avec elle car si toutes les cellules du corps ont la même molécule d’ADN, elles ont donc les mêmes informations et devraient alors être similaires. Chloé enchaine en comparant l’ADN à un livre de recette : « C’est pas parce qu’on a toutes les recettes qu’on fait tous les plats. » Apolline est perdue. Tao doute.
Au bout de cinq minutes, je reprends la main pour interroger collectivement des élèves de quelques groupes. À ce moment, mon objectif est de rendre visibles les désaccords sur la question pour faire douter un maximum d’élèves comme Apolline. Finalement, ils ne savent plus qui a raison et développent un intérêt un peu plus grand pour la question et la réponse.
J’organise ce travail en groupe en trois temps. D’abord, un temps d’accueil où une situation-problème est partagée à la classe (une situation-problème étant un énoncé accessible conçu pour bloquer les élèves). Puis, un temps de réflexion individuelle de deux minutes est laissé pour que chacun ait le temps de penser et d’élaborer une réponse. Ensuite, un temps d’échange de six minutes permet aux élèves d’exprimer leurs réponses et de les confronter pour générer un conflit d’idées.
Lors d’une discussion avec Sylvain, j’ai rajouté un quatrième temps de reprise générale par l’enseignant. Si ce dernier semble nécessaire pour s’assurer que le conflit d’idées touche un maximum d’élèves, ce n’est pas toujours facile à animer.
Plus d’intérêt
Cette pratique du travail en groupe n’est pas miraculeuse, mais j’observe un intérêt plus fort des élèves pour le cours. Il est bien plus important que lorsque je faisais écrire le problème en rouge dans le cahier au début du cours en cultivant l’intrigue tout seul. Un indicateur me confirme parfois cet engouement, lorsque je me retourne en disant « allez on va passer à autre chose maintenant », certaines voix s’élèvent : « Non mais c’est quoi alors la réponse ? Pourquoi sont-elles différentes, ces cellules ? » Je saisis l’occasion pour expliquer la notion du jour avant de faire écrire le bilan.
Ce travail en groupe interroge parfois, car les élèves ne produisent rien, si ce n’est de la pensée et du doute. Or ce n’est pas vraiment la vision que j’avais du travail en groupe au début de ma carrière. Il fallait que les élèves réalisent ensemble quelque chose. Je me condamnais ainsi à un paradoxe : j’étais fier de certaines productions, mais j’étais déçu de tout le temps passé pour travailler une petite partie du programme.
Avec cette nouvelle approche du travail en groupe, l’objectif est redéfini, il ne s’agit plus de produire mais d’intéresser les élèves en générant du doute. C’est plus clair, et c’est surtout plus rapide, car ce travail en groupe n’excède jamais dix minutes. D’ailleurs, il ne faut pas qu’il dure trop longtemps, car sinon les élèves finissent par se mettre d’accord et ils ne doutent plus. Dans ce cas, l’objectif de les intéresser à ce qui va suivre n’est pas atteint.
Regard de la recherche :
Effectivement, nous avons pu distinguer le travail en groupe du travail de groupe. Ce dernier correspond à ce que décrit Laurent quand il témoigne de productions demandées aux élèves. Or, participer à une production collaborative ne signifie nullement que l’on en retire un quelconque apprentissage. Chacun peut en effet s’engager dans des tâches qui correspondent à ce qu’il sait faire sans s’intéresser à ce qui pourrait lui demander un progrès nouveau.
Le travail en groupe vise plutôt la formation d’un doute épistémique. C’est lorsque l’on perçoit suffisamment d’incertitude pour ressentir le besoin d’en savoir plus, tellement est désagréable cette sensation de déstabilisation. Un rapport au savoir, principalement conduit par l’enseignant, peut apporter alors aux élèves ce qui leur manque afin que chacun puisse s’engager dans le nécessaire travail de reconfiguration cognitive, source d’apprentissage.
Organiser du travail en groupe au sein d’une classe hétérogène ne va pas de soi. Il ne s’agit pas que de technique. Comme le décrit Laurent, on trouve un équilibre temporalisé entre des moments de réflexion individuelle, des temps coopératifs et du collectif. Mais l’instant le plus sensible est celui où l’enseignant décide, à partir de signes pris par exemple dans le regard des élèves, de ne plus les faire chercher (au risque de les décourager et de les voir abandonner) et de répondre à toutes les questions qu’ils se posent (par de la transmission franche des savoirs).
