Pierre Y. Beaudoin - "Comment un prof a pourri le web" (21/03/12)
Résumons donc : vous nous expliquez, en somme, que Wikipédia, site international dont la version francophone a une audience dépassant largement les frontières de la France, devrait changer de mode de fonctionnement, et notamment imposer une discipline interne avec contrôles stricts, afin de contenter les besoins de l'Éducation nationale française, laquelle est incapable de sanctionner les élèves fraudeurs. Vous voudriez des lois coercitives interdisant les sites de corrigé, alors que l'Éducation nationale peine à gérer la fraude au baccalauréat.
Vous prenez le problème à l'envers et faites porter à des tiers la responsabilité de dysfonctionnements internes à votre employeur.
Si vous voulez que les élèves s'abstiennent de tricher ou de frauder, il faut que la sanction soit rapide (pas plusieurs années de recours et atermoiements) et dissuasive (ce qui est d'ailleurs très différent de menacer de sanctions maximales effroyables mais jamais appliquées).
Quant au relativisme moral et culturel : je prends simplement acte que chacun a ses intérêts propres. Vous semblez penser que tout à chacun devrait avoir lu le tome II de la République de Platon ou connaître telle ou telle légende grecque antique ; mais ce n'est pas ainsi que pense la grande majorité de la population.
Vous vous offusquez du constat, pourtant banal, que je fais : les étudiants bâclent leurs travaux quand ils portent sur des sujets qui ne les intéressant pas et qu'ils considèrent que les bâcler ou non n'a pas grande importance. C'est pourtant un comportement très répandu chez les enseignants : combien de fois ai-je entendu des réflexions du style « j'ai bâclé ce rapport sans intérêt que personne ne lira et qui finira dans un tiroit » ou encore « à l'IUFM/au CIES je ne prêtais aucune attention aux formations ».
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- Loys
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DM écrit: Bien.
Résumons donc : vous nous expliquez, en somme, que Wikipédia, site international dont la version francophone a une audience dépassant largement les frontières de la France, devrait changer de mode de fonctionnement, et notamment imposer une discipline interne avec contrôles stricts, afin de contenter les besoins de l'Éducation nationale française, laquelle est incapable de sanctionner les élèves fraudeurs. Vous voudriez des lois coercitives interdisant les sites de corrigé, alors que l'Éducation nationale peine à gérer la fraude au baccalauréat.
Pas "contenter les besoins de l’Éducation nationale", mais répondre à un minimum d'exigence, dans l'intérêt de tous. Je note quand même que Wikimédia propose des formations à Wikipédia aux documentalistes de l’Éducation nationale.
L’Éducation nationale n'est pas "incapable de sanctionner" la fraude, elle n'en a pas la volonté. C'est très différent.
Loin de moi cette idée. Wikipédia n'a aucune espèce de responsabilité là-dedans.Vous prenez le problème à l'envers et faites porter à des tiers la responsabilité de dysfonctionnements internes à votre employeur.
Bien d'accord.Si vous voulez que les élèves s'abstiennent de tricher ou de frauder, il faut que la sanction soit rapide (pas plusieurs années de recours et atermoiements) et dissuasive (ce qui est d'ailleurs très différent de menacer de sanctions maximales effroyables mais jamais appliquées).
La "population" - comme vous dites et que vous semblez si bien connaître - pense en grande partie à partir des connaissances que l'école lui a données. Ma perspective est donc renversée par rapport à la vôtre. Je n'estime pas que chacun doit avoir lu le tome II de la République, j'estime qu'il est de mon devoir de l'évoquer avec mes élèves.Quant au relativisme moral et culturel : je prends simplement acte que chacun a ses intérêts propres. Vous semblez penser que tout à chacun devrait avoir lu le tome II de la République de Platon ou connaître telle ou telle légende grecque antique ; mais ce n'est pas ainsi que pense la grande majorité de la population.
