ChatGPT et la dissertation littéraire

20240815 fou

Depuis 2022, la folie ChatGPT a gagné la planète. Même dans l'école moderne, certains ne jurent plus que par cet "outil" merveilleux qui ne pourra qu'aider nos élèves.

En lettres, la médiocrité, voire la nullité, de l’intelligence artificielle générative saute pourtant aux yeux.

Pour s'en convaincre, prenons l’exemple d’un sujet qui vient de tomber au bac. Même sans connaître l’œuvre, il est parfaitement possible de mesurer à quel point ChatGPT ne propose qu’une illusion de pensée.

Amusons-nous donc et, avec la patience de Socrate, dialoguons... avec un fou !

 Une réponse miraculeuse

En 2024, j'ai entrepris de soumettre à ChatGPT, le robot de OpenAI1, ce sujet du baccalauréat de français à peine tombé :

20240815 sujet 2024

Dans un premier temps, je demande seulement un plan de dissertation.

Le miracle de ChatGPT opère alors : en un clic, le robot me propose un plan original en trois parties :

I. Le désir d’évasion et d’exploration dans « Sensation »
II. Le Cahier de Douai : Une première réalisation du projet de voyage
III. Les limites et les prolongements du projet dans le Cahier de Douai

Il y a même deux sous-parties dans chaque partie, et même deux sous-sous-parties dans chaque sous-partie, ainsi qu'une conclusion.

En apparence, une pensée d'une symétrie extrêmement rigoureuse !

Un plan boiteux

Mais derrière son formalisme parfait, ce plan est très problématique.

D'abord parce que ChatGPT, influencé par la citation tirée du poème « Sensation », consacre une partie entière à ce seul poème, ce qui est à proscrire dans une dissertation.

Ensuite parce que ChatGPT propose un plan en trois parties faussement dialectique, en réalité sans synthèse (le I et le II constituant la thèse et le III constituant l'antithèse).

Le choix d'un plan dialectique est ici malheureux puisqu'il oblige à un traitement artificiel, aussi naïf qu'appauvrissant, du sujet, qu'on pourrait ainsi résumer : Arthur Rimbaud désire aller très loin, il commence à aller très loin mais, finalement, il ne va pas très loin.

Ce plan faussement dialectique repose sur une compréhension au premier degré du sujet, réduisant la démarche radicale d'Arthur Rimbaud (aller loin, bien loin) à un simple « projet de voyage », à un déplacement finalement limité. Rien sur l'émancipation personnelle, rien sur l'itinéraire poétique singulier d'Arthur Rimbaud.

Quant au plan détaillé, c'est pire encore.

I. Le désir d’évasion et d’exploration dans « Sensation »

A. Analyse du poème « Sensation »

1. Le cadre naturel et le voyage intérieur 2. Les images de liberté et de distance

B. Le thème de l’évasion dans l’œuvre de Rimbaud

1. Contexte biographique : l’adolescence et la rébellion 2. L’influence du romantisme et du symbolisme

Sans cohérence, ChatGPT annonce donc qu'il va étudier l'évasion dans le poème « Sensation » mais étudie finalement... « l’œuvre de Rimbaud » en général. Étude qui, au demeurant, relève surtout du remplissage biographique ou de l'affirmation hasardeuse (la prétendue influence du symbolisme, comme on le verra plus loin).

Le même remplissage biographique se poursuit dans les deux parties suivantes :

II. Le Cahier de Douai : Une première réalisation du projet de voyage

A. La genèse du Cahier de Douai

1. Les circonstances de la création des poèmes 2. La relation avec Paul Demeny et le voyage à Douai

B. Les thèmes du voyage et de l’évasion dans le Cahier de Douai

1. L’exploration des paysages et des horizons nouveaux 2. La quête de l’inconnu et le dépassement des limites

III. Les limites et les prolongements du projet dans le Cahier de Douai

A. Les limites du voyage dans le Cahier de Douai

1. La contrainte du cadre géographique et familial 2. La tension entre rêve et réalité

B. Les prolongements futurs du projet de voyage de Rimbaud

1. L’évolution de la thématique du voyage dans les œuvres ultérieures 2. Le voyage réel : de l’Europe à l’Afrique

Dans la dernière sous-partie, il n'est même plus question du Cahier de Douai. Et si « la contrainte du cadre familial » peut avoir un sens pour un poète de dix-sept ans (quoiqu'aucun des vingt-deux poèmes du recueil ne l'évoque...), « la contrainte du cadre géographique  » laisse, elle, perplexe.

Que peut bien recouvrir cette expression évasive ? J'ai demandé à ChatGPT de rédiger cette sous-sous-partie.