La qualité de cette mobilisation des élèves dépend de deux facteurs principaux : le choix de la situation-problème (autour d’un obstacle que les élèves acceptent de surmonter) et la finalisation individuelle du travail pendant la séance. Sachant qu’avant la fin du cours, l’enseignant portera un avis sur la réponse donnée à une consigne individuelle, les élèves voient généralement leur intérêt à ne pas esquiver le travail pour espérer partir avec la satisfaction d’avoir compris quelque chose de nouveau. Cette chance accordée à chacun d’être fier de lui-même n’est rien d’autre que l’idée de Célestin Freinet souhaitant laisser chaque élève « prendre la tête du peloton ».
Le travail en groupe
Résumé
Place de la coopération
Moment du cours
Les avantages
Les précautions
Un groupe pour échanger et confronter des avis pour exprimer des désaccords et générer du doute Conflit d’idées et confrontation des avis Début du cours pour introduire la notion. Intéresser les élèves au cours.
Valoriser le conflit d’idées.
Faire évoluer les certitudes.
Concevoir tout savoir comme réponse à des questions que les élèves se posent Un temps court pour éviter les consensus ou les conflits relationnels.
Construire des situations problèmes percutantes.
Finaliser le cours par une activité individuelle
La classe puzzle : trois coups en un
Quand Hakim explique ce qu’il a compris de l’analyse de son document, ses deux camarades l’écoutent attentivement. Sophie se rend compte que cela complète bien l’analyse de son document à elle. Yanis panique. Il n’a pas travaillé pendant l’étape d’avant, le groupe d’experts. Il le regrette. C’était l’occasion de mieux comprendre, car dans ce groupe tous ses camarades travaillaient sur le même document. Maintenant, il se sent bien seul pour l’expliquer aux autres.
Cette situation dévoile la dernière étape de la pratique de la classe puzzle1. L’objectif de cette pratique est de motiver la mise au travail des élèves en activant l’interdépendance. Dans les faits, la classe puzzle telle que je la pratique s’organise en trois étapes. En amont du cours, je découpe l’activité en plusieurs parties succinctes, chacun devant apporter une partie de la notion à transmettre.
Par exemple, trois documents différents, dont la mise en relation permet de mieux comprendre un phénomène. L’étape 1 consiste à donner aléatoirement aux élèves une partie de l’activité en leur laissant un court temps pour la lire et commencer à y réfléchir seul. Ensuite, l’étape 2, correspond au groupe d’experts. Tous les élèves qui ont le même document se réunissent pour travailler dessus ensemble. L’étape 3 porte bien son nom : groupe de partage. Chaque groupe se compose désormais d’élèves ayant réalisé les différentes parties de l’activité. Chacun explique à tour de rôle ce qu’il a fait et compris.
Une évaluation rapide par QCM
Depuis quelque temps, j’ai ajouté des temps d’évaluations avec des QCM. Au terme de l’étape 2, je distribue un QCM individuel à chaque élève du groupe. Une fois complété seul, ils croisent leurs réponses et corrigent ensemble : cela les rassure sur leur niveau de maitrise du document. À la fin, pour stimuler les échanges et l’attention réciproque, je distribue un QCM portant sur l’ensemble des trois parties de l’activité. Les élèves doivent le compléter individuellement. Dans un souci de gain de temps et pour éviter une surcharge de travail, je me contente de compiler les trois QCM de l’étape d’avant.
Ces évaluations permettent de faire d’une pierre trois coups : m’assurer que les élèves aient compris ce qu’ils vont expliquer aux autres, les rassurer sur le niveau de maitrise pour les mettre en confiance, et permettre une meilleure attention lors du partage. Je n’assume pas vraiment le dernier point, mais je cherche encore un moyen capable de générer une émulation aussi grande.
Avec des collègues membres du CRAP-Cahiers pédagogiques et Sylvain, nous menons actuellement une recherche collaborative pour vérifier si les élèves apprennent vraiment lors d’une classe puzzle. Il faudra donc attendre la fin de ces travaux pour le savoir.
Ce que j’observe en revanche, c’est qu’elle permet vraiment d’améliorer la mise au travail des élèves. Là aussi, rien de miraculeux, le cas de Yanis l’illustre bien. Ceci dit, la répétition de la classe puzzle permet quand même d’engager davantage d’élèves, même les plus récalcitrant. En effet, la seconde fois, le souvenir de leur incapacité face aux pairs dans le groupe de partage les motive un plus à s’y mettre pour avoir quelque chose à apporter aux autres.