A ce compte les élèves du secondaire seraient en droit de bâcler beaucoup de choses.Vous vous offusquez du constat, pourtant banal, que je fais : les étudiants bâclent leurs travaux quand ils portent sur des sujets qui ne les intéressant pas et qu'ils considèrent que les bâcler ou non n'a pas grande importance.
On peut considérer que l'importance en est effectivement relative - du point de la réussite scolaire - dans la mesure où le baccalauréat est dévalorisé : www.laviemoderne.net/grandes-autopsies/18-diplome-de-bacotille
Un enseignant est à même de juger de la qualité d'une formation. Un élève beaucoup moins. Votre analogie récurrente fait partie du problème de l'école : vous considérez systématiquement les élèves comme des adultes.C'est pourtant un comportement très répandu chez les enseignants : combien de fois ai-je entendu des réflexions du style « j'ai bâclé ce rapport sans intérêt que personne ne lira et qui finira dans un tiroit » ou encore « à l'IUFM/au CIES je ne prêtais aucune attention aux formations ».
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J'ai moi-même constaté, à l'université, plusieurs cas de fraude : par exemple, un étudiant rendait un projet informatique très « léché » dont il ne pouvait commenter oralement la moindre partie (la discussion avec lui a abouti à ce qu'il explique qu'il l'avait fait faire par quelqu'un de bien plus compétent que lui) ; trois étudiants assis les uns à côté des autres à un « contrôle continu » rendant la même réponse fausse, au point virgule-près. Dans tous les cas, la hiérarchie s'est contenté de mettre une mauvaise note, sans enclencher de procédure disciplinaire (procédure il est vrai lourde et pénible). J'ai même eu une fois consigne de ne surtout pas rechercher les cas de projets recopiés et de ne pas en tenir compte, sauf aveu explicite des étudiants. Enfin, dans un établissement dont je tairai le nom, on m'a cité le cas d'une fraude avec usurpation d'identité, qui outre des sanctions disciplinaires aurait pu valoir des poursuites pénales... en m'expliquant que la direction de l'établissement ne voudrait probablement pas « faire de vagues ».
Autrement dit, comme vous le soulignez, il y a un manque de volonté de l'institution de lutter contre la fraude.
Dans ces circonstances, je ne vois pas très bien l'opportunité de réclamer une loi contre les sites de corrigés (commençons déjà à appliquer les procédures contre les fraudeurs), et encore moins de se répandre dans les médias en dénonçant des problèmes sur Wikipédia. Il est vrai que cela rentre probablement plus dans les problématiques favorisées par la presse (le méchant Internet qui répand n'importe quoi tandis que les professionnels de l'information bla bla) qu'une remise en cause générale des politiques éducatives, qui appelerait un débat de fond sur les buts de l'enseignement; or rien ne fait plus peur aux médias qu'une question appelant une réflexion dépassant des oppositions binaires (du type « Wikipédia est-elle fiable »).
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- Loys
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Quant à une loi contre les sites de corrigés, la vraie plaie de l'enseignement des lettres (et de Wikipédia au passage puisque certains articles sont sourcés à partir de ces sites), vous avez raison depuis le début : c'est impossible ou presque.
J'ai bien conscience également et je regrette que les médias évoquent si régulièrement Wikipédia (qui mérite d'être évoquée, bien sûr) et aussi peu les sites de corrigés payants, qui font profil bas et tâchent de se faire oublier depuis l'affaire "Anne de Beaunais" d'autant que eux, contrairement à Wikipédia, revendiquent un processus éditorial avec de comités de lecture pour justifier des pratiques commerciales.
A vrai dire, quand on relit les articles des blogs qui se sont déchaînés contre moi après l'affaire "Anne de Beaunais", ils ne tournent qu'autour de la question de la fiabilité de Wikipédia, ce qui n'a pas laissé de me rendre perplexe. Vous êtes l'un des rares à avoir pris du recul sur ce sujet , peut-être même le seul en vérité et je vous en sais gré, malgré notre hostilité réciproque (mais cordiale, comme dirait un certain président de l'UMP).