L'écriture à vide

En un clic à nouveau, ChatGPT rédige quatre paragraphes, rien moins, sans faute d'orthographe et dans une syntaxe à faire pâlir la plupart de nos lycéens.

Une rédaction non exempte, néanmoins, d'erreurs bizarres, comme on le verra au fur et à mesure.

A. Les limites du voyage dans le Cahier de Douai

1. La contrainte du cadre géographique et familial

Malgré le désir ardent d’évasion exprimé dans le poème « Sensation », les poèmes du Cahier de Douai révèlent les contraintes auxquelles Arthur Rimbaud était soumis. Bien qu’il rêve de partir « loin, bien loin », il est encore ancré dans un cadre géographique et familial restrictif. À l'époque de la composition des poèmes du Cahier de Douai, Rimbaud n'est qu'un adolescent, dépendant de sa famille et de son environnement immédiat à Charleville.

Le cadre géographique du Cahier de Douai est principalement limité aux paysages de l’Ardenne et des alentours de Douai, reflétant un espace bien plus restreint que l’ampleur des horizons désirés dans « Sensation ». Les poèmes, bien qu'ils évoquent parfois des espaces de liberté et des évasions imaginaires, restent enracinés dans des lieux connus et familiers à Rimbaud. Cette limitation géographique est une barrière tangible à son aspiration de voyager et de découvrir de nouveaux mondes.

De plus, les contraintes familiales jouent un rôle significatif dans la limitation de son projet d’évasion. Sa mère, Vitalie Rimbaud, exerce une autorité stricte et rigide sur lui, ce qui entrave ses tentatives de s’émanciper complètement. Le poids des attentes familiales et la nécessité de suivre une certaine discipline scolaire et sociale limitent la portée de son évasion. Bien que Rimbaud réussisse à s'échapper temporairement à Douai pour rencontrer Paul Demeny, cette escapade reste modeste par rapport à ses ambitions grandioses de liberté totale.

Ainsi, bien que le Cahier de Douai marque une étape importante dans la réalisation du désir d’évasion de Rimbaud, il demeure en grande partie symbolique. Les poèmes reflètent une évasion mentale et littéraire plus qu’une véritable rupture géographique ou sociale. Le voyage physique, quant à lui, reste encore à venir, entravé par les réalités de son jeune âge et des contraintes extérieures.

Dans le détail, aucune analyse littéraire du recueil, aucun poème cité et encore moins analysé au service de la réflexion littéraire : le développement, verbeux, navigue essentiellement entre remplissage biographique et considérations évasives.

À l'échelle même de la phrase, ChatGPT n'offre qu'une illusion de réflexion : si sa syntaxe semble reposer sur des articulations logiques, les liens ‒ eux ‒ ne sont pas logiques.

Par exemple, dans les premières phrases, « malgré » ou « bien que » semblent construire une contradiction entre le désir d'évasion et les contraintes qu'il subit, entre le rêve de départ et son « ancrage dans un cadre [...] restrictif » [sic]. Or il n'y a ici aucune contradiction : c'est parce qu'il étouffe à Charleville que Rimbaud rêve de départ et désire tant s'évader. 

Pourquoi alors cette fausse logique ? Parce que, comme nous allons le voir par la suite, ChatGPT est empêtré dans son plan dialectique et doit à tout prix maintenir son antithèse d'un faux départ. Mais plus généralement aussi parce que ChatGPT doit donner l'impression de penser.

Au reste, certaines affirmations sont problématiques pour qui a lu le recueil : le cadre géographique du Cahier de Douai serait « principalement limité aux paysages de l’Ardenne et des alentours de Douai » et ses poèmes resteraient « enracinés dans des lieux connus et familiers ».

Douai, où il été brièvement hébergé par les tantes de son professeur de lettres à l'occasion de deux équipées solitaires, est très éloigné (plus de 150km) de la petite ville ardennaise où vivait Arthur Rimbaud, Charleville. Et bien des poèmes du jeune poète font référence à d'autres lieux éloignés de son univers quotidien (avec un voyage en train, des escapades à pied jusqu'en Belgique, des champs de bataille pendant la guerre de 1870) ou même à des mondes plus lointains encore (le Paris révolutionnaire de 1792, l'Ophélie scandinave de Shakespeare, l'âge d'or mythique).