Regard de la recherche :
La classe-puzzle (le jigsaw en anglais) est une technique issue d’un courant spécifique des pédagogies coopératives : le cooperative learning. Il consiste à faire entrer les élèves dans des activités d’interdépendance et de responsabilité individuelle, afin qu’ils puissent développer des habiletés coopératives. Autrement dit, ce sont des techniques pour apprendre à coopérer.
Le jigsaw a été pensé à cet effet par un psychologue américain, Elliot Aronson, pour tenter de réduire les tensions ethniques entre des populations différentes de jeunes aux États-Unis. En somme, c’était une réponse claire au besoin de faire se rencontrer et se respecter des élèves issus de communautés différentes et antagonistes. Le travail d’Aronson a été unanimement reconnu comme efficace pour résoudre une partie de ces difficultés sociales.
En France, cette technique n’est pas utilisée à cette fin. Elle est souvent introduite pour motiver des élèves dans du travail scolaire, afin qu’ils prennent plaisir à étudier des contenus auxquels ils n’ont pas choisi de s’intéresser (mais qui sont dans les programmes scolaires). Pour cela, le jigsaw se montre très intéressant, avec en plus le plaisir des enseignants d’observer leurs élèves au travail, engagés dans des relations particulièrement apaisées et agréables.
Mais les recherches sur le sujet ont relevé un problème important : en fin de séance (et quelques semaines plus tard), les élèves ne retiennent généralement que ce qu’ils ont travaillé et transmis à leurs camarades. En d’autres termes, ils n’ont appris qu’une toute petite partie du contenu scolaire, celui sur lequel ils se sont le plus concentrés. Ce n’est pas étonnant, le jigsaw n’a pas été fait pour que les élèves apprennent autre chose que des habiletés coopératives.
Comme l’explique Laurent, nous sommes en train de terminer des tests avec une évolution du protocole. Après le groupe de partage, il n’est plus demandé aux groupes de réaliser une affiche. Chaque élève bascule en revanche dans un temps d’évaluation individuelle autour de l’ensemble des documents échangés. Nous ignorons encore ce que nous allons pouvoir mettre en exergue, mais les chances semblent plus grandes pour que davantage d’élèves s’engagent dans le jigsaw autrement que pour ne diffuser que leur seul texte.
La classe puzzle
Résumé
Place de la coopération
Moment du cours
Les avantages
Les précautions
Chaque élève devient expert d’une connaissance et la partage aux pairs pour faciliter une appropriation globale. Interdépendance dans la compréhension
Responsabilité individuelle Activité Motiver la mise au travail
Mettre la solidarité à profit
Gagner du temps en classe. S’assurer que les élèves « experts » aient bien compris ce qu’ils expliquent
S’assurer que les élèves tentent réellement de s’approprier les contenus transmis par leurs camarades
Sylvain Connac
Chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier
Laurent Reynaud
Enseignant de SVT au lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis)
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16 septembre 2024
Et si le travail de groupes se faisait jeu de rôles ? C’est la démarche originale tentée par Laurence Sladkowski au lycée Sévigné à Paris dans le cadre de l’étude en 2nde de la pièce « Médée ». Chaque groupe en étudie un acte, puis écrit et interprète une scène dans laquelle Corneille, entouré de ses comédiens, vient défendre sa pièce et son esthétique devant l’Académie française. Le bilan pédagogique de cette « dispute » littéraire s’avère fort positif : investissement des élèves, découverte de l’autre, mise en action des savoirs, travail de l’oral et de l’autonomie, prise de conscience que la littérature est aussi « une foire d’empoigne, qu’il faut se parfois se battre pour imposer ses idées, se quereller, qu’elle porte des coups « à l’estomac ». Inspirant ?
Vous avez lancé un défi original à vos 2ndes pour aborder la pièce Médée : en quoi a consisté exactement ce défi ?
Après lecture collective et étude de Médée de Corneille, en classe, il s’agissait de proposer aux élèves un jeu de rôle, plutôt que l’interprétation théâtrale d’un extrait. Leur défi consistait donc à se lancer dans l’écriture puis le jeu. De mon côté, le défi consistait à mobiliser la classe entière – une trentaine d’élèves – sur un seul texte, sans perdre de temps sur les apprentissages, en poursuivant les objectifs d’étude d’un texte théâtral. Il fallait trouver une formule efficace.
Pourquoi le choix d’un tel dispositif qui sort des sentiers battus du français au lycée ?