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Je pense que vous allez un peu loin quand vous parlez d'hostilité de ma part à votre égard ; pour ma part (mais il est évidemment périlleux de prétendre analyser objectivement ses propres sentiments), je n'y vois qu'un agacement, d'ailleurs lié non pas à votre personne (je ne vous connais pas), mais à d'une part certaines des positions que vous défendez, d'autre part à la tournure répétitive et convenue de la présentation de Wikipédia dans la plupart des médias.
Commençons par vos positions. Je pense que vous surestimez l'importance de certaines des choses que vous enseignez ; c'est là un vice très répandu chez les enseignants. Par ailleurs, vous assimilez cette critique à un « mépris » de la « culture ». Il me semble cependant qu'il est possible de considérer que quelque chose n'est pas d'une importance cruciale pour le futur de la plupart des étudiants (que ce soit pour leur capacité à comprendre le monde et la société qui les entourent ou leur accès à l'emploi), sans pour autant que cela constitue en quelconque façon du « mépris ». Comme je l'ai expliqué plusieurs fois, une partie des choses que j'enseigne ne sont pas « cruciales » ; cela ne veut pas dire que je les méprise !
Ceci m'attriste d'autant plus qu'il me semble que nous avons des points de convergence, notamment au sujet des dangers d'un enseignement secondaire qui produit des étudiants qui arrivent en première année d'université en étant incapables de s'exprimer synthétiquement en français correct ou de mener une démonstration logique, et dont la conception de l'enseignement est la mémorisation de « points de cours » à pouvoir ressortir à l'examen et à oublier six mois plus tard.
En ce qui concerne les débats sur la fiabilité de Wikipédia dans les médias, je m'attriste que ne soient presque jamais évoqués :
* Le fonctionnement réel de l'édition scolaire et universitaire. (Comme les relecteurs, les correcteurs etc. coûtent du temps de l'argent, on s'en passe de plus en plus.)
* La concentration des médias et éditeurs et les problèmes que posent la dépendance tant aux propriétaires qu'à la publicité. (Puisque le sujet est Wikipédia, je voudrais rappeler une anecdote : j'ai été interviewé par un journaliste dont la carte de visite disait qu'il travaillait pour « Lagardère », alors que le groupe Lagardère est également éditeur d'encyclopédies qui communiquent sur leur fiabilité par opposition à Wikipédia.)
* La rédaction d'articles par des non-experts dans des sites et encyclopédies ayant "pignon sur rue". J'ignore qui rédigeait les articles du Quid, mais j'ai constaté des erreurs grossières dans Britannica, dues à l'usage de salariés non experts. Quant au site Larousse.fr, qui se vantait d'attirer des "professeurs", j'ai montré que n'importe qui pouvait s'y inscrire et traiter de sujets pointus sans qu'il y ait tentative de vérification d'identité ou de qualifications.
* Le manque de fiabilité de la presse. Quand je vois des articles traitant de sciences, d'énergie (sujet pourtant crucial), etc. avec des erreurs que l'on n'aurait pas acceptées d'un lycéen (du moins d'un lycéen de mon époque), cela ne m'inspire pas confiance.
* Plus généralement, l'absence, dans les médias, de hiérarchisation des compétences. On invitera à égalité un professeur au Collège de France et un journaliste à la mode à qui il sera venu l'idée de traiter de tel sujet, un historien professionnel et un acteur qui se pique de recherches historiques, etc. Il est curieux que ces mêmes médias reprochent à Wikipédia ce qu'ils pratiquent au quotidien.
J'estime que le débat serait bien plus pertinent si l'on évoquait ces sujets, plutôt que des discussions sur la possibilité d'introduire des erreurs dans des thématiques confidentielles (c'est bien évidemment possible) ou des annonces intempestives dans les biographies de vedettes de télévision.
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- Loys
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Dont acte.DM écrit: Je pense que vous allez un peu loin quand vous parlez d'hostilité de ma part à votre égard ; pour ma part (mais il est évidemment périlleux de prétendre analyser objectivement ses propres sentiments), je n'y vois qu'un agacement, d'ailleurs lié non pas à votre personne (je ne vous connais pas), mais à d'une part certaines des positions que vous défendez, d'autre part à la tournure répétitive et convenue de la présentation de Wikipédia dans la plupart des médias.