Un sophiste sophistiqué

J'interroge le robot. Complaisant, ChatGPT réécrit alors son paragraphe en affirmant désormais le contraire de ce qu'il affirmait précédemment, non sans une certaine mauvaise foi :

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le cadre géographique du Cahier de Douai n'est pas strictement limité aux paysages de l’Ardenne et des alentours de Douai. Les poèmes de ce recueil ne se cantonnent pas à des descriptions locales mais s'ouvrent à des horizons plus larges et variés. Par exemple, des poèmes comme « Le Bateau ivre » envisagent des espaces vastes et maritimes, transcendant les limites géographiques immédiates. Cependant, ces évocations restent pour la plupart des explorations imaginaires plutôt que des déplacements physiques réels.

Pour la première fois, ChatGPT étaie sa réflexion avec une référence à un poème, « Le Bateau ivre », lequel malheureusement... n'appartient pas au Cahier de Douai !

Au reste, ChatGPT sauve son antithèse (Rimbaud ne va pas très loin) avec cette étrange logique : l'évasion serait limitée puisqu'il n'y aurait pas de déplacements physiques réels.

L'erreur du « Bateau ivre » signalée, ChatGPT réécrit son paragraphe en s'appuyant ‒ de façon pertinente quoiqu'évasive ‒ sur deux poèmes du recueil mais le robot maintient son antithèse d'une évasion somme toute limitée.

Le cadre géographique des poèmes du Cahier de Douai, bien qu'imaginatif, est principalement influencé par l'environnement immédiat de Rimbaud. Les poèmes comme « Ma Bohème » et « Le Dormeur du Val » témoignent de ses pérégrinations dans la nature ardennaise, même si ces espaces sont transcendus par l'imagination poétique de Rimbaud. La richesse des images et des thèmes abordés dans ces poèmes montre une volonté d'évasion et de dépassement des limites géographiques, mais ces évasions restent souvent symboliques et littéraires.

À noter l'emploi impropre de « imaginatif » (pour imaginaire) et le barbarisme « transcendus ».

Pour le contredire, je lui donne des exemples de poèmes témoignant explicitement des échappées d'Arthur Rimbaud en Belgique et qui rejoignent les éléments biographiques connus : « Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir » et « La Maline »2.

Complaisant, ChatGPT réécrit à nouveau son paragraphe en affirmant de nouveau tout le contraire de ce qu'il affirmait précédemment :

Le cadre géographique des poèmes du Cahier de Douai, bien qu'imaginatif, est principalement influencé par l'environnement immédiat de Rimbaud. Les poèmes comme « Le Cabaret-Vert » et « La Maline » témoignent d'une évasion qui est à la fois littéraire et ancrée dans des expériences réelles.

Dans « Le Cabaret-Vert », l'évasion est effectivement en partie littéraire, mais elle repose aussi sur une expérience concrète. Le poème décrit une halte dans une auberge accueillante après une longue marche. L'évasion ici est physique — une pause bien méritée — mais aussi sensorielle et émotionnelle, marquée par les plaisirs simples de la nourriture et du repos. Cependant, le cadre reste relativement limité à un lieu proche et accessible, ne réalisant pas pleinement le rêve d'une évasion lointaine et totale.

De même, « La Maline » évoque une scène de séduction légère et bucolique, se déroulant dans un cadre champêtre. L'évasion est ici surtout psychologique et émotionnelle, car elle évoque un moment de complicité et de liberté dans la nature. Bien que ce poème reflète un désir de s’éloigner des contraintes de la vie quotidienne, il reste ancré dans un cadre local et familier.

Un robot obtus

On le voit dans la réponse précédente : ChatGTP fait tous ses efforts pour continuer de sauver son antithèse (un faux départ). Ce cadre belge resterait « relativement limité à un lieu proche et accessible » et « ancré dans un cadre local et familier ». Rimbaud ne serait pas allé bien loin.

Au demeurant, dans le troisième paragraphe précédent, nous est donné un premier exemple d'une "hallucination" délirante de ChatGPT, qui commente, avec des éléments d'analyse stéréotypés, « une scène [...] bucolique, se déroulant dans un cadre champêtre [...] dans la nature », éléments plaqués sur une scène qui n'a aucun rapport avec la nature puisque « La Maline » se situe... dans la salle à manger d'un cabaret de Charleroi, en Belgique !

 Interrogé sur ce cadre bucolique imaginaire, ChatGPT affirme de nouveau et sans ciller le contraire de ce qu'il affirmait précédemment.

Dans « Le Cabaret-Vert », l'évasion est effectivement en partie littéraire, mais elle repose aussi sur une expérience concrète. Le poème décrit une halte dans une auberge accueillante après une longue marche. L'évasion ici est physique — une pause bien méritée — mais aussi sensorielle et émotionnelle, marquée par les plaisirs simples de la nourriture et du repos. Cependant, le cadre reste relativement limité à un lieu proche et accessible, ne réalisant pas pleinement le rêve d'une évasion lointaine et totale.