Réalisé en novembre, il s’agissait d’encourager le travail en groupe. Ces groupes ont été constitués par l’enseignant afin de favoriser les échanges entre élèves de Seconde, encore timides les uns vis-à-vis des autres. Mais surtout, il s’agissait de les rendre actifs, actifs dans la compréhension d’un texte assez ardu et pour cela, il fallait donc qu’ils se l’approprient. Enfin, ce jeu de rôle les oblige à écrire, autre compétence visée.
Ce jeu de rôle n’a rien à voir avec l’exercice de l’interprétation théâtrale lors de laquelle des élèves s’emparent d’un texte et le présentent à leurs camarades : je n’ai pas les talents d’un metteur en scène pour les guider au mieux, je n’ai pas le temps pour me consacrer à chaque groupe – que deviennent les autres ? – et de toute façon, ce n’était pas les compétences visées.
Quelles ont été les étapes, consignes, et modalités du travail préparatoire ?
D’abord lecture de la pièce en classe entière et attribution des 5 actes à étudier aux 5 groupes d’élèves constitués par l’enseignant.
Puis, par groupes de 5 ou 6, réponses par écrit des élèves aux questions posées par l’enseignant portant sur l’acte attribué et une scène en particulier, présentant un aspect spécifique. Par exemple, le groupe 1- acte 1 devait analyser les scènes d’exposition, tandis que le groupe 2 – acte 2 étudiait une scène de dialogue conflictuel, le groupe 3 – acte 3 une hypotypose (le surgissement de la grotte de Médée et ses sortilèges), etc.
Une fois l’étude faite par écrit, à l’aide de questions posées par l’enseignant et corrigées, approfondie par l’enseignant, le groupe devait en proposer une restitution non pas sous forme d’exposé, mais de scène jouée, réunissant des Académiciens se plaignant du non-respect des règles qui émergent à l’époque de Corneille, des comédiens défendant la théâtralité de leur jeu, et de Corneille exposant son point de vue, divergeant de celui des Académiciens. Un élève a pris aussi le rôle de machiniste pour défendre le caractère « spectaculaire » de la pièce puisqu’il s’agit d’une pièce à machine : Médée s’envole ainsi sur un dragon !
Comment se sont déroulées les prestations des élèves ?
Avec aisance : ils ont pris très au sérieux leur rôle, même quand celui-ci était minime. Peut-être ce sérieux est-il dû au fait qu’ils constituaient de petits groupes – cinq élèves en moyenne, je le rappelle – ce qui leur permettait à chacun d’« exister », même les plus timides, et donc d’être responsables de la saynète qu’ils allaient soumettre à leurs camarades.
Pour intéresser ceux qui ne jouaient pas au centre sur la « scène », un questionnaire leur avait été distribué qui leur demandait de bien saisir les enjeux de chaque prestation d’élèves : « Quels éléments impossibles à représenter sur scène Médée fait-elle surgir par ses paroles ? », « Par quel mot vos camarades ont-ils nommé ce procédé ? » …. Ils étaient assis aussi autour du groupe qui polémiquait au sujet de Médée.
Qu’ont pensé les élèves de cette expérience ?
Le film réalisé par l’équipe de l’académie de Paris témoigne du fait que les élèves ont beaucoup aimé. D’abord parce que cela changeait de leur quotidien scolaire, ensuite parce qu’ils étaient actifs en classe et enfin parce qu’il y avait la perspective d’une petite performance finale. Keren-Ann ajoute que, ce projet se situant en début d’année, lui a permis de découvrir de nouveaux camarades – comme je l’ai dit plus haut, j’avais imposé les équipes de travail -, ce qui a permis à la classe de mieux se connaitre, d’avoir une identité collective plus affirmée.
Quel bilan dresse de ce projet la professeure de lettres ?
Outre le réinvestissement de contenus pratiques, je retiens l’investissement et le dynamisme des élèves dans ce projet. A cette occasion, j’ai découvert aussi une classe plutôt autonome, ils étaient ravis de gérer leur travail entre eux, et ne recouraient à moi que lorsqu’ils rencontraient une difficulté. Je crois qu’ils ont apprécié cette confiance que je leur faisais, de travailler entre eux, sans moi, sauf si nécessaire.
Les groupes étaient aussi équilibrés de telle sorte que certains élèves étaient plus aptes que d’autres à insuffler une dynamique, à diriger leurs camarades, tandis que d’autres élèves apportaient un contenu théorique que les premiers ne possédaient pas forcément. D’autres élèves encore apportaient leur sensibilité sur les rôles qu’ils s’étaient choisis, surtout celui de Médée. J’ai été surprise, parfois non, par les rôles qu’ils s’attribuaient : des élèves muets, taciturnes, ne l’étaient finalement pas tant que ça.
