Quand une « recherche ethnosociologique » dénonce les exclusions en éducation prioritaire

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Une nouvelle « recherche ethnosociologique » dans trois collèges de l'éducation prioritaire témoigne, par ses catégorisations, son manque de rigueur et ses amalgames, d'une vision toute idéologique de l'école.

Dans la revue « Sciences de l'éducation de l’Université de McGill » est parue, au printemps 2019, une enquête de Julien Garric, doctorant en sciences de l’éducation : « L'exclusion ponctuelle dans l'enseignement secondaire français : les effets d'une pratique punitive banalisée ».

A cet effet, M. Garric a mené une « recherche ethnosociologique » (sic) en 2016-2018 dans trois collèges de l'éducation prioritaire à Marseille, pendant 17h en cours, 30h à la vie scolaire et 30h en salle des professeurs :

« je me suis inséré dans ces établissements, participant à leur vie quotidienne jusqu’à faire « partie des meubles » [...] il m’a fallu adopter une attitude empathique et engagée dans l’enquête ».

On ne peut être que frappé du manque de rigueur de cette recherche et de sa dimension idéologique.

« une pratique punitive » ?

D'emblée, le titre de la recherche de M. Garric est problématique : d’abord parce qu’il est impératif de ne pas confondre les renvois de cours et les exclusions (temporaires ou définitives) décidées par des instances disciplinaires. Mais, comme nous le verrons, le choix du mot « exclusion » n’est pas un hasard.

De plus, le renvoi n’est pas à proprement parler une « pratique punitive » mais une mesure de sauvegarde du bon déroulement du cours pour l’ensemble des élèves.

C’est peut-être même l’absence de réelle pratique punitive (il faut lire la recherche de M. Garric entre les lignes) qui explique bien des difficultés de ces élèves, non pris en charge comme ils le devraient : l'enquête mentionne ainsi la vie scolaire comme « un espace hyper affectif », « protégé », « moins contraignant » : « Les personnels de vie scolaire constatent le plaisir de ces élèves à se libérer des contraintes de la classe » : « ils aiment beaucoup les CPE par exemple », « c’est trop bien en perm » ; « Ils peuvent s’y assoupir ou assister passifs à des bavardages triviaux, entourés d’adultes qui consultent leurs téléphones portables ». Même des professeurs refusant de renvoyer les élèves expliquent ne pas vouloir que les élèves se retrouvent « dans les couloirs et à la vie scolaire en train de faire les cons » : « ll suffit de faire le bordel pour être dispensé de suivre le prof qui est trop chiant pour aller faire n’importe quoi en perm ? ».

Mais, en contradiction avec ses propres observations, tout ceci n'empêche pas M. Garric de dénoncer en conclusion « une réponse disciplinaire graduée qui met en œuvre un processus punitif violent »...

Une curieuse « inclusion »

L’introduction théorique de la recherche de M. Garric sur les « exclusions ponctuelles » est étrange. L'inclusion par des dispositifs dans l'école (SEGPA, ULIS etc.) est en effet associée au tri scolaire et considérée comme une exclusion : ces dispositifs « témoignent de la difficulté de notre école à accepter la diversité » (« un système éducatif qui sous-traite les élèves en difficulté dans des dispositifs adaptés »).

La prise en compte du handicap, dans la constitution des classes par exemple, est considérée comme un « étiquetage » assignant aux élèves des « stigmates » qui a pour résultat d’« essentialiser les difficultés » des élèves. Même dans la classe, le traitement différencié des élèves à besoins particuliers est intolérable : « l’identification par certains enseignants de particularismes chez leurs élèves constitue l’un des points de départ d’une logique de rejet » (alors qu'il faut voir, selon l’UNESCO, la diversité « comme un défi et un enrichissement de l’environnement d’apprentissage plutôt que comme un problème »).

Mais le plus sidérant dans l’article est le glissement logique auquel procède M. Garric, qui passe de la question de l'inclusion des élèves à besoins particuliers à celle... des élèves qui perturbent le cours. Renvoyer de cours (« exclure »), c'est refuser le principe d'une école inclusive (« La mise à l’écart de ceux qui ne peuvent ni ne veulent réussir » met à mal « la logique d’une éducation inclusive ») : « L’idéologie du mérite [...] privilégie une logique de tri ». De façon assez étonnante, la vie scolaire est présentée comme un service annexe chargé « de s’occuper des élèves n’ayant pas les prérequis nécessaires » (« Les enseignants peuvent ainsi se décharger de la partie indigne de leur travail, le « sale boulot » »), comme si la vie scolaire avait une vocation d'enseignement.

Les renvois ponctuels de cours sont par ailleurs confondus dans l'étude avec les renvois répétés (aucune statistique n'est donnée à ce sujet : combien d'élèves concentrent des problèmes de discipline ?). Les problèmes de comportement rencontrés en classe ne sont jamais décrits, non plus que les efforts des enseignants avant de renvoyer l'élève. Les élèves renvoyés de cours sont présentés comme privés d'heures d'apprentissage... sans que cette privation d'apprentissage soit même considérée pour le reste de la classe pendant les perturbations.