En revanche, « La Maline » se déroule dans un cadre urbain, évoquant une scène de séduction dans un environnement plus quotidien. L'évasion est ici principalement psychologique et émotionnelle, reflétant un moment de complicité et de malice entre les personnages, mais elle reste ancrée dans la réalité immédiate. Ce poème illustre comment les petites transgressions et les jeux de l'esprit peuvent offrir une forme d'évasion dans la monotonie du quotidien, sans pour autant sortir du cadre géographique familier.

À noter, avec « en revanche », l'ajout absurde d'une opposition entre les deux poèmes belges.

Interrogé sur le cadre « relativement limité à un lieu proche et accessible » du « Cabaret-Vert », ChatGPT s'excuse pour la confusion et entreprend cette audacieuse « clarification » [sic] :

Le cadre géographique des poèmes du Cahier de Douai est influencé par l'environnement proche et familier de Rimbaud. Dans « Le Cabaret-Vert », par exemple, le lieu évoqué est un endroit localisé et connu de l'auteur. Le Cabaret-Vert était un établissement réel à Charleville, où Rimbaud et ses amis se réunissaient. Cette proximité géographique montre que malgré l'évocation d'une évasion littéraire et poétique, Rimbaud reste ancré dans son cadre quotidien et ses relations sociales locales.

L'aplomb de ChatGPT est à la mesure de l'énormité de son affirmation : le  Cabaret-Vert n'est pas situé dans la ville d'Arthur Rimbaud mais en Belgique (la mention est explicite dans le sonnet : « J'entrai à Charleroi / ‒ Au Cabaret-Vert ») et le jeune homme s'y rend seul, après une marche de huit jours.

Tout se passe comme si ChatGPT commentait des poèmes qu'il n'avait pas lus. De plus, le robot invente des éléments biographiques à sa convenance.

Je lui indique son erreur. ChatGPT me remercie pour la « clarification » [sic] et rectifie pour la énième fois son paragraphe. Mais il maintient son antithèse :

Le cadre géographique des poèmes du Cahier de Douai est influencé par l'environnement proche et familier de Rimbaud. Dans « Le Cabaret-Vert », par exemple, le poème évoque une escapade à Charleroi, une ville située relativement près de Charleville. Charleroi représentait pour Rimbaud un lieu de sortie et de divertissement, mais il reste néanmoins ancré dans une proximité géographique qui contraste avec l'idée d'une évasion lointaine et complète.

 Quand je lui demande de préciser la proximité de Charleville en France et Charleroi en Belgique, ChatGPT est péremptoire :

Dans « Le Cabaret-Vert », par exemple, le poème évoque une escapade à Charleroi, une ville située à environ 70 kilomètres au sud de Charleville.

 Je lui indique que Charleroi est plutôt à une centaine de kilomètres au nord, et dans un autre pays. ChatGPT prend acte de ma « précision » [sic] mais maintient l'idée d'« une proximité géographique qui contraste avec l'idée d'une évasion lointaine et complète ».

Quand je demande à ChatGPT si Charleroi est proche à pied de Charleville, il reconnaît que la distance est importante (plusieurs jours de marche soutenue) et qu'on ne peut pas parler de proximité géographique. Mais n'en démord pas :

Charleroi représentait pour Rimbaud un lieu de sortie et de divertissement, mais il reste néanmoins ancré dans une distance géographique qui contraste avec l'idée d'une évasion lointaine et complète.

Je parviens à faire reconnaître à ChatGPT l'absurdité d'un lieu de sortie et de divertissement à huit jours de marche de la maison. Le robot change alors à nouveau d'argumentation : puisque ce lieu est éloigné, c'est qu'Arthur Rimbaud n'a pas pu s'y rendre !

Charleroi était pour Rimbaud une destination symbolique, mais il n'y a aucune indication qu'il l'a effectivement visité à pied.  

Et quand je le contredis avec le début du poème (« Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines / Aux cailloux des chemins ») qui n'atteste pas de la réalité de l'escapade mais constitue bien une indication en ce sens (que la biographie du poète corrobore en octobre 1870), ChatGPT s'excuse, me remercie de ma patience et admet enfin que Rimbaud avait pu partir loin, bien loin.