Vous savez, David, j'enseigne le latin et le grec ancien, d'une importance relative "pour l'accès à l'emploi". J'enseigne certes les lettres mais j'enseigne aussi le français, et pas toujours à des publics favorisés, et là, la dimension "cruciale", je la revendique et je la défends bec et ongles.Commençons par vos positions. Je pense que vous surestimez l'importance de certaines des choses que vous enseignez ; c'est là un vice très répandu chez les enseignants. Par ailleurs, vous assimilez cette critique à un « mépris » de la « culture ». Il me semble cependant qu'il est possible de considérer que quelque chose n'est pas d'une importance cruciale pour le futur de la plupart des étudiants (que ce soit pour leur capacité à comprendre le monde et la société qui les entourent ou leur accès à l'emploi), sans pour autant que cela constitue en quelconque façon du « mépris ». Comme je l'ai expliqué plusieurs fois, une partie des choses que j'enseigne ne sont pas « cruciales » ; cela ne veut pas dire que je les méprise !
Le psittacisme à l'examen est évidemment regrettable, mais je persiste à penser que la mémorisation systématique de certains apprentissages est structurante (dans le primaire et au collège).Ceci m'attriste d'autant plus qu'il me semble que nous avons des points de convergence, notamment au sujet des dangers d'un enseignement secondaire qui produit des étudiants qui arrivent en première année d'université en étant incapables de s'exprimer synthétiquement en français correct ou de mener une démonstration logique, et dont la conception de l'enseignement est la mémorisation de « points de cours » à pouvoir ressortir à l'examen et à oublier six mois plus tard.
Je vous suis... mais - pour le dernier point - pour avoir la même exigence avec Wikipédia.En ce qui concerne les débats sur la fiabilité de Wikipédia dans les médias, je m'attriste que ne soient presque jamais évoqués :
* Le fonctionnement réel de l'édition scolaire et universitaire. (Comme les relecteurs, les correcteurs etc. coûtent du temps de l'argent, on s'en passe de plus en plus.)
* La concentration des médias et éditeurs et les problèmes que posent la dépendance tant aux propriétaires qu'à la publicité. (Puisque le sujet est Wikipédia, je voudrais rappeler une anecdote : j'ai été interviewé par un journaliste dont la carte de visite disait qu'il travaillait pour « Lagardère », alors que le groupe Lagardère est également éditeur d'encyclopédies qui communiquent sur leur fiabilité par opposition à Wikipédia.)
* La rédaction d'articles par des non-experts dans des sites et encyclopédies ayant "pignon sur rue". J'ignore qui rédigeait les articles du Quid, mais j'ai constaté des erreurs grossières dans Britannica, dues à l'usage de salariés non experts. Quant au site Larousse.fr, qui se vantait d'attirer des "professeurs", j'ai montré que n'importe qui pouvait s'y inscrire et traiter de sujets pointus sans qu'il y ait tentative de vérification d'identité ou de qualifications.
* Le manque de fiabilité de la presse. Quand je vois des articles traitant de sciences, d'énergie (sujet pourtant crucial), etc. avec des erreurs que l'on n'aurait pas acceptées d'un lycéen (du moins d'un lycéen de mon époque), cela ne m'inspire pas confiance.
* Plus généralement, l'absence, dans les médias, de hiérarchisation des compétences. On invitera à égalité un professeur au Collège de France et un journaliste à la mode à qui il sera venu l'idée de traiter de tel sujet, un historien professionnel et un acteur qui se pique de recherches historiques, etc.
Pour moi, une réforme de Wikipédia mettrait un terme à ces discussions stériles.J'estime que le débat serait bien plus pertinent si l'on évoquait ces sujets, plutôt que des discussions sur la possibilité d'introduire des erreurs dans des thématiques confidentielles (c'est bien évidemment possible) ou des annonces intempestives dans les biographies de vedettes de télévision.
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