Or on sait que la France est précisément l'un des pays de l'OCDE présentant l'un des pires climats de discipline (écoute du professeur, bruit et désordre, temps perdu avant le calme et la mise au travail, bonnes conditions de travail), de l'aveu même des élèves1 : en cours de sciences par exemple, sur 69 pays, la France est... avant-dernière dans PISA 2015 !

Une issue... dans la classe

La solution est évidemment pédagogique et dans la classe (« les pratiques qui participeraient d’une éducation inclusive ») : les techniques de communication non-violente, la mise en activité, le changement de posture de l'enseignant (plus « accompagnateur » qu'« enseignant »), la différenciation pédagogique, le travail collaboratif, la redéfinition de l'espace de la classe « dans une logique écologique renouvelée » (en donnant un travail « adapté » ou en isolant les élèves dont le comportement est problématique, ce qui s'apparente tout de même... à une forme de stigmatisation : « des tables isolées pour les élèves justement qui seraient très agités » ).

Le fonctionnement de ces pédagogies s'apparente à une forme de renoncement à enseigner (« je suis pas trop rigide ce qui fait qu’ils se sentent quand même assez libres de leurs mouvements », « leur permettant selon les cas d’aller aux toilettes, de passer au tableau, de prendre une place isolée, de passer sur un poste informatique en autonomie »). Il est assez amusant, néanmoins de constater que, malgré leur formation, les enseignants débutants ne parviennent pas à réaliser ce bel idéal (« ces initiatives ne sont pas outillées par les écoles de formation initiale »). Curieusement, il n'est plus ici question d'heures d'apprentissage perdues...

Avec ces solutions dans la classe, on comprend que le propos de M. Garric soit accueilli avec enthousiasme par certains experts de la pédagogie qui n'enseignent pas et surtout par certains personnels de direction, partageant le même idéal généreux d'« inclusion » des élèves perturbateurs.

La responsabilité des enseignants

En renvoyant un élève dans « un espace moins contraignant » (la vie scolaire), « les enseignants désignent les actes permettant d’échapper à la contrainte : le refus de l’assiduité, l’insolence, la provocation ou la violence ». D'une certaine manière, les enseignants préparent ainsi, selon M. Garric, le passage à la délinquance de ces élèves (« on peut formuler l’hypothèse qu’à travers ces expériences, ils développent des compétences transférables dans des pratiques délinquantes »). C'est toute la thèse générale de l’article que M. Garric souhaite illustrer à travers une recherche dont les conclusions semblent écrites d'avance : les professeurs sont considérés comme « des « créateurs », et des « défenseurs de normes » » et dans certains cas comme « des provocateurs de déviance ». D'une manière générale « l’école co-construit la déviance dans les interactions entre les enseignants et les élèves » :

J’inscris ainsi mon travail dans la continuité des travaux qualitatifs de sociologie de l’éducation qui démontrent la participation active des enseignants et de leurs routines punitives ou pédagogiques dans la construction de la déviance scolaire.

C'est, en effet, cette continuité d'une certaine « sociologie de l'éducation » délétère qui pose problème dans l'école. Le discours de M. Garric n'est pas scientifique mais idéologique dans ses présupposés et ses catégories de pensée (« Les enseignants appliquent des normes culturelles, sociales et physiques qui les poussent à extraire de l’espace noble de la classe les corps indésirables (Millet et Thin, 2007) »). La définition (arbitraire) de trois catégories d'enseignants (« résistants », « routiniers », « systématiques ») trahit d'ailleurs un biais idéologique : les termes « résistants » ou « routiniers » ont bien une portée axiologique morale et non scientifique.

Il est étonnant que M. Garric n’ait pas rencontré, à l'occasion de son enquête, de professeurs n’osant pas renvoyer de cours parce que les élèves sont, dans certains établissements, renvoyés en classe par une direction ou une vie scolaire pour qui le bon fonctionnement de la classe n’est pas une priorité.

La culpabilisation des enseignants atteint même des sommets d'implicite et de brutalité feutrée :

J’ai pu constater que les enseignants qui refusent d’exclure des élèves de leurs classes [...] adhèrent explicitement au postulat d’éducabilité (Meirieu). Ils acceptent celui qui perturbe la vie du groupe parce que la gêne occasionnée par l’autre qui est différent est nécessaire à notre humanité (Butler, 2004) [...] Il s’agit, avant de développer des compétences permettant de « gérer les différences », de développer une compétence éthique permettant de « faire avec la différence »

Pas de vague

Un an après, en relayant complaisamment le discours institutionnel dans l’Éducation nationale (les exclusions responsables du décrochage et considérées comme un « scandale » ou un « dysfonctionnement »2), M. Garric apporte donc sa contribution personnelle au « pas de vague » que des milliers d’enseignants ont pourtant dénoncé.

En résumé, les problèmes de l'école n'auraient, au fond, qu'une seule cause : les enseignants. D'autres possibilités pourraient pourtant être envisagées...

Avec cette “recherche” de M. Garric, par ailleurs formateurs dans un Institut national supérieur du professorat et d’éducation (INSPE), et avec bien d'autres, la pensée scolaire moderne franchit progressivement une nouvelle étape en instituant comme inclusive  une école qui exclut de facto la majorité des élèves de la scolarité dans des conditions normales qui leur est due.

@loysbonod

Bonus :