Le cadre géographique des poèmes du Cahier de Douai est influencé par l'environnement proche et familier de Rimbaud. Dans « Le Cabaret-Vert », par exemple, le poème commence par évoquer un voyage où Rimbaud a marché pendant huit jours, déchirant ses bottines aux cailloux des chemins. Il se rend au Cabaret-Vert, un lieu réel situé près de Charleville, où il trouve refuge et réconfort après un voyage ardu. Cette escapade physique montre que Rimbaud était capable de voyager sur de longues distances à pied, transcendant ainsi les limites géographiques immédiates de son quotidien.

En revanche, « La Maline » se déroule dans un cadre urbain, évoquant une scène de séduction dans un environnement citadin.

Mais, dans sa folie dogmatique, ChatGPT continue absurdement de situer le cabaret belge... en France près de Charleville . Plus rien n'a de sens !

Dialogue avec un fou

J'interroge ChatGPT sur l'opposition incompréhensible qu'il fait entre les deux poèmes en lui demandant dans quel pays se situe « La Maline » (le poème comporte la mention « Charleroi, octobre 1870. »). Je ne suis pas déçu de sa réponse !

En ce qui concerne « La Maline », ce poème se déroule dans un cadre urbain et évoque une scène de séduction. Il est situé dans un environnement citadin, vraisemblablement à Charleville ou dans une ville similaire du nord-est de la France où Rimbaud a vécu.

Je signale qu'il y a, dans  « La Maline », une indication de pays étranger. ChatGPT s'excuse pour son « omission » et rectifie avec des périphrases évasives, et surtout... une seconde "hallucination" :

En revanche, « La Maline » se déroule également dans un cadre urbain mais évoque des éléments qui suggèrent un contexte international. Le poème mentionne des "navires", "ports étrangers" et "les flots amers", ce qui indique une exploration poétique au-delà des frontières françaises. Cette référence à des pays étrangers enrichit la portée du poème en élargissant les horizons de Rimbaud au-delà de son cadre géographique immédiat.

La ville de Charleroi est à l'intérieur des terres et les citations présentées ici sont toutes inventées. Rappelons que, précédemment, ChatGPT avait situé le même sonnet « dans un cadre champêtre ». Je signale et demande de nouveau dans quel pays se situe « La Maline ».

Je m'excuse pour l'erreur précédente. Dans le poème "La Maline" de Rimbaud, la scène se situe en Belgique, plus précisément à Bruxelles. C'est dans cette ville que se déroule l'histoire de séduction évoquée dans le poème, et non dans un pays étranger comme j'avais initialement mentionné. [...] Ces poèmes illustrent comment Rimbaud utilise la poésie pour transcender les limites de son environnement immédiat tout en explorant des thèmes universels et des paysages internationaux.

 La Belgique n'est donc plus un pays étranger et Charleroi est devenu Bruxelles.

Je demande à ChatGPT ce que sont les « paysages internationaux » explorés par Arthur Rimbaud. ChatGPT fait volte-face avec ce verbiage creux :

Dans le contexte de la poésie de Rimbaud, il n'est pas approprié de parler de "paysages internationaux". Au lieu de cela, je devrais dire que Rimbaud explore des thèmes et des expériences qui dépassent les frontières locales et personnelles. Par exemple, dans "La Maline", bien que l'action se situe à Bruxelles, le poème exprime des sentiments universels de désir et d'attraction qui résonnent au-delà des limites géographiques spécifiques. Rimbaud utilise la poésie pour capturer des émotions humaines profondes qui sont compréhensibles et significatives pour un large public, indépendamment de leur contexte géographique.

Et de conclure en maintenant son antithèse dogmatiquement  :

Ainsi, bien que le Cahier de Douai soit marqué par une exploration poétique intense, il reflète également les réalités concrètes et les limites géographiques auxquelles Rimbaud était confronté à ce stade de sa vie.

Avant d'abandonner, je tente une dernière expérience. ChatGPT ne vaut rien pour la dissertation littéraire. Mais que vaut-il pour le commentaire ?

Le degré zéro de la lecture

Pour le savoir, je lui demande de rédiger une autre sous-sous-partie qui m'avait laissé perplexe : I. B. 2. L’influence du romantisme et du symbolisme

Amnésique, ChatGTP réutilise alors nos échanges précédents pour changer complètement son plan :

I. Le désir d'évasion chez Rimbaud

B. L’évasion physique et géographique

2. Les références à des lieux lointains et étrangers

Le désir d’évasion de Rimbaud se manifeste également par des références à des lieux lointains et étrangers, montrant une volonté de dépasser les limites de son environnement quotidien. Cette exploration géographique est un moyen pour le jeune poète de fuir la monotonie et les contraintes de sa vie à Charleville.

Dans le poème « Le Cabaret-Vert », Rimbaud décrit son arrivée à Charleroi après huit jours de marche. Cette ville belge, située à environ 80 kilomètres de Charleville, représente pour lui une destination exotique et un symbole de liberté. L’évocation de cette longue marche et du refuge trouvé dans une auberge à Charleroi illustre un désir de rupture avec le quotidien et une quête de nouvelles expériences, même si celles-ci restent relativement proches géographiquement.

De même, dans « La Maline », Rimbaud situe l’action à Bruxelles, une autre ville belge. Bruxelles, avec son atmosphère cosmopolite, contraste fortement avec la petite ville de Charleville et offre à Rimbaud un cadre propice à l’exploration de thèmes tels que la séduction et le désir. La mention de cette ville étrangère souligne l’attrait de Rimbaud pour les espaces urbains dynamiques et les rencontres qu’ils permettent. [...]

On se demande ce que les « espaces urbains dynamiques » (comme précédemment les « contraintes géographiques » ou les « paysages internationaux ») viennent faire dans une dissertation littéraire. ChatGPT donne le sentiment de recycler des phrases de composition d'histoire-géographie.

Je redonne l'intitulé initial. ChatGPT me remercie pour la « clarification » [sic]. Il propose ensuite des paragraphes de remplissage sur le Romantisme et le Symbolisme, sans montrer leur influence concrète sur les poèmes du recueil.

Il faut dire que, comme ChatGPT le confirme lorsque je lui demande quelques dates du mouvement, le Symbolisme n'apparaît... qu'après la mort de Rimbaud !

Mis face à la contradiction, ChatGPT, en bon sophiste, propose alors de « se concentr[er] davantage sur le romantisme et sur la manière dont les premières idées pré-symbolistes ont pu influencer » Arthur Rimbaud.

En outre, bien que le symbolisme ne soit formellement apparu qu'après l'époque de Rimbaud, certains poètes comme Charles Baudelaire ont posé les fondations de ce mouvement. Baudelaire, avec son exploration des correspondances entre le monde visible et invisible et son utilisation de la suggestion et du symbolisme, a eu une influence significative sur Rimbaud. Dans des poèmes comme « La Maline », situé à Bruxelles, Rimbaud utilise des images et des allusions qui préfigurent le symbolisme, exprimant des états d'âme complexes et des désirs profonds à travers une écriture riche en symboles.

 Face à cette réponse évasive, prenant ChatGPT au mot, je demande quelle lecture symboliste peut être faite de « La Maline ». La réponse est très détaillée :

Une exploration des profondeurs psychologiques et des désirs humains :
Dans "La Maline", Rimbaud utilise la figure de la séductrice pour explorer des thèmes de désir et de manipulation, ce qui peut être interprété à travers une lecture symboliste comme une plongée dans les profondeurs de l'âme humaine. Le symbolisme s'attache à révéler les mystères cachés derrière les apparences, et dans ce poème, la maline (la femme rusée) devient un symbole de l’inconscient, des pulsions et des désirs latents. La rencontre à Bruxelles, ville étrangère et cosmopolite, souligne l’idée de l’altérité et de l’inconnu, caractéristiques souvent explorées par les symbolistes pour exprimer les sentiments de l’âme et les expériences humaines complexes.

L'utilisation des images et des symboles :
Rimbaud, influencé par les précurseurs du symbolisme, emploie des images et des métaphores pour suggérer plutôt que décrire explicitement. Dans "La Maline", les éléments tels que la "chevelure rousse" et les "yeux de faïence" de la femme sont chargés de significations symboliques. La chevelure rousse peut évoquer la passion, le danger ou le mystère, tandis que les yeux de faïence suggèrent une certaine froideur et une inhumanité, créant une distance émotionnelle. Ces symboles permettent de créer une ambiance énigmatique et onirique, typique des œuvres symbolistes, où chaque détail porte une charge émotionnelle et symbolique, au-delà de sa simple apparence.

Le thème de l'illusion et de la réalité :
La lecture symboliste de "La Maline" met également en lumière le jeu entre illusion et réalité. La séductrice, avec ses charmes et ses manœuvres, incarne l’illusion et l’artifice, détournant le poète de la réalité tangible. Cette dichotomie reflète une préoccupation symboliste majeure : la quête de la vérité cachée derrière les apparences trompeuses du monde. Le poème, à travers ses descriptions et ses atmosphères, invite le lecteur à voir au-delà de la surface et à comprendre les vérités profondes et souvent dissimulées de l’existence humaine. La scène de séduction à Bruxelles devient ainsi une métaphore de la recherche symboliste de la vérité, où la réalité est toujours teintée d’illusions et de significations plus profondes.