Je souhaite aussi que les élèves aient saisi que la littérature n’est pas une affaire de reclus, retranchés dans une passivité éloignée de la société, mais qu’ils aient senti qu’elle est une foire d’empoigne, qu’il faut parfois se battre pour imposer ses idées, se quereller – et l’auteur du Cid en est un bel exemple – qu’elle porte des coups « à l’estomac ».
Et bien sûr, j’espère qu’ils ont mieux appréhendé les contenus théâtraux à acquérir.
Pourquoi le dispositif vous parait-il particulièrement adapté à la pièce Médée ?
Médée est une pièce pertinente pour une mise en scène polémique car elle se situe à un moment de tension dans l’histoire culturelle de la République des Lettres : une identité culturelle est justement en train de se construire de manière très consciente avec l’Académie, créée en 1636 alors que Médée est créée un an avant et relève encore et en partie d’une esthétique marquée par la cruauté : c’est l’histoire et l’explosion d’une sorcière bafouée qui s’exprime à travers le non-respect des règles sociales, à la manière de Médée qui refuse les règles de Créon, ou de Créon lui-même qui ne respecte pas les règles de l’hospitalité. Cette tension entre deux esthétiques va s’exprimer dans le dialogue rédigé par les élèves qui y trouvent plus de facilité à exprimer le conflit. A l’inverse, choisir un sujet sans tension rend compliquée l’écriture, qui risque d’être creuse et vaine.
Poser le regard des élèves sur cette période permet aussi de les rendre conscients qu’une langue, une littérature se construit aussi sur une volonté politique, et pas seulement sur une volonté individuelle, idée du génie humain et individuelle qu’ils attribuent souvent aux auteurs. Que la littérature participe à la politique culturelle d’une nation élargit la conception, souvent intimiste, que l’on se fait d’une œuvre.
Le dispositif vous parait-il cependant transférable ou adaptable ?
Du point de l’écriture, il se prête particulièrement au théâtre puisque ce dispositif encourage l’écriture de dialogues, base à la représentation. L’exercice est donc l’occasion de travailler les formes de l’interaction, la typographie, la répartition et l’avancée de la parole… Surtout, et concernant les œuvres les plus propices à ce type de travail, je pense qu’il faut trouver des œuvres comportant des sujets de tension : on pourrait à la fois mobiliser des pièces classiques où par exemple la tension entre le vraisemblable chez Phèdre est mis à mal par le surgissement fantastique du monstre, ou dans le drame romantique où les tenants du classicisme affronteraient les gilets rouges, ou encore la tension qui existe dans une pièce comme La Cantatrice Chauve où les tenants d’une écriture rationnelle et logique tiendraient tête aux défenseurs de l’absurde, que représente Ionesco.
Pourquoi pas aussi, mais en Spécialité Humanités Littérature et Philosophie (Terminale) et dans la perspective du chapitre « Arts, Ruptures et Continuités », se saisir de la querelle des Anciens et des Modernes ? On peut imaginer travailler sur le poème de Perrault, Le Siècle de Louis le Grand, osant affirmer que les poètes du règne de Louis XIV sont supérieurs aux Anciens. Fou furieux, Boileau claque la porte et réunit les grands auteurs : Racine, La Fontaine, La Bruyère (surtout que certains élèves l’ont étudié en Première), Bossuet, des « doctes » comme Madame Dacier. Mais Perrault est lui aussi bien entouré par Fontenelle, ainsi que par les femmes précieuses toutes lectrices du Mercure Galant….
Ou encore, pour ceux qui préparent Gargantua dans le cadre de la littérature d’idées (parcours : rire et savoir) de l’épreuve anticipée de français, pourquoi ne pas se saisir de La Défense et illustration de la langue française : là encore, en 1549, le jeune Du Bellay lâche un pamphlet dans la mare en condamnant tous les rimeurs qui l’ont précédé, ni plus ni moins que Marot et Villon, leur reprochant d’être restés prisonniers des formes héritées du Moyen-Âge : la riposte des vieux poètes français ne va pas tarder, qui reproche à Du Bellay « d’étranger la poésie » (Aneau, Le quintil horacien) en la réservant à une élite grécisée, latinisée, italianisée. Du Bellay lui répond en raillant « les écrits d’un petit magister, d’un conard, d’un badault ».
Les querelles abondent…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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