Les enseignants au pilori
Le rapport 2013 de la médiatrice de l’Éducation Nationale (« Informer, dialoguer pour apaiser ») est-il si informatif et apaisant ?
Rendu public ce jeudi 30 mai 2013, ce rapport est notamment consacré au remplacement des enseignants absents et aux procédures disciplinaires dans le secondaire et il a été salué comme il se doit par le Ministre de l’Éducation Nationale, pour des raisons que nous allons nous efforcer d'éclaircir.
Absences non remplacées : à qui la faute ?
La médiatrice, Monique Sassier, commence par reconnaître que cette préoccupation pour les absences des enseignants ne concerne que peu de réclamations des parents. Qu'importe ! Rien moins qu’une trentaine de pages sont consacrées à ce vrai-faux problème. La raison de ce choix est énoncée avec ingénuité : le « bruit autour de ce sujet » (p. 49), bruit auquel la médiatrice aura grandement contribué puisque la presse s’est principalement fait l’écho de cet aspect de son rapport[1], relayant la sympathique réputation d'absentéisme des enseignants.
L’enjeu est à ses yeux celui du « droit aux cours » (p. 49) avec 3,74% des heures d’absences non remplacées. Évidemment le rapport ne mentionne aucunement l’absentéisme des élèves qui – de leur côté – perdent en moyenne 6% de leur temps d’enseignement dans le secondaire du fait de leurs propres absences. A titre d'information le taux d’absentéisme est de 12,5% en moyenne dans les lycées professionnels[2].
Le rapport concède que le problème des absences non remplacées procède davantage du « ressenti » des parents, lequel est « hors de proportion avec la réalité » (p. 50).
Peu importe que problème n'en soit pas un : il lui faut une solution et c’est évidemment aux enseignants que l'effort est demandé. A la vérité il ne s’agit pas de trouver une solution véritablement efficace pour les heures non remplacées, mais une solution sur « la perception qu’en ont les familles » (p. 52). Une telle perspective ouvre de nombreuses possibilités, qualifiées d’« audacieuses » par la presse admirative.
Des solutions innovantes
En effet, dans le secondaire, les textes prévoient déjà que les chefs d’établissement organisent les remplacements de courte durée en recherchant « en priorité l’accord des enseignants qualifiés ». D’où la difficulté car – en vertu d’un curieux phénomène – les professeurs donnent souvent des cours lorsqu’ils sont présents dans l’établissement.
C’est là qu’intervient tout le génie de notre médiatrice, dont l'inventivité n'est pas sans rappeler le récent rapport de la Cour des comptes (« Gérer les enseignants autrement »).
Pourquoi – en prenant exemple, comme la Cour des comptes, sur l’enseignement privé, supposé davantage tourné vers « l’attente de l’usager » (sic) – ne pas remplacer un cours de mathématiques par un cours de français ? Après tout, un cours, c’est un cours, quelle que soit la discipline. Ainsi, dans la « perception » des parents du moins, le sacro-saint « droit aux cours » est respecté, et tant pis si le cours est improvisé au pied levé, dans une autre discipline et même – pourquoi pas ? – avec un professeur que la classe ne connaît pas.
Pour récupérer le cours, la médiatrice suggère que le professeur remplaçant cède ensuite une de ses heures au professeur de la première discipline. Brillante idée, qui malheureusement se heurte quelque peu à la réalité des emplois du temps : les heures du professeur par chance disponible pour effectuer un remplacement correspondent rarement à des heures disponibles du professeur remplacé. Mais après tout peu importe si le remplacement dans une autre discipline n’est pas récupéré : la médiatrice déplore d’ailleurs le « strict décompte hebdomadaire par discipline » des heures d’enseignement, lequel constitue un obstacle à la mise en place de ces astucieuses solutions de remplacement.
Avec ou sans récupération, le remplacement est « invisible » dans la « perception » des parents pour qui la « continuité pédagogique est assurée » (p. 66). Il ne s’agit après tout plus que d'une simple « prise en charge pédagogique » (sic), comme le rappelle le rapport de mission de l’IGAEN (p. 67). D’ailleurs le rapport reconnaît lui-même que le vrai problème aux yeux des parents concerne les « trous » dans les emplois du temps occasionnés par ces absences (p. 68).
Autres propositions modernes et inventives pour pallier les non-remplacements d’absences de courte durée : les ressources numériques, avec la « création d’espaces d’e-learning » pour les élèves (p. 69) ou, dans la même veine, la transformation des CDI en « centres de connaissances et de cultures », ouverts, modernes et décontractés, qui pourront ainsi accueillir les élèves sans professeur. En bonne logique, l’enseignement devenant secondaire, il est aussi envisagé de confier aux surveillants des formes de remplacement qui pourraient enfin justifier leur appellation d’« assistants d'éducation ».
Dans tous les cas il est très important, comme le souligne le rapport (p. 63), de surtout bien « communiquer » avec si possible une « information en temps réel » des familles. Il est vrai que les équipes de direction ou de secrétariat ont tout loisir pour cela.
Une souplesse acrobatique
La dernière proposition n’est pas des moindres : proposer de la « souplesse concernant les disciplines d’enseignement » :
Ainsi, en fonction des besoins, une académie pourrait-elle, de manière plus systématique, faire appel aux enseignants en surnombre disciplinaire pour enseigner temporairement dans une discipline voisine ?
Disons-le : dans ce rapport, à mots couverts et avec beaucoup de précautions oratoires, il est tout simplement demandé aux enseignants et aux documentalistes d’accepter une forme de garderie au nom de la « continuité pédagogique ». Il est d’ailleurs symptomatique que cette continuité par des enseignants ou autres soit mise sur le même plan qu’une continuité avec des écrans.
Monique Sassier a le bon goût de ne pas évoquer dans ce rapport la vraie raison du non-remplacement des absences de courte-durée : l’assèchement programmé du « vivier » (p. 53) des professeurs remplaçants depuis une décennie[3]. On le voit : la médiation est une « force de proposition » (p. 77) mais malheureusement pas d'impertinence.
Grâce à ce rapport la faillite de l'institution pourra désormais être rejetée sur ces professeurs qui refusent d’enseigner au pied levé à des élèves qu’ils ne connaissent pas et éventuellement dans une discipline qui n’est pas la leur.
Comme le dit Monique Sassier : il faut « soigner le métier » (p. 57).
Conseils de discipline et échec scolaire : à qui la faute ?
Le rapport de la médiatrice aborde ensuite longuement un autre point, sans doute moins anecdotique que celui des 3,74% d’heures d’absences non remplacées : les procédures disciplinaires, jugées encore trop nombreuses malgré les nouvelles dispositions visant à les réduire depuis la réforme de 2011[4].
Monique Sassier établit d’emblée, et sans aucune preuve, un lien explicite entre « conseil de discipline et déscolarisation » (pp. 79-81). Diantre ! L’accusation semble grave.
Mais il faut bien noter que le mot « déscolarisation » est ici employé abusivement puisqu’il s’agit, dans l’esprit de Monique Sassier, de la période de temps pendant lequel l’élève est exclu définitivement d’un établissement avant d’être « rescolarisé » dans un autre établissement comme le veut la loi. En adoptant un tel emploi, il est en effet incontestable qu’un enfant exclu est en situation de « déscolarisation » ! Dans cette acception du terme, la « déscolarisation » des élèves ressortit à la seule responsabilité des établissements.
S’agissant d’un vrai processus de déscolarisation, le rapport ne s’appuie sur aucune étude statistique pour établir un lien avec les exclusions définitives. Le décrochage scolaire est estimé en France à 120.000 élèves par an quittant le système éducatif sans aucun diplôme. Or on compte tout au plus chaque année moins d’une dizaine de milliers de conseils de disciplines, concernant d’ailleurs parfois les mêmes élèves. Au mieux les élèves exclus ne représentent donc qu’un très faible pourcentage des élèves décrocheurs. Le décrochage scolaire ne trouve hélas pas sa source dans les conseils de discipline, qui servent ici de boucs émissaires.
Peu importe : la conviction de Mme Sassier est faite. Pour la médiatrice, même les commissions éducatives, créées de toutes pièces pour court-circuiter les conseils de discipline et dépourvues de tout pouvoir disciplinaire, sont encore trop dures (p. 83) :
Une étape fait peut-être actuellement défaut : mettre un élève face à une commission éducative qui comporte un nombre important de membres ne lui permet pas d’engager un échange confiant, se trouvant confronté à une instance aux allures de tribunal.
Sans doute très ingénue, Mme Sassier reste ainsi convaincue de l’inutilité des conseils de discipline, et même de leur nocivité : pour elle, l’élève perturbateur n’a tout simplement pas pris conscience de son comportement (p. 84) ou bien n’a pas fait l’objet d’accompagnement ou d’un rappel à la loi, ce qui revient à pointer du doigt les lacunes de l’équipe éducative. Bien sûr Mme Sassier n'évoque à aucun moment le manque cruel d'infirmières ou de psychologues scolaires dans les établissements.
Pour dénoncer les conseils de discipline, Mme Sassier s’appuie sur les réclamations de parents qu’elle publie (p. 81), lesquelles contestent les décisions prises ou le principe même de la sanction, ce qui leur donne beaucoup de crédit. Mais surtout la médiatrice publie des réclamations portant sur les modalités pratiques de l’exclusion définitive (durée excessive avant réaffectation dans un autre établissement ou lieu trop éloigné) : or, au lieu de tonner contre ces anomalies, Mme Sassier tonne – en bonne logique – contre le principe même du conseil de discipline qui en est bien entendu rendu responsable.
Elle met en cause ce « modèle de justice », fustige le rôle du chef d’établissement « à la fois juge et partie » et propose l’externalisation des conseils de disciplines dans d’autres établissements, ce qui garantit en effet toute l’impartialité nécessaire puisque ces établissements seront amenés à accueillir eux-mêmes les élèves qu’ils pourront exclure. Elle propose – avec beaucoup de réalisme – de maintenir dans les établissements les élèves exclus dans l’attente de leur réaffectation, comme si les établissements devaient être punis du délai trop long de réaffectation, ou encore – certainement dans un souci de justice avec les élèves en difficulté mais qui n’en posent pas – de rendre « prioritaires les réaffectations des élèves exclus ».
La médiatrice le rappelle enfin :
Il n’a jamais pu être établi de lien entre le bon climat d’un établissement et le nombre élevé de sanctions disciplinaires prononcées après conseil de discipline à l’encontre des élèves perturbateurs (p. 91)
Il est ainsi établi que, malgré ses protestations, la « justice » importe moins aux yeux de la médiatrice que le « climat » d’un établissement. Ne suggère-t-elle pas d’ailleurs à un département particulièrement difficile de trouver « d’autres solutions » (p. 88) que les exclusions définitives ?
Les enseignants, coupables tout désignés
Mais le plus grave dans les accusations portées contre les conseils de discipline, visiblement coupables de tous les maux de l’école, c’est que les enseignants – à longueur de rapport – en sont rendus responsables, trouvant dans les conseils de discipline l'exutoire de leur souffrance[5].
Ils sont même mis en cause dans le cas des exclusions temporaires, les élèves renvoyés ne bénéficiant pas des cours auxquels ils ont pourtant droit car « beaucoup de professeurs considèrent que l’élève sorti de leur classe n’est plus sous leur responsabilité » (p. 88). Au passage, les solutions numériques, comme les « banques de devoirs » par exemple, valables en cas d’absence des professeurs, ne sont soudainement plus valables concernant les exclusions d’élèves. Avec un bel euphémisme, Mme Sassier les considère en effet comme « peu opérantes ».
Encore une fois le rapport est accablant pour le manque « de mesures effectives d’accompagnement » (p. 88) :
Or, s’il est possible de laisser un élève « privé de classe », il est plus difficile qu’il soit « privé de cours », et en tout état de cause, privé de prise en charge. Cela ne peut que le conduire, à terme, à un décrochage scolaire et à un échec scolaire.
Et encore une fois le lien entre exclusion et échec scolaire ne s’appuie sur aucune étude. Il faut comprendre, dans l’esprit de Mme Sassier, que la cause de l’exclusion n’a rien à voir elle-même avec un éventuel échec scolaire. Les causalités sont gaiement renversées.
En conclusion
Ainsi, s’agissant des exclusions temporaires ou définitives, les enseignants sont indirectement rendus – dans ce rapport – responsables d’une forme d’échec scolaire, comme ils le sont du non-remplacement des absences de courte durée.
Les défaillances les plus graves de l’institution elle-même, jamais évoquées dans ce rapport (la médiatrice préfère prendre... la tangente), sont rejetées à mots couverts sur les enseignants eux-mêmes.
Merci encore pour votre travail de dialogue et d'apaisement, madame la médiatrice !
Notes
[1] « Le Point » du 30/05/13 : « Le casse-tête du non-remplacement des professeurs absents » ; « L’Express » du 30/05/13 : « Profs non remplacés: la grogne des parents est-elle justifiée ? » ; « Le Nouvel Observateur » du 30/05/13 : « Profs non remplacés et privé hors contrat en tête des griefs des familles » ; « 20minutes » du 30/05/13 : « Des propositions chocs pour remplacer les profs absents » , « Le Figaro » du 31/05/13 : « Les absences des profs exaspèrent les parents » ; « Libération » du 30/05/13 : « Les parents estiment que “le droit aux cours” de leur enfant n’est pas respecté » etc.
[2] MEN, « L'absentéisme des élèves dans le second degré public » (février 2013)
[3] MEN, « Les enseignants remplaçants du second degré public » (décembre 2012)
[5] p. 82
« Il faut également prendre en compte, derrière ces cas lourds, les personnels concernés et en particulier les enseignants qui subissent les agissements de ces élèves perturbateurs. Le travail mené par le médiateur a montré qu’ils attendent du conseil de discipline, qui se déroule actuellement au sein de l’établissement et de la sanction qui en découlera, la reconnaissance de leur souffrance par l’institution. Ainsi certains enseignants ont ressenti la mesure de responsabilisation comme un camouflet, l’élève aurait été en quelque sorte « récompensé » pour avoir mal agi. D’autres ont menacé de cesser le travail pour protester contre une décision de réintégration d’un élève par la commission d’appel rectorale. »
p. 84 :
« Il est vrai qu’actuellement la réunion d’un conseil de discipline dans un établissement scolaire et la sanction qui en résulte représentent fréquemment, pour les enseignants victimes des agissements d’un élève, la seule reconnaissance de leur souffrance. Elle est utilisée également comme mesure d’exemple pour espérer assurer la tranquillité d’une classe. D’où l’attachement de ces mêmes enseignants à ce que le chef d’établissement réponde positivement à leur demande de réunion d’un conseil de discipline à l’égard d’un élève qui a perturbé le fonctionnement de la classe, à ce que le conseil de discipline se réunisse dans l’établissement, à ce qu’une sanction soit prise. D’où également leur difficulté à accompagner la scolarité de l’élève durant le déroulement de la procédure disciplinaire, leur désapprobation lorsqu’une commission d’appel revient sur la sanction et leur attachement à la sanction d’exclusion définitive de l’établissement. »
p. 91
« Un bon chef d’établissement serait celui qui va répondre à leur demande de réunir un conseil de discipline pour sanctionner un élève qui leur pose problème. »