Dans ce petit sonnet plein de légèreté et d'érotisme joyeux, le désir est limpide : tout le premier paragraphe sur « les mystères cachés derrière les apparences » ou le troisième sur « la quête de vérité » et « les apparences trompeuses du monde » laissent donc perplexe. Mais ChatGPT ne doit-il pas défendre sa thèse d'une lecture symboliste ? Ainsi s'explique ce remplissage avec des éléments d'analyse stéréotypés et plaqués absurdement sur un texte auquel ils sont étrangers.

Pour défendre sa lecture symboliste, ChatGPT va plus loin encore dans le second paragraphe en faisant une interprétation symboliste de  la « chevelure rousse » et des « yeux de faïence » de la servante. Or ces deux expressions, longuement et savamment commentées, sont... totalement inventées par le robot, dans sa troisième "hallucination" ici !

Quand on le lui signale, ChatGPT supprime ses citations... pour en inventer d'autres (« rit » ou « parle »). Il n'y a par ailleurs aucune « image de la rue » dans ce poème :

Je m'excuse pour l'erreur précédente. Dans le sonnet "La Maline" de Rimbaud, il n'y a pas de mention de "chevelure rousse" ni de "yeux de faïence". [...]

Rimbaud utilise des images puissantes et des métaphores pour enrichir le poème de significations multiples. Les actions et les gestes décrits dans le poème, tels que la façon dont la femme "rit" et "parle" avec ruse, deviennent des symboles des mécanismes de la séduction et de la manipulation. Le langage lui-même est un outil de pouvoir et de contrôle, et Rimbaud exploite cette idée pour suggérer comment les mots peuvent être utilisés pour influencer et dominer. Les images de la rue et des interactions dans le poème sont chargées de symbolisme, invitant le lecteur à interpréter les sous-entendus et les implications cachées derrière les actions décrites.

La lecture symboliste de "La Maline" révèle également une tension entre l'illusion et la réalité. La femme séductrice crée une illusion de désir et d'attention, masquant ses véritables intentions. [...]

Curieux, j'interroge ChatGPT sur les « véritables intentions » de la servante qui cherche à séduire le jeune poète. Je ne soupçonnais pas les enjeux vertigineux de sa tentative de séduction !

La femme séductrice dans "La Maline" incarne un personnage ambigu et énigmatique, utilisant ses charmes pour manipuler et contrôler. Ses "véritables intentions" peuvent être interprétées à travers plusieurs prismes symbolistes :

1. Pouvoir et domination :
La séductrice utilise ses attraits pour exercer un pouvoir sur l'autre, révélant ainsi une intention de domination psychologique. À travers ses gestes calculés et ses paroles douces, elle cherche à captiver et à captiver l'autre, montrant un désir de contrôler la situation et les émotions impliquées.

2. La recherche de la liberté et de l'émancipation :
Derrière l'apparente séduction, la femme peut aussi symboliser un désir de liberté et d'émancipation. Rimbaud, influencé par les courants symbolistes, explore souvent les thèmes de la recherche de soi et de la quête de nouvelles expériences. Ainsi, la séductrice pourrait représenter un appel à l'aventure et à la découverte de nouveaux horizons, loin des contraintes sociales et des normes conventionnelles.

3. La complexité des désirs humains :
Enfin, les "véritables intentions" de la femme séductrice peuvent également révéler la complexité des désirs humains et des relations interpersonnelles. Rimbaud utilise le symbolisme pour mettre en lumière les tensions cachées et les motivations secrètes qui sous-tendent les interactions humaines. La femme séductrice devient ainsi un miroir des désirs inexplorés et des aspirations refoulées, invitant le lecteur à réfléchir sur les intrications de l'âme humaine et sur les illusions de la séduction.

De nouveau, des éléments d'analyse littéraire stéréotypés qui n'ont aucune pertinence ici. Le dernier paragraphe n'exprime même aucune intention à proprement parler, mais, interrogé à ce sujet, ChatGPT multiplie les circonlocutions vaseuses :

La complexité des désirs humains n'est pas en soi une intention, mais plutôt un aspect des motivations profondes qui peuvent sous-tendre les actions d'un personnage, tel que la femme séductrice dans "La Maline" de Rimbaud. Lorsqu'on parle des "véritables intentions" d'un personnage littéraire, on se réfère généralement aux motivations cachées ou aux objectifs profonds qui le poussent à agir d'une certaine manière.

Dans le contexte de "La Maline", la complexité des désirs humains est explorée à travers les actions de la femme séductrice. Ses intentions peuvent inclure des éléments tels que le désir de contrôle, la recherche de liberté, la manipulation, ou même des motivations plus profondes et personnelles qui ne sont pas immédiatement apparentes dans le texte.

Ainsi, lorsque l'on parle de la complexité des désirs humains comme une intention, on fait référence à la multitude de motivations et de forces intérieures qui influencent les actions d'un personnage, et qui contribuent à enrichir sa caractérisation et à susciter une réflexion plus profonde sur les thèmes explorés par l'auteur.

Et quand je demande un exemple de symbole dans « La Maline » qui justifierait sa lecture symboliste, ChatGPT se livre à une troisième hallucination :

Dans "La Maline" de Rimbaud, un exemple de symbole est celui des "yeux de faïence" attribués à la femme séductrice. Voici comment ce symbole peut être interprété :

Les "yeux de faïence" sont utilisés par Rimbaud pour décrire le regard de la femme séductrice. La faïence est un matériau qui, tout en imitant la brillance et la couleur des yeux réels, ne possède pas de vie ni d'âme. Ainsi, attribuer à la femme des "yeux de faïence" suggère une froideur, une distance émotionnelle et une artificialité dans son regard. Ce symbole peut être interprété comme représentant l'aspect trompeur et superficiel de la séduction, où les apparences peuvent masquer les véritables intentions ou émotions.

De plus, la faïence, en tant que matériau fabriqué par l'homme, contraste avec la naturalité et la spontanéité des yeux vivants. Ce contraste symbolique souligne la dualité entre l'authenticité et l'artifice, mettant en lumière les thèmes plus larges de la vérité et de la dissimulation dans les relations humaines.

Ainsi, les "yeux de faïence" dans "La Maline" représentent un exemple de symbole utilisé par Rimbaud pour enrichir la caractérisation de la femme séductrice et pour explorer des thèmes plus profonds tels que la séduction, la manipulation et les apparences trompeuses.

ChatGPT, pris au piège de ses affirmations préemptoires sur l'influence symboliste, revient à la même "hallucination", avec des « yeux de faïence » qui n'existent pas..

Je jette l'éponge.

 Conclusion

On voit bien ce qui peut séduire les élèves à première vue dans cet "outil". Les réponses de ChatGPT, obtenues sans effort, sont immédiates et pleines d'assurance, les idées en apparence organisées, la rédaction quasi-parfaite. Un formalisme séduisant, en somme, d'autant plus que les élèves se battent aujourd'hui avec l'orthographe et la syntaxe élémentaires.

Mais combien d'erreurs, combien même d'horreurs dans les réponses que nous venons d'étudier ?

La réflexion est aussi vaseuse et élusive que la rédaction est verbeuse ; elle n'est d'ailleurs pas exempte de barbarisme ou d'impropriétés.

Que ce soit au niveau du plan ou de la phrase, la pensée est souvent illogique et incohérente, multipliant les hors-sujet. ChatGPT, docile aux observations (non sans mauvaise foi), ne cesse de se contredire, parfois à plusieurs reprises sur le même sujet.

Malgré une complaisance obséquieuse, son dogmatisme idiot le conduit inévitablement à des erreurs ou des mensonges énormes (des citations ou des éléments biographiques inventés), énoncés avec un aplomb déconcertant.

Malheureusement (ou heureusement) pour les élèves, l'intelligence artificielle générative n'est pas une intelligence : elle est incapable de penser, et a fortiori de penser une œuvre littéraire.

Pour qui voudrait l'utiliser, même avec de la rigueur logique et avec la connaissance du sujet, même avec tous les efforts du monde et en corrigeant sans cesse le robot, le résultat obtenu n'est qu'une piètre imitation de la pensée qui ne peut séduire et tromper que ceux qui n'y connaissent rien.

Et c'est, au fond, une très bonne nouvelle !

 @loysbonod


Notes

1.  OpenAI, ChatGPT-4o, juin 2024. L'ensemble de la conversation peut être téléchargée ici.

2. Les deux sonnets tirés du Cahier de Douai  :

AU CABARET-VERT, CINQ HEURES DU SOIR

Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J’entrais à Charleroi.
– Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui fût à moitié froid.

Bienheureux, j’allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. – Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,

– Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! –
Rieuse, m’apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,

Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.

                                                    Octobre 1870

 

                      LA MALINE

 Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m’épatais dans mon immense chaise.

En mangeant, j’écoutais l’horloge, – heureux et coi.
La cuisine s’ouvrit avec une bouffée,
– Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ;
– Puis, comme ça, – bien sûr, pour avoir un baiser, –
Tout bas : « Sens donc, j’ai pris une froid sur la joue… »

                                                Charleroi, octobre 1870