Quel sens pour les palmarès des lycées ?
Fini le temps où chaque lycée établissait son palmarès. Dans l'École moderne, ce sont désormais les lycées qui font l'objet de palmarès !
Chaque année, en effet, le Ministère de l'Éducation nationale, même s'il conteste de plus en plus le principe des notes à l'école, n’en publie pas moins celles des lycée, qui permettent aux médias - malgré ses protestations vertueuses - de faire leurs choux gras avec leur classement maison, assorti bien sûr de mainte précaution oratoire. Chose amusante : parmi ces médias, nombreux sont ceux qui accusent régulièrement « l'élitisme » de notre système scolaire !
On peut, et on doit évidemment récuser le principe même de ces classements, mais le mieux est encore de mettre en évidence leur vacuité et de réfléchir à ce qu'ils nous disent de l'état préoccupant de notre école.
Pourquoi ces classements sont illusoires
Ces classements ne prennent pas en compte de nombreux facteurs pourtant déterminants, comme la stabilité de l'encadrement ou la taille de l'établissement. Les lycées privés sont, par exemple, deux fois plus petits, en moyenne, que les lycées publics : des établissements à taille humaine, en somme.
Mais il y a un autre facteur, sans doute plus crucial pour la réussite : le climat de discipline (écoute en classe, bruit, désordre, perte de temps etc.). Il faut se souvenir que, selon l’étude PISA de 2012, le système éducatif français est l’un des pires pour ce qui est des conditions de travail en classe.
Les indicateurs retenus sont donc non seulement très partiels mais, comme on va le voir, très problématiques.
Le taux de réussite au bac
Il faut rappeler que le bac est aujourd'hui une pêche miraculeuse : record d’une génération obtenant le baccalauréat, record du taux de réussite, record du taux de mentions, record du nombre de candidats obtenant une moyenne supérieure à 20/20. A ce compte, on a peine à croire qu’il faille « refonder l’École » !
Les taux de réussite sont aujourd’hui si élevés et les écarts entre lycée si faibles qu’ils sont le plus souvent peu signifiants : en 2015, la moitié des lycées ont un taux de réussite supérieur ou égal à… 94% ! C'est d'autant plus vrai qu'une part croissante du baccalauréat est dévolue au contrôle continu : à l'occasion des TPE, en EPS, en langues vivantes, dans certaines disciplines importantes des séries technologiques, les lycées évaluent eux-mêmes leurs propres élèves !
La « valeur ajoutée » des lycées
Elle compare le taux de réussite au bac par rapport à un taux attendu en fonction des profils scolaires et socio-économiques des élèves. Bien sûr, un lycée peut avoir une forte valeur ajoutée et néanmoins des résultats moyens dans des séries peu demandées (en gardant à l'esprit que des résultats moyens peuvent correspondre à des taux de réussite relativement élevés). Ce qui, au demeurant, ne retire rien au mérite de ces lycées.
Premier problème : la valeur ajoutée des lycées n’est calculée qu’à partir du taux de réussite au baccalauréat, avec le peu d'écarts déjà constatés entre les lycées (voir plus haut). Le Ministère a ainsi publié lui-même une liste des lycées les plus performants1 en retenant parmi l'un des critères une valeur ajoutée régulière… supérieure à trois points seulement : autant dire très peu.
Mais il y a un second problème, bien plus grave pour cet indicateur : la conception extrêmement restrictive de la « valeur ajoutée » des lycées par le ministère.
Les établissements les plus prestigieux ont souvent une valeur ajoutée proche de zéro, puisqu'ils n'accueillent que des bons élèves qui, statistiquement, ont toutes les chances d'être bacheliers.2
Curieusement, ces lycées restent pourtant très demandés3 : et si leur « valeur ajoutée » se mesurait non pas simplement à leur taux de réussite au bac mais à leur taux de mentions au bac, leur taux d’accès dans les filières sélectives post-bac ou au taux de réussite des élèves en licence ?
Bref, avec un "indicateur" si relatif, ces classements affichent hypocritement une jolie fiction d'égalité républicaine.
"Les meilleurs lycées ne sont pas forcément ceux qu'on attend
"Alfred-Nobel parvient à faire mentir les déterminismes sociaux"
"Le meilleur lycée public de France est... le lycée Mozart au Blanc Mesnil"
"Lycées français les plus « performants » : 7 sont en Seine-Saint-Denis"
"Malgré 100% de réussite au bac, Henri IV ne se classe qu'au 42e rang."
Le « taux d'accès » au bac
Une sélection drastique à l'entrée en seconde suffit à fausser totalement cet indicateur : un bon taux d'accès permet aussi bien d'identifier les lycées qui conservent leurs élèves en difficultés… que ceux qui ont bien choisi leurs élèves à l'origine. On ne s'étonnera pas de voir les lycées privés obtenir les meilleurs taux d'accès et les meilleures places dans ces curieux palmarès : dans le palmarès du « Monde » 2015, sur les cent premiers lycées en série générale et technologique, 81 sont privés. Et dans les lycées publics, on inclut ceux qui sélectionnent sur dossier ou sont payants !
Ajoutons le fait qu'après la seconde, certains lycées, ne proposant pas toutes les voies ou séries, ne peuvent conserver tous leurs élèves en première. Faut-il les considérer comme de moins bons lycées ?
Les voies et les séries
En ne distinguant pas les voies et les séries au baccalauréat, ces palamarès offrent une moyenne somme toute hypocrite vis-à-vis des attentes des parents. Des éventuels classement par voie et par série (comme c’est déjà le cas avec la voie professionnelle) seraient plus pertinents… mais sans doute moins spectaculaires.
Ces palmarès ne tiennent pas compte d’éventuelles aberrations statistiques
Elles sont notamment liées à de faibles effectifs (taux de réussite, plus-value), comme on peut le voir ci-dessous.
Un exemple d'aberration médiatique
En 2013, un petit lycée hors contrat s’est brusquement attiré une « pluie d'éloges » en se hissant parmi les trois meilleurs de France dans le palmarès du « Monde » (et dans d'autres classements4). Les méthodes de ce lycée ont été alors unanimement célébrées. Curieusement, l’année précédente, ce lycée végétait dans les tréfonds du palmarès, où il a d'ailleurs été relégué l’année suivante.
Comment expliquer un tel mystère ? La raison en est simple : l'exceptionnelle valeur ajoutée de ce lycée en 2013 (+18,3 selon « Le Monde ») s'explique en grande partie par celle d’une série représentée… par deux élèves !
En survolant l’image, on peut simuler l’échec d’un seul élève de ce lycée en 2013 et observer le résultat sur sa valeur ajoutée, devenue quasi-nulle. Un lycée peut donc être célébré comme l'un des meilleurs de France…. en fonction d’un seul élève ! L'année suivante, la valeur ajoutée de ce lycée est d'ailleurs devenue négative à cause de cette même série.
Depuis, sans doute échaudé par son débordement d'enthousiasme, le quotidien de référence a quelque peu changé sa méthodologie en ne prenant en compte que les lycées présentant « au moins cent candidats au bac »5. Même avec cette précaution, comme on peut le voir, de telles aberrations peuvent se reproduire chaque année.
Le vrai sens de ces classements
Le succès de ces classements, dépourvus de sens, révèle malheureusement un mouvement de fond beaucoup plus inquiétant : une perte de confiance en l’école de la République. Privés de repères − entre l'affichage d'une réussite éclatante et le délitement constaté −, les parents inquiets cherchent à tout le moins des comparaisons. Dans la débâcle, l’école n’est plus conçue comme un bien commun républicain, mais devient un service comme un autre, sommé de répondre à des intérêts particuliers.
L'expression « valeur ajoutée » atteste bien d'une école devenue un vaste marché scolaire soumis, comme le reste, à des comparatifs. Sur ce marché, avec un taux de réussite au bac supérieur ou égal à 98% en 2015 pour la moitié des lycées privés (contre seulement… 7% des lycées publics), ces palmarès offrent à l'enseignement privé une publicité royale, qui lui permet de sélectionner encore davantage son public.
Plus grave : l'inquiétude est telle que les universités et les collèges eux-mêmes, pourtant soumis à la carte scolaire dans le public, font désormais l’objet de classements annuels depuis 2015 (« Que vaut votre collège ? »6). Parallèlement, les effectifs de l’enseignement privé sous contrat augmentent régulièrement au collège (+1,6% d'élèves en 6e à la seule rentrée 2015). L’enseignement privé hors contrat, quant à lui, connaît une croissance inédite : 81 écoles créées contre 527 écoles publiques fermées à la rentrée 2015.
Pendant ce temps, au nom de l'égalité et - paradoxalement - au nom de la mixité, le ministère continue de faire la guerre à tout ce qui pouvait faire réussir - encore un peu - les élèves dans une école publique qui ne les sélectionne pas, avec l'aide bienvenue de sociologues comme François Dubet qui relativisent l'inégalité entre le public et le privé et justifient l'entre-soi scolaire7.
Il est malheureusement à craindre qu'un tel mouvement ne s'aggrave, quand les réformes imposées à l'école publiques sont chaque année plus désolantes (la réforme du lycée en 2010, des rythmes scolaires en 2013 ou du collège en 2016) et que la réussite est de moins en moins lisible (avec des examens dévalués et, de plus en plus, une nébuleuse évaluation par compétences).
Tant que ne sera pas restaurée la confiance dans la capacité des écoles publiques, où qu'elles se trouvent en France, à instruire efficacement et dans des conditions sereines, ces palmarès attristants fleuriront comme sur un corps que certains voudraient bien voir pourrir.
Notes
[1] "Le Point" du 30 mars 2016 : "Palmarès des lycées 2016 : les "champions" de l'Éducation nationale"
[2] "Le Monde" du 1er avril 2015 : "Classement 2015 des lycées : quels sont les résultats de votre établissement ?"
[3] Voir par exemple le "taux de pression" des lycées dans "Le Figaro" du 27 septembre 2013 : "Le palmarès des lycées parisiens les plus prisés à la rentrée 2013"
[4] Voir la presse en 2013 sur le classement étonnant du lycée Averroès de Lille, premier lycée de France dans le palmarès du "Parisien".
[5] "Le Monde" du 30 mars 2016 : "Classement des lycées 2016" et "Classement des lycées 2016 : les établissements qui réussissent le mieux".
[6] "L'Étudiant" : "Brevet : collège par collège, comparez leurs résultats au DNB"
[7] François Dubet dans "Le Monde" du 30 mars 2016 : "Classement des lycées 2016 : les raisons du succès du privé"
"Le privé opère une sélection par le niveau et l’argent… mais aussi par la motivation », nuance le sociologue François Dubet, pour qui « faire le choix du privé implique un investissement familial très fort. Cela transcende les inégalités sociales et scolaires, et permet d’aller au-delà de l’aspect un peu caricatural de la comparaison. On voit bien, dans les milieux modestes qui se tournent vers le privé, combien les attentes à l’égard de l’école sont fortes [...] Pour avancer, peut-être peut-on déjà arrêter de feindre l’indignation quant à la mise en concurrence des deux secteurs, lâche M. Dubet. C’est oublier que les familles qui ont les codes de l’école exercent aussi leur choix d’établissement dans le